A quoi sert un Secrétaire d’Etat au DFAE ?

Cotée en bourse l’action « Secrétaire d’Etat du DFAE » aurait perdu d’un seul coup la moitié de sa valeur au moment où, il y a quelques mois, le poste fut scindé en deux. Ou peut-être pas, car la bourse aurait noté que le nouvel entrant reçut dans sa corbeille la part du lion avec les affaires européennes, priorité de la politique étrangère de la Confédération, sa collègue se retrouvant reléguée à des tâches de gestion subalternes. Cette solution boiteuse ne devrait être que provisoire. En réalité, il n’y a pas place au DFAE pour deux Secrétaires d’Etat. Il est temps de revenir à une situation normale et de confier cette responsabilité à une seule personne. Il est temps aussi et peut-être surtout de réfléchir à la fonction de Secrétaire d’Etat au DFAE !

On a prêté à l’actuel Secrétaire général du département l’intention de profiter du vide qui prévaut depuis quelque temps pour faire modifier en sa faveur l’ordonnance qui règle les questions de compétences au sein de la maison. Contrairement aux autres Secrétaires d’Etat (SECO, SEM, SEFRI) celui du DFAE est en charge de l’ensemble d’un département. Sa position hiérarchique (en principe) immédiatement sous le Chef du département n’a aucune comparaison dans les autres départements, où cette fonction est occupée par des Secrétaires généraux. On ne pourrait dès lors en vouloir au Secrétaire général de rêver, d’autant plus que depuis quelques années, pour des raisons diverses, les deux Secrétaires d’Etat, appelons-les « traditionnels », n’ont pas été en état de remplir l’intégralité de leurs fonctions et se sont retrouvés dans les faits mis de côté. Or, comme la nature en a horreur, rien d’étonnant qu’un Secrétaire général puisse être tenté d’occuper le vide ambiant!

Comme l’a dit un jour sans doute l’un de nos plus grands Secrétaires d’Etat, le DFAE est le seul département qui a toutes les chances de recevoir comme nouveau chef, à chaque fois, de vrais amateurs qui devront tout apprendre sur le tas ou presque. En effet, et ce n’est pas leur manquer de respect que de relever cette constance, aucune administration cantonale n’a pu les préparer à cette tâche. Par ailleurs, même si les parlementaires qu’ils furent se sont intéressés à des dossiers de politique étrangère et ont été membres de cette commission, leurs connaissances du domaine ne peuvent qu’être succinctes, tant la politique extérieure doit se contenter de la portion congrue face aux dossiers de politique intérieure dans la vie des parlementaires.

Cette réalité fait que l’ensemble de l’héritage du DFAE repose entièrement sur les épaules du Secrétaire d’Etat. C’est lui qui le reçoit de son prédécesseur et le transmet à son successeur. On comprendra que cette particularité devrait en principe exclure de la fonction une personnalité extérieure au DFAE. En effet, même à supposer qu’elle soit par ailleurs un génie il lui manquera pendant longtemps en tout cas les connaissances diplomatiques internes, sans lesquelles la machinerie diplomatique ne peut pas tourner à plein régime. Au cœur des fonctions de Secrétaire d’Etat se trouve le rôle de pourvoyeur de contenu et de cohérence. Ce n’est qu’avec une profonde connaissance du passé qu’il est en mesure de gérer le présent et de dessiner l’avenir de notre action et de notre influence à l’extérieur. Ce n’est pas un hasard si, dans la plupart des pays semblables aux nôtres, le vivier dans lequel est pêché l’heureux élu se restreint à celles et ceux qui ont accumulé au fil des ans leur expérience à la centrale dans des postes de responsabilité et sur le front extérieur dans des représentations importantes. Cette réalité n’a rien à voir avec du corporatisme. Ou alors mettre un pilote de formation sur le siège du capitaine dans un avion c’est aussi faire preuve de corporatisme?

