L’initiative Monnaie Pleine rate sa cible

L’objectif de lutte contre la spéculation financière est louable, mais la création monétaire par les banques n’est pas la cause de la crise financière. L’initiative se trompe en pensant avoir trouvé une baguette magique, et la régulation ciblée reste la meilleure option, même si elle reste un exercice difficile.

La régulation financière n’est pas endormie

Il faut rappeler que les diverses instances de régulation financières en Suisse et à l’étranger ne sont pas restées l’arme au pied depuis 2007, bien au contraire. Toute une série de règles prudentielles ont été adoptées et renforcées pour encadrer le secteur. Il suffit de lire les critiques émanant du monde financier pour se rendre compte que ces efforts sont bien loin d’être cosmétiques. Loin d’être en retard, la Suisse est parmi les pays les plus stricts, car vu notre petite taille nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre une crise.

Le travail de régulation financière est compliqué et n’est jamais fini. Il faut constamment suivre les évolutions du secteur et s’y adapter. Nous ne pouvons pas être sûrs à 100 % que tous les problèmes ont été traités. Mais croire qu’il suffit d’instaurer la monnaie pleine pour que tout soit réglé une fois pour toute est illusoire.

La création monétaire par les banques n’a pas causé la crise

Il est tout à fait compréhensible que les gens soient surpris d’apprendre que les pièces et billets ne représentent qu’une partie des moyens de paiements, les dépôts bancaires en constituant la majorité. Mais ceci n’est pas nouveau et est depuis longtemps encadré par une série de règles (par exemple les banques doivent placer une part des dépôts dans des actifs liquides).

La crise de 2007-2008 aux Etats-Unis n’a pas éclaté parmi les banques de dépôt. Nous pouvons scinder les intermédiaires financiers en deux groupes. Les banques de dépôt auprès desquelles les particuliers ont des comptes constituent le premier groupe (par exemple Citigroup ou Bank of America aux Etats-Unis). Le second comprend les autres intermédiaires, dont les banques d’affaires (« investment banks ») qui se financent autrement que par dépôts (par exemple Bear Stearns ou Lehman Brothers), ainsi que toute une palette d’intermédiaires non régulés qui constituent le système financier dit de l’ombre (« shadow banking sector »).

La création monétaire sur laquelle l’initiative se concentre est limitée aux banques de dépôt. Lorsque ma banque m’accorde un prêt elle en verse immédiatement le montant sur mon compte. Je deviens à la fois son débiteur (via le prêt) et son créancier (via mon compte courant). En revanche une telle opération ne se produit pas dans le second groupe. Lorsque Lehman Brothers achetait des actifs elle ne créait pas de nouveau crédit mais achetait des produits existants sur le marché Elle se finançait par des emprunts à court terme auprès d’autres investisseurs. Ses débiteurs et créanciers n’étaient pas les mêmes personnes.

Or c’est bien parmi les banques d’affaires que la crise a éclaté en 2007-2008. Du reste Bear Stearns et Lehman Brothers ont été emportées. Bien entendu cela a entraîné des ondes de choc qui ont affecté les banques de dépôts, mais le cœur du problème n’était pas la création monétaire par ces banques (plus de détails sont donnés en fin d’article).

Le risque ne disparaît pas, il se déplace

L’initiative rendrait les banques de dépôt parfaitement sûres car elles ne détiendraient que de la monnaie de banque centrale. Cette stabilité est cependant trompeuse car le système dans son ensemble ne serait pas renforcé, au contraire.

Les prêts risqués aux entreprises se déplaceraient vers les autres intermédiaires. Cela revient à pousser le risque sur un segment du système financier, qui est beaucoup moins transparent, et le problème que l’on ne voit pas s’avère toujours beaucoup plus explosif que celui que l’on peut suivre. Comme indiqué plus haut, ces intermédiaires moins régulés que les banques peuvent amener une crise majeure. Au final, l’initiative ne ferait que recréer Lehman Brothers.

