Pour plus de légitimité politique de l’UE

Certains lecteurs penseront que c’est de « la lèche » ou, pour parler plus élégamment, d’un coup de pommade pour faire plaisir à la rédaction de L’Hebdo. On peut le voir ainsi, mais aussi différemment. Différemment, car si les articles de journaux ne vivent parfois que l’espace d’un matin, celui de L’Hebdo en date du 16 juin 2005 a marqué certains esprits. En constatant à bon escient « qu’un an après son élection, le bilan est rachitique », l’éditorialiste de l’époque n’hésita à voir en « José Manuel Barroso [le] maillon faible de l’Europe ».

Qui aurait pu alors croire en 2005 que Barroso allait rester à la tête de la Commission européenne durant dix ans ? Non qu’il faille tirer ici sur une ambulance, mais plutôt déplorer un bilan qui, pour paraphraser François Mitterrand, fait de l’ancien Premier ministre portugais non seulement l’homme du passé, mais aussi l’homme du passif. Nommé en 2004 à la présidence de la Commission, il n’a réussi ni à atteindre les objectifs de « la stratégie de Lisbonne » qui voulait faire de l’UE « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici 2010 » (sic !), ni à défendre, comme il aurait dû le faire, le « traité établissant une constitution pour l’Europe » dont on connaît le sort qui lui fut réservé par les électeurs français et hollandais .

Barroso n’a pas convaincu. Peut-être encore moins que ne l’ont fait Herman van Rompuy, le Président du Conseil européen, ou Catherine Ashton, la « Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ». Mais à la veille de leur départ de la scène européenne, rien ne sert de leur jeter la pierre plus longtemps. Avec la nomination de Jean-Claude Juncker à la Présidence de la Commission, l’UE a peut-être trouvé un homme de compromis qui, fort de son expérience, espère rétablir un équilibre entre la tradition (ordo)libérale de la pensée économique de l’Europe et la demande de justice sociale à laquelle l’équipe de José Manuel Barroso n’avait décidemment prêté que trop peu d’attention ces dernières années.

Toutefois, la partie est encore loin d’être gagnée. Au-delà  des négociations d’alcôve et des traditionnelles tractations politiques et nationales pour désigner les futurs membres de la Commission,  l’exécutif européen a besoin d’une légitimité politique qui continue de lui faire défaut. Souvent critiquée, et non sans tort, pour son opacité et son manque de transparence, l’UE doit ainsi poursuivre ses efforts de démocratisation amorcés par son parlement européen. Parce que fidèles à leur la promesse de ne pas trahir la confiance des 380 millions d’électeurs européens, les eurodéputés n’acceptent plus d’entériner comme un seul homme les choix de la Commission et du Conseil européen. Souvent en désaccord avec les instances dirigeantes de l’UE, ils voudraient faire d’elle une véritable démocratie parlementaire.

Louable à plusieurs égards, cette intention n’a toutefois que peu de chances d’aboutir pour l’instant. En porte-à-faux avec les différentes traditions politiques des États membres, cette réforme nécessiterait une profonde refonte des traités. Mais échaudés par l’expérience avortée de la constitution européenne, les vingt-huit pays de l’UE ne sont pas prêts à s’aventurer dans un dédale institutionnel de tous les dangers. Préférant le statu quo, ils tenteront bien vite de refermer un débat dont, à moyen terme, ils ne pourront néanmoins pas faire l’économie. Pourquoi alors ne pas prendre les devants et proposer deux mesures compréhensibles par le commun des mortels européen ? D’abord instaurer une chambre haute de l’UE, composée des élus des parlements nationaux. Puis, prévoir  l’élection au suffrage universel direct du Président de la Commission. Cela donnerait plus de lisibilité démocratique à l’Europe et permettrait surtout de concilier deux positions, parfois présentées comme antinomiques : asseoir le poids politique des États membres et renforcer le caractère fédéraliste de l’Union européenne. De même, et de manière un plus anecdotique, cela éviterait aussi à l’éditorialiste de L’Hebdo de rédiger un nouvel article sur « le maillon faible de l’Europe » !  

 

 

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.