Loi CO2 : pourquoi il faut dire Oui

Notre planète brûle

Les flammes ont ravagé l’Australie, la Sibérie, la Californie et l’Amazonie, qui pourrait se transformer en savane d’ici 2050. L’année 2020[1] aura été marquée par une surenchère de catastrophes climatiques, certes moins médiatisées que la crise sanitaire, mais bien réelles. L’Atlantique Nord a vu un doublement de l’activité des tempêtes et ouragans. Le typhon Goni a battu tous les records d’intensité aux Philippines. En Chine, les inondations ont coûté plus de 32 Milliards de dollars. La glace du pôle Nord s’est réduite à peau de chagrin, ayant perdu ¾ de son volume en 40 ans. Tous les signaux sont au rouge.

La Suisse[2] n’est pas immunisée contre le changement climatique. 2020 a été l’année la plus chaude[3] enregistrée depuis 1864. Les glaciers fondent à vue d’œil. Les agriculteurs sont inquiets pour leurs récoltes. Les Villes s’inquiètent de l’arrivée des prochaines canicules et de leurs lots de moustiques vecteurs de nouvelles maladies.

Les émissions mondiales de CO2 auront connu une baisse spectaculaire de 7%[4], du fait du ralentissement économique causé par COVID 19. Malgré ça, la concentration de dioxyde de carbone[5] dans l’atmosphère a continué d’augmenter. Cet effet d’emballement est dû aux boucles de rétroactions positives[6] : les forêts dégagent des quantités énormes de carbone en brûlant, la fonte du permafrost relâche du méthane jusque-là stocké dans les sols gelés,  et les Océans acidifiés et saturés n’absorbent plus autant de CO2 et de chaleur.

Nous n’avons pas de temps à perdre

Face à ce niveau d’urgence climatique, nous pourrions être tentés de dire que la Loi sur le CO2, – qui sera soumise au vote populaire le 13 juin prochain-, ne va pas assez loin, pas assez vite.

Pourtant, cette loi est une étape extrêmement importante, pour permettre à la Suisse de rattraper son retard et de se mettre en conformité avec les objectifs de l’Accord de Paris adopté par presque toutes les Nations du monde le 12 décembre 2015. En cas de refus, nous nous retrouverions devant un vide juridique, la loi actuelle étant arrivée à échéance. Ce serait un retour à la case départ, extrêmement dangereux, et nous perdrions encore de précieuses années. Nous n’avons pas de temps à perdre si nous voulons parvenir à réduire nos émissions de gaz à effet de serre d’au moins 50% d’ici à 2030 pour atteindre la neutralité carbone avant 2050. C’est essentiel pour avoir une chance de rester au-dessous du seuil de 2 voir 1.5°C d’augmentation de la température mondiale. Au-delà de ce seuil, les scientifiques ne sont plus capables de prévoir quels seront les risques de changements systémiques qui pourraient remettre en cause les conditions mêmes de la vie humaine sur Terre.

Le verre à moitié plein 

Pourquoi faut-il voir le verre à moitié plein, plutôt qu’à moitié vide, et quelles sont les principales avancées de la Loi CO2 ?

Tout d’abord, cette loi est le fruit d’un processus démocratique approfondi, basé sur le consensus et la consultation de tous les acteurs et de tous les partis politiques. Après un premier échec en 2018, cette nouvelle mouture a été enfin votée et approuvée le 25 septembre 2020 par le Conseil d’Etat (33 Oui, 5 Non, 6 abstentions) et par le Conseil National (129 Oui, 59 Non, 8 abstentions). Il n’y aurait d’ailleurs pas eu de référendum facultatif, si cela n’avait été demandé par une partie de l’UDC, sous la pression des lobbys de l’industrie et des énergies fossiles.

La Suisse en retard et dépendante des importations d’énergies fossiles

Sur le plan international, et alors que nous approchons de la date de la COP26 à Glasgow en Novembre, tous les pays du monde se penchent au chevet de la planète, avec le grand retour des Etats-Unis dans le giron de l’action climatique, mais aussi une mobilisation diplomatique intense de l’Union Européenne, de la Chine, du Canada et du Japon. Il s’agit pour tous les pays ayant ratifié l’Accord de Paris de soumettre un nouveau plan d’action pour 5 ans (« Nationally Determined Contribution » ou NDC dans le jargon onusien), et de rejoindre la course contre la montre pour atteindre la neutralité carbone avant 2050. La Suisse se classe au palmarès des émissions de gaz à effet de serre, en 6ème position devant 129 autres pays pourtant souvent plus peuplés et plus grands qu’elle. En étant un des pays les plus riches du monde, comment se permettre de ne pas être exemplaire ? C’est une question d’équité sociale au niveau planétaire, car les populations les plus pauvres, qui sont les moins responsables des émissions carbone, en subissent de plein fouet les conséquences.

