Au secours! L’équilibre de la terreur revient … en Suisse

“Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques” (Albert Camus)

Ceux, de plus en plus nombreux (!), qui n’ont pas eu la “chance” de connaître l’équilibre de la terreur tel qu’illustré sur le dessin de presse ci-dessus (Kennedy-Khrouchtchev) ont droit à un cours de rattrapage. C’est au Conseil fédéral et à la minorité de la Commission de politique étrangère du Conseil National qu’ils peuvent adresser leurs remerciements.  En effet, sans doute gagnée par la tendance “vintage” (C dans l’air!), la minorité de la Commission, qui soutient la décision du Conseil fédéral du 15 août (jour de l’Assomption de la Bienheureuse Vierge-Marie!) de ne pas signer le Traité d’interdiction des armes nucléaires, se répand dans les médias pour vanter les mérites de l’équilibre de la terreur, que l’adhésion de la Suisse au traité mettrait soi-disant en péril! Rien que ça! Rendez-vous compte, la petite Suisse neutre terrorisant l’équilibre de la terreur!  Il fallait bien nos “Souverainistes patriotes” pour sortir du musée de la guerre froide ce fossile et lui redonner vie, tout en passant, comme chat sur braise, sous le parapluie nucléaire de l’OTAN. Les pères de notre neutralité doivent se retourner dans leurs tombes! 

En décidant par 16 voix contre 6 et 2 absentions de renvoyer au Conseil fédéral (CF) sa copie et de lui demander de reconsidérer sa décision de ne pas signer le traité d’interdiction des armes nucléaires, la Commission a replacé la Suisse dans la grande tradition de son passé humanitaire. La décision du CF avait choqué nos partenaires (l’Autriche a signé et ratifié) et plu à l’OTAN, qui ne cesse depuis de porter la Suisse aux nues, l’instrumentalisant dans son lobby auprès des pays hésitants.

Une bataille a été gagnée mais pas encore la guerre. Il reviendra au Conseil des Etats de se saisir du dossier (la Commission de politique étrangère le 25 octobre et la plénière en décembre). La position claire du Conseil National devrait faire réfléchir les Sénateurs.

Les opposants au traité défendent un ordre international basé sur la “Loi du plus fort ou de la jungle”. Or cet ordre est certainement dans l’intérêt des Grandes Puissances, en terme de puissance militaire pure, mais certainement pas dans celui de la Suisse, un nain en la matière.

C’est précisément pour éviter cette “Loi du plus fort” dans les rapports internationaux que le système multilatéral a été mis en place, une première fois timidement après la 1ère Guerre mondiale et plus solidement après la deuxième. Deux guerres mondiales n’avaient pas été de trop pour montrer où cette “Loi de la jungle” pouvait mener. L’affaiblissement du multilatéralisme n’est pas une option, surtout pas pour un pays comme la Suisse. Trump ne peut pas être un exemple!

La prospérité de la Suisse date de l’après-Seconde Guerre mondiale. C’est la mise en place progressive d’un ordre mondial économique basé sur des rapports /accords multilatéraux qui est à l’origine de cette prospérité. Mais elle n’aurait pas été possible sans l’établissement, en parallèle, d’un ordre mondial sécuritaire basé sur le même système de rapports/accords multilatéraux. La prospérité économique ne va pas sans stabilité sécuritaire.

Le Conseil fédéral nous dit que ce traité n’aura aucune influence sur les puissances nucléaires, qu’il ne servirait dès lors à rien. Si cela devait être le cas, pourquoi feraient-elles une telle campagne pour dissuader les pays de le signer? La vérité est différente: sans modifier certes dans l’immédiat l’ordre des choses, le traité permettrait à la bonne conscience de changer de camp. Jusqu’ici, elle était l’apanage des cinq puissances nucléaires, qui s’estimaient légitimées dans leur statut et s’arrogeaient ainsi le mérite de la paix basée sur l’équilibre de la terreur. Lorsque le traité entrera en vigueur (50 ratifications), l’objectif ultime d’une dénucléarisation de la planète sera la norme.

Le 26 septembre passé a été honoré à New-York post mortem, Stanislav Yevgrafovich Petrov, décédé il y a un an, pour avoir sauvé le monde de la catastrophe nucléaire ultime. C’est en effet le 26 septembre 1983 que Stanislav Petrov a choisi d’ignorer le système d’alerte précoce soviétique, qui venait d’annoncer par erreur l’arrivée de 5 missiles américains avec têtes nucléaires. C’était une époque de tension entre les deux Superpuissances avec le président Reagan qui venait de relancer la course aux armements et qui utilisait volontiers une rhétorique antisoviétique. Le même mois, l’URSS avait descendu un avion des Korean Airlines qui survolait son territoire, avec 300 passagers à bord. Petrov n’a eu que quelques minutes pour décider que les informations en provenance du satellite, dues on le saura plus tard à la réflexion du soleil sur les nuages, étaient fausses.

