La gauche américaine: comme on fait son lit, on se disperse.

Hier au centre de Boston, certains employés de Wayfair manifestaient. L’objet de leur colère? Wayfair, qui fabrique des lits, vient de signer un contrat pour environ USD 200’000 avec l’agence gouvernementale qui gère l’accueil des réfugiés sur la frontière sud des Etats-Unis. Il s’agit d’installer des lits dans les camps où sont retenues les personnes sans papiers (notamment des enfants) en attente de connaître leur sort.

Lénine sur Copley Square

Soutenus par toutes sortes de mouvements de gauche plus ou moins extrêmes dont on n’imagine pas qu’ils puissent exister ici (voir plus de photos), des employés de Wayfair ont donc expliqué qu’ils ne souhaitaient pas que leur entreprise fournisse des lits aux réfugiés. Car, pour eux, c’était participer à l’équipement de ce qu’ils appellent des « camps de concentration », reprenant ainsi le motto de l’incontournable autant qu’inénarrable Alexandria Ocasio-Cortez, membre du congrès fraîchement élue, sorte de Rosa Luxemburg des Millenial Socialists adulée des médias qui se l’arrachent.

“esclaves, fils d’esclaves, amérindiens: tous VICTIMES”

« Une prison avec des lits reste une prison » proclamait avec un bon sens incontestable certaines banderoles alors que d’autres n’étaient pas gênés de remonter dans l’histoire : « ce n’est pas à 2016 (date de l’élection de Donald Trump) qu’il faut remonter mais à 1492, le colonialisme ! » s’exclamait membre du Party for Socialism & Liberation qui portait avec fierté ses racines victimaires jusqu’au bout des dreads.

 

 

Un ex-employé gay ayant eu des “difficultés” avec les RH de Wayfair

Au passage, un ex-employé gay expliquait qu’il avait connu des « difficultés » avec les RH de Wayfair…

Anti-réfugiés (encore que leur fournir des lits…) anti-gay… le responsable de la Corporate Social Responsability de Wayfair va passer un été laborieux…

Un peu plus tard, dans la soirée, à l’autre extrémité de la gauche américaine, la gauche caviar, se livrait elle à Miami au premier débat entre les 10 premiers candidats de la liste démocrate (qui en compte 20) pour l’élection présidentielle américaine. Tous les candidats rivalisaient de bons sentiments à l’égard des réfugiés, cela d’autant plus que venait de paraître une photo d’Oscar et Valeria, un réfugié et sa fille retrouvés noyés dans le Rio Grande.

Après avoir dit, à juste titre, à quel point ce type de drame est insoutenable, en anglais et en espagnol, mais en divergeant sur les moyens à mettre en œuvre pour y remédier, il s’est tout de même trouvé un candidat pour s’insurger contre le fait que les enfants retenus à la frontière dormaient … à même le sol, sur le béton.

Comme le rappelait un des camarades dans le débat, on dirait qu’il y a un léger problème dans la gauche américaine entre sa base et ses élites…

L’émergence du journalisme pusillanime

« Du journalisme douanier ! ». C’était l’expression favorite de l’un des mes anciens collègues journalistes pour désigner ces interviews très complaisantes auxquelles se livrent parfois certains membres de la profession. N’ayant aucune idée du dossier, aucun intérêt pour le sujet ou tout simplement pas eu le temps de préparer la rencontre, l’essentiel des questions se résume à « qu’est-ce que vous avez à déclarer ? » D’où l’allusion à nos amis fonctionnaires des frontières. C’est assez cruel mais, somme toute, assez juste.

 

Deux approches distinctes 

On distingue généralement deux approches : l’interview de connivence et celui dit de rupture. Le premier est plutôt utilisé pour de longs entretiens souvent consacrés à l’œuvre d’une vie ou une grande carrière. C’est une approche volontiers biographique qui recherche une certaine complicité avec le sujet. De l’autre côté, l’interview de rupture est tout le contraire. C’est typiquement l’interview politique. Le politicien est là pour défendre ses arguments, le journaliste, en face, est supposé mettre ces arguments à l’épreuve d’un questionnement critique et, bien sûr, documenté. C’est ainsi qu’on obtient, en principe, des débats riches, que l’on approfondit les sujets et que l’on teste la solidité de l’interviewé. C’est du moins ce que l’on apprenait autrefois dans les écoles de journalisme.