D’un point de vue purement économique, notre pays est aussi extrêmement dépendant des importations d’énergies fossiles. Nous dépensons pas moins de CHF 8 milliards par an pour importer du pétrole et du gaz. Ce qui représente une facture de CHF1000 par an et par habitant. Et encore, ce montant n’inclut pas les taxes. Il reflète donc la pure «exportation d’argent» vers l’Arabie Saoudite, la Libye ou l’Iran. Nous sommes bien loin de l’autonomie énergétique visée par la Stratégie Energétique 2050 approuvée par la population avec plus de 58% de Oui, lors du vote de 2017.

Une loi juste et équitable

Agir pour le climat ne signifie pas seulement faire preuve de solidarité envers les pays pauvres. La loi prévoit en effet une transition juste, avec une redistribution des richesses entre les familles les plus aisées et les plus modestes. La loi CO2 est basée sur le principe de responsabilité du pollueur-payeur. Ceux qui consomment plus d’énergies fossiles paient la facture. Ceux qui consomment moins, et qui adoptent de nouvelles habitudes positives pour la planète, reçoivent un soutien financier. Les régions rurales et de montagne qui sont particulièrement touchées par les conséquences du changement climatique (sécheresse, canicule, inondations, glissements de terrain, etc.) seront aussi aidées avec des mesures supplémentaires de dédommagement.

Le secteur aérien enfin couvert

En 2018, le kérosène utilisé au départ de Suisse a contribué à 27% de l’effet de serre du pays. C’est gigantesque. Les Suisses prennent l’avion en moyenne deux fois plus que leurs voisins européens. Mais ce privilège profite surtout à une petite minorité aisée, environ 10% de la population, qui devra s’acquitter d’une taxe sur les billets d’avion de CHF 30 à CHF120, sur la base du principe de pollueur payeur. Et pour 90%, ils bénéficieront de redistributions et d’un soutien à la transition énergétique via les aides allouées par le Fonds pour le climat en faveur des technologies et innovations sobres en carbone. Cela permettra notamment de mieux financer l’offre des trains de nuit longue distance. La taxe sur les jets privés, allant de CHF 500 à CHF 3,000 est aussi particulièrement juste et indolore pour les plus fortunés.

 Une place financière Suisse plus responsable et plus sûre

La seconde principale innovation de la loi CO2 concerne le secteur financier. D’après l’OFEV, 80% des instituts financiers investissent dans les énergies fossiles, avec un impact considérable à l’étranger, lorsqu’il s’agit par exemple de financer de nouvelles centrales à charbon en Asie du Sud-Est. Comme démontré par l’ancien Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, les impacts et les risques associés au changement climatique sont considérables et pourraient déstabiliser le système financier international, avec des chocs systémiques allant au-delà de la crise économique actuellement engendrée par le COVID -19. Avec la nouvelle loi CO2, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) et la Banque Nationale Suisse (BNS) devront évaluer les risques climatiques auxquels s’expose la place financière et assurer un reporting plus transparent pour tracer les investissements et les rendre plus compatibles avec une économie résiliente et sobre en carbone.

 Se libérer des énergies fossiles pour des bâtiments autonomes en énergie

Le Conseil fédéral le montant de la taxe sur la pétrole, le mazout et la gaz à un niveau compris entre 96 francs et 210 francs par tonne de CO2. Les entreprises peuvent être exonérées de la taxe sur la base d’une convention de diminution des émissions, ce qui veut dire que les « bons élèves » seront récompensés pour leurs efforts.

