Les entreprises, actrices incontournables des défis à venir

Votation après votation, un fossé se creuse entre la population et le monde économique. Notre prospérité et notre qualité de vie ne dépendent pas moins des engagements des différents acteurs de ce secteur, dont nous sommes tous partie prenante.

Rédiger un dernier blog, en tant que directrice de la CVCI, suscite en moi un choix thématique cruel. L’économie est devenue le parent pauvre de l’information. Dans un monde de surinformation rapide, la complexité des sujets économiques rebute les plateformes et les réseaux sociaux où le plus court est le plus efficace. Mais plus efficace pour qui? Pour quoi? Dans tous les cas pas pour la compréhension du monde dans lequel nous vivons. Nous oublions trop facilement que nous sommes tous partie prenante de l’économie, nous la faisons même tous en tant que consommateur ou collaborateur.

La simplification conduit à vouloir placer les événements, les personnes dans des cases blanches ou noires, avec ses bons et ses méchants. Ainsi un entrepreneur est admiré pour son courage, son innovation, alors que le patron l’est moins. Il s’agit pourtant de la même personne. La liste de tels exemples est longue. Votation après votation, les analyses montrent qu’un certain fossé se creuse entre la population et l’économie.

Comment comprendre que la population de Vevey vote sur les sujets qui touchent Nestlé – son principal employeur et contribuable – de manière systématique à l’opposé des intérêts de l’entreprise? Mais alors, lorsqu’il s’agit de chercher de l’argent pour une association, un club sportif, le premier réflexe consiste à se tourner vers l’entreprise en question. Notre prospérité, notre qualité de vie sont le résultat des engagements de tous les acteurs de l’économie, petits et grands.

Notre prospérité n’est pas acquise

Et pourtant, même si le Canton est né sous une belle étoile, cette prospérité n’était pas acquise et ne l’est toujours pas. Petit rappel, à la fin de la crise des années 1990, à un moment où les taux hypothécaires avaient atteint les 6%, où le taux de chômage dépassait les 7% et celui des logements vacants se situait à près de 3%, nous étions fiers et heureux de voir arriver des multinationales dans notre canton. Elles nous ont permis de nous relever, d’assainir nos finances, de recommencer à investir. Dans le même temps, le développement de l’EPFL a instillé une incroyable dynamique pour la création d’entreprises, permettant à ces dernières de truster pendant des années le podium des start-up de Suisse. Grâce à la globalisation, nos PME ont pu développer leurs affaires sur le monde. Le marché intérieur a été ainsi alimenté par les bonnes performances de tous ces acteurs.

Cette renaissance économique nous a donné l’opportunité, grâce à la diversité de notre tissu, de faire face à toutes les crises vécues ces vingt dernières années, en ayant même la chance de connaître un accroissement du PIB supérieur à la moyenne suisse. Le fameux «miracle vaudois», comme nous l’avons intitulé dans une étude récente.

Mais ce miracle a engendré une sorte de «Schadenfreude» dans une partie de la population qui explique peut-être ces réflexes anti-économiques. Elle se manifeste par le rejet des multi, l’appel à la décroissance, l’impression que l’économie profite de tout et j’en passe. La pandémie a cependant rappelé quelques réalités, la fermeture de certains secteurs a fait prendre conscience de ce que pouvait signifier la décroissance. C’est l’occasion de rappeler que, pour l’économie, la croissance n’est pas le «toujours plus», mais le «toujours mieux». Et nous en aurons besoin, de «ce toujours mieux», pour affronter le défi climatique, que ce soit par la recherche et l’innovation.

Nous sommes à l’aube de changements géopolitiques profonds qui auront, à n’en pas douter, des conséquences aussi sur notre canton et son développement. Pour y faire face, il est bon de rappeler que les entreprises restent des acteurs incontournables pour trouver des solutions. Il nous appartient de l’expliquer encore et encore.

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L’imposition ne fait pas mal qu’aux « riches »!

Analyser l’imposition et s’interroger sur ce qui peut justifier qu’un Vaudois paie bien plus qu’un Zurichois, visiblement, ça fâche des candidats au Conseil d’Etat. Il vaudrait pourtant mieux regarder cette réalité en face si l’on a l’ambition de maintenir la prospérité du canton. S’assurer des conditions-cadres à la hauteur de celles de nos voisins semble un objectif aussi raisonnable qu’essentiel.

