Ana de Jesús : écrivaine, poétesse, carmélite et amie de Thérèse d’Avila

Ana de Jesús: une poésie ardente

Au Moyen Âge, la vie d’une femme se découpe en 3 périodes : l’enfance qui dure jusqu’à 7 ans, la jeunesse qui va jusqu’à 14 ans et la vie de femme qui commence à 14 et s’arrête prématurément à 28 ans. Ensuite, elle entre dans la vieillesse alors que l’homme n’est considéré comme vieux qu’à partir de 50 ans. A 7 ans filles et garçons prennent des voies différentes. Aux garçons on enseigne le « noble art » de la guerre et aux filles à broder, tisser ou filer. A cet âge, leur famille peut les offrir à un couvent mais à l’extérieur aussi leur éducation est souvent confiée à des moniales. Elles leur apprennent la lecture et les travaux d’aiguille. Les filles sont ainsi mieux instruites que les garçons à qui l’on n’enseigne que la meilleure façon de guerroyer. Parfois elles étudient même le latin, les sciences et un peu de médecine. Toutefois, cette éducation n’a qu’un seul but : la soumission à l’homme, le mariage et la maternité. Les femmes qui ne se sentent pas attirées par la soumission à un mari ou par l’enfantement, ainsi que celles qui souhaitaient s’instruire davantage, doivent entrer au couvent. Il n’y a pas d’autre alternative hormis la prostitution. A la Renaissance la condition de la femme se dégrade encore. Pendant cette période, dans l’histoire espagnole, la femme n’est  considérée que comme un récipient qui doit s’abstenir de toute émotion, un simple réceptacle de la semence de l’homme destiné à la procréation. Dans ce cas, il semble évident que, pour certaines, la passion pour Dieu et les extases mystiques soient infiniment plus attirantes que la vie proposée à une femme lambda. Est-ce la crainte d’un mariage forcé qui incite Ana Lobera à faire vœu de chasteté à l’âge de 10 ans?

Considérée comme l’une des premières poétesses de langue castillane –espagnol- l’on prétend que ses poésies, dont très peu nous sont parvenues, n’étaient pas très pertinentes. Actuellement, on la connaît surtout pour ses lettres et d’autres documents. Toutefois, cette grande amie de Sainte Thérèse d’Avila a écrit un poème qui m’interpelle par son ardeur, par sa force passionnelle presque charnelle lorsque qu’elle s’adresse à Dieu. On n’en connaît que sa traduction française, l’original en espagnol ayant été perdu. Si l’on retirait les mots « Seigneur » ou « Dieu », et qu’on les remplaçait par le nom d’une personne, ce poème serait d’une flamme et d’une violence amoureuse presque « indécente ». D’où ma fascination. Je l’ai extrait de Las primeras poetisas de lengua castellana  paru aux Ediciones Siruela.

Ana de Jesús: le couvent plutôt que le mariage

Ana Lobera, qui deviendra Ana de Jesús – Anne de Jésus – voit le jour près de Valladolid, en Espagne, le 25 novembre 1545. Elle serait née sourde et muette. Elle a un grand frère, Cristobal, qui par la suite deviendra jésuite. Son père meurt peu de temps après sa naissance. A ses 7 ans un miracle a lieu : elle commence à ouïr et à parler. Sa mère meurt lorsqu’elle a 9 ans. On confie les enfants à leur grand-mère maternelle. A dix ans, la petite Ana fait vœu de chasteté contre l’avis de son aïeule qui prévoit de la marier. A 14 ans, elle est devenue une magnifique jeune fille et sa grand-mère n’en démord pas: elle doit se marier. En 1560, à 15 ans, pour échapper aux projets d’épousailles de la vieille dame, elle et son frère s’installent à Plasence, chez leurs grands-parents paternels.

Toutefois, sa grand-mère paternelle veut également la marier et le prétendant choisi s’escrime à vouloir la séduire. A 16 ans, pour casser définitivement tout projet de mariage et imposer sa décision de prendre le voile, elle provoque un coup d’éclat. Lors d’une réception familiale, elle se fait attendre par toute l’assistance avant de se présenter vêtue d’un drap noir, les cheveux coupés n’importe comment. L’assemblée, sa famille et le prétendant comprennent enfin sa détermination et acceptent sa décision. Plus personne ne cherchera à la marier ou à contrecarrer ses projets. Novice carmélite à Plasence, elle devient rapidement la disciple préférée de celle qui deviendra Sainte Thérèse d’Avila. En 1571, elle fait ses vœux religieux définitifs dans l’Ordre du Carmel.

Ana de Jesús et Thérèse d’Avila : complicité et amitié

Thérèse, qui tient Ana en haute estime, en fait sa confidente. Les deux femmes ont l’une pour l’autre un grand respect et une profonde amitié. Thérèse établit une correspondance intense avec Ana. Elle partage avec elle ses idées, ses doutes, tous les soucis qui la préoccupent. Elle lui communique également toutes les grâces spirituelles qu’elle affirme recevoir. Mais Thérèse et ses adeptes doivent durement affronter les Pères Généraux de l’Ordre qui souhaitent mettre un terme à la réforme des constitutions élaborées par Thérèse. Cette dernière demande à Ana de détruire toutes les lettres qu’elle lui a destinées afin qu’elles ne tombent pas entre les mains de l’Inquisition. La mort dans l’âme, toutes deux brûlent leur correspondance.

Ana de Jesús : sa fidélité pour Thérèse l’envoie au cachot

Après le décès de Thérèse d’Avila en 1586, le père Doria, nouvellement élu supérieur général pour l’ordre, prône une obéissance stricte à la règle et aux supérieurs, ainsi que de nombreuses pénitences et mortifications. Quelques religieuses, avec à leur tête Ana de Jesús, tentent de garder l’esprit carmélitain de Thérèse d’Avila. En 1590 Ana, soutenue par d’autres religieuses, écrit au pape Sixte V. Elle lui demande de figer les constitutions établies par Thérèse d’Avila. Le pape répond favorablement ce qui provoque l’impétueuse colère du supérieur général de l’ordre. Il sanctionne les religieuses et retire à Ana de Jesús la charge de prieure. Il la condamne également à la réclusion dans la prison du couvent. Elle n’est autorisée à sortir de son cachot que pour assister à la messe deux fois par an. L’intervention du roi d’Espagne allège la peine à une messe par mois. Après la mort de Doria en 1594, la mère Ana est libérée de prison et retrouve la charge de prieure du couvent.

Ana de Jesús : des écrits précieux pour L’Histoire

Les poèmes d’Ana ne réussissent pas à convaincre, mais ses déclarations, ses écrits, ses procès-verbaux et ses échanges épistolaires permettent de mieux aborder l’histoire de cette période. Dans ces documents, elle affirme avoir une mission religieuse : selon la volonté de Dieu, elle doit propager la réforme thérésienne en dehors de l’Espagne. Ainsi elle voyagera, et vivra hors du couvent… toujours sous le mandat divin. Ses lettres révèlent une femme qui sait s’occuper des besoins matériels nécessaires à l’expansion de l’Ordre. Elle quitte l’enceinte du couvent pour mieux lui consacrer sa vie. Bien qu’elle ait des problèmes avec la cellule masculine des Carmes déchaux, ainsi que des frictions avec l’Inquisition à propos de la publication des œuvres de Sainte Thérèse, elle sait comment mener à bien l’expansion des Carmélites déchaussées. A la mort de Saint Jean de la Croix, Ana hérite aussi des documents et des lettres concernant la relation spirituelle qu’il entretenait avec Sainte Thérèse. Elle participe à la fondation des couvents de Grenade, Madrid, Ségovie et Malaga, et poursuit son œuvre à Paris, Louvain, Mons, Anvers et Bruxelles.

Les lettres conservées ont été écrites entre 1590 et 1621. Elles couvrent toute sa vie religieuse. Faisant référence à différents personnages de l’époque, elles sont d’une grande valeur historique. Leur contenu diffère selon les destinataires. Parmi ses écrits et l’abondante collection de lettres, figurent aussi des documents concernant la vie de Sainte Thérèse, à savoir les fondations monastiques, les conseils spirituels ou encore la traduction en flamand de ses œuvres. D’autres documents sont plus intimes et personnels. Ana y parle de ses sentiments, de la souffrance due à la distance qui la sépare de Thérèse ou à ses problèmes de santé. Ses connaissances approfondies des écrits et de la spiritualité de sa guide spirituelle, soulignent une fidélité constante à l’esprit thérésien, une grande ténacité et une conviction absolue en son travail. Elle s’implique entièrement dans la préparation de l’édition princière des œuvres de Sainte Thérèse.