Deux tiers des produits de la taxe seront redistribués à la population via le décompte des primes d’assurances maladie et par un rabais sur les contributions des employeurs à l’AVS. Un tiers financera une partie du Programme Bâtiments ainsi renforcé, pour mieux innover, rénover et remplacer les chaudières au mazout coûteuses et inefficaces avec des énergies renouvelables de type chauffage à distance, géothermie et solaire. Ces investissements seront largement rentables à long terme, en permettant de réduire la facture énergétique. Le mazout deviendra bientôt obsolète. Les co-bénéfices pour l’économie locale seront importants avec la création d’emplois dans les secteurs de la rénovation énergétique et des énergies renouvelables, un bon moyen de favoriser une relance économique verte et solidaire.

Les constructeurs et importateurs automobiles offriront des véhicules plus efficaces aux consommateurs

Le trafic routier représente 23% des émissions de la Suisse. Mais les progrès technologiques sont considérables. Les nouvelles normes d’émissions (de 95 à 186g/CO2 selon les véhicules) stimuleront l’innovation et pousseront les constructeurs et les importateurs d’automobiles à offrir des véhicules moins gourmands en carburant. D’ici à 2030, les émissions des véhicules devraient diminuer en moyenne d’un tiers. Des mesures d’efficacité et de recyclage sont aussi à prévoir pour les batteries des voitures électriques en plein essor, annonçant la potentielle disparition à terme des moteurs à diesel et essence. De nouvelles législations devront aussi être mises en place rapidement pour favoriser les alternatives que sont la mobilité douce et les transports en commun.

Améliorer la qualité de l’air et la santé

Le oui aidera à réduire la pollution aux particules fines liées aux énergies fossiles et à améliorer la qualité de l’air et donc à réduire l’incidence des maladies respiratoires qui touchent nombre d’entre nous et nos enfants. En Suisse, les maladies cardio-vasculaires ou respiratoires, provoquées par la pollution de l’air, ont entraîné quelque 14,000 jours d’hospitalisation en Suisse. Toutes ces affections engendrent approximativement 3,5 millions de jours d’activité réduite pour les adultes, soit globalement des coûts de santé de l’ordre de 6,5 milliards de francs par an. Des études révèlent cependant que la santé des enfants et des adultes s’améliore assez rapidement lorsque la pollution atmosphérique décroît. Des actions visant à améliorer la qualité de l’air ont donc un effet positif mesurable sur la santé de la population.

Investir dans une économie résolument tournée vers l’avenir et protéger les générations futures

Les investissements que nous réalisons aujourd’hui pour le développement des énergies propres représentent des coûts en moins pour les générations futures. Sans action rapide de notre part, nos enfants et petits enfants auront à subir des pertes économiques grandissantes du fait des impacts du changement climatique et du nombre croissant de catastrophes naturelles. La Suisse se réchauffe déjà deux fois plus que la moyenne mondiale. L’été caniculaire de 2003 a engendré des pertes économiques estimées à CHF 500 millions. D’après l’OCDE, les changements climatiques pourraient coûter 10% du PIB. A l’inverse, l’économiste Nicholas Stern a montré que l’action climatique ne coûterait que 1% du PIB. Il est donc beaucoup plus efficace et prudent de prévenir plutôt que de guérir.

Au final, la loi CO2 repose sur un principe très simple : ponctionner les énergies fossiles du passé pour financer le développement des énergies du futur.

Notre planète vaut de l’or. Son avenir, et l’avenir de nos enfants valent plus que de l’or.

Carlos Loal, acteur de cinéma engagé pour la campagne « Generations For the Future » partageait récemment ses mots touchants dans les réseaux sociaux:

« J’aimerais que la planète, comme un plateau de cinéma, soit interchangeable. Malheureusement, la planète, on en a qu’une. Je pense au monde demain. Le monde de demain nous appartient. Pour que le monde de demain soit vivable, pour nos enfants, pour qu’ils aient un peu de puissance dans leur main et surtout beaucoup de bonheur, votons Oui à la Loi CO2. »

Elise Buckle (Présidente de Climate & Sustainability, Conseillère aux Nations Unies, Elue Verte à la Ville de Nyon), [email protected].