Les études comparatives le soulignent depuis des années : il est erroné de croire que seule la classe moyenne supérieure paie davantage d’impôts dans le canton de Vaud, sur le revenu comme sur la fortune. Au niveau Suisse, si l’on consulte les chiffres officiels pour 2019, la classe moyenne était constituée, pour les personnes seules, de celles et ceux qui gagnaient entre 3’937 fr. et 8’436 fr. (revenu brut par mois). Et pour les couples ayant deux enfants, des ménages qui gagnaient entre 8’268 fr. et 17’716 fr. La fourchette est donc plutôt large. On constate pourtant, qu’en comparaison intercantonale, le canton de Vaud taxe également davantage la classe moyenne dite « inférieure ».

Vous connaissez un couple marié ayant 2 enfants et gagnant au total 80’000 fr. ? Lui aussi est taxé davantage qu’en Valais, à Genève et à Zurich par exemple. Peut-on vraiment le qualifier d’aisé ? Il en est de même pour un couple gagnant 150’000 fr. d’ailleurs. La classe moyenne d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier, et c’est aussi celle qui bénéficie le moins des prestations sociales. Un jeune couple qui a deux enfants et gagne « bien » sa vie paie tout sans être aidé (frais de crèche, prise en charge parascolaire, assurance maladie…). Est-il finalement aujourd’hui si privilégié ?

Selon les derniers chiffres publiés par Statistique Vaud, la progression réelle des salaires (soit avec déduction de l’IPC) atteint 6,2% en dix ans dans le canton, avec un élargissement de la classe moyenne, puisque 70% des actifs bénéficient d’un revenu compris entre 70% et 150% du revenu médian. L’Office fédéral de la statistique définit en effet ainsi la classe moyenne en Suisse : « toutes les personnes vivant dans un ménage qui dispose d’un revenu brut équivalent compris entre 70% et 150% du revenu brut équivalent médian ».

Si le barème d’imposition vaudois n’a pas changé depuis 1987, le salaire médian, lui, a bien sûr évolué. Il est passé de 5087 fr. en 1998 à 6’490 fr. en 2020, alors que la courbe d’évolution de la taxation est restée la même. Sa progressivité n’est plus adaptée aux réalités des charges des contribuables décrites ci-dessus, et c’est bien pour favoriser le pouvoir d’achat de l’ensemble de la classe moyenne qu’une réforme s’impose. Par le simple fait de la progressivité du barème, le salaire médian se situe aujourd’hui dans une tranche d’imposition qui lui fait subir 4% de prélèvement de plus qu’il y a dix ans.

Pour financer les prestations de l’Etat, la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie mesure parfaitement combien les contribuables – personnes physiques et morales – lui sont précieux. Dans un contexte complexe, qui promet de réduire notre attractivité dans les années qui viennent, conserver sur sol vaudois celles et ceux qui permettent au Canton de fonctionner serait faire preuve de bon sens. Refuser de considérer qu’un barème en place depuis 1987 ne correspond plus à la réalité, tout comme sa progressivité, reviendrait en revanche à faire l’autruche. Notre canton aurait tout à gagner à rapprocher son niveau d’imposition de la moyenne suisse, et à garder ainsi ses contribuables pour financer ses prestations.

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Les salaires reflètent la santé économique du Canton

Le salaire médian vaudois a crû de 3,5% depuis 2018. Autre bonne nouvelle: l’écart salarial entre hommes et femmes se réduit. Ces faits illustrent la résilience de l’économie du Canton. Ces progressions ne doivent pourtant pas être anéanties par une fiscalité trop élevée.  

Le salaire médian – 50% de la population gagne moins et 50% gagne plus – s’est élevé à près de 6500 francs en 2020 dans le Canton. Même si les Vaudois restent tendanciellement moins rémunérés qu’en Suisse (6665 francs), la progression reste réjouissante puisqu’elle se monte à 3,5% depuis 2018. La croissance réelle des salaires, soit supérieure à l’indice des prix à la consommation, atteint même 6,2% en dix ans, avec un élargissement de la classe moyenne et une proportion de bas salaires en baisse. Ce sont là quelques-unes des données saillantes communiquées lundi par Statistique Vaud. «L’ensemble des résultats dépend également de l’évolution du tissu économique sous-jacent qui présente de fortes disparités, à l’image de l’industrie pharmaceutique dont le revenu médian est de 42% supérieur à la moyenne cantonale», note l’organisme. 