Cet incident n’est que le plus grave de douzaines d’autres. Comme l’a dit  Beatrice Fihn d’ICAN, Prix Nobel de la Paix en 2017, Petrov n’aurait jamais dû avoir a faire un tel choix dont dépendaient la vie et la mort de l’ensemble de l’humanité. Un tel équilibre de la terreur ne peut pas constituer le système de sécurité collectif mondial. Le prétendre est faire preuve d’un conservatisme suicidaire. A l’époque de l’intelligence artificielle et des menaces cybernétiques, on attend de nos autorités plus de vision. La décision de refuser de signer le traité d’interdiction des armes nucléaires ne mérite qu’un zéro pointé. Administration fédérale combien d’incidents comme celui de Stanislav Petrov attendez-vous encore pour revoir votre copie? Si vous ne le faites pas, nous toutes et tous devrons le faire, car l’affaire est trop sérieuse pour accepter l’inacceptable que vos conclusions acceptent: la destruction de l’humanité!

Et puis franchement, la Suisse a soutenu l’utopie de la création d’un droit humanitaire avec le CICR. Elle est dans son rôle en soutenant l’utopie d’une planète sans armes nucléaires. Nous ne sommes pas n’importe quel pays dans le domaine humanitaire. On nous regarde que nous tenions notre rang ou pas. Quel exemple donnerions-nous  au monde si nous n’acceptons pas ce rôle! L’OTAN ne s’y est pas trompée en considérant d’ores et déjà que la Suisse a choisi son camp, le sien. Elle la considère d’ailleurs déjà comme un trophée de guerre qu’elle présente partout. Valait-il la peine de rester si longtemps neutre pour cela?

Près de 60 ans après sa mort nous devons toujours une réponse à Albert Camus!

Même si j’entends bien les ricanements des “réalistes”, qui n’ont que faire de Camus, ils oublient que les utopistes d’aujourd’hui sont les réalistes de demain!

 

 

 

 

 

 

Georges Martin

Georges Martin est né en 1952. Après avoir obtenu sa licence de Sciences politiques à l’Université de Lausanne, il est entré au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) en 1980. Les différentes étapes de sa carrière l’ont amené en Allemagne, New-York (ONU), Afrique du Sud, Israël, Canada, France, Indonésie, Kenya. Il fut Secrétaire d’Etat adjoint et Chargé de missions spéciales au DFAE.

5 réponses à “Au secours! L’équilibre de la terreur revient … en Suisse

  1. Comme les missiles de Cuba que vous citez, tout ça, à l’instar des armes de destruction massive, est une manière de communiquer et de manipuler.
    Ce qui m’interpelle, en revanche, c’est la Suisse florissante, au vu des derniers indicateurs et qui suit le mouvement inverse dans le sens bipolaire. De là à dire que la prospérité n’a rien à voir avec la démocratie…?

    L’ombre au tableau est la montée (pour ne pas dire déjà la suprématie chinoise, avec des indicateurs moins subjectifs) de cette autre bipolarité et dans ce sens, suis d’accord avec vous, MULTILATERALISME.

    La seule garantie pour la Suisse est de jouer un autre jeu que celui des US, qui s’énervent, car il n’est plus aussi facile de manipuler après un siècle de domination, ni la Russie, ni la Chine, peut-être seulement encore l’Europe.
    Dans ce sens et pour moi, c’est l’unique réussite de Blocher et de son bébé, l’UDC, nous avoir évité de se fondre dans ce melting-pot sans beaucoup de valeurs démocrates, mais uniquement commerciales.

    Sinon, la nouvelle bipolarité suisse est sans doute imputable au travail de sape de l’UDC avec ses initiatives abusives. Il suffit d’exiger la transparence des partis, des élus et on aura fait un grand pas, enfin,… peut-être!

    1. P.S. Une démocratie qui s’amuse à faire voter sur les cornes de vaches (ce qui ne changera rien au droit ou non d’écorner, seulement d’être subventionné) devrait sérieusement se remettre en question, sous peine de prendre ses citoyens pour des c…!
      (Bon, on pourrait soumettre les vaches sans cornes à l’AVS, sans droit de retraite?).

  2. P.S.2
    Trump n’a rien à faire, ni de la démocratie, ni de la planète, c’est un saurien de la préhistoire américaine, pour qui seuls comptent les milliards qu’il aura gagné pendant son mandat et placer ses pions familiaux sur l’échiquier.

    Ce qui interpelle, en revanche, c’est la masse de journalistes, racontant des théories à la mord-moi-le-noeud et autres thèses à coucher dehors (suisses inclus, sure).

  3. P.S.3
    N’ éprouve aucune passion pour l’UDC, tout le monde l’aura compris.
    Mais que la SSR fasse des sondages sur les votations me parait une supercherie totale!
    Ce n’est pas son rôle et on mélange tout, une fois de plus!

  4. C’est un peu comme le martyre journaliste saudien, personne n’est reponsable, Trump menace, comme le con qui va se faire niquer par les chinois, les chiens aboient et la caravane passe…
    …pardon, ami, je vais arrêter de me servir de votre blog pour m’exprimer, car on va croire que l’on se connait, le monde est si bête
    🙂

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