Il ne faut pas surcharger la BNS

Les initiants placent la Banque Nationale au cœur du système en lui donnant comme tâches supplémentaires de déterminer le volume du crédit et sa composition, et de servir de source de financement pour toutes sortes d’investissements. Cela est problématique pour deux raisons. Certes la BNS fait bien son travail, mais l’octroi de crédit n’est pas son métier. On voit mal comment elle accomplirait cette tâche mieux que les banques actuellement.

En outre l’indépendance nécessaire de la BNS lui est accordée précisément car son mandat est ciblé. Lui donner des tâches supplémentaires affaiblirait son indépendance. Nous pouvons sans peine imaginer le défilé des lobbyistes plaidant que leurs clients sont uniques et vitaux pour la santé économique du pays.

C’est aux pouvoirs publics de soutenir certains secteurs

Les initiants demandent à ce que le crédit soit déterminé par « une commission composée de représentants de l’ensemble des parties prenantes de l’économie », dont la mission serait « d’offrir aux banques la possibilité de faire des prêts additionnels selon les cibles économiques, sociales et environnementales du gouvernement, validées par la commission ».

Pourquoi recréer ce qui existe déjà ? La Confédération et les Cantons sont libres de soutenir financièrement certains secteurs et activités, comme la production d’énergies vertes. Il existe déjà des commissions représentant les parties prenantes : les Chambres Fédérales et les Grands Conseils. Certes le coût de la subvention est alors explicite, et il faut dûment la motiver. Mais dans une démocratie c’est encore heureux.

 

Complément : la crise de 2007

La crise de 2007-2008 a vu une abrupte contraction du crédit, mais sans rapport avec les dépôts bancaires. Le problème s’est produit au niveau des prêts à court terme entre les différents acteurs du système financier. Ceci est clairement illustré par le marché des « commercial papers » qui sont des prêts à court terme. Le graphique ci-dessous montre le volume hebdomadaire des encours entre début 2005 et fin 2009. La ligne rouge est les montants prêtés à des intermédiaires pour financer des investissements dans des titres notamment adossés à l’immobilier. La ligne bleue représente les montants prêtés à d’autres entreprises, certaines dans le secteur financier et d’autres dans l’économie réelle. Le graphique montre on ne peut plus clairement l’effondrement des prêts liés à l’immobilier durant l’été 2007 lorsque le marché a perdu ses illusions sur la santé de l’immobilier. Les crédits aux autres entreprises ont aussi diminué, mais de manière bien plus graduelle, et cette baisse était largement une conséquence de la forte récession, et non pas le détonateur de la crise.

Qu’en a-t-il été des dépôts bancaires ? Ceux-ci sont illustrés dans le second graphique qui montre les volumes hebdomadaires des comptes courants et d’épargne. Là encore les choses sont on ne peut plus claires : loin de chuter les dépôts se sont renforcés. La raison est simple : comme tous les investissements semblaient risqués, les particuliers ont préféré mettre leurs avoirs dans la sécurité des dépôts bancaires. Le coup d’arrêt du crédit en 2007-2008 n’est clairement pas lié aux dépôts dans les banques qui correspondent à la création monétaire tant décriée par les initiants.

The « sovereign money » initiative misses its target

The aim to counter speculation is valuable, but money creation by banks has not been the root cause of the financial crisis. The “sovereign money” initiative on which the Swiss will vote on June 10 errs by thinking that it found a magic wand by requiring that retail deposits in banks be fully backed by reserves held by banks at the central bank. A well targeted regulation of banks remains the best option, even though it is a challenging task.

Financial regulators are not asleep at the wheel

It is important to keep in mind that the regulatory institutions in Switzerland and abroad have not remained passive since 2007, far from it. A broad range of prudential rules have been put in place and strengthened. One only has to read the vocal criticism of these rules coming from the financial sector to understand that they are not mere cosmetic changes. Far from lagging behind Switzerland has been one of the stricter countries, simply because our small size implies that we cannot take the risk of simply waiting for the next crisis.

Financial regulation is a tough job, and one that is never fully completed. Regulators have to constantly track the changes in the environment and adapt to them. We can never be 100 % sure that all problems have been handled. But the view that all it takes to solve the issue once and for all is a move to a sovereign money system is an illusion.