Statistique Vaud observe donc que la classe moyenne s’est élargie. Ils sont désormais 70%, soit 2% de plus qu’en 2010, à bénéficier d’un revenu compris entre 70% et 150% du revenu médian. Sans surprise, l’industrie pharmaceutique (+42%) et les activités liées à la recherche et au développement (+36%) offrent les salaires les plus avantageux. A l’autre bout, les services personnels (-40%), l’hébergement (-32%) et le commerce de détail (-26%) figurent parmi les branches les moins rémunératrices. Pour autant, les bas salaires, à savoir ceux dont le revenu est inférieur aux deux tiers du revenu médian, soit 4325 francs, ont légèrement diminué en dix ans, leur part passant de 12% à 10%. Une preuve supplémentaire que l’arrivée des multinationales a enrichi le Canton et les salariés. 

L’égalité salariale en chemin 

Au chapitre de l’égalité salariale, il reste encore du chemin à parcourir, mais les chiffres montrent toutefois des perspectives plutôt positives: l’écart de rémunération entre hommes et femmes est en baisse par rapport à 2010 (14%) dans le secteur privé. Si le salaire médian des femmes reste toutefois de 9% inférieur à celui de leurs congénères masculins, la fourchette se réduit tendanciellement. 

L’une dans l’autre, ces données illustrent la résilience des entreprises du Canton face aux crises, comme le montre notre étude «De la crise des subprimes à celle du Covid, le miracle vaudois», qui a permis une amélioration des salaires supérieure au PIB. Mais attention: il faut veiller à ce que cette progression réjouissante des rétributions de la classe moyenne ne soit pas réduite à néant par une fiscalité qui demeure trop lourde et par des prélèvements de toute sorte. Il est par ailleurs permis de se féliciter de l’évolution des salaires des femmes. J’appelle de mes vœux que cette progression s’accentue à travers une présence féminine plus marquée dans des professions à plus hauts revenus. 

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La fiscalité vaudoise à la croisée des chemins

La septième édition de l’étude fiscale comparative publiée par la CVCI rappelle que l’imposition dans le canton de Vaud reste l’une des plus élevées du pays. Cette réalité impose de revoir la taxation des personnes physiques et d’améliorer notre attractivité. 

Les années et les crises se succèdent, et une réalité demeure: le canton de Vaud reste, en comparaison intercantonale, celui qui impose le plus lourdement les personnes physiques. Après la pandémie liée au Covid, la guerre en Ukraine plonge aujourd’hui le tissu économique dans l’incertitude. Ce contexte instable commande de donner davantage de marge de manœuvre aux entrepreneurs qui investissent dans leur outil de travail et créent des places de travail. La classe moyenne, pour sa part, a grand besoin de voir son pouvoir d’achat revu à la hausse après des années de sacrifices passées à renflouer les caisses de l’Etat. Forte de ces constats, la CVCI publie la septième édition de son étude fiscale comparative, à travers laquelle elle enjoint le gouvernement à réformer la fiscalité des personnes physiques et à améliorer l’attractivité du Canton.  

Notre publication le confirme: Vaud demeure dans le trio de tête des cantons imposant le plus lourdement les contribuables. Pour ces derniers, aucune évolution significative n’a été observée sur ce point depuis plus de vingt ans. A cela s’ajoute l’explosion de taxes diverses destinées à financer les projets étatiques. Pour les Vaudoises et les Vaudois, la pilule est amère. Une révision de l’imposition sur le revenu et sur la fortune apporterait une bouffée d’oxygène bienvenue à la population, en particulier à la classe moyenne. Une baisse fiscale contribuerait en outre à éviter des départs de contribuables et des délocalisations d’entreprises. 

Finances enviables 

L’état des finances vaudoises est enviable, car le Canton dégage des bénéfices depuis dix ans: on approche ainsi des 6 milliards cumulés. Par ailleurs, sur ces quinze dernières années, le PIB vaudois a crû davantage que le PIB moyen de la Suisse, pendant que les revenus fiscaux augmentaient de 69% sur la période allant de 2005 à 2020. Il est grand temps que les assujettis soient récompensés de leurs efforts répétés, tout comme les entrepreneurs qui ne ménagent pas leurs efforts pour surmonter crise après crise. 