Malgré la fragilité de sa santé, Ana de Jesús travaille d’arrache-pied. Jusqu’à l’âge de 60 ans, elle fonde des couvents et n’arrêtera d’écrire que quelques jours avant sa mort à Bruxelles en 1621, le 4 mars à l’âge de 75 ans.

Sources:

  • “Las primeras poetisas de lengua castellana” Ediciones Siruela
  • Cecilia Guiter Viader
  • Histoire pour tous
  • Artehistoria
  • Blog : Teresa de la rueca a la pluma
  • Wikipédia

Lettre à mes aînés: de Suisse, d’Espagne ou d’ailleurs, je pense à vous

Ce que le corps peut supporter

Nous naissons pour le meilleur et pour le pire. Le pire est toujours possible. Le meilleur nous aide à vivre, à supporter la vie quand, parfois, arrive le pire. Je me reconnais privilégiée et sais que, le pire peut, hélas, s’avérer bien pire que le pire supposé. Ma mère me disait souvent un dicton espagnol qui s’est fréquemment vérifié: “Que Dios no te dé jamás todo lo que tu cuerpo soporte”. Que Dieu ne te donne jamais tout ce que ton corps peut supporter. Quand je me plonge dans l’histoire de l’humanité, j’éprouve un vertige en me remémorant ces mots, couramment répétés dans ma famille qui a connu une guerre fratricide et une terrible après-guerre. Pour les croyants, comme pour les athées, cette phrase prend probablement tout son sens en cette période de Pâques. Surtout, en cette année particulière où célébrations, festivités et déplacements vacanciers ont été annulés, ou remis à l’imagination de chacun et à l’inventivité des communautés. “Que Dieu -que la vie- ne te donne jamais tout ce que ton corps peut supporter”. Qui croyait pouvoir supporter un confinement? Et pourtant…

Le décès d’un être cher fait également partie des choses que l’on n’imagine pas endurer. Puis, malgré les larmes, la vie nous apprend que c’est possible. Dès les premiers instants de notre existence, la maladie et la mort nous accompagnent, même si nous préférons les ignorer. Puis, soudain, elles surgissent. Intempestives. Pour nous autres privilégiés occidentaux qui croyions pouvoir les narguer, les combattre, les oublier, les voici aussi dévastatrices qu’un ouragan. J’ai toujours su qu’elles habitent parmi nous. Mais, ce qui me déstabilise actuellement, c’est qu’elles pourraient emporter, quasiment d’un seul coup de faux, plusieurs personnes que j’aime sans que je puisse les soutenir, les embrasser ou participer à une cérémonie d’adieux. Douloureux constat pour celles et ceux qui ont leurs familles ici. Plus attristant encore pour celles et ceux qui avons les nôtres au-delà des frontières.

Lettre et souvenirs au temps du Covid-19

Le journal ArcInfo, en collaboration avec l’émission Porte-plume, de la RTS La 1ère, m’a demandé d’écrire une lettre pour les aînés. Je l’ai adressée à ma famille en me rappelant des moments et des ambiances qui ont embelli mon enfance. Après sa publication, j’ai reçu des messages de personnes qui se sont identifiées à mon écrit, qui connaissent la même situation, même si leurs proches se trouvaient dans le périmètre de l’Helvétie, tout comme des personnes ayant leurs familles, pères, mères, enfants en Italie, au Portugal, en Serbie ou ailleurs. On m’a aussi demandé d’en faire la traduction pour les immigrés de langue castillane ne sachant pas encore le français. C’est pourquoi, je publie également ce courrier dans ce blog, avec sa version espagnole légèrement augmentée.

A tous, en ces temps de nouveau Coronavirus, je souhaite de Bonnes Pâques. Que la joie et la santé s’invitent à votre table malgré ces curieuses circonstances. Que la vie ne vous donne jamais tout ce que vous êtes capables de supporter.

Pour ma part, je reviendrai le 7 mai avec des romans, des nouvelles et des poèmes. En attendant, je me confine pour écrire mon prochain ouvrage où il ne sera guère question de cet étrange printemps 2020.

Lettre aux aînés

La Chaux-de-Fonds, le 2 avril 2020

Chers papa, mama, tantes et oncles,

J’ai eu le bonheur de grandir dans une famille élargie où l’on formait un clan. Je me souviens de vous jeunes, beaux, la bouche pleine de calembours et l’esprit farceur. Dans ma mémoire, j’ai des instants de bonheur. Je ne marchais pas encore. L’oncle Jésus me lançait par-dessus sa tête et tante José, la fiancée de Pepe, louchait pour m’amuser. Je la trouvais belle avec les grains de beauté qu’elle s’était tatoués sur le visage. Et comme j’étais fière, dans ma petite tenue blanche, avec mes gants en dentelle, lorsque je tenais la traîne de la robe de mariée de la cousine Marga. Qu’il m’épatait l’oncle Angel, avec les radios qui avaient probablement diffusé la voix du Général Guisan, qu’il récupérait, bricolait et réparait. Pour nous divertir, tante Violeta construisait des cabanes au salon ou préparait des sandwichs avant une promenade en forêt. Papa, je me souviens de nos premières vacances à la mer. A l’époque, on s’habillait de tee-shirts colorés façon batik, et Los Payos chantaient « Vamos a la playa calienta el sol ». Tu m’as appris à nager en me tenant par le menton. Et toi mama, sublime quand tu sortais avec papa, avec tes bottes lacées et ta courte jupe en daim. Mais le soir, en djellaba, tu me lisais des contes de Perrault ou des frères Grimm. Je me rappelle aussi: les mères des copines bêchant leur potager, les voisins du quartier taillant les fruitiers, mon institutrice de 2ème année primaire que j’aimais tant. Vous me donniez l’impression que l’existence s’apparentait au printemps. Que je ne grandirais jamais. Que pour toujours vous resteriez jeunes et forts. Puis le temps a fait son œuvre. La famille s’est éparpillée, comme souvent chez les immigrés. Une partie est restée ici. L’autre est retournée en Espagne. Mais vous faites tellement partie de moi, que je vous croyais immortels. Et soudain, le Covid-19 est apparu en rappelant les règles! Qu’elles sont cruelles ces règles ! A présent, j’ai peur de vous perdre, surtout vous, père et mère. En particulier toi, mama, qui te trouve dans le cyclone, pas très loin de Pepe et José, dans une région de la Péninsule ibérique où les personnes de votre âge meurent par centaines. Je m’aperçois, que je pense à vous. Que mon cœur vous suit. Tout comme il accompagne les personnes qui m’ont vu grandir et, qui à présent, en Suisse comme en Espagne, sont éloignées de ceux qu’ils aiment. Alors pas de mauvaise blague, s’il vous plaît. Prenez soin de vous, por favor. Je veux vous revoir.

Je vous embrasse.

Dunia

Si vous souhaitez écouter cette lettre très joliment lue par Manuella Maury, cliquez sur Porte-plume, La Première, RTS. Vous pourrez écouter la lettre à ma famille à partir des minutes 16:49. Participent également Anne Claire Martin, Bernard Comment, Anne-Marie Perrinjaquet.

