Revenu de base: attention à l’interprétation des sondages

Les partisans de l'initiative sur le revenu de base inconditionnel affirment que l'impact sur la création de richesse en Suisse serait minime car un sondage montre que seulement 2 % des personnes arrêteraient de travailler (tableau 19). Le résultat du sondage n'est pas surprenant, mais la conclusion qu'en tirent les partisans est erronée.

Le sondage est en effet tout à fait en phase avec ce que nous apprend l'analyse économique standard du choix entre travail et loisir. Ce choix est une simple analyse coût-bénéfice. Le coût d'une heure travaillée est le bien-être que la personne aurait retiré de l'heure de loisir à laquelle elle doit renoncer. Le bénéfice est le salaire perçu, ajusté par le coût de la vie ainsi que le bien-être que le consommateur retire des biens qu'il peut ainsi acquérir. Si nous analysons l'impact du revenu inconditionnel sur ce choix, trois aspects ressortent clairement:

1) la personne n'arrête pas complètement de travailler, car le coût de renoncer à quelques heures de loisirs par semaine est très modique.

2) la personne réduit en revanche son temps de travail, car le revenu de base permet d'acquérir des biens et services sans avoir à travailler autant qu'auparavant.

3) ces effets sont nettement plus prononcés lorsque que le revenu est financé par un impôt sur les salaires ou une TVA qui renchérit le coût de la vie.

En fait les partisans de l'initiative admettent implicitement le point 2) lorsqu'ils soulignent que le revenu de base permettrait de pouvoir vivre sans devoir travailler aussi fortement qu'aujourd'hui, libérant ainsi du temps pour d'autres tâches. Or une telle réduction du temps de travail réduirait la production de richesse dans notre pays (le capital ne pourrait pas s'y substituer suffisamment), et par conséquent la base fiscale sur laquelle il faudrait se reposer pour financer le revenu de base.

Il n'y a donc pas besoin que les gens arrêtent complètement de travailler pour que le revenu de base s'avère coûteux. Une réduction du temps de travail suffit. Et l'analyse économique traditionnelle n'est nullement remise en cause par le sondage des partisans de l'initiative, bien au contraire.

 

Cédric Tille

Cédric Tille est professeur d'économie à l'Institut des IHEID de Genève depuis 2007. Il a auparavant travaillé pendant neuf ans comme économiste chercheur à la Federal Reserve Bank of New York. Il est spécialiste des questions macroéconomiques, en particulier des politiques monétaires et budgétaires et des dimensions internationales comme les flux financiers.