En matière de fiscalité des entreprises, justement, le canton de Vaud a joué un rôle moteur dans les réformes fédérales avec la RIE III et la RFFA. Ces dernières ont permis de stimuler l’attractivité de notre tissu économique. Mais rien ne semble décidément acquis, car l’OCDE a décidé, à fin 2021, de mettre en application un taux d’imposition minimal de 15% sur les bénéfices des grandes multinationales. Cette décision va obliger notre pays à faire preuve d’agilité. Le maintien de notre compétitivité dépendra de notre capacité à accompagner les entreprises dans ce contexte nouveau. Le taux d’impôt sur le bénéfice va à l’évidence perdre en importance en tant que facteur de différenciation pour déterminer la localisation de nouvelles activités. Il s’agira désormais de faire la différence sur nos concurrents à travers des conditions-cadres renforcées. Pour nos édiles, l’heure est aussi venue d’innover. 

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Facilitons le recrutement pour les start-up

En manque de talents, les jeunes pousses suisses doivent rechercher de la main-d’œuvre qualifiée hors de nos frontières, et même hors d’Europe. C’est pourquoi les contingents des ressortissants d’Etats tiers doivent être revus. Un visa spécifique se profile. 

Les start-up suisses ont le vent en poupe. L’an dernier, elles ont levé près de trois milliards de francs, soit une performance meilleure que celle de 2019, année record. Ces chiffres réjouissants cachent pourtant une réalité problématique pour ces jeunes entreprises: la difficulté à recruter des talents. En Suisse, la main-d’œuvre qualifiée manque, notamment en raison du fait que ces sociétés naissantes doivent souvent recourir à des profils très particuliers que l’on ne trouve pas dans nos Hautes écoles. Leurs besoins évoluent rapidement au gré de leur développement. 

Le journal «Le Temps» a évoqué dernièrement cette problématique dans ses colonnes à travers un débat organisé par la fondation Inartis, qui promeut l’innovation. L’un des intervenants a plaidé pour une simplification des formalités administratives, suggérant d’introduire un visa spécifique permettant d’engager plus facilement des talents à l’étranger. Un tel sésame permettrait en outre de faciliter le parcours de jeunes diplômés venus d’autres horizons et qui souhaitent demeurer dans notre pays pour y lancer une entreprise. 

L’idée d’un tel visa fait son chemin sous la Coupole fédérale. En mai 2021, le Conseil national a adopté – contre l’avis du Conseil fédéral – une motion déposée par l’ancien conseiller national vaudois Fathi Derder en 2019, par laquelle il demandait que le système actuel de contingents soit remplacé par un système d’immigration plus flexible. Ce texte vise notamment à assouplir le modèle de contingentement concernant les ressortissants d’Etats dits tiers, à savoir hors Union européenne et hors Association européenne de libre-échange. Dans les faits, il s’avère que les grands cantons, comme celui de Vaud, épuisent très vite ces sésames qui sont en nombre insuffisant. 

En lien avec cette problématique, il faut relever que ces permis sont souvent refusés parce que les collaborateurs des start-up ne sont pas payés selon les normes du calculateur statistique de salaires Salarium. Ce dernier ne tient pas compte du paiement en stock options, qui confère au salarié le droit d’acheter l’action d’une entreprise. Dans les faits, ils devraient être considérés comme une partie intégrante du salaire. Cet aspect devra à terme être pris en compte par les autorités. 

Un monde qui bouge

Le dossier des contingents des ressortissants d’Etats tiers se trouve désormais entre les mains du Département fédéral de justice et de police. Il reste à connaître la durée du processus politique permettant la mise en œuvre de cette motion, sachant que chez nos voisins, les choses évoluent rapidement. La France, à titre d’exemple, a mis sur pied l’initiative «French Tech» dans le but d’attirer des talents étrangers. Elle a pour objectif de faire émerger des start-up à succès en s’appuyant sur les initiatives des membres de son écosystème. Présidente du Conseil l’Union européenne ce semestre, la France entend miser sur les start-up européennes pour asseoir une souveraineté numérique sur le continent. Elle a annoncé en février dernier avoir rassemblé plus de 3,5 milliards d’euros à investir dans l’écosystème. 