 

Mi carta para los mayores

La Chaux-de-Fonds, el 2 de abril de 2020

Queridos papá, mamá, tíos y tías,

Aunque estábamos muy bien integrados en Suiza, tuve la suerte de crecer en una familia donde entre padres, tíos, tías, primos y primas formábamos un clan. A la primera generación, os recuerdo jóvenes, guapos, con la boca llena de bromas y de chistes. Mi memoria rebosa de momentos felices. Aun no andaba, cuando el tío Jesús me arrojaba hasta el techo mientras me reía a carcajadas. También recuerdo como, la tía José, antes de que fuera mi tía porque en ese momento era la prometida de mi tío Pepe, el hermano de mi madre, me sentaba en sus rodillas y ponía los ojos bizcos para divertirme. Que guapísima era con los lunares que se había tatuado en la cara un día en que, a su hermana y a ella, les dio por distraerse con tinta y agujas. Y lo orgullosa que estaba yo, entrando en la iglesia cuando se caso la prima Marga, con mi vestidito blanco y los guantes de encaje, sosteniendo la cola del vestido de la novia. Y cuánto me fascinaba mi tío Angelito, con las radios que recuperaba, limpiaba y reparaba. Eran tan antiquísimas que, probablemente, cuando habían transmitido la voz del General Guisan, el héroe suizo de la Segunda Guerra Mundial durante la movilización, ya tenían unos cuantos años y hasta habían anunciado los estrenos de las películas de Rudolfo Valentino. Para entretenernos, la tía Violeta construía cabañas con mantas y sillas en medio del salón o preparaba bocadillos antes de llevarnos de paseo por el bosque, en invierno, bajo la nieve. Papá, recuerdo nuestras primeras vacaciones junto al mar, en Mallorca. En aquella época, solíamos vestirnos tipo hippies, con camisetas teñidas con la técnica de batik, muy guais, y Los Payos cantaban “Vamos a la playa calienta el sol”. Me enseñaste a nadar sosteniéndome por la barbilla. En cuanto a ti, mamá, que bella y sublime te veía cuando salías de fiesta con papá, con tus botas de cordones y tu falda corta en piel de ante. Pero por lo general, cuando andabas por casa, te vestías con una chilaba comprada en el rastro de Madrid –cuanto me gustaba el rastro de entonces- y antes de apagar la luz, cuando ya estaba en la cama, me leías cuentos de Perrault o de los hermanos Grimm. También recuerdo: las madres de mis amiguitas regando las huertas que en ese momento tenían casi todas las casas antiguas de nuestro barrio, los vecinos podando los árboles frutales, y mi profesora de segundo año de primaria a la que tanto quería. Todos me dabais la impresión que la vida era una eternal primavera. Que yo nunca crecería y que vosotros os mantendríais jóvenes y fuertes para siempre. Pero, el tiempo hizo su cruel trabajo. La familia se disperso, como suele ocurrir con los inmigrantes. Algunos nos quedamos aquí. Sobre todo la segunda generación. Otros regresaron a España, incluso ciertas personas de la tercera generación nacidas en Suiza. Pero hacéis tan parte de mí, que pensaba que erais inmortales. Pero de repente apareció el Covid-19, recordándonos las reglas! ¡Qué duras son esas reglas! Ahora tengo miedo de perderos, en particular vosotros, padre y madre. Especialmente tú, mamá, que vives en el ciclón, no lejos de Pepe y José, en una región de la Península Ibérica donde la gente de tu edad se está muriendo por cientos. Me doy cuenta que pienso en vosotros. Que mi corazón os sigue. Que acompaña la gente que me vio crecer y que ahora, en Suiza como en España, está lejos de sus seres queridos. Así que, aunque seáis chistosos, por favor, evitad las bromas pesadas. Cuidaros por favor. Que quiero volver a veros.

Besos a todos.

Dunia

 

Photographies / Fotografias :

  • Mon 3ème anniversaire / Mi cumpleaños: 3 años
  • Avec ma mère: mes premières vacances à la mer / Con mi madre: mis primeras vacaciones cerca del mar.

 

Poésie: passez un moment avec “La Reine Recluse”

Emily Dickinson: une poétesse confinée

Considérée comme le plus grand poète de langue anglaise, Emily Dickinson vécut toute sa vie d’adulte confinée dans la maison familiale. Ce qui ne l’empêcha pas de devenir une grande plume. Sans doute parce que l’esprit peut s’envoler où il le souhaite, qu’aucun mur ne l’arrête, qu’il est l’unique véhicule garantissant une totale liberté. C’est pourquoi je vous invite à lire et à écouter quelques poèmes d’Emily Dickinson. Pour que votre esprit déploie, lui aussi, ses ailes…

 

 

 

 

A noter: en octobre 2019, j’écrivais son histoire dans ce blog, accompagnée de deux poèmes. Si vous souhaitez vous la remettre en mémoire, cliquez-ici.

 

Sources:

  • VivreLire
  • Emily Dickinson, Poésies Complètes, Éditions Flammarion

 

 

Poème: le Roi absent

Intronisé par le désir et l’amour

La sagesse exige distance et modération. Ce en quoi le désir et l’amour, quand la passion s’en mêle, sont l’antithèse de la sagesse. D’autant que les premiers émois, à l’instar des amours contrariées, des amours impossibles ou des amours que la distance sépare, s’avèrent souvent d’une extraordinaire puissance évocatrice. Dans notre imaginaire dépouillé de raison, l’être aimé devient elfe, magicien, déesse, fée, aigle ou roi, posant ainsi les fondations des futures déceptions quand la réalité nous rattrape.

“Est-ce qu’on est maître de devenir ou de ne pas devenir amoureux ? Et quand on l’est, est-on maître d’agir comme si on ne l’était pas ?” demandait Diderot. J’ajouterai même: sommes-nous maîtres de nos chimères lorsque nous sommes amoureux?

J’ai écrit ce poème alors que des centaines de kilomètres me tenaient éloignée d’une personne qui éveillait ma passion. Amoureuse, je n’ai jamais su être sage, ni modérée, ni raisonnable. L’objet de mes sentiments devient forcément magnifique. Sublime. Transcendant. Unique et royal.

 

Un livre 5 questions: “Mémoire des cellules” de Marc Agron

Mémoire des cellules de Marc Agron: art contemporain et thriller psychologique

Galeriste et libraire spécialisé en livres anciens, Marc Agron dirige depuis plus de vingt ans la prestigieuse Librairie Univers à Lausanne. Entré en littérature avec Mémoire des cellules, publié par les Éditions l’Âge d’Homme en 2017, son deuxième livre Carrousel du vent a été salué par toute la critique et sélectionné pour le prix des lecteurs de la Ville de Lausanne en 2019. Son troisième livre Rêver d’Alma  paraîtra chez le même éditeur en 2020.

Je reviens sur Mémoire des cellules qui vient de sortir en format de poche, aux Éditions L’Âge d’Homme, avec une préface de Michel Thévoz écrivain, historien de l’art, philosophe, professeur à L’UNIL, ancien conservateur du Musée Cantonal des Beaux-Arts, à Lausanne, et qui est également à l’origine de l’initiative de la création de la Collection de l’art brut.

Dans ce thriller psychologique, une très belle plume nous plonge dans le milieu de l’art contemporain tout en nous contant des histoires très humaines. Tellement humaines que l’auteur n’a pas hésité à transformer en personnage de fiction Pamela Rosenkranz, l’artiste multimédia uranaise qui utilise la lumière, le liquide, la performance, la sculpture, la peinture ou l’installation pour illustrer ses concepts.

La quatrième de couverture :

« Envoyé pour un reportage à la Biennale de Venise, Maximilien observe un public perplexe face à une installation monumentale de 200 000 litres d’eau croupie. Il décide alors d’entrer en «  résistance » contre l’art contemporain ». Mais l’auteur en parle probablement mieux:

“Mon livre c’est surtout deux histoires en une. Le milieu de l’art (contemporain ou pas) est « mon » univers et j’ai pensé qu’il serait bon de situer l’histoire dans ce cadre-là tout comme « Carrousel du vent » démarre dans une librairie de livres anciens, mon milieu encore, pour raconter une histoire en parallèle. Il s’agit pour moi, comme pour un scénographe, de situer l’histoire dans un cadre où je me sens à l’aise. Les deux ouvrages ont en commun d’interroger la mémoire, et surtout, l’oubli. Rêver d’Alma  bouclera ce triptyque”.

La phrase extraite du livre :

« Entre l’absurde et le grotesque, le public hétéroclite ne voyait pas la différence ».

 

——————————————————————–

Mémoire des cellules : l’interview de Marc Agron

Dans Mémoire des cellules, un jeune critique d’art projette de dynamiter une œuvre contemporaine qu’il considère vide de sens. Haïssez-vous l’art contemporain ?

Mon personnage ne peut pas comprendre qu’on puisse aller si loin dans la provocation. Mais surtout, il n’accepte pas le contenu et le titre de la feuille explicative du curateur qui est censé éclairer le visiteur, perdu sans cela. Le curateur prive ainsi l’amateur de toute possibilité d’imagination propre, car conditionné par le « mode d’emploi ».

