Coaching : Socrate et la ciguë

Les thuriféraires du coaching se gargarisent du fait qu’il seraient des “Socrate” modernes. Surfant sur des ressemblances trompeuses, ils travestissent leur pratique et trahissent tout un pan de la philosophie, pour mieux vendre un assujettissement des individus.

Sur LinkedIn, un coach présente sa pratique comme reposant notamment sur “les exercices stoïciens” en les “faisant pratiquer par un questionnement (socratique)” au client. Ceci lui serait “très efficace pour qu’il trouve réponse à ses questionnements“. Ce type de référence à la pratique du dialogue socratique, à la maïeutique et au stoïcisme est légion dans le coaching. C’est que ces deux figures philosophiques sont valorisantes. Le problème, c’est que recourir à une telle filiation est non seulement abusif, mais aporétique.

Le métier du coaching existe en fait depuis que des êtres humains ont commencé à se parler, à s’écouter, à s’aider mutuellement, et en commençant à comprendre l’autre comme quelqu’un potentiellement capable de progressivement se prendre en charge et de se développer en agissant… La première théorisation de ce métier remonte à ce qu’on appelle le “dialogue socratique” et, depuis, bien des choses ont changé...” Vincent Lenhardt in Lourdel (2021 : XI)

Ce qui a surtout changé, c’est que l’on peut écrire une telle énormité quasiment sans faire frissonner.

Le recours à l’analogie est un procédé classique du bullshit. En dressant un parallèle entre la pratique du coaching et celle de la philosophie, on laisse entendre qu’il y a une identité entre les deux. On légitime ainsi la première par la seconde.

Le coach ? Un Sophiste

De prime abord, l’analogie avec le dialogue socratique semble pertinente, puisque le coach ne donne pas de solution, mais interroge son client pour qu’il trouve lui-même ses réponses. A l’image de Socrate, le coach accoucherait un esprit lui permettant de trouver sa vérité par le truchement du questionnement systématique. Mais de quelle vérité parle-t-on ? En coaching, la vérité est celle du coaché. Elle est donc relative, locale et spécifique. Le rôle du coach est d’aider le coaché à trouver SA vérité, pas LA vérité.

La pratique de Socrate a une toute autre visée. Socrate en questionnant et en dialoguant ne cherche pas à faire découvrir la vérité au coeur de chacun de ses interlocuteurs, mais LA vérité de sa philosophie, soit ce que l’on a finit par appeler le socratisme ou le platonisme. Socrate accouche bien des esprits, mais d’une seule vérité. Quant aux coachs, s’il fallait les rapprocher d’une école philosophique, ce serait de celle des Sophistes, soit de celle des ennemis jurés de Socrate.

Le coaching un stoïcisme ? Zénon !

L’abus analogique se double d’une contradiction insurmontable, lorsque le coaching fait appel au Stoïcisme.

Comment expliquer qu’une éthique de la résignation et du détachement puisse inspirer un mouvement à la pointe de la culture capitaliste contemporaine ?” Eva Illouz (2022)

Comment en effet sérieusement inscrire la pratique du coaching dans la tradition stoïcienne, sans travestir la première et trahir la seconde ? Réponse ? En bullshitant ! Si le bullshit consiste en une relation distendue, voire souple avec la réalité, alors le coaching comme discipline inspirée de Zénon ou de Marc-Aurèle est un bullshit à jet continu.

La maîtrise des affects par la raison que pratiquent les stoïciens vise à réduire l’emprise que le monde a sur les individus pour l’amener à un état “d’apathie” ou de tranquillité de l’âme. Le stoïcien a pour visée une forme de retrait du monde synonyme de sagesse.

La visée du coaching est toute autre, elle est même totalement antagoniste à celle du stoïcisme. Elle vise à intégrer encore plus le coaché au monde (de l’organisation) en le transformant en “entrepreneur de soi“, en lui permettant de réguler son économie psychique et de développer une véritable “hygiène psychique” (Salman 2021), pour le rendre plus performant et plus “résilient” ou faire de lui un “Leader“.

Voilà le tour de force de l’industrie du coaching : elle fait croire qu’elle est une pratique libératrice, alors qu’elle n’est que le développement de “techniques de soi” profondément favorables à l’organisation moderne qui veut rationaliser les comportements et encadrer les affects.

A ceux qui font aisément profession de maîtres en philosophie” 

Faut-il pour autant en conclure que toute opération de coaching se limite à n’être qu’un exercice d’asservissement ? Les coachs sont-ils condamnés à être les “idiots utiles” du système économique contemporain et des maîtres-bullshiteurs ?

Non.