Devons-nous, en outre craindre la concurrence des talents étrangers? La réponse est non, car les start-up ont besoin de profils très spécifiques que l’on ne trouve pas ici. Notre pays a fondé sa prospérité sur l’ouverture au monde. L’idée ne consiste pas à snober nos étudiants, mais bien à recourir à la main-d’œuvre qualifiée qui nous fait défaut. Il en va de notre compétitivité dans un monde qui bouge à toute vitesse. 

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Un déclassement que l’on souhaite provisoire

La relégation de la Suisse au rang d’Etat tiers dans le programme-cadre de recherche Horizon Europe produit déjà de funestes effets. Des Hautes écoles européennes commencent à débaucher des chercheurs provenant de notre pays. L’hémorragie doit être stoppée. 

Le conflit armé déclenché par Vladimir Poutine contre l’Ukraine monopolise l’attention des médias à juste titre, mais il ne saurait occulter d’autres préoccupations. Au rang de celles-ci figurent les conséquences de l’abandon, par le Conseil fédéral, de l’accord institutionnel avec l’Union européenne (UE). Dans la foulée de cette décision incompréhensible, la Suisse s’est retrouvée déclassée au rang d’Etat tiers dans le programme-cadre de recherche Horizon Europe. Du coup, la coopération avec les 27 Etats membres de l’UE et les 16 autres pays associés est fortement limitée. La Suisse a ainsi perdu son droit de codécision dans les différents comités. 

Cette situation est extrêmement préjudiciable pour notre pays dans la mesure où ce programme dispose d’un budget très conséquent, soit 95,5 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Il couvre par ailleurs tous les domaines de la recherche. Dans la dernière édition, du «Matin dimanche», Yves Flückiger, recteur de l’Université de Genève, constate que cette exclusion produit déjà des effets sur l’emploi dans les grandes écoles de notre pays. Ainsi, une volée de 28 jeunes chercheuses et chercheurs suisses avait été sélectionnée pour bénéficier de bourses juste avant que la Suisse ne soit exclue d’Horizon Europe. Peu après, on leur a fait savoir que s’ils voulaient bénéficier de ce financement, ils devaient s’affilier à une institution sur le territoire de l’UE. Tous ont été courtisés par des Hautes écoles européennes. Un débauchage propre en ordre. Pour le recteur genevois, «nous sommes dans une spirale qui peut amener une détérioration de la qualité de notre formation, de notre recherche, donc de la contribution que nous pouvons amener à la société». 

La recherche universitaire suisse menacée

Une enquête récente du groupe de réflexion Avenir Suisse auprès des Hautes écoles et des universités suisses montre que l’inquiétude monte face à la disparition de cette source importante de fonds tiers. Ainsi, 80% de ces institutions indiquent qu’elles en ressentent déjà les premiers effets négatifs, 88% considèrent que la solution transitoire du Sefri – compensation de ces bourses par la Berne fédérale – ne constitue en rien une solution équivalente, alors que 81% s’attendent à ce que l’absence d’association à ce programme entraîne une détérioration de la recherche universitaire suisse. Il faut rappeler que cette dernière a permis de développer un écosystème de start-up performantes et de doper l’innovation. 

De même, l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux (industrie MEM) a fait savoir lundi par voie de communiqué que le fait de ne pas être associé à Horizon Europe «risque d’affaiblir à moyen terme la force d’innovation de l’industrie suisse». Swissmem exige ainsi du Conseil fédéral de tout entreprendre pour que la Suisse puisse s’associer à ce programme cette année encore.  

L’affaire n’est pas gagnée. Le gouvernement a fait savoir vendredi dernier qu’il écartait définitivement l’accord-cadre au profit de discussions sectorielles. C’est un petit pas dans la bonne direction, mais rien n’indique que cela permettra d’aboutir à un déblocage de la situation actuelle. Comme le dit Yves Flückiger, «c’est à la Suisse de faire un geste vers l’Europe, pas l’inverse.» 

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Familles précarisées: des données lacunaires

Le dispositif PC familles instauré par le Canton il y a dix ans réduirait la précarité des ménages et le recours à l’aide sociale. Les chiffres fournis ne permettent pourtant pas de se faire une idée précise de la situation sur le terrain. C’est regrettable.