J’aime l’art contemporain. J’ai davantage de « soucis » avec certains théoriciens qui se mettent au premier plan, par leurs textes abscons, par leur égocentrisme et souvent, hélas, par leur (in)culture, ce qui donne parfois des textes d’une absurdité affligeante. Dans mon livre, Maximilien est plutôt « étonné », il ne comprend pas, il voudra rencontrer l’artiste. Pamela Rosencrantz, une vraie artiste, devient alors un personnage de fiction.

Dans votre livre, Pamela R. gagne sa vie grâce à la célébrité apportée par ses installations. Pourtant, elle nourrit une véritable passion pour Vallotton et l’art ancien en général. Elle confesse, dans l’intimité, profiter de l’art contemporain pour grassement gagner sa vie. Les artistes contemporains seraient-ils des imposteurs à vos yeux ?

Certainement pas. Mais il y a des exceptions. Ils doivent provoquer, ils doivent inventer de nouvelles manières de s’exprimer, de nouveaux langages, de nouvelles formes d’expression etc. Et aussi, secouer (du moins nos consciences) ! Mais, au cours de leur formation (même autodidacte) ils doivent acquérir un savoir-faire. Être aussi « artisans. »

Quand un artiste, ne sachant rien faire d’autre que de monter superbement un projet (cours enseigné à l’ECAL à la place de celui du dessin) et se dit « enfant de Duchamp », il insulte l’art moderne et contemporain à la fois. Duchamp est un immense peintre qui, justement, dit à un moment donné  « Je vous emm… ». Alors qu’il est au sommet de son art, il commence à faire des installations (géniales), employant tout son savoir-faire, sa technique, sa culture gigantesque, son humour…

Selon vous, à quoi devrait ressembler l’art contemporain ?

Un medium qui intrigue, interroge, provoque, suscite la curiosité. Qui émeut, donne à réfléchir. Qui construit des ponts entre les cultures et les gens. Il peut être politique, mais c’est mieux s’il est poétique. Il ne doit être ni pédant, ni moralisateur. Il ne doit pas pousser le riche à se justifier ni le pauvre à s’encanailler. Mais surtout, il faut que l’artiste soit « artisan » de la matière qu’il transforme pour créer une œuvre d’art.

Vous vous prétendez macho. Or, dans votre roman, on finit par découvrir que l’homme est tout aussi victime que la femme du masculinisme. Pouvez-vous nous expliquer votre vision des relations humaines, ou du moins à quoi elles tiennent ? Les contraintes et soumissions qu’elles supposent ?

Je me prétends macho ? Peut-être dit-on cela de moi. Quand j’ai de la peine avec un certain féminisme, je me rappelle immédiatement ce qu’ont dû faire les homosexuels pour ne plus être stigmatisés et pour obtenir le droit de vivre normalement. Je suis d’accord avec le combat féministe, il est plus que nécessaire. Et il faut parfois forcer la dose pour avancer dans ce qui ne devrait pas être un « combat ».

Dans mon livre, c’est l’homme qui ne peut suivre son penchant naturel et devra prouver à ses camarades qu’il peut sortir avec une femme. Et c’est la FEMME qui est bienveillante et le « sauve » des moqueries de ses copains qui le traitent de « pédale ». Les femmes sont l’élément central de mes deux romans et de leurs héroïnes. Ce sera le cas aussi dans mon prochain roman.

Je ne suis pas pour la suppression de Madame, Monsieur, je trouve qu’il faut qu’il y ait une « différence » (et l’on sait que la différence est une richesse ) entre les femmes et les hommes, en l’honneur des un(es) ou des autres. Ma(dame), ne signifie pas pour moi l’idée de possession, Mon(sieur), non plus. L’unisexité est une absurdité qui enlèvera toute poésie à notre existence.

Il faut redécouvrir la valeur du monde en refusant l’image négative, ne pas condamner l’homme face à la femme parce qu’il se dit Homme, mais parce qu’il se comporte mal, pas plus que le puissant en tant que puissant mais parce qu’il peut être injuste.

La question que je pose à tous les auteurs : à quel personnage littéraire vous identifiez vous ?

A plusieurs, sans doute. A Darley dans le Quatuor d’Alexandrie pour le regard implacable sur le monde qui l’entoure et sur lui-même. Il y a dans mes livres au moins un personnage qui est « moi » mais qui ne me ressemble pas forcément ni physiquement, ni culturellement… mais il dira ce que je pense sur un sujet ou un autre.

Je m’identifie aussi aux « fainéants et orgueilleux » de Albert Cossery, dans leur désir naïf d’observer les injustes, les hommes de pouvoir, et de s’en moquer à travers leur humour, leur seule arme, et de combattre les privilèges que certains s’octroient de manière criminelle …

Interview réalisée par Dunia Miralles

 

Biographie de Marc Agron tirée de Vice Versa Littérature

Né en 1963 à Zagreb mais arrivé en Suisse à l’âge de 19 ans, Marc Agron Ukaj étudie à l’Université de Neuchâtel, puis poursuit avec une formation de libraire, spécialiste en livres anciens. En 1996, lui et sa femme fondent une librairie à Lausanne, la Librairie Univers. Parallèlement à cette activité, il met un pied dans le théâtre aux côtés d’Agota Kristof, au sein de la compagnie Tumulte, puis à la Tarentule de St-Aubin. En collaboration avec Jérôme Meizoz, il travaille également sur des textes de Ramuz, donnant lieu à une publication aux éditions Marguerat. Il publie régulièrement des catalogues de livres anciens et précieux, et écrit lui-même dans diverses revues littéraires. En outre, Marc Agron Ukaj organise des expositions d’art contemporain.

Ci-dessous une interview de Marc Agron par Isabelle Falconnier, au Lausanne Palace le 13 octobre 2018.

Lecture: “L’Amour sous algorithme” de Judith Duportail

Tinder: abuse-moi que je devienne dingue de toi!

Un peu larguée sur le sujet Tinder, plutôt que de m’inscrire sur le site, j’ai préféré lire le livre de Judith Duportail “L’Amour sous algorithme” paru aux Éditions Goutte d’Or. Édifiant. D’autant que mardi, j’écrivais cette publication quand le journal Le Temps a sorti un article intitulé “Une enquête révèle comment Tinder & Cie siphonnent nos données“. Tinder est l’une des applications les plus rentables au monde juste derrière Netflix, Line et Spotify. Ses têtes pensantes ne sont donc pas des philanthropes qui se démènent pour nous rendre heureux. Leur unique objectif c’est de gagner beaucoup d’argent par -presque- tous les moyens.

Tinder: une drogue dure

Suite a une rupture sentimentale, Judith Duportail, journaliste indépendante qui écrit, entre autres, pour le journal Le Temps – mais aussi pour Les Inrocks, Philosophie magazine ou The Guardian – s’inscrit sur Tinder. Très vite, elle devient addicte. Comme avec une drogue, après la merveilleuse première prise elle a envie de recommencer. Ce qu’elle fait sans retrouver l’euphorie des premières sensations. Pour pallier au manque, elle s’y adonne aussi souvent que possible avec de plus en plus de frénésie. Survient alors un état d’insécurité et de dépression. En effet, au début elle se sent belle et désirée, ce qui la renforce et la booste incroyablement. Puis, rapidement, après quelques échanges sans intérêt et des rencontres décevantes, elle s’aperçoit que tout le monde zappe d’une personne à l’autre en espérant “trouver mieux au rayon”. Dès lors, un vide intérieur la malmène sans qu’elle parvienne pour autant à renoncer à Tinder. Ce désarroi l’incite à réaliser une enquête sur cette application. Rapidement, elle découvre que, dans le but de nous rendre dépendants, elle est conçue comme les machines à sous.

“La première à avoir compris comment les réseaux sociaux et applications comme Tinder titillent notre cerveau pour nous donner sans cesse envie d’y revenir est Natasha Dow Schüll, anthropologue à l’université de New-York et auteur d’Addiction by design. Un des mécanismes psychologiques les plus puissants de l’addiction est celui de la récompense aléatoire et variable. Tout tient dans le fait de ne pas savoir si cette fois-ci vous allez recevoir une récompense et de quelle nature. Un message? Un match? Et un match de qui? OK, le mécanisme m’a d’abord paru léger. Pourtant, ça nous enchaîne comme des prisonniers à leurs barreaux. Les machines à sous qui fonctionnent très simplement sur ce système, rapportent plus aux États-Unis que l’industrie du baseball, du cinéma et des parcs d’attractions réunis, écrit l’anthropologue”.

