Les oubliées de jadis

C’est un projet ambitieux qui vient d’être lancé sous l’égide d’une société savante en collaboration avec l’Université de Genève, soit la mise en œuvre de recherches visant à proposer des noms de personnalités féminines de l’histoire genevoise ; une démarche dont le but est de répondre à une demande sociale, sur laquelle il semble inutile de revenir tant elle a été évoquée par la presse, en adoptant une approche scientifique sérieuse et cadrée, et hors de toute suspicion militante risquant de susciter des polémiques.

L’objectif poursuivi est de pouvoir proposer à terme autant de noms de personnalités historiques féminines que masculines aux entités publiques qui baptisent régulièrement de nouveaux espaces publics ; une gageure qu’a relevé un groupe de chercheurs d’une demi-douzaine d’historiens, parmi lesquels des scientifiques reconnus, et de quelques quinze étudiants.

Pour ces derniers qui formeront la relève des historiens professionnels d’ici quelques années, ce projet représente une opportunité de parachever leur formation dans des institutions locales et de travailler sur des documentations riches et variées rarement exploitées. Parmi les institutions retenues pour le moment relevons, notamment, les Archives cantonales et les Archives de la Ville de Genève, bien entendu, mais également les archives conservées par chaque commune, les archives de presse, le département des manuscrits de la BGE, les Archives administratives et patrimoniales de l’Université de Genève, les Archives de la Vie Privée, les Archives contestataires ainsi que les archives d’architectures de Genève.

Les recherches appréhenderont toutes les périodes de notre passé, les seules contraintes demeurant la relation entre la personne et le territoire genevois, les sources à disposition et, à l’évidence, les directives et lois établies par les autorités en la matière.

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.

6 réponses à “Les oubliées de jadis

  1. Moi je suis d’accord avec l’idée de rebaptiser un certain nombre de rues pour honorer des dames du temps jadis. Mais à une condition: qu’on ne le fasse pas au détriment d’hommes qui n’ont pas démérité (d’ailleurs on ne devrait jamais débaptiser une rue pour une raison idéologique). Si on débaptise un chemin des mésanges pour en faire un chemin Jeann Hersch, ça va. Mais si c’est la rue Jean Violette, ça ne va pas.

    Autre chose: on veut rebaptiser la Corraterie rue Elisabeth Baulacre. Je ne suis pas d’accord parce que la Corraterie a une histoire et son nom nous rappelle cette histoire. On peut trouver une autre rue pour honorer cette grande femme d’affaires du XVIIe siècle. La chose qui m’étonne surtout dans cette affaire c’est cette manie des féministes de gauche de sanctifier Eleisabeth Baulacre, alors qu’elles oublient totalement qu’elle était non seulement une femme, ce qui n’est pas un mérite particulier, elle était aussi une grande commerçante et dirigeante d’industrie, ce qui en est un, mais aussi une impitoyable exploiteuse qui réduisait son personnel quasiment au statut d’esclaves. Et là c’est tout de même étonnant que des féministes qui se disent de gauche s’extasient tellement sur elle.

    1. Complètement d’accord avec l’ensemble de vos remarques!
      Le projet se borne à tenter de sortir de l’ombre des femmes ayant joué un rôle dont l’historicité est intéressante. Plusieurs critères ont été établis, etc…
      La démarche est donc purement académique, rien de politique, et ce ne sont pas les historiens qui proposeront de remplacer des noms de rue déjà établis. En revanche, le canton se développe inéluctablement et de nouveaux espaces publics ne cessent d’être créés, des lieux qu’il convient de baptiser.

  2. D’accord avec les remarques de M. Monnier. Le boulevard des Philosophes à Genève s’est vu baptisé “également” boulevard Marie Huber, théologienne. Si on ne creuse pas un peu, on pourrait imaginer qu’une théologienne genevoise “compense” plusieurs philosophes anonymes. Or la dame était surtout philosophe et écrivain, et lisait Platon dans le texte! Remarquée de notre Jean-Jacques national… Ce malhabile combat pour une égalité de façade s’illustre aussi dans une anecdote récente vécue dans une librairie romande: je cherchais tel roman de Simone de Beauvoir au rayon Littérature. 《Ah non! Beauvoir se trouve au rayon Femmes.》 《Mais si Marguerite Duras…? 》《Euh…》Assez des féministes anti-intellectuelles au QI d’écureuil – dont par ailleurs l’argumentation boîteuse n’a pas opéré pour refuser AVS21! Qu’on travaille à distinguer des personnalités dans le domaine public tout en créant de l’emploi et de l’intérêt pour les archives, magnifique! Mais qu’on réfléchisse aux enjeux, scientifiquement.