Le Conseil d’Etat s’est félicité dernièrement par voie de communiqué que «les prestations complémentaires cantonales pour familles (PC Familles) sont efficaces et ont un impact positif sur le quotidien des ménages concernés». Instauré en 2011 à l’initiative du Canton, ce dispositif aurait permis à de nombreuses familles d’augmenter leur taux d’activité et ainsi leur autonomie financière: 36% des familles sont sorties de tout régime d’aide. En dix ans, un peu plus de 14’000 familles ont bénéficié de ce soutien. Le financement est réparti entre les employeurs, les employés, les communes et l’Etat de Vaud.

Les conclusions de l’évaluation externe menée par deux bureaux de recherche constituent certes une bonne nouvelle, dans la mesure où ces aides permettent à un certain nombre de bénéficiaires de sortir de la spirale de l’aide sociale. Ce bilan quasi dithyrambique souffre toutefois d’un sérieux bémol: les chiffres fournis, lacunaires, ne permettent pas de se faire une vision claire de la situation. Les auteurs du rapport n’ont pas pu répondre aux questions soulevées à ce propos par la CVCI, car il manque des données, ce qui est problématique.

Chiffres peu lisibles

Si le rapport est très complet en ce qui concerne l’évaluation qualitative du régime (soutien aux familles, procédures administratives, coaching, etc.) et sur les coûts, les données sur les raisons de sortie du système PF familles sont peu lisibles. Le chiffre de 36% de sortie n’est pas contesté, mais quelles réalités recouvre-t-il? S’agit-il d’une sortie débouchant sur une réelle indépendance financière, d’une fin du droit aux prestations en raison de l’âge des enfants, ou encore de déménagements hors du Canton? Nul ne peut le savoir.

Par ailleurs, l’augmentation des revenus et du taux d’activité (effet incitatif) doit être à mes yeux relativisée, car il ne ressort pas clairement des chiffres présentés que cette progression en faveur des familles bénéficiaires soit supérieure à celles des familles en général. Autrement dit, faute de données plus précises, il paraît difficile de conclure que l’objectif d’augmentation de l’autonomie financière des familles transitant par les PC familles est atteint.

La question des coûts se pose également: le budget a explosé en dix ans, bien davantage que ce qui avait été avancé lors du lancement du projet. L’augmentation des charges étant reportée sur les employeurs et les employés, il me paraît donc normal que ce rapport montre précisément que cet argent est bien utilisé.

Cette assurance sociale nous a été présentée il y a dix ans comme devant permettre aux gens précarisés et aux accidentés de la vie de se remettre au travail. C’est louable, mais il reste que la communication du Canton ne permet pas de se faire une idée précise de la réussite du projet. Et c’est regrettable.

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Les directions des entreprises se féminisent

La part des femmes dans les sphères dirigeantes des grandes entreprises suisses cotées en bourse est passée de 13 à 19% l’an dernier. Notre pays peut faire encore mieux, sachant que plus de 90% de ces nouvelles cadres supérieures sont des talents provenant des quatre coins du monde.    

L’an dernier, la part des femmes est passée de 13 à 19% dans les directions des entreprises du SMI, qui regroupe les vingt principales valeurs du marché suisse cotées à la Bourse suisse. C’est ce qu’indique une étude du cabinet de recrutement Russell Reynolds Associates. Cette augmentation de six points de pourcentage s’explique par le fait que l’année dernière, 39% des cadres supérieurs nouvellement nommés au sein des entreprises du SMI étaient des femmes. En comparaison internationale, la Suisse a fortement rattrapé son retard et se situe juste derrière l’Allemagne, mais devant les Pays-Bas, l’Espagne et l’Italie. 

 «Il apparaît depuis quelques années que le thème de la diversité jouit d’une priorité élevée dans les entreprises cotées en bourse en Suisse, explique l’auteur de l’étude. Les conseils d’administration et les directions prennent des mesures pour augmenter la proportion de femmes dans les organes de direction. On le constate notamment au fait que l’année dernière, quatre des dix nouvelles nominations étaient des femmes. Cette tendance positive devrait se poursuivre, étant donné que dans neuf ans, le seuil légal de représentation des sexes entrera en vigueur.» Aux premiers rangs des entreprises du SMI, on trouve Partners Group, avec une part de femmes de 38%, Zurich Insurance (36%) et Holcim (30%). 

