Une école de La Chaux-de-Fonds dessine l’avenir de l’éducation

Créée en 2018 par des parents et des enseignant·es, Scola Bumbaïa est une école alternative à gestion associative située à la Chaux-de-Fonds. Elle accueille actuellement 42 élèves âgé·es entre 4 et 12 ans et s’apprête à s’étendre au cycle 3.

Voici quelques questions auxquelles ont répondu ses enseigant·es (Mathilde Ruegesgger, Estelle Scheidegger, Eliane Bischof Gattigo et Yves Bieler) et son comité (Nathalie Mohni, Perry Proellochs, Maya Robert Nicoud et Ian Girardbille).

Quel est votre approche pédagogique ?

Plusieurs approches sous-tendent notre pédagogie qui se veut en constante évolution à partir du terrain et des besoins qui en découlent. Nous nous inspirons notamment des découvertes de Caleb Gattegno, Maria Montessori, Célestin Freinet, Céline Alvarez, de l’éducation intégrale et des pédagogies par la Nature (Silviva).

Chaque enfant est différent·e et la différence est une force que les enseignant·es mettent en valeur. Le programme scolaire s’adapte en fonction du rythme naturel de chacun·e et de ses intérêts.

Il y aussi une volonté de lien avec des intervenant·es externes, parents ou autres, qui proposent des ateliers pendant et en dehors des heures d’école. Nous avons par exemple accueilli des cours d’arabe, des moments en lien avec l’archéologie ou les jeux vidéos, des visites au Fablab ou encore des cours d’escalade.

Comment le travail par projets fonctionne-t-il concrètement ?

Les enfants réalisent des projets personnels. Elles et ils choisissent un sujet qui leur parle et en font une réalisation. On a alors des maquettes, des exposés, des livres, l’organisation d’activités pour d’autres enfants, etc. qui se créent et se mettent en place. Le but est de choisir quelque chose qui ait du sens, qui ait un·e destinataire, et bien sûr qui plaise aux enfants qui réalisent les projets en question. C’est une belle source de passions et de motivations : les enfants se développent en exerçant leurs dons. Nous utilisons aussi cette approche pour travailler des compétences de planification, d’organisation et d’auto-régulation, et, à la fin du projet, d’auto-évaluation.

Si le projet est réalisé à plusieurs, cela permet de mettre l’accent sur la coopération. Nous menons par ailleurs des projets en classe complète multiâge ou en grands groupes, en choisissant des thématiques qui s’y prêtent, qui sollicitent une réflexion moins individualisée.

Certains projets se déroulent à Scola même, d’autres à l’extérieur – en collaboration avec des musées, lors de la semaine des métiers, lors de marchés, etc. Dernièrement, nous avons créé un journal et un spectacle de marionnettes.

Vous travaillez avec des groupes multiâges. Quels sont les avantages et les limitations de cette approche?

Les avantages sont bien plus nombreux que les inconvénients pour le multiâge, autant pour les enfants que pour les adultes. On relève ainsi, par exemple, une plus grande autonomie des plus jeunes par imitation : chaque grand·e devient une source d’inspiration.

Nous encourageons l’entraide entre les enfants, au quotidien, lors des activités scolaires ou même au vestiaire. Et, de fait, nous l’observons en toutes sortes de circonstances – dans l’apprentissage de l’écriture, de la lecture, dans les moments dédiés au bricolage, etc. Et les plus jeunes apportent leur créativité. Elles et ils incitent par ailleurs les plus grand·es à questionner leurs propres attitudes. Et ceci induit notamment une tempérance marquée chez les plus grand·es lorsqu’elles et ils sont confronté·es à une situation de conflit – cela leur permet également d’envisager des possibilités de médiation.

Une fois par semaine, nous nous réunissons toutes et tous en un Conseil. Nous y partageons nos idées, suggestions et questionnements – nos réflexions s’y complètent mutuellement. Nous y constatons, toutes et tous, une prise en compte des besoins de chacun·e. Les plus jeunes y évoluent d’ailleurs très vite avec une aisance grandissante : présider et gérer une réunion de 45 personnes, lorsqu’on a 5 ans, ce n’est quand même pas rien !

Nous observons aussi plus de tolérance et moins de compétition ou de comparaison au sein du groupe : les enfants sont évidemment conscient·es de la différence d’âge importante qu’il y a entre les un·es et les autres, et cette différence s’accompagne de différences dans les capacités, les intérêts, etc. Ces différences sont présentes, elles font partie de « l’ADN » de Scola et s’en trouvent d’autant plus facilement acceptées comme étant normales.

Travailler en groupes multiâges et en co-enseignement constitue aussi un intérêt pour les enseignant·es : nous connaissons ainsi chaque enfant de Scola. Cela nous permet de facilement échanger nos observations et d’accompagner les enfants au mieux ; de questionner nos pratiques et, ainsi, d’évoluer.

Au quotidien, cela ouvre toutes sortes de possibilités de création de groupes (1 à 4H et 5 à 8H, double degrés 1-2, 3-4, etc., ou complétement mélangés (4 enfants ensemble de 1 à 8H). Cela permet notamment de respecter le rythme des enfants en créant à certains moments des groupes en fonction des besoins (plutôt qu’en fonction des âges ou des années Harmos).

Quant aux limites qui accompagnent l’enseignement en multiâge, il y en a peu et elles ne sont qu’occasionnelles. Parfois, l’organisation de la journée ou de la semaine nécessite un certain « jonglage ». Il n’est pas toujours évident d’impliquer tous les groupes ou tous les âges dans tous les sujets. Un petit défi de « logistique », en somme.