  3. L’idée exprimée dans votre article semble intéressante. J’imagine et espère bien que parmi la demi-douzaine de personnes engagées dans cette initiative, il y également des femmes, soit des historiennes et des étudiantes, ce dont votre texte ne semble par rendre compte dans sa formulation 🙂

    1. Il y a en l’occurrence une majorité de femmes en effet. Cela étant, il n’y a dans notre démarche aucun positionnement politique, un aspect auquel je tiens tout particulièrement. A titre personnel, je n’ai aucun affect, ni aucun préjugé sur le sujet – tout comme sur les problématiques religieuses d’ailleurs – une particularité que je dois à mon éducation que mes parents m’ont donnée, complètement dépourvue de dimension religieuse et de comportement sexiste. Dès lors, je porte un regard extrêmement froid sur ces questions en adoptant une approche purement analytique, pragmatique et logique. Femme ou homme peu m’importe si le travail de recherche est correctement et objectivement réalisé. Le sexisme tout comme le féminisme sont à mes yeux des objets d’étude, ce qui paraîtra sans doute choquant pour certaines personnes. La recherche que nous avons entamée est toutefois relativement loin de ces passions certes légitimes qui animent la société, et s’attache en fin de compte à un champs d’étude encore largement inexploré; non pas l’histoire des femmes mais les destins de femmes qui ont joué des rôles remarquables ou remarqués à travers le temps. Elles sont en l’occurrence nombreuses, ces vies occultées par la prégnance masculine qui régnait jadis et qui pourtant ont marqué leur temps, ce dans tous les domaines: politique bien entendu pour les dernières décennies, arts, littérature, voyages, sciences, sports, etc… L’idée n’est donc pas de dresser le panthéon des féministes de jadis, mais de mettre en lumière ces femmes que l’histoire a illégitimement oublié.
      La difficulté de prime abord relève des sources qui n’évoquent pas forcément de femmes, ou rarement! Mais s’en tenir à ce constat est une réaction de perdant. Et c’est là toute la tâche de l’historien que d’imaginer des méthodologies et des stratégies de recherches, d’avoir assez d’imagination pour projeter des hypothèses permettant de dépasser les difficultés inhérentes aux sources et de dégager des pistes de recherches, puis d’amasser suffisamment d’informations provenant de différentes origines pour dresser le portrait d’un personnage, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme sois dit en passant. Or, nous avons à Genève de très nombreuses institutions de conservations d’archives, souvent méconnues des historiens, qui permettent d’envisager de très belles perspectives de découvertes en croisant les données. De plus, croiser les regards des historiens professionnels qui ont l’habitude de la recherche et des étudiants inévitablement plus jeunes et pourvus d’une fraîcheur bienvenue multiplie les idées, les référents et les opportunités de recherches. D’ailleurs, les premiers résultats que nous avons obtenu sont plus qu’encourageant.

  4. Pardon, mais s’il faut chercher autant pour en trouver, cela revient à dire qu’il n’en existe que peu, ou pas, de femmes qui méritent cet honneur. D’autant plus, qu’il est écrit nul part que les femmes devraient obligatoirement avoir œuvré à Genève. Il ne s’agit pas d’attribuer un nom comme un trophée pour la valeur intrinsèque d’une personne, mais pour ce qu’elle/il a FAIT pour la société, la science, la littérature, la politique, l’humanité, la musique, la religion, etc. Nous nous sommes pas une bourgade qui devrait réserver les noms des rues à des anciens habitants. Genève est une ville-monde. Simone Veil, 10 ans après son décès par exemple, devrait couronner le nom d’une place publique ou d’une rue à Genève. Pourquoi pas?

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