Internationalisation marquée 

Cette étude nous apprend aussi que les directions des entreprises suisses se sont encore plus largement internationalisées au cours des douze derniers mois. Le magazine «Bilan» relevait en novembre dernier qu’au cours de ces vingt-cinq dernières années, le visage des conseils d’administration des plus grosses sociétés cotées à la Bourse suisse avait profondément changé: «Alors que la part des ressortissants helvétiques approchait les 90% avant le début du nouveau millénaire, elle n’est plus aujourd’hui que de 44% dans les 17 sociétés* du SMI (l’indice des valeurs vedettes en comprend 20)…» 

Pour ce qui concerne les quatorze femmes nouvellement nommées en 2021, une possède la double nationalité suisse et américaine, six sont Américaines, trois viennent de Grande-Bretagne, deux de France, une d’Allemagne et une d’Italie. En d’autres termes, 92% des nouvelles cadres supérieures proviennent de l’étranger. C’est réjouissant dans la mesure où cela montre que notre pays continue d’attirer des talents d’horizons divers, dont l’économie a évidemment besoin. 

Si je salue cet accroissement, il reste encore du chemin à parcourir pour que les femmes cadres de notre pays puissent accéder à des postes dirigeants afin de briser le fameux «plafond de verre». A mon avis, ce n’est ni en instituant des quotas ni des obligations légales supplémentaires que les choses vont évoluer, mais c’est bel et bien par la formation, une fiscalité supportable qui ne décourage pas les couples de travailler, la flexibilisation du travail et des structures d’accueil que les femmes pourront progresser hiérarchiquement au sein des entreprises. 

Leur accession à des fauteuils directoriaux est d’autant plus souhaitable qu’elles disposeront sous peu d’une opportunité de promotion: le monde du travail va, à terme, manquer de personnel en raison du départ programmé à la retraite des baby-boomers, dont un nombre élevé d’hommes occupant des fonctions dirigeantes. C’est donc une évidence: l’économie va avoir besoin des femmes dans un avenir proche, et cela à tous les degrés de la hiérarchie.   

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Le télétravail transfrontalier n’est pas sans obstacles

Le home office, dopé par la pandémie, concerne également les travailleurs frontaliers avec, à la clé, des conséquences sociales et fiscales importantes pour les partenaires sociaux. La fin du « régime d’exception» approchant, de nombreuses difficultés surgissent.

Le bout du tunnel pandémique se profile à en croire les experts. Ce retour à une certaine normalité, sous réserve d’un soubresaut du capricieux Covid, va produire un certain nombre d’effets sur le télétravail, en particulier pour ce qui concerne celui des frontaliers. Le canton de Vaud, qui en occupe plus de 34’000, vivra prochainement la fin du «régime d’exception» qui a prévalu dès les débuts de la crise sanitaire. Pendant cette situation exceptionnelle, la Suisse et ses voisins européens étaient convenus de suspendre l’application de certaines règles. Ainsi, les frontaliers qui travaillaient à distance restaient assujettis au régime suisse de sécurité sociale. En ce qui concerne la France, ce régime est en vigueur jusqu’au 31 mars 2022 (pour l’Allemagne, l’Autriche et le Liechtenstein, jusqu’au 30 juin 2022).

Après cette échéance, la législation ordinaire s’appliquera de nouveau, tant au niveau social et fiscal, ce qui ne va pas manquer de soulever de nombreux problèmes juridiques. En fonction de la part d’activité exercée en télétravail par les employés concernés, ce retour à la normale pourra entraîner un changement d’assujettissement au régime de sécurité sociale, ainsi que du régime d’imposition. C’est pourquoi les organisations économiques romandes, dont la CVCI, ont élaboré un «Guide télétravail transfrontalier» pour y voir plus clair.

Dans «24 heures» de ce lundi, Marco Taddei, responsable romand de l’Union patronale suisse, expliquait que dès le 1er avril, les frontaliers français «seront imposés en France sur le pourcentage de travail effectué à leur domicile, dès la première heure de home office en ce qui concerne les cantons de Fribourg et Genève, qui ne font pas partie d’un accord international avec la France, et au-delà de 20% de télétravail pour les cantons de Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura.»

Loin d’être une simple formalité

On le voit, le home office des frontaliers n’est pas une simple formalité. Le guide précité mentionne les risques encourus par les employeurs à ce propos et contient des recommandations à leur égard dans les cinq domaines suivants: assujettissement aux assurances sociales, aspects fiscaux, tribunal territorialement compétent, droit applicable et protection des données. Il leur est notamment conseillé de limiter le télétravail à la hauteur de 20% de la charge de travail, et d’en fixer les conditions par écrit, par exemple en concluant une convention avec les employés concernés.