Tinder: une application qui reproduit le schéma patriarcal

L’enquête conduit Judith Duportail à se mettre en contact avec Jessica Pidoux, doctorante en humanité digitale à l’EPFL qui a écrit sa thèse sur les modèles scientifiques des algorithmes des sites de rencontre. C’est ainsi qu’elle apprend que Tinder reproduit le modèle patriarcal des relations hétérosexuelles.

Un homme mature, avec un bon revenu, aura un bon score. Sa rencontre avec des femmes jeunes et moins éduquées sera encouragée par l’algorithme. En revanche, une femme éduquée, qui gagne bien sa vie, aura un score de désirabilité bas. Ce qui est un bonus pour un homme est un malus pour la femme. Impossible d’y échapper. A tout instant, Tinder contrôle nos données sur son site ainsi que sur tous les sites couplés à cette application – dont Facebook. Ainsi nos photographies, notre manière de formuler les phrases, ce qu’on like, est constamment analysé ce qui lui permet -entre autres – d’en déduire notre QI.

Et ce n’est pas un délire de journaliste mal aimée shootée à Tinder. C’est écrit noir sur blanc dans les brevets Tinder que Judith Duportail parvient à se procurer – non sans difficulté – et qu’elle décortique ligne par ligne.

Les recherches de la sociologue Eva Illouz interpellent également Judith Duportail.

“Elle explique (Eva Illouz) que nos cœurs brisés ne le sont pas uniquement de notre fait. Notre société capitaliste a fait de l’amour un marché avec des gagnants et des perdants. Avant Karl Marx, on pensait aussi, par exemple, que la pauvreté était la conséquence d’une basse moralité, et non le fruit d’une organisation sociale injuste… Selon elle, les sites et applications de rencontre ont créé un marché de transaction intime. Les utilisateurs sont en compétitions les uns avec les autres pour obtenir un rendez-vous et se transformer eux-mêmes en marchandises. Les femmes hétérosexuelles en quête d’une relation sont les agents occupant la position la plus faible sur le marché… La sociologue explique: “Les hommes utilisent leurs prouesses sexuelles ou le nombre de partenaires pour se sentir validés. Les femmes, elles, veulent être aimées. Ces dernières sont alors plus dépendantes des hommes, elles demandent l’exclusivité quand les hommes veulent de la quantité.”

Conclusion: mesdames, si vous êtes intelligentes, diplômées, si vous cherchez l’amour et que vous êtes attirée par les hommes de votre âge ou plus jeunes que vous, fuyez Tinder. Ou alors, devenez des Doña Juana sans application ni implication.

Si le sujet vous intéresse, écoutez cette conférence de Judith Duportail.

 

 

Un livre 5 questions: “Fondre” de Marianne Brun

Fondre de Marianne Brun: histoire d’un rêve brisé

Mercredi 15 janvier, le Lausanne Palace et la Ville de Lausanne proposeront dans le cadre des Jeux Olympiques de la Jeunesse 2020 et de Lausanne en Jeux, de rencontrer quatre autrices qui ont écrit des textes autour du sport: Marie-Claire Gross, Claire Genoux, Marianne Brun et Émilie Boré.

Je me suis penchée sur Fondre, paru chez BSN Press. Le récit de l’écrivaine franco-suisse Marianne Brun, relate la vie d’athlète de Samia Yusuf Omar qui a représenté la Somalie aux JO de Pékin en 2008. Quatre en plus tard, elle disparaissait en Méditerranée en essayant de joindre l’Italie afin de poursuivre son rêve de médaille tout en échappant à un pays en guerre. Avec beaucoup de tact, Marianne Brun  nous fait découvrir le parcours d’une femme qui permet de donner corps et visage aux migrants.

 

Fondre: quatrième de couverture

“On a tellement mal, dans sa chair et dans sa tête, qu’on ne maîtrise plus rien. Le corps est en roue libre, détaché de l’esprit, et l’esprit s’emballe grimpe dans les tours. On hallucine. On se voit entrer dans le tunnel, avec la lumière blanche. On est dedans, on court, on va vers ça, vers la lumière au bout du tunnel, et sa promesse de paix.”

La phrase extraite du livre:

“C’est ainsi que, pour tuer l’idée qu’on allait la marier à Abdinasir, que sa honte embrasserait la sienne et que leur couple reproduirait la misère dans laquelle vivaient leurs parents respectifs, elle reprend la course comme d’autres se remettent à boire.”

Fondre: interview de Marianne Brun

Comment vous est venue l’idée de raconter l’histoire de Samia Yusuf Omar ?

J’ai fait la connaissance de cette jeune athlète somalienne par un article du Monde paru à sa mort en 2012. J’ai fondu en larmes, la boule au ventre. Je n’ai pas mis longtemps à comprendre pourquoi cette mort me heurtait à ce point. A l’époque, j’habitais depuis deux ans à Zurich et je suivais des cours d’allemand avec des Somaliens, des Érythréens, des Kurdes… Cette disparition tragique me laissait entrevoir les atrocités qui avaient dû jalonner leurs parcours, la force de caractère qu’il leur avait fallu pour arriver jusqu’ici et, dans le même temps, elle m’obligeait à reconsidérer avec humilité ma propre condition d’immigrée incroyablement favorisée par la donne géopolitique.

J’ai archivé l’article, comme beaucoup d’autres, sans savoir s’il me servirait un jour ni pour quoi. Et Samia est revenue me hanter, par périodes, lorsque je faisais la liste des histoires qu’il me restait à écrire.

Le temps passant, j’ai continué à éprouver une peine infinie pour elle. Elle qui s’était battue à la loyale. Elle pour qui l’Occident n’avait rien fait. Elle qui pourtant incarnait nos valeurs fondamentales d’émancipation et de performances individuelles. Si tous les autres migrants, comme on les appelle aujourd’hui, nous semblent étrangers au point que nous les reléguons à des cohortes de chiffres anonymes, elle nous ressemble, et elle est morte, un peu par notre faute.

Et puis un jour, j’ai appris que BSN Press développait une collection de courts romans sur le sport et j’ai ressorti l’article. Il a fallu que je trouve un angle pour raconter son parcours. J’ai repensé à ces jeunes hommes qui étaient en cours avec moi. Eux, comme moi, comme nous tous, avons un rêve, enfants. Mais tous, autant que nous sommes, nous n’arriverons pas à l’atteindre. Samia en avait un. Il l’a poussée à se surpasser. C’est ce thème de la vocation, de la force qui s’impose à nous dans nos jeunes années et qui éclaire notre destin, que j’ai tâché de fouiller en faisant de chaque chapitre une étape. Son parcours devient ainsi épique et universel. Je voulais que tout lecteur puisse s’identifier à elle et réfléchir ensuite à sa propre vocation et aux contraintes géopolitiques qui pèsent ‘injustement’ sur certains.

Est-il facile de se documenter sur une personne décédée, issue d’un pays corrompu, ravagé par les conflits et la famine ? Comment avez vous procédé ? Avez-vous contacté Teresa Krug?

Oui, c’est très simple, il suffit d’ouvrir internet ! J’ai fait des mois de recherches sans jamais bouger de ma chaise. Ce travail de documentation est à la base de tous mes travaux d’écriture, que ce soit pour un scénario ou un roman. Fouiller, chercher, vérifier, recouper les informations, passer de sites en sites, comparer les récits etc. J’ai mis deux ans à écrire ‘Fondre’ parce qu’à chaque avancée de l’histoire, je replongeais dans une documentation qui m’ouvrait de nouvelles perspectives.

En revanche, non, je n’ai pas contacté Teresa Krug. J’avais à ma disposition ses interviews concernant sa rencontre avec Samia, ses documentaires et ses articles de presse. C’était suffisant pour savoir comment me servir d’un tel personnage. J’avais besoin d’elle pour être un révélateur de Samia. Pour qu’elle la révèle à elle-même mais aussi pour qu’elle révèle ses pensées, pour qu’elle parle en son nom. En tant que journaliste, ce personnage me laissait une belle marge de manœuvre. Alors non, je ne sais pas si elle écoute Oasis, par exemple. Mais comme elle est Britannique, je le suppose. Je fais du ‘vrai’, avec du faux. C’est aussi à ça que sert la documentation que je peux amasser.