 

 

Time et Trump

Le dernier numéro de Time Magazine, fleuron de la presse américaine propriété du milliardaire californien Marc Benioff, est largement consacré à l’interview que lui a accordé le Président Trump le 17 juin. Cette interview a donné lieu à trois traitements principaux dans le magazine. L’interview elle-même est exploitée sous forme de citations dans une long article – une story – qui met les propos de Trump en perspective de sa campagne de réélection dans un récit qui en explore également le dispositif. On a donc un mélange de reportage et d’interview. Le magazine explique aussi le making of de la rencontre et de la photo de couverture où l’on apprend que l’interview a duré 57 minutes (soit 27 de plus que prévu) et que les journalistes de Time étaient… quatre (dont le rédacteur en chef). Jusque-là, rien de bien particulier sinon que Time étant un des médias américains qui ne traitent le sujet Trump qu’à charge, on pouvait éventuellement s’étonner que le Président accepte l’exercice.

 

Une manifestante pro-réfugiés (à Boston cet après-midi) interrogée par les journalistes locaux. “Qu’avez-vous à déclarer ?”

Le fact checking post interview

Mais la surprise vient du troisième angle intitulé : Fact-Checking TIME’s Oval Office Interview With Donald Trump, c’est la rubrique « contrôle des faits ». Ici, on reprend des citations du Président lors de l’interview et on démontre à quel point elles sont plus ou moins conformes à la réalité des faits et des chiffres. Rien à dire sur le principe. En revanche, ne pouvait-on pas s’attendre à ce que ces journalistes (au nombre de quatre, en plus !) connaissent suffisamment bien leur dossier pour contredire le Président sur ces faits imprécis ou faux au moment où ils étaient en face de lui ? Ne peut-on imaginer un peu plus de courage ? Celui qui consiste à interrompre en disant : « je crois que vous vous trompez » et en suscitant une nouvelle réaction ? Celui qui consiste aussi à laisser une chance à l’interviewé d’expliquer – de manière convaincante ou non, le lecteur en jugera – son interprétation des faits ?

S’agit-il de l’évolution post-moderne du journalisme « douanier » : le journalisme pusillanime?

 

Comme sur les réseaux

Ce traitement de Time fait penser à cette courageuse féministe qui l’autre jour s’en prenait sur Facebook à Marie-Hélène Miauton, à la suite de sa prise de position sur la grève des femmes dans le Temps, en expliquant, avec tout le mépris dont sont capables les idéologues de la bien-pensance dominante que, lorsqu’elle sentait ses convictions gauchistes faiblir (…), elle lisait Marie-Hélène Miauton et que du coup, elle se sentait requinquée. Aurait-elle osé ce mépris en direct ? Pas sûr. D’autant plus que ses chances de rivaliser intellectuellement, dans ce qu’on appelle un débat, avec Marie-Hélène Miauton la condamnait sans aucun doute à une humiliation sévère.

Pourquoi Jeff Bezos est indispensable aux millénials

Non pas parce qu’Amazon leur vend le monde sur un plateau mais parce qu’il fournit une vision. Simple et claire, qui donc, a priori, devrait leur plaire… (Il s’agit plus d’un impératif moral que d’une hypothèse. Hélas!)

Jeff Bezos avait cinq ans lorsqu’il a vu en direct à la télévision Neil Armstrong poser son pied sur la lune. C’était le début d’un émerveillement (qu’on est encore quelques survivants à avoir partagé) qui s’est transformé quelques décennies plus tard en vision. Elle s’appelle Blue Origin. « Si j’ai inventé Amazon, c’est pour avoir les moyens de réaliser Blue Origin » dit-il en riant à Caroline Kennedy – la fille de John et Jackie Kennedy devenue ambassadrice – qui l’interroge devant le gratin de Boston réuni dans la fantastique  Library  qui porte le nom de son père.