Pour aller plus loin, voir aussi :

 

[1] EcoWath, Yale Climate Connections, 23 Décembre 2020

[2] Le Matin, 21 Décembe 2020

[3] Bulletin Météorologique année 2020, Office Fédéral de météorologie et climatologie MétéoSuisse

[4] The Global Carbon Project, Carbon Brief, 11 décembre 2020

[5] WMO, 23 Novembre 2020

[6] Voir l’explication sur les rétroactions climatiques : https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9troaction_climatique

Elise Buckle

Elise Buckle travaille dans le domaine du climat et de la durabilité depuis 20 ans. Conseillère stratégique auprès des Nations Unies, titulaire des Masters LSE et Sciences Po, elle est Présidente de Climate & Sustainability, une plateforme de partenariat pour l’action climatique et a co-fondatrice SHE Changes Climate. Elle enseigne au Graduate Institute à Genève et au Glion Institute for Entrepreneurship and Sustainability.

6 réponses à “Loi CO2 : pourquoi il faut dire Oui

  1. On ne représente qu’un millième de toutes les émissions CO2. En une journée, le bateaux rempli de plastique au large du Sri lanka a plus pollué que toute la Suisse pendant 2 ans !!!! On se tire une balle dans le pied et on pénalise nos jeunes, nos anciens et les locataires Suisse qui n’auront pas le pouvoir de se payer des voitures électriques pour bobos ou des nouvelles chaudières !

    1. La pollution plastique est un énorme problème qui mériterait un article dédié à ce sujet.
      Sur le second point, au contraire la loi CO2 va permettre de soutenir les ménages les plus modestes en taxant les plus riches. Les jeunes ont souvent des logements plus petits et paieront beaucoup au regard de la surface au m2. Et vive le vélo ! Les plus modestes se déplacent à vélo et en transports en commun, la voiture est hors budget.

  2. Bravo. Ayant travaillé en industrie avec la loi CO2 depuis 1999, je vote OUI par la loi améliorée.

  3. Ce que vous décrivez n’a strictement rien à voir avec la question du CO2 !
    Les feux de forêts sont la conséquence de la mauvaise gestion de l’environnement par les humains : en Australie , les Aborigènes ont pointé du doigt les erreurs commises par le gouvernement ou les autorités locales …
    Il faut comprendre que les années exceptionnelles de la dernière décennie font partie d’un cycle naturel qui revient périodiquement et qui a été identifié par des recherches portant sur plusieurs milliers d’années .
    La part du réchauffement anthropique reste bien plus faible que les forces naturelles , que nous pouvons constater ce printemps par une baisse notoire de température à l’échelle de la planète: LaNina l’a fait baisser de 0.4 degré en quelques mois alors que la progression du forçage radiatif anthropique se limite à deux dixième sur 30 ans …
    En ne précisant pas les chiffres des causes respectives, il est impossible d’avoir une vision claire de la situation et l’erreur habituelle commise est de mettre l’entier des changements climatiques sur le CO2, ce qui est complètement absurde , puisqu’on connaît bien les variations depuis des millions d’années selon des paramètres comme ceux expliqués par Milankovitch (axe et orbite de la Terre) …
    Les gens qui se focalisent sur les effets ne comprennent pas leurs causes et prêchent dans le désert …
    La loi sur le CO2 ne résoudra rien, ce n’est qu’une gesticulation politique de plus …

    1. Bonjour, merci pour votre commentaire. De nombreuses études scientifiques montrent que le risque de feux à grande échelle à augmenté de 30% du fait du réchauffement climatique et encore cette évaluation est très conservatrice, voir dans Nature: https://www.nature.com/articles/d41586-020-00627-y
      Vous avez raison sur le fait que les Océans jouent aussi une rôle important avec une intensification des phénomènes El Niño et La Niña, apportant dans l’océan pacifique une oscillation entre les années de courants chauds et courants froids en Australie et en Amérique du Sud. D’où aussi le phénomène inverse d’inondations ravageuses les autres années. Les Océans se réchauffent et s’acidifient et ne jouent plus leur rôle de régulateur naturel du climat. On peut donc s’attendre encore à des années de canicules, sécheresses et feux en Australie, alternant avec des inondations. Des extrêmes dans les deux sens qui rendront l’habitat humain plus vulnérable.

  4. Merci pour cet excellent article.

    Pour Bovin, si je poursuis bien votre raisonnement vous ne payez pas d’impôts, car cela ne changera en rien pour les finances totales de la Suisse si vous les payez ou pas, et vous avez raison cela ne changera rien si une personne ne paye pas. Quel égoisme! Je vous conseille vivement de lire le compte sud américain du colibri. Si chacun fait sa part le monde peut aller tellement mieux.

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