Et pour en venir à Samia, j’avais finalement très peu d’informations. J’avais réussi à traduire une interview de sa sœur aînée, exilée au Pays-Bas, qui racontait sa mort, en compagnie d’un voisin dont elle était restée proche et que je n’ai pas intégré à mon histoire. Elle racontait également que Samia avait un rêve. Ce rêve de podium. C’est la seule chose qui ait été documentée. Je ne sais rien d’autre sur elle, ni sur sa vie intérieure. Par les témoignages de Teresa Krug, j’ai su que Samia avait pu partir en Éthiopie dans les camps d’entraînement. Comment elle y a vécu ? Personne ne le sait. On sait juste pourquoi elle en est partie. Et puis, sa fin tragique est plus sordide encore que ce que j’ai inventé. Elle est morte enceinte de plusieurs mois, vraisemblablement violée. C’était ma limite. Je ne voulais pas rendre sa mort pathétique en rajoutant du drame au drame. Le sentiment d’écœurement ou d’apitoiement n’aiderait pas le lecteur à réfléchir à son parcours. Je tenais aussi à offrir sur la fin une ouverture sur d’autres parcours de migrants, parler des camps de réfugiés, des problèmes ethniques, des problèmes de langue…

En écrivant cette biographie quelle part avez vous laissé à votre imaginaire, ou votre intuition ?

Je n’ai pas l’impression d’imaginer quoi que ce soit, ni d’utiliser une quelconque intuition. J’ai des infos d’un côté, une réalité à trous de l’autre. Je les fais coïncider. Si je sais que la piste de course du stade de Mogadiscio est impraticable, alors il est évident que Samia ne s’y est jamais entraînée donc que le jour de sa course au JO, c’est la première fois qu’elle chausse des pointes. J’en tire ensuite les conclusions qui s’imposent.

En fait, chaque personnage se définit par son environnement culturel et je m’efforce de voir le monde à sa hauteur, avec ses yeux. Je pars de postulats, comme en sciences. Pour Samia le postulat était simple : au vu de sa gestuelle et de son maintient sur toutes les photos et les vidéos que j’ai vues d’elle, j’en déduis que c’est une jeune fille réservée. Donc j’en fais un personnage qui parle peu – mais qui agit. J’en fait une jeune fille effacée et farouche, qui veut rester libre sans pour autant se faire remarquer. Ce n’est pas une rebelle, ni une héroïne de Marvel. Ceci étant, j’avoue que c’est un postulat qui m’arrange. J’aime les protagonistes taiseuses, comme dans mon premier roman, L’Accident, ou qu’on n’écoute pas, comme dans le second, La Nature des choses. Samia court, c’est son seul moyen d’expression. Elle parle peu, elle pense peu. Elle rêve. Et elle n’a qu’un rêve, récurrent.

Ensuite, pour sa course, et surtout pour ce qu’elle éprouve en courant, j’ai beaucoup mis de moi. J’ai un rapport particulier à mon corps. J’ai toujours intellectualisé, noté, consigné les souffrances qu’il endure dans l’effort, par exemple. J’ai transposé sur elle, en elle, ce que je ressens. J’ai également beaucoup discuté avec des coureurs de fond et d’ultra-trails, regardé un grand nombre de vidéos sur les camps en Ethiopie et au Kenya pour comprendre la psychologie du coureur.

De même pour ce village de femmes dans lequel elle arrive au terme de sa course dans le désert. Je ne sais pas s’il existe, en tout cas, suivant tous les recoupements de mes infos, il est fort probable qu’on tombe dessus un jour.

Si Samia était arrivée jusqu’à nous et qu’elle avait vécu dans votre quartier, pensez-vous que vous auriez pu être amie avec elle ? Où préférez-vous les personnages d’encre et de papier tel que vous les imaginez plutôt qu’en chair et en os?

Pour être amie avec quelqu’un, il ne suffit pas d’habiter le même quartier, il faut fréquenter les mêmes sphères sociales, parler la même langue avec un background culturel assez voisin, avoir un passé traumatique ou un projet de vie communs… On ne va pas se mentir, on est trop différentes pour être amie. Je pense que notre relation aurait été à peu de choses près la même que celle qu’elle a eu avec Teresa Krug. Un rapport filial et protecteur plutôt qu’une relation d’égale à égale comme en amitié. Ça n’empêche pas l’amour. J’aurais voulu la protéger et l’aider. Et peut-être m’aurait-elle craint ou rejetée, se sentant assez forte pour se débrouiller seule…

Ceci étant, j’ai aimé l’effort que ça a été de me mettre à son niveau, dans son point de vue et dans sa peau. J’ai tout fait pour ne jamais être dans la condescendance.

La question que je pose à chaque auteur-e: à quel personnage littéraire vous identifiez-vous ?

Question troublante. Je me rends compte que je ne me suis jamais identifiée sciemment à un personnage de fiction… Mais on va dire que dès que la catharsis opère, dès que je suis émue ou que je me mets à voir le monde sous un autre angle, je suis en train de m’identifier aux personnages… Donc potentiellement, je m’identifie à tous – et à aucun à la fois. Sans distinction de genre. Je peux même être Croc Blanc ou Le Nez de Gogol !

Interview réalisée par Dunia Miralles

 

Marianne Brun. Photographie ©Louise Anne Bouchard

Marianne Brun: biographie et actualités

Après une hypokhâgne et un DEA de Lettres Modernes à la Sorbonne (Paris IV), elle est chargée de développement cinéma (Bord de mer, de Julie Lopes Curval (Caméra d’Or Cannes 2002) ; Brodeuses, d’Eléonore Faucher (Grand Prix de la Semaine de la Critiques Cannes 2004)).

En 2004, elle s’installe en Suisse comme scénariste fiction (Left Foot Right Foot (2014), de Germinal Roaux (3 Quartz du Cinéma Suisse dont Meilleure Photographie) ; L’Enfance d’Icare (2011), d’Alex Iordachescu avec Guillaume Depardieu), documentaire (Grand et Petit (2018), de Camille Budin, Sélection Nationale Cinéma du Réel) et film en VR (Genève 1850, un voyage révolutionnaire (2019) court-métrage produit par Artanim, plus de 10.000 spectateurs en 5 mois d’exploitation).

Elle est également l’auteure de trois romans salués par la critique (L’Accident (2014) éd L’Age d’Homme – avec le soutien de la Fondation Leenards, La Nature des choses (2016) éd L’Age d’Homme, Fondre (2018) éd BSNPress – finaliste Prix de l’Académie Hors Concours (FR)).

Elle vit à Zurich avec son compagnon et leurs deux enfants.

Actualité cinéma 2020 :

Tournage de Wahashtini, long-métrage de fiction coécrit avec Tamer Ruggli (Tipi’mages(CH)/Les Films des Tournelles (FR)) et fin du tournage de Colombine, long-métrage coécrit avec Dominique Othenin-Girard (Dreampixies)

Sortie de Trou noir, court-métrage de fiction coécrit avec Tristan Aymon (Terrain Vague) et de l’Affaire du Mayflowers, court-métrage de fiction écrit en collaboration avec Viola von Scarpatetti et Simon Pelletier (Biviofilm)

Écriture de Les Voleurs, long-métrage de fiction pour Pierre Monnard (LangFilm)

Actualité de Fondre

Soirée de lancement des Jeux Olympique de la Jeunesse à Lausanne – 15 janvier 2020 à 18h. Rencontre animée par Madame Isabelle Falconnier.

Découvrez le site de Marianne Brun en cliquant ici.

Au sujet de Fondre, écoutez une interview de Marianne Brun, à la RTS en cliquant ici.