Cette situation déjà complexe se double d’un embrouillamini juridique: en cas de télétravail d’un frontalier français à la fin du «régime d’exception», la France pourrait contraindre l’employeur suisse à nommer un représentant en France pour la perception de l’impôt à la source sur le jour de télétravail. Cette nomination est soumise à autorisation des autorités fédérales et, à défaut, tombe sous le coup de l’article 271 du Code pénal suisse, qui réprime les actes exécutés sans droit pour un État étranger. La France, pour le coup, a œuvré sans se soucier de la compatibilité de sa décision avec la législation suisse.

Il est vrai qu’en rompant l’accord-cadre et en portant son choix sur un autre avion de combat que le Rafale, la Suisse a pu fâcher son grand voisin d’outre-Jura…

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Ne renonçons pas aux avancées médicales!

L’interdiction de toute expérimentation animale et humaine, exigée par une initiative, est trop extrême. Tester des médicaments sur des êtres vivants reste indispensable. Grâce à la recherche, nous profitons d’acquis fondamentaux, comme les vaccins.

Chacun d’entre nous a déjà vu ces images d’animaux de laboratoire dans des postures peu enviables. Au-delà de l’émotion que cela peut susciter, il faut admettre que la recherche médicale, en recourant à des expériences sur des rongeurs, par exemple, a permis de doubler l’espérance de vie humaine en un siècle. C’est un acquis fondamental dont tout le monde profite aujourd’hui. Cela nous a permis de développer rapidement des vaccins contre le Covid et de réfléchir à des nouveaux médicaments en cette période de pandémie. C’est la raison pour laquelle je voterai non à l’initiative populaire «Oui à l’interdiction de l’expérimentation animale et humaine – Oui aux approches de recherche qui favorisent la sécurité et le progrès», soumise au vote le 13 février prochain.

Ce texte extrême ne vise pas seulement à interdire l’expérimentation animale et humaine: il entend bannir l’importation et le commerce de tous les produits faisant l’objet de telles pratiques. De ce fait, l’initiative met en danger de manière irresponsable la santé de notre population, en compromettant l’approvisionnement en médicaments vitaux et en privant les patients des dernières avancées scientifiques.

Pratiques bien encadrées

En Suisse, la barbarie dénoncée par les initiants n’a pas cours: les chercheurs sont tenus de réduire au minimum les pratiques expérimentales sur des animaux et d’utiliser des méthodes alternatives lorsque cela est possible. Les essais sur les animaux ne sont menés que s’ils sont indispensables et irremplaçables pour des raisons scientifiques, éthiques et réglementaires. En Suisse, l’expérimentation animale a diminué de 70% depuis les années 1980. De plus, le Conseil fédéral a lancé l’an dernier un nouveau programme de recherche, doté de 20 millions de francs, destiné à réduire encore le nombre de ces expériences. La recherche sur l’être humain, visée elle aussi par l’initiative, est également soumise à des principes et limites éthiques et juridiques. Ce cadre garantit un niveau élevé de protection.

De fait, l’initiative menace clairement d’affaiblir la recherche et l’innovation suisses, remettant ainsi en cause un facteur clé de la prospérité de notre pays. Si ce texte devait être adopté, il ne fait pas de doute que nombre d’entreprises et d’instituts de recherche devraient délocaliser une partie de leurs activités, ou tout bonnement s’expatrier. Les expérimentations dénoncées seraient alors menées dans des pays bien moins soucieux des animaux de laboratoire que le nôtre. A dire d’expert, l’initiative enfreindrait même des traités internationaux, laissant ainsi planer la menace de représailles mettant à mal l’industrie d’exportation suisse.

L’expérimentation animale est un élément clé du développement des médicaments. Des maladies graves ont été pratiquement éradiquées. Les vaccins ont permis de maîtriser de nombreuses maladies infectieuses, comme on l’a vu avec la pandémie de Covid. La recherche sur le cancer a également beaucoup progressé. Au cours des trois dernières décennies, le taux de mortalité des malades cancéreux a ainsi fortement baissé, une évolution à mettre au crédit des essais cliniques. Voulons-nous vraiment renoncer à ces formidables avancées? C’est pourquoi je glisserai un non ferme dans les urnes le 13 février.

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