Délivrée de ses ambitions démesurées, de ses références et de sa rhétorique abusive et vaseuse et plongée dans un bain de modestie et d’autocritique, la pratique du coaching peut être libératrice. Au détour d’un échange entre coach et coaché, il n’est pas exclu qu’une vérité émancipatrice voit le jour. Elle sera d’autant plus précieuse qu’elle sera rare.

Il sera alors temps de jeter nos livres de coaching et d’ouvrir des ouvrages de philosophie.

 

Références :

Hadot, P. Discours et mode de vie philosophique. Paris : Les Belles Lettres

Illouz, E. (2022). “Le Self-Help ou le stoïcisme dévoyé”. Philonomist.com. 2.02.2022

Lourdel, N. (2021). Le coaching. La Plaine St-Denis : AFNOR Editions

Salman. S. (2021). Aux bons soins du capitalisme. Le coaching en entreprise. Paris : SciencesPo les Presses.

 

Christophe Genoud

Après avoir été chercheur, Christophe Genoud est aujourd’hui, manager public, administrateur, consultant en management et organisation et formateur. Avec ce blog, il propose de mener une réflexion sur l’art de conduire des équipes, de décider et d’innover.

Une réponse à “Coaching : Socrate et la ciguë

  1. Très bon article. Les rapports entre philosophie et entreprenariat sont en effet par trop sous-estimés. N’est-il pas de bon ton de rejeter la première comme inutile, voire néfaste (quand elle est assimilée à l’idéologie ou au conditionnement des esprits, entre autres) et le second comme simple émanation du discours “bullshitteur”?

    Pourtant, ne dit-on pas du chef d’entreprise qu’il est un “philosophe en action”? A ce titre, Aristote, déjà promu sociologue des mass media par Roland Barthes, ne serait-il pas le premier philosophe d’entreprise avec sa logique, en particulier sa distinction entre les notions de puissance et d’acte?

    Quant aux “bullshitteurs”, vous avez raison de les ranger dans la catégorie des sophistes, encore que ceux-ci devaient l’efficacité de leur discours à leur culture. Or, on peut avoir de sérieux doutes à cet égard si l’on tient compte du niveau d’illettrisme qu’affiche la grand majorité des enjôleurs à quatre sous. Après tout, na’-t-il pas fallu à Platon, alias Socrate, quarante années d’études pour venir à bout des premiers?

    Le même Platon mettait toutefois en garde ceux qui prenaient trop à la lettre sa pensée, et d’abord sa Cité idéale, dont les rois étaient les philosophes: si, dans l’idéal, le philosophe devait être roi, dans la pratique il fallait bien se garder de lui conférer les pleins pouvoirs. Car alors, gare aux dégâts, prévenait-il. N’en avait-il pas fait l’amère expérience dans son aventure syracusaine, après avoir échoué à convaincre Denis le Tyran d’adopter le plan de sa République?

    Si l’on transpose la Callipolis platonicienne à l’entreprise et le philosophe-roi au chef entrepreneur, n’est-ce pas ce qu’on observe aussi quand un beau rêve finit en cauchemar? A trop avoir pris sa cité radieuse au sérieux, jacobins, nazis, fascistes, communistes et maoïstes n’ont réussi qu’à en produire les tragiques avatars que l’on sait. Faudrait-il leur ajouter aujourd’hui un tsar de carnaval criminel, ex-agent double du KGB et prometteur, lui aussi, de ce qu’Alexandre Zinoviev, qui serait à cette heure-ci en prison, appelait “les lendemains qui sentent”? Car en matière de “bullshit”, le Rambo russe et son maître à penser le patriarche Cyrille le Ciré, l’autre agent double du KGB en chasuble et mitré comme un koulitch, qui occupe un appartement six pièces à Moscou, ne se déplace qu’en limousine blindée, avec gardes du corps, garde un chalet en Suisse, a fait fortune dans le commerce du tabac et entretiendrait une maîtresse, ne sont pas en reste, en matière de “bullshit”. Avec les conséquences que l’on sait, elles aussi. Alexandre Zinoviev ne disait-il pas de la perestroïka, qui a permis à ces deux imposteurs de venir au pouvoir, qu’elle était un parangon de farce stalinienne – comprenons: un modèle de “bullshit”?

    En effet, certains entrepreneurs feraient bien de relire les philosophes, et en particulier Vladimir Yankelevitch (1903-1985). Quand on lui demandait à quoi sert sa discipline, ce philosophe français d’origine russe répondait: “La philosophie, c’est comme l’air, ça ne sert à rien mais on ne peut pas s’en passer”.

    Merci pour votre intéressant article.

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