Lecture: “Journal de L. (1947-1952)” de Christophe Tison

Christophe Tison: l’écrivain qui donne la parole à Lolita

l’enfant abusée du roman de Vladimir Nabokov

Le 19 novembre, le Prix du Style, qui récompense explicitement le style littéraire d’une œuvre, était décerné à Christophe Tison pour son livre “Journal de L. (1947-1952)”, paru aux Éditions Goutte d’Or au dernier mois d’août. Un récit audacieux où l’écrivain donne la parole à Lolita, l’enfant kidnappée et abusée sexuellement dans le roman éponyme de Vladimir Nabokov. Un personnage fictif mondialement connu mais dont personne ne sait les pensées.

Vladimir Nabokov: Lolita ou les délires d’un pédophile

« Je possède toutes les caractéristiques qui, selon les auteurs traitant des goûts sexuels des enfants, éveillent des réactions libidineuses chez une petite fille : la mâchoire bien dessinée, la voix grave et sonore, les mains musclées, les épaules larges. De plus je ressemble, paraît-il à un chanteur de charme ou à un acteur pour qui Lo a le béguin ».

Lolita a 12 ans quand Humbert Humbert la voit pour la première fois. Immédiatement son désir s’éveille. Un émoi qu’il confond parfois avec de l’amour. Cependant, à aucun moment, on ne sent le moindre respect ou le plus petit sentiment envers la fillette. A part son physique de nymphette, presque tout, en elle, l’irrite: sa vulgarité d’enfant américaine, son manque de culture, son goût pour la nourriture vite ingurgitée… Qu’à cela ne tienne! A la mort accidentelle de la mère, Hum – comme Lolita l’appelle- s’arrange pour la kidnapper et la garder à sa merci, notamment en la menaçant de la placer dans un orphelinat.

Pour écrire son roman, Vladimir Nabokov s’était inspiré d’un fait divers. Au plaisir de la langue – dans la traduction de Maurice Couturier – et à celui de la construction de l’histoire, proches de la perfection, s’ajoute un autre motif pour lequel Lolita mérite d’être lu: on s’immerge totalement dans l’esprit du pédophile Humbert Humbert. A qui l’on a souvent envie de casser la figure. Ou autre chose. Toutefois, sans l’approuver, sa psychologie mérite d’être analysée et approfondie.

Malgré les maintes excuses qu’il cherche à sa pédophilie, Humbert Humbert évoque sans cesse, avec effroi, son penchant pour les très jeunes filles. “Pourquoi alors ce sentiment d’horreur dont je ne puis me défaire? Lui ai-je subtilisé sa fleur?” A travers les yeux du protagoniste toutes les femmes sont insipides et tous les hommes porcins. Des sentiments de Lolita que dit-il? Rien. Pour son agresseur, elle n’est que chair à consommer.

 

Christophe Tison: la voix de Lolita

Le roman de Vladimir Nabokov se présente comme la confession de Humbert Humbert, rédigée en prison avant son procès pour meurtre. De cette confession, il attend la compréhension et la mansuétude des jurés. Ce détail n’a pas échappé à Christophe Tison: pourquoi un criminel serait-il sincère? Honnête? Pourquoi dirait-il la vérité? La plupart des pédophiles prétendent que l’enfant les a séduit. Eux ne voulaient pas. L’enfant voulait. C’est, d’ailleurs, ce que tout le monde a retenu, puisque, le surnom Lolita – du prénom Dolores qui signifie Douleurs en espagnol, ce qui n’est probablement pas un hasard, Nabokov était un écrivain trop cultivé, minutieux et intelligent pour laisser une telle énormité s’immiscer inopinément dans ses lignes – est devenu synonyme de jeune fille qui aguiche les adultes. Définition contre laquelle Christophe Tison s’insurge. En imaginant que Lolita tenait un journal, comme beaucoup de préadolescentes de ces années-là, il nous conte l’histoire avec le regard et les sentiments de l’enfant. En découleront des évènements d’une logique implacable. Sans voyeurisme, rien ne lui sera épargné: ni l’ennui, ni le dégoût, ni le manque de sa mère, ni les moqueries des adolescents, ni le viol, ni … je n’en écrirai pas davantage afin de ne pas dévoiler le livre.

Christophe Tison connaît parfaitement son sujet et les trajectoires, souvent tragiques, des personnes violées durant leur enfance. Lui-même abusé par un adulte de l’âge de 9 à 15 ans, il avait déjà écrit un premier livre sur ce thème “Il m’aimait“. Une autobiographie qui montre l’emprise exercée par les abuseurs et le système d’autodéfense que développe l’enfant violé. Cette -mauvaise- expérience vécue dans le corps et le psychisme de l’écrivain, donne toute sa vraisemblance au “Journal de L. (1947-1952)”. L’auteur nous rappelle également qu’à la fin des années 1940 la parole d’une personne mineure n’avait aucune valeur.

“Je tourne devant la porte. Je demande quoi à l’intérieur? Appeler la police? Et pour dire quoi? Je prépare mes phrases. On va me demander d’où je viens et si je suis perdue, on va appeler le motel, et Hum, avant même la police. Si ça se trouve, la police dort elle aussi. Je ne sais pas à quoi sert la police! Arrêter les méchants? Mais Hum n’est pas un vrai méchant, je veux dire, pas comme dans les films.”

Malgré la violence du sujet, le récit est écrit avec délicatesse, pudeur, parfois même avec poésie:

“Je le laisse parler. Il adore ça, parler.

Moi je veux juste aller quelque part. J’en ai assez des fleurs, des papillons, des musées et des leçons de Hum. Assez de lire des livres qu’il m’offre (Madame Bovary, cette truffe), et de porter les robes et les souliers qu’il m’achète. Assez des chambres d’hôtel où il ne faut pas faire de bruit et des haltes dans des chemins creux. Et parader dans des petites villes comme Shakespeare, Nouveau Mexique, avec Hum à mes côtés.

Quand même, je pense souvent à Emma Bovary. A sa mort. Un liquide noir sort de sa bouche. Une femme si belle et tellement perdue. Je l’aime bien. Pourquoi n’a-t-elle pas fui? Je me pose la question pour moi. Elle, enfermée dans sa petite ville française avec son piano et son bovin de mari, et moi perdue sur les routes, assise dans cette voiture à côté de cet homme fin et cultivé… Je ne suis pas un point de crayon sur une carte du guide, même pas portée disparue dans l’immensité anonyme de l’Amérique.

Je suis la jeune fille en cavale, vous ne voyez pas? Évadée de force. Trop douce est ma peau, trop doux mon sourire. Je veux qu’on me rattrape, je veux entendre les sirènes de la police derrière moi. Et qu’on me ramène à la maison où je pourrais enfin dormir.”

“Journal de L. (1947-1952)” est également parcouru par la révolte envers la condition de la femme au milieu du XXe siècle:

“On nous dresse à dire oui. Oui dans la cuisine, oui au salon, oui au lit. Avec le ton adapté: oui, oui chéri, ohhhhh oui! Oui à l’homme qui sera notre mari, seul et unique jusqu’à notre mort, dès qu’on aura prononcé le premier oui à l’église. Est-ce que je veux être ça? Une jument qu’on engrosse, une poule pondeuse, une vache qu’on trait, tout en même temps? C’est ça qui m’attend quand je serai grande? C’est ça mon avenir de rêve quand je serai débarrassée de Hum?”

Nabokov était sans doute un génie. Christophe Tison ne l’est pas moins.

 

Interview de Christophe Tison pour “Journal de L. (1947-1952)”.

Poème: trains qui passent trains qui restent

Embouteillages et collisions

Actuellement je lis. Je me documente. Je prends des notes afin d’écrire mes futurs récits littéraires et les articles pour ce blog. Cela crée parfois certains embouteillages temporels et quelques collisions de style. Pour ces motifs, afin d’éviter certains entre-chocs, ces prochains temps je présenterai plus souvent des poèmes de ma propre souche plutôt que de travailler sur la poésie d’autrui.

