Double majorité, triple injustice

Les Suisses aiment penser la Confédération comme un modèle intangible et parfait. Certes, ses institutions issues du 19ème siècle ont rendu de bons et loyaux services. Mais nombre d’entre elles, rustiques, ne sont plus adéquates. Ainsi, la double majorité du peuple et des cantons pour certaines votations doit être réformée.

En théorie, ce mécanisme vise à équilibrer la volonté des citoyens par celle des Etats fédérés. En pratique, il octroie un droit de veto à la seule Suisse centrale, en raison de son morcellement. Ainsi, dans les neuf scrutins où le vote des cantons a renversé celui du peuple, ce sont à chaque fois les petits cantons alpins qui ont imposé leur loi à tous les autres.

Or, ce privilège accordé à une seule partie du pays est triplement injuste. Premièrement, il lèse les villes qui ne profitent jamais du système, mais en sont toujours victimes. Deuxièmement, il donne un pouvoir supplémentaire à un fragment de la culture dominante, alors que les deux autres régions linguistiques ne disposent d’aucun moyen pour protéger leurs spécificités. Enfin, il crée des citoyens à deux vitesses, puisque seuls ceux de Suisse centrale peuvent contrer le vote du peuple.

Conçue au départ pour garantir des équilibres, la double majorité crée un déséquilibre injustifiable entre les différentes régions du pays. Pourquoi la Suisse centrale peut-elle censurer le peuple, alors que la Suisse romande doit accepter sans autre d’être régulièrement minorisée ? Faudra-t-il couper Vaud en trois morceaux pour compenser ce dysfonctionnement ? Ou bien sera-t-il un jour possible d’examiner les réformes susceptibles de le corriger ?

L’immobilisme actuel est d’autant plus troublant qu’introduire une pondération des cantons en fonction de leur taille constituerait un aménagement simple et connu. L’Allemagne dispose d’un tel mécanisme entre les Länder. Nul n’a entendu dire qu’il posait problème.

 

François Cherix

Spécialisé dans la communication politique, François Cherix travaille depuis des années sur la réforme du modèle suisse, l'organisation de l'espace romand, la question européenne, les liens entre politique et médias. Essayiste, il a publié plusieurs ouvrages et de nombreuses analyses. Socialiste, il a été membre de l'Assemblée constituante vaudoise et député au Grand conseil. Aujourd'hui, il est co-président du Nouveau mouvement européen suisse (Nomes).