La politique suisse, un financement au-dessus de tout soupçon?

Pas un jour ne passe sans qu’une nouvelle révélation sur l’affaire Bygmalion fasse la une des journaux français. Scandale financier difficilement compréhensible pour les non-initiés, il révèle les failles d’un système politique, où les dépenses officielles des campagnes électorales peuvent être détournées au gré d’un tour de passe-passe comptable. Meetings doublement facturés, agence de communication au service d’un seul parti politique ou frais exorbitants, et de surcroît hors loi, pour organiser de véritables shows de campagne, rien ne manque pour alimenter la chronique d’une saga qui d’ores et déjà envenime sérieusement le retour de Nicolas Sarkozy sur le devant de la scène politique.

La France, comme d’autres pays européens, est friande de scandales politiques. Agence «Urba» pour le parti socialiste au début des années 90, emplois fictifs à la Mairie de Paris avec Jacques Chirac ou diamants de Bokassa pour Giscard d’Estaing à l’aube de la présidentielle de 1981, voilà quelques exemples qui ont conduit le législateur à adopter, de 1988 à 2003, un certain nombre de lois réglementant le financement des partis français. Mais la France n’est pas la seule à avoir vécu ou subi des affaires. L’Italie, avec la disparition de la democrazia cristiana ou plus récemment avec Berlusconi, revient inéluctablement en mémoire. Mais aussi l’Allemagne, avec «les  caisses noires de la CDU» en 1999/2000, crépuscule de la carrière d’Helmut Kohl et étape décisive pour l’ascension politique d’Angela Merkel, ne fait pas exception à la règle. Chaque pays européen connaît son lot d’affaires de financement politique, à l’exception d’un seul: la Suisse!

Serait-elle donc beaucoup plus vertueuse que d’autres? N’aurait-elle que des hommes (et femmes) politiques au-dessus de tout soupçon? N’y aurait-il que des financements transparents, issus de sources légales et connues de tout le monde? Que nenni! De fait, si la Suisse adoptait des législations identiques à celles existantes dans ses pays voisins, nombre de ses leaders politiques auraient eu maille à partir avec la justice, voire auraient fait un séjour plus ou moins prolongé dans quelques geôles cantonales. Mais rien n’y fait: l’absence de législation suisse sur le financement politique fait partie d’une dite «culture politique helvétique» qui n’a de culture que le nom!

Dernier exemple en date. Christoph Blocher (encore lui!) prévoit de mettre quelques millions de sa fortune personnelle sur la table, quatre à cinq selon les sources bien informées, pour mener « la der des der». Soit celle qui, à ses yeux, devrait à tout jamais sceller le sort de la Suisse en Europe et éviter qu’elle n’adhère un jour à l’Union européenne. A la tête d’un comité pour «un non à une adhésion sournoise à l’UE», il affine d’ores et déjà ses armes sonnantes et trébuchantes pour terminer en beauté une carrière qui, si victorieuse soit-elle, n’aura décidément pas grandi l’image de la Suisse en Europe.

Mais ne laissons pas au cas Blocher le soin de résumer à lui seul ce déficit démocratique que représente l’absence d’une législation helvétique sur le financement des partis politiques. Le sujet est trop sérieux pour qu’il se résume à un unique et même personnage. En réalité, une seule question se pose aujourd’hui au législateur suisse, à savoir celle du lien entre transparence et légitimité politiques. En effet, ne vaut-il pas mieux être confronté à des scandales de financement de partis et de campagnes électorales que de ne pas en avoir du tout, preuve probable d'une opacité, voire d'une corruption sous-jacente? Le jour, où la Suisse aura compris et répondu à cette question, elle saura également que les démocraties des autres États européens ne sont pas aussi mauvaises qu’elle le prétend si souvent, soit par malveillance ou plus encore par ignorance!             

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.