Beaucoup de fuites et peu d’informations laissent penser qu’il y a anguille sous roche actuellement au DFAE. C’est qu’au plus tard début 2021 une nouvelle ou un nouveau Secrétaire d’Etat devrait s’assoir dans le cockpit. Officiellement des processus seraient en cours qui devraient apporter sur un plateau l’heureuse élue ou l’heureux élu. Visions, stratégie et ensuite la personne pour la mettre en œuvre ! Le problème est que cette apparente cohérence, répétée matin, midi et soir par l’actuel Chef du DFAE, d’abord n’en est pas une et ensuite ne parvient plus à cacher que le processus n’est pas aussi limpide et transparent qu’on le prétend. Il ne peut pas l’être pour une raison simple : le choix de celle ou celui qui doit être son collaborateur le plus proche, avec laquelle ou lequel il doit se sentir en symbiose totale, ne peut pas être le résultat d’un processus. Le passé récent et moins récent a montré à quoi pouvaient amener des erreurs de choix. Par ailleurs, prétendre que le choix d’une stratégie doit précéder le choix des personnes dans notre système serait aussi aberrant que de prétendre que la nomination d’un Conseiller fédéral dépend du choix de la couleur des papiers peints dans son futur bureau ! En effet, tout le monde au DFAE au moins sait qu’à l’inverse des papiers peints toute les stratégies qui y ont été élaborées ont terminé leur vie dans les tiroirs.

La nouvelle personne qui occupera le poste devra cocher au moins quatre cases toutes d’égale importance. D’abord, la case de l’entente personnelle indispensable avec le chef, sans laquelle rien n’est possible. Le chef du département doit apprécier son alter-ego et aimer échanger avec lui quotidiennement. Ensuite, la case des compétences professionnelles. Elles doivent être au-dessus de la moyenne et reconnues par ses collègues les plus chevronnés. Ensuite, la case de la conduite. Ce ne serait plus acceptable aujourd’hui de porter aux plus hautes fonctions de l’administration des personnes présentant des lacunes dans leur conduite. Les harcèlements dans le silence doivent appartenir au passé. Par ailleurs, pour optimiser le fonctionnement d’une maison telle que le DFAE, des qualités humaines et humanistes sont indispensables. Enfin, la case du « plus » que la personne choisie doit apporter à son chef. La provenance linguistique est notamment importante. L’ancienne Conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey l’avait bien compris. Elle, la “Valaiso-Genevoise”, avait placé à ses côtés, avec Michael Ambühl et Peter Maurer, deux excellents Secrétaires d’Etat alémaniques. Lorsqu’il s’agit de vendre à l’intérieur des produits de politique étrangère, que les Suisses trouvent souvent indigestes surtout lorsqu’ils sont européens, il serait bon qu’un chef représentant une minorité linguistique puisse s’appuyer sur un représentant de la majorité.

 

La quadrature du cercle ? Pas vraiment, car aujourd’hui au DFAE les personnalités qui pourraient cocher toutes les cases ne manquent pas. Il suffirait de ne pas les exclure d’emblée des processus de sélection qui donnent souvent l’impression de ne servir qu’à cela. Et finalement il faudrait tout simplement se rappeler à quoi sert un Secrétaire d’Etat au DFAE. C.Q.F.D.!

Georges Martin

Georges Martin est né en 1952. Après avoir obtenu sa licence de Sciences politiques à l’Université de Lausanne, il est entré au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) en 1980. Les différentes étapes de sa carrière l’ont amené en Allemagne, New-York (ONU), Afrique du Sud, Israël, Canada, France, Indonésie, Kenya. Il fut Secrétaire d’Etat adjoint et Chargé de missions spéciales au DFAE.

Une réponse à “A quoi sert un Secrétaire d’Etat au DFAE ?

  1. Ce doit être sans doute un peu, comme un Secrétaire Général de l’ONU, voire un Conseiller Fédéral?

    Des gens élus comme pare-feu et sans aucun pouvoir réel?
    Sinon, ceux à qui on donne la parole et bien sûr la faute!

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