 

 

 

Un livre 5 questions : « Ils nous ont volé les étoiles » de E.W. GAB

Ils nous ont volé les étoiles : plusieurs enquêtes et un auteur mystère

Toute personne intéressée par le monde littéraire s’est un jour posé cette question : qui se cache derrière le pseudonyme Elena Ferrante? Pourquoi cet écrivain ne veut-il ni se montrer ni donner des indications sur sa vie? Est-ce un politicien ? Une prostituée ? Un capitaine d’industrie ? Une tête pensante de la mafia napolitaine ? Une religieuse ? Une taularde? Nombreux sont ceux qui ont mené l’enquête en espérant en finir avec ce mystère. Peine perdue. Il en est de même avec E.W. GAB l’auteur de Ils nous ont volé les étoiles. Impossible de savoir qui est cet écrivain qui tient fermement à son anonymat. Peu après avoir demandé à le rencontrer, j’ai reçu un courrier m’expliquant que pour lui seul comptait la littérature. Qu’il s’opposait catégoriquement à ce que l’écrit soit jugé au travers de l’âge, du physique, du genre ou du statut social de son auteur. Que seul importe le livre et son contenu. Une position qui va à l’encontre de la tendance actuelle ce qui démontre un certain courage.

Ils nous ont volé les étoiles : harcèlement, homicides et trahisons

Dès les premiers paragraphes de ce roman paru chez le petit éditeur indépendant Editions Sauvages, on est au cœur du drame. L’avocate Théodora Carter, dont le mari a tué l’enfant et s’est suicidé ensuite, tente d’oublier son passé en plongeant à corps perdu dans le travail. Les affaires s’enchaînent les unes après les autres en équilibre sur les deux fils rouges qui mènent à la dernière page:  Wal, l’époux de l’avocate, et Barthélémy leur fils, trouvés morts dans la voiture familiale stationnée devant le fleuve Mississipi et Georgia Rivers, qui engage Théodora Carter pour la défendre contre une injustice dont elle est victime.

Quatrième de couverture : « J’avais immédiatement perçu que Marlon White dissimulait quelque chose lorsqu’il déclarait avoir entretenu des relations sexuelles avec Lucie sans toutefois être en mesure de m’en dire davantage. J’allais par la suite l’interroger sur ce sujet à plusieurs reprises et nous devions en arriver à nous quereller très sérieusement. Il finissait toujours par garder les yeux obstinément baissés, ne démordant pas de sa maigre version avec un entêtement farouche. Impossible d’obtenir plus de détails sur la question. Cela m’énervait outre-mesure car j’étais certaine qu’il me mentait. En agissant de la sorte, il me renvoyait à douter de moi, de mon choix ainsi que de son innocence. Il m’imposait en effet de me demander si en réalité je n’étais pas en train de défendre avec énergie le véritable violeur et assassin de Lucie. »

Si vous aimez les séries ayant pour sujet le monde judiciaire – Matlock, Avocats sur mesure, New-York Police Judiciaire, Better Call Saul – aventurez-vous à lire On nous a volé les étoiles. Le livre se commande dans n’importe quelle librairie ou à cette adresse: [email protected]

Une phrase extraite du livre :

« Deux semaines déjà que les otages étaient retenus et aucune action n’avait été intentée ni par la police locale, ni par les forces de l’ordre de l’Etat, ni par le FBI. »

 

Ils nous ont volé les étoiles : interview d’Agnieszka Hegetschweiler

N’ayant pas pu rencontrer l’auteur, j’ai posé 5 questions à Agnieszka Hegetschweiler chargée des relations publiques des Editions Sauvages.

Depuis sa création en 2017, votre maison d’édition a publié des textes très différents : de la poésie, des nouvelles – E.W GAB notamment avec “Dix heures 37 minutes” – mais aussi un roman d’anticipation climatique, émaillé de séquences érotiques, ainsi que « Trois enquêtes de M. » écrit par le médecin cantonal neuchâtelois Claude-François Robert qui s’avère être un excellent écrivain et dont le livre a rencontré un grand succès. Quelle est votre ligne éditoriale ?

Notre ligne éditoriale se fonde sur nos … coups de cœur. Peu nous importe le genre (fiction, polar, poésie, roman), pourvu qu’un manuscrit déclenche un coup de cœur. Nous cherchons le texte qui résonne, qui nous parle, qui raconte quelque chose d’inattendu et dont la qualité littéraire soit élevée. Beau défi pour une petite maison d’édition (encore) méconnue. Tous les textes publiés à ce jour ont rencontré un excellent accueil de la part des lecteurs, ce qui nous ravit et répond à nos premiers objectifs : proposer de la littérature de qualité.

– Qu’est-ce qui vous a incité à publier « Ils nous ont volé les étoiles »?

Le premier texte de E. W. GAB, Dix heures 37 minutes, nous avait enchanté autant pour l’idée qui préside à sa construction, à savoir 27 récits de vie dont le basculement intervient exactement au même moment à travers la planète, mais également pour la richesse des thématiques traitées. Ils nous ont volé les étoiles nous a convaincu par la densité du propos et une écriture alerte qui révèle des parcours de vie riches malgré l’adversité. Il s’agit indéniablement d’un excellent roman. Certains passages, descriptions, dialogues sont d’une qualité littéraire brillante. Ce texte nous transporte ailleurs, en l’occurrence au Minnesota, mais les dossiers traités par la protagoniste, avocate, sont des histoires universelles. Le lecteur est ainsi entrainé, d’affaire en affaire, à la découverte haletante d’une farandole de personnages confrontés à des défis de vie majeurs. C’est un texte qui manie le suspens.

-Pensiez-vous faire un coup de pub en jouant sur le fait que l’auteur souhaite rester anonyme comme Elena Ferrante ?

Rires ; non ! Mais pourquoi pas, après tout ? ! Nous pensons toutefois que le succès d’Elena Ferrante est lié à la qualité de son œuvre, et non à son anonymat. Nous espérons que nos lecteurs nous fassent confiance et qu’ils acceptent de lire nos auteurs anonymes sans s’embarrasser d’en connaitre leur identité mais guidés par la curiosité de découvrir des écrits de qualité qui touchent aux émotions. Bref, de leur laisser toutes leurs chances et de prendre le risque de faire des belles découvertes ! Elena Ferrante est la preuve même que le lecteur n’a pas nécessairement besoin de voir une photo de l’auteur prise dans sa cuisine. L’anonymat recentre l’attention sur le texte.

-Est-ce difficile, pour une petite maison d’édition comme la vôtre, de publier un auteur qui souhaite rester anonyme et qui refuse de montrer son visage ce qui va totalement contre la tendance actuelle ?

En effet, publier des auteurs sous pseudonymes complique la vie d’une maison d’édition. On a un peu de peine à convaincre les journalistes à s’intéresser à nos parutions et faire leur job de critique littéraire ; les libraires peuvent être plus réticents à prendre le livre en vente. L’anonymat semble déstabiliser, brouiller les repères connus. Notre sentiment, voire spéculation, est qu’au lieu de lire le livre et de se forger une opinion personnelle, nos interlocuteurs se laissent bloquer. Ils se demandent peut-être qui est l’auteur derrière le pseudo : un affreux être humain ? (Rires). Et ils préfèrent ne pas se lancer dans l’inconnu. Mais bon, ce ne sont là que des hypothèses ; à eux de dire ce qu’il en est en réalité. Pourtant, de très grands écrivains ont écrit une partie de leur œuvre en préservant leur anonymat. Dans notre époque d’hyper médiatisation, l’anonymat trouble ; en même temps, il excite la curiosité d’une manière également (à nos yeux) excessive, comme le phénomène Banksy ou, justement, Elena Ferrante.

– De quel personnage du roman de E.W GAB vous vous sentez la plus proche et pourquoi ?

Ils sont tous intrigants, voire attachants : Adriaan Van Veen et sa lutte acharnée pour récupérer ses filles ; Marlon White, accusé de meurtre ; Zachary Bennet qui impose qu’il soit appelé John Doe et qui fait le bien à tout prix même contre la volonté de ses protégés ; Linda Sacher, grugée par un compagnon pervers narcissique ; la famille amérindienne de la petite Alope en quête de justice ; Georgia Rivers victime de harcèlement sexuel et de mobbing sur son lieu de travail. Mais évidemment la protagoniste principale, Théodora Carter, l’avocate, est le personnage le plus interpellant. Chacun de nous peut être appelé à devoir tout reconstruire d’un jour à l’autre après un drame majeur [croisons les doigts]. Il est captivant de découvrir les moyens que Théodora met en œuvre pour ne pas sombrer dans le désespoir et laisser, au fil du temps, place à la vie.

D’ailleurs, on invite les lecteurs à découvrir des extraits du texte sur notre blog.

Propos recueillis par Dunia Miralles

 

Agnieszka Hegetschweiler des Editions Sauvages.