Echecs et concordance

 

De guerre lasse, la Suisse finira par accepter l’échange automatique d’informations en matière fiscale. Comme d’habitude, prise sous la contrainte, au dernier moment et sans contre partie, cette décision ressemblera à une reddition. Une fois de plus, la Suisse se sera montrée incapable d’être proactive, dans un domaine où pourtant l’avenir était écrit depuis longtemps.

Au premier abord, il est tentant d’imputer ce repli mal préparé à la myopie de dirigeants politiques plus portés à la gestion du quotidien qu’à l’anticipation de nouveaux paradigmes. Certes, au fil du temps, l’élu helvétique n’a pas précisément acquis une réputation de visionnaire. Mais est-il seul de son espèce ? Les responsables lucides et novateurs sont aussi une denrée rare dans les démocraties voisines.

Plus évident, le cynisme du pays n’est pas étranger à son goût immodéré pour la temporisation et le déni de réalité. Au fond, quand on est riche, pourquoi changer son modèle d’affaire ? Et si cette richesse résulte d’un privilège condamné à disparaître, pourquoi ne pas en profiter jusqu’à la dernière minute ?

Mais il existe également des raisons plus structurelles à l’éternelle impuissance stratégique de la Confédération. Tout d’abord, son extrême morcellement ne la rend pas manœuvrière. Les vingt-six cantons aux intérêts souvent divergents paralysent régulièrement son action.

Mais surtout, la concordance arithmétique empêche toute orientation politique forte et durable. Un gouvernement sans programme, constitué par une addition de Départements pilotés par des ministres venant de partis antagonistes, ne peut pas se montrer proactif. Parce qu’il n’a pas de vision commune, il ne peut anticiper. A l’inverse, sa survie implique qu’il teste toutes les échappatoires possibles avant d’oser prendre une direction idéologiquement marquée.

En clair, le Conseil fédéral procède souvent par élimination. Dans les dossiers importants, toutes les portes possibles doivent avoir été fermées pour que soit enfin franchie l’issue qu’aurait désignée au départ une pensée réellement substantielle.

Pour un gouvernement de concordance arithmétique, c’est-à-dire sans ciment politique, seule cette stratégie des échecs successifs assure un zéro faute permanent. Au plan intérieur, cette méthode est bien tolérée. Les Suisses sont habitués à l’extrême lenteur de processus aux résultats souvent plus ternes qu’audacieux. Au plan international, elle conduit à collectionner les déroutes programmées.

François Cherix

Spécialisé dans la communication politique, François Cherix travaille depuis des années sur la réforme du modèle suisse, l'organisation de l'espace romand, la question européenne, les liens entre politique et médias. Essayiste, il a publié plusieurs ouvrages et de nombreuses analyses. Socialiste, il a été membre de l'Assemblée constituante vaudoise et député au Grand conseil. Aujourd'hui, il est co-président du Nouveau mouvement européen suisse (Nomes).