La tentation nationaliste de la droite antieuropéenne

Quoi de plus approprié que de commencer ce blog européen au lendemain des élections européennes, soit d'un scrutin démocratique auquel furent appelés près de 400 millions de citoyens communautaires? Mais quoi de moins réjouissant que d'inaugurer ce blog au lendemain d'une élection qui laisse un goût amer? La victoire des partis europhobes était annoncée. Elle a eu lieu. Mais de manière nettement plus disparate qu’on ne le croyait. Au-delà de l’émoi qu’elles ont suscité, ces élections permettent aussi de remettre en cause le mot même de populisme. Facile d’usage, ce concept montre aussi ses propres limites. Passe-partout pour définir un phénomène politique complexe, il ne résiste guère à une analyse plus fine pour expliquer les succès enregistrés par les partis situés à la droite de la droite classique. La droite réactionnaire et extrémiste demeure en effet profondément morcelée et rencontrera, sans nul doute, de nombreuses difficultés pour constituer un seul et unique groupe au sein du parlement de Strasbourg.

Avec pour dénominateur commun son hostilité à l’Europe communautaire, la droite de la droite ne défend pas toujours la même conception de la démocratie parlementaire. Les uns la respectent pour imposer leurs idées, les autres se servent d’elle pour mieux la détruire. C’est là qu’interviennent les oppositions qui ne cesseront de se dévoiler durant la prochaine législature européenne. Débat qui concerne aussi la Suisse, l’instrumentalisation ou le refus du parlement se situe au cœur d’une controverse idéologique et stratégique que tous les adversaires démocratiques de la droite réactionnaire et ultra-conservatrice devraient nettement mieux prendre en compte qu’ils ne le font aujourd’hui.

En désaccord sur le respect des institutions démocratiques, toutes les formations droitières et néo-droitières se retrouvent dans leur refus de l’ouverture aux autres. Unis dans leur hostilité envers l’étranger, ils ont pour raison d’être ce dont l’Europe a le plus à craindre: le nationalisme. C’est là que remontent à nos mémoires les paroles du Président François Mitterrand qui, de sa voix rongée par la maladie, exhortait lors de son dernier et grand discours du 17 janvier 1995, les députés de Strasbourg de "vaincre notre histoire et pourtant si on ne la vainc pas, il faut savoir qu'une règle s'imposera, mesdames et messieurs: le nationalisme, c'est la guerre!"

De guerre, il n'en est certes que peu question aujourd'hui. Mais de tentation nationaliste beaucoup plus que naguère. Plus que ce n’était le cas il y vingt ans, il est terriblement facile d'être anti-européen en 2014. Près de 30% des Britanniques le sont, les Français et d'autres Européens tout autant. Même les Suisses ne font pas exception à la règle, au plus tard depuis le 9 février de cette année. Désormais, l’heure est au refus de la difficulté. S’en prendre à l'Union européenne, paraît alors beaucoup plus complaisant que de la défendre. C’est là la posture commode et pleutre qu’ont adoptée les partis bourgeois suisses. Contrairement à leurs homologues libéraux, chrétiens-démocrates, voire conservateurs européens, ils ont choisi dans le déni de l’Union européenne l’un de leurs principaux chevaux de bataille. Le courage de se dire Européens les a délaissés. Ils se sont retranchés dans la facilité, comme des millions d’électeurs européens qui, en cette fin de mai 2014, n’ont rien fait d’autre que de tomber dans le piège que la droite de la droite leur a tissé. Qu’auraient alors donné les résultats si les Suisses avaient été appelés aux urnes pour les élections européennes? A en prendre les paris, il y aurait aussi eu de nombreux europhobes suisses sur le banc du parlement européen de Strasbourg!    

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.