Money creation by banks has not caused the crisis

It is fully understandable that people are surprised to learn that coins and banknotes only make a small part of the means of payment, with the bulk consisting of deposits in banks. But this is nothing new and a set of rules have long been in place to stabilize money creation (for instance banks have to put a share of deposits in liquid assets).

The 2007-2008 crisis in the United States did not originate in deposit-taking banks. We can split financial intermediaries in two groups. Deposit banks where households hold accounts are the first one (including for instance Citogroup or Bank of America). The second group consists of other intermediaries, including investment banks which do not rely on deposits to fund their activities (for instance Bear Stearns or Lehman Brothers), as well as a range of unregulated intermediaries which make the shadow banking sector.

The monetary creation on which the initiative focuses takes place only in deposit banks. When my bank grants me a loan, it immediately puts the money on my checking account. I become both its debtor (via my loan) and its creditor (via my account). By contrast no such operation takes place in the second group. When Lehman Brothers bought a security it did not create new credit but instead bought assets that already existed. The funding came from short-term borrowing from other investors. Therefore the debtors and creditors were different entities.

But it is precisely in investment banks that the crisis originated. This explains why neither Bear Stearns nor Lehman Brothers are still around. Of course the crisis set shock waves that impacted deposit banks, but the heart of the problem was not money creation by these banks (more details are given at the end of this post).

Risk does not disappear, it only moves

The initiative would make deposit banks perfectly safe as they would be restricted to only hold claims on the central banks. This safety is however very misleading because the financial system overall would not be strengthened, to the contrary.

Risky lending to firms would migrate towards other financial intermediaries. This amount to pushing the risk onto a segment of financial markets that is much less transparent, and the problem is that the risk we do not see always ends up making more damage that the risk we can track. As pointed above intermediaries that are less regulated than banks can create a major crisis. Ironically, the initiative would re-create Lehman Brothers.

Do not overburden the central bank

The initiative puts the Swiss National Bank center stage by assigning it the additional task of setting the volume and composition of credit, and to be a funding source for all kinds of investments. This is a bad idea for two reasons. While the SNB does a good job, evaluating and granting credit to firms is not its expertise. It is hard to see how it would do a better job at this than banks currently do.

In addition the independence that is necessary for the SNB is granted to it precisely because its mandate is well targeted. Giving it additional tasks would weaken this independence. We can easily imagine the parade of lobbyists pleading how special and vital their clients are.

Supporting some sectors is the job of the government

The proposal requires that credit be set by a « committee made of representatives from all stakeholders in the economy » [my translation], whose task would be to « offer banks the opportunity to make additional loans along economic, social and environmental targets of the government, validated by the committee» [my translation].

Why reinvent what already exists? The Swiss Condédération and Cantons are free to financially support some sectors and activities, such as the production of green energy. There already are committees representing stakeholders: the Federal and Cantonal Parliaments. Of course the cost of any subsidy is then explicit, and its supporters must motivate why the support is necessary. But in a democracy, this is how it should be done.

 

Appendix: the 2007 crisis

The 2007-2008 crisis saw an abrupt credit crunch, but with no relation with bank deposits. The problem instead was with short term lending between various financial intermediaries. This is clearly illustrated by the short term « commercial paper » lending market. The figure below shows the weekly value of outstanding loans between early 2005 and late 2009. The red line shows the loans to intermediaries investing in securities backed by assets, primarily mortgages. The blue line shows the amounts lent to other firms (financial and non-financial firms). The figure shows very clearly the collapse of asset-backed lending in the summer 2007 when the market lost its illusions on the health of the housing market. Lending to other firms also decreased, but in a less abrupt way, and that decrease was primarily a consequence of the sharp recession, instead of the spark that ignited the crisis.

What about deposits in banks? The second figure shows the weekly values of demand deposits and savings deposits. The picture is again crystal clear: far from collapsing deposits instead increase. The reason is simple: at a time when all investments looked risky, households preferred to put their money in the safety of bank deposits. The credit crunch of 2007-2008 is clearly unrelated to bank deposits, and thus to the money creation by banks that the initiative views as the source of all financial crises.