Ce défi se retrouve aussi en ce qu’il est bien sûr important d’offrir au plus grand·es des moments où elles et ils ne sont pas dans la posture de ceux qui aident, ou « doivent aider » les plus jeunes. De manière symétrique, nous veillons à ce que les plus jeunes aient des moments à eux de sorte à respecter leurs propres rythmes (de repos, de jeux, etc.).

En mettant les enfants au centre, n’avez-vous pas peur qu’ils n’arriveront pas, plus tard, à s’adapter au monde ?

Cette école est destinée à aider l’enfant et l’adolescent·e à trouver sa place, à contribuer à notre société d’aujourd’hui et de demain. Elle et il y acquièrent comme bagage pour la vie une créativité conservée et stimulée tout au long de sa scolarité, ainsi qu’une connaissance de soi et de ses forces.

Cette posture n’est pas source d’inquiétude. Au contraire, nous souhaitons que Scola incite les enfants à réfléchir à ce monde, qu’elles et ils le remettent en question. Vivre le monde, y prendre une part active, le faire évoluer, etc., tout cela trouve ses racines dans l’éducation. Notre école peut et veut aussi assumer une partie de ce rôle – et il devrait d’ailleurs en aller de même du système scolaire au sens large. Notre monde de demain sera différent de notre monde d’aujourd’hui, et il est indispensable que les enfants acquièrent des outils pour questionner cette transition, pour l’accompagner et la façonner. En partie, les besoins seront autres, il y aura de nouveaux métiers, les rapports sociaux évolueront de même que les structures politiques. Et les enfants d’aujourd’hui doivent disposer des outils pour vivre ces changements de manières active, créative et positive, collectivement et individuellement.

Bien entendu, Scola Bumbaïa n’est pas une île et nous ne souhaitons aucunement aller dans ce sens. Nos liens avec la société sont forts, nous faisons partie intégrante de la société, et nous avons bien conscience que les enfants qui effectuent leur scolarité à Scola poursuivront leur parcours par-delà Scola.

Nous pouvons lire sur votre site : « Les enfants sont naturellement curieux et tous différents. En leur offrant un cadre respectueux et sécurisant, ainsi qu’un environnement riche et stimulant, ils se dirigent par eux-mêmes dans leurs apprentissages et développent une autonomie grandissante. » Mais, en pratique, est-ce vraiment ainsi ? Est-ce aussi simple ?

Depuis la création de Scola en 2018, notre regard sur la « question » a quelque peu évolué. De fait, Scola n’est pas une école libre où les enfants se géreraient largement par elles et eux-mêmes. Il est par contre correct d’affirmer que nous y valorisons tous les centres d’intérêts que les enfants y expriment, les forces de chacun et de chacune. Et que nous y explorons des façons diverses d’apprendre, de partager, de réfléchir, de connaître, etc. Les enfants y sont encouragés à développer leur autonomie, leurs compétences – il ne s’agit de loin pas que d’acquérir un savoir intellectuel ou manuel.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

Dès 2023, Scola s’ouvrira progressivement au cycle 3 – autrement dit les enfants pourront aussi y faire leurs classes 9H, 10H et 11H, et donc y compléter et terminer leur scolarité obligatoire. Il s’agit d’un chantier considérable (y compris au sens propre puisque nous aménageons de nouveaux locaux qui s’ajoutent, à la même adresse, à ceux que nous occupons actuellement). Scola Bumbaïa n’étant pas subventionnée par l’État, nous sommes d’ailleurs en pleine campagne de financement : celle-ci doit nous permettre d’aménager nos nouveaux locaux, d’acquérir du mobilier, etc.

Pour celles et ceux qui souhaitent en savoir plus, n’hésitez pas à consulter le site de l’école – www.scola-cdf.ch – ou à les contacter.  Disponibles pour des visites, c’est avec plaisir qu’ils et elles vous feront découvrir leur magnifique école.

Fabrice Dini

Fabrice Dini est cofondateur de deux écoles et l’auteur d’un ouvrage préfacé par Matthieu Ricard "Une éducation intégrale pour grandir en s'épanouissant". Il intervient dans de nombreuses écoles et entreprises en Suisse romande. Fabrice s’est formé au CFM de l’Université du Massachusetts et enseigne la pleine conscience, la gestion du stress et l'éducation intégrale.

3 réponses à “Une école de La Chaux-de-Fonds dessine l’avenir de l’éducation

    1. Bonjour!
      Pour ce qui est des projets avec les 7-8H, cela dépend des périodes et des enfants. Pour leurs projets individuels, plusieurs réalisent des maquettes, des constructions d’objets (nichoirs, robot, …), des exposés (écrits, oraux, sous forme de livre,…) ou encore des préparations d’activités pour la classe.
      Pour les projets de groupes, nous avons réalisé un journal, un spectacle de marionnettes en allemand par exemple. Ces temps, nous participons à un concours environnement où les enfants doivent réaliser des projets en lien avec le développement durable (démarche scientifique + artistique), l’organisation d’une course d’école ou encore la création d’une BD pour laquelle une artiste est venue en classe. Plein de choses possibles!
      Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question mais je l’espère!

  1. Un grand bravo pour l’existence de cette école qui offre un beau départ aux futurs adultes de demain, cela donne espoir!
    Et quel cadeau – pour eux et pour notre société – que de leur permettre de s’ouvrir au monde extérieur pour mieux se construire, et donc construire le monde de demain.
    Bonne énergie pour la suite!

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