La carte est fausse ? La leçon de géographie sera meilleure !

Il est évidemment regrettable que le Kosovo ait été « oublié » sur les cartes scolaires genevoises comme le révèle le TEMPS. Les réactions contrites des protagonistes de la bourde sont justifiées. Mais l’épilogue de l’affaire (renvoi chez Michelin afin d’obtenir des cartes correctes) et les réactions outrées des politiciens en quête d’une « transmission des connaissances les plus justes possibles » mérite discussion.

L’histoire de la cartographie – portée par des grandes figures comme Brian Harley et  Mark Monmonier – nous apprend en effet qu’aucune carte n’est « vraie » ou « juste ». Les bonnes cartes, certes, tendent à être les plus fidèles possibles, mais toutes représentent un reflet du monde, des choix cartographiques et des rapports de pouvoirs. Comment les futures cartes « justes » qui seront livrées au DIP représenteront-elles la Palestine ? la Crimée ? Le Tibet ? Le Cachemire ? Les îles Kouriles ? Ceuta et Melilla ? Gibraltar ? Je serai curieux de le savoir !

Il y a là une matière d’apprentissage bien plus nécessaire pour les élèves que la géographie traditionnelle de pays figés chacun dans une couleur et de capitales à mémoriser. Mon conseil aux enseignants de géographie genevois est donc de conserver précieusement leurs nouvelles cartes fausses et d’en faire la matière d’un cours sur la géographie changeante des Balkans – une région riche d’ailleurs d’une histoire cartographique particulièrement remarquable – sur le pouvoir des cartes et sur les rapports compliqués entre la réalité et sa représentation…

Ce sera toujours plus intéressant que de contempler –  comme les petits vaudois si l’on en croit l’article du TEMPS  – le seul canton de Vaud…

 

Harley, B. J. 1988. Maps, Knowledge and Power. In The Iconography of Landscape, eds. D. Cosgrove and S. Daniels. Cambridge: Cambridge University Press.

———. 1989. Deconstructing the Map. Cartography (26):1-20.

Monmonier, M. S. 1993. Comment faire mentir les cartes. Paris: Flammarion.

Etienne Piguet

Professeur de géographie à l’Université de Neuchâtel et Vice-président de la Commission fédérale des migrations, Etienne Piguet s'exprime à titre personnel sur ce blog.

Une réponse à “La carte est fausse ? La leçon de géographie sera meilleure !

  1. Merci Monsieur! Saine réaction pour rappeler que rien n’est figé dans ce qui nous entoure, dans l’environnement proche ou lointain, et en particulier les frontières, leur emplacement et le fait qu’elles soient ouvertes, fermées ou seulement filtrantes. Rien est acquis, en particulier la liberté de mouvement dont nous bénéficions (au-delà des frontières du canton de Vaud 😉 ). Je vous soutiens entièrement quant à vos suggestions. Meilleures salutations…du canton de Berne!

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