 

 

L’espace ? notre seule option

Cela se passait mercredi, ici à Boston, en vue des célébrations du 50ème anniversaire de la conquête de la lune. Un lieu hautement symbolique puisque c’est John F. Kennedy qui est à l’origine de cette opération et des immenses progrès scientifiques et technologiques qui ont suivi. Guest Star de la rencontre, Jeff Bezos a une définition du progrès très simple : “je vis mieux que mon grand-père qui vivait mieux que le sien. Mes enfants vivront mieux que moi et leurs enfants mieux qu’eux. C’est ce qu’on appelle le progrès”. Le projet Blue Origin vise à assurer que cette amélioration des conditions de vie puisse continuer. Il en a rappelé les lignes essentielles en partant de son nom : “Blue Origin car notre planète est bleue et unique. On vient de là et il n’y a pas d’autres endroits dans le système solaire où nous puissions aller vivre. Donc aller chercher ailleurs les ressources dont nous aurons besoin, libérer notre planète de ce qui la pollue, en faire une oasis en exportant ce qui la met en danger dans l’espace n’est plus une option. C’est la seule solution”. Il voit parfaitement comment nous pourrons fabriquer nos microprocesseurs quelque part entre la lune et mars et les livrer sur terre lorsqu’ils seront achevés sans avoir coûté un watt d’énergie terrestre ni créé un dé à coudre de CO2. Les livraisons d’Amazon à un niveau cosmique, en quelque sorte !

 

 

La réutilisabilité: la clef du problème

Le problème, c’est que ça n’est pas pour tout de suite : pour réaliser cette étape nécessaire, il faut développer les infrastructures qui permettront ensuite de développer une vraie « économie de l’espace ». Ça rend la chose nettement plus compliquée que de créer, avec génie certes, une société internet dans un dortoir d’université (allusion à son camarade Zuckerberg). Ça va demander beaucoup de moyens, y compris ceux du gouvernement (la NASA en l’occurrence), lâche-t-il avec une sorte de résignation ironique en soulignant le rôle « complexifiant » de la politique. Mais bon, ce sera tellement cher qu’il faudra faire avec. L’essentiel, pour lui, est la question de la « réutilisabilité », un néologisme qui recèle la clef de la prochaine étape de la conquête de l’espace. Si on construit des chefs-d’œuvre de technologie pour qu’ils ne servent qu’une fois et se retrouvent au fond de l’océan, on n’avancera pas et on ne réduira pas les coûts. En revanche, lorsque l’on aura des infrastructures que l’on peut utiliser et réutiliser, alors là, on verra une explosion de sociétés dans le domaine de l’espace comme on l’a vue dans le domaine de l’internet depuis vingt ans. Ensuite, le programme est simple : destination mars tout d’abord, avec escale sur la lune pour y faire le plein (la lune recèle de l’eau congelée. On pourra donc créer des carburants avec l’oxygène et l’hydrogène tirées de cette matière ; un processus vingt-quatre fois moins coûteux en énergie que s’il a lieu sur terre). Ensuite on verra… As simple as that…

 

John Schlossberg, le fils de Caroline Kennedy et le petit-fils de JFK était de la partie

Une vision inspirante 

C’est ainsi qu’au milieu du clan Kennedy, Jeff Bezos a fait rêver des Américains comme l’avait fait JFK il y a plus de cinquante ans. On ne sait pas si tout se réalisera comme il le prévoit mais l’essentiel est la vision. Une vision constructive, positive, enthousiaste, incitante et ambitieuse. Tout l’opposé de celle qui semble dominer chez quelques millénials, bruyants et mal inspirés, qui pensent aujourd’hui qu’ils vont sauver la terre en cultivant des légumes sur leur toit, en interdisant à tour de bras et en cessant de se reproduire, convaincus que le progrès est ce qui fait de l’homme l’incarnation du mal.

Pour être vraiment optimiste, on se prend à rêver qu’avec l’appui des Kennedy dont l’influence politique n’a pas diminué aux Etats-Unis, Jeff Bezos trouve un moyen d’accélérer vraiment les choses. Zuckerberg semblant hors-course pour la Maison Blanche, pourquoi pas Bezos ? Un entrepreneur de l’internet vaudra sans doute bien un magnat de l’immobilier. L’essentiel étant que ce ne soit pas un politique, n’est-ce pas ?