Mobilité tous azimuts

Le Saint-Gothard à 275 km/h: performance ou poudre aux yeux?

Week-end de Pâques 2018: c’est non sans fierté que les CFF ont annoncé que leur dernier né, le train à grande vitesse Giruno de Stadler, avait franchi le tunnel de base du Saint-Gothard à 275 km/h. Ce chiffre ne tombe pas du ciel: le train, comme le tunnel, ont tous deux été conçus pour 250 km/h, et la pratique impose des courses d’essai à cette vitesse, majorée de 10%.

Si la performance n’est pas mise en doute, c’est la signification de l’événement qui pose question. Le tunnel de base du Saint-Gothard comporte deux tubes à simple voie, un dans chaque direction; on a donc, toujours dans chaque direction, une voie unique de 57 kilomètres, sans aucune possibilité de dépassement. Ce sont donc les trains de marchandises, les plus lents (de 80 à 100 km/h), qui dictent leur loi aux convois de voyageurs, les plus rapides. Les spécialistes ont peaufiné leurs horaires depuis belle lurette. Aujourd’hui, pour garantir –chaque heure et dans chaque sens– le passage de 6 trains de fret à 100 km/h et de 2 trains voyageurs, on doit limiter la vitesse de ces derniers à 200 km/h.

Le pire est à venir: le percement du tunnel du Zimmerberg II, entre Zurich et Zoug, entraînera un gain de temps de 10 minutes entre ces deux villes. Le projet actuel vise à allonger de la même durée le trajet des trains de voyageurs à travers le tunnel de base du Saint-Gothard: avec une vitesse bridée à 130 km/h –la moitié de la vitesse prévue à l’origine– les convois EuroCity et InterCity laisseront passer 4 trains de fret supplémentaires, soit 10 trains chaque heure et dans chaque sens…

Récapitulons: le financement de l’étape 2025-2035 du programme de développement stratégique de l’infrastructure ferroviaire (PRODES) prévoit 2,2 milliards de francs pour le percement du tunnel du Zimmerberg II; ce dernier investissement vise essentiellement à ralentir les trains de voyageurs à travers le tunnel du Saint-Gothard pour augmenter massivement la déferlante des convois de fret. Manifestement, les transporteurs de marchandises ont défendu leurs intérêts plus efficacement que les lobbies des usagers…

Aux Etats-Unis, les voyageurs qui se risquent encore à traverser le pays en train sont habitués à se garer pour être doublés par les interminables convois de fret. Le trafic marchandises est là-bas source de profit, le trafic voyageurs un gouffre financier. Espérons que les passagers suisses ne resteront pas à quai, condamnés à voir passer les marchandises sous leur nez…

Référence: Werner Stohler, Exploitation de la ligne: des hauts et des bas. Transports romands, No 30, juin 2016, pp. 6-8.

Photo CFF.

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