Selon une récente étude de Tom Tom, en 2015 le Genevois a passé en moyenne trente-cinq minutes par jour coincé dans les embouteillages, qui s’ajoutent au temps de trajet. Soit 134 heures par année et par habitant. Logée à la même enseigne, je songe à tous ces cerveaux, tous ces talents, toutes ces personnes attendues quelque part, suivant inlassablement la procession quotidienne vers les mêmes entonnoirs routiers. J’attends le CEVA même si je serai proche de la retraite.
Les ponts des autres villes
Ici et maintenant, coincée dans les embouteillages, je m’efforce de penser à de belles choses. Des voyages par exemple. Bilbao, Londres, Porto, Lisbonne, Paris, Rome, Rio, Dubrovnik, Istanbul, San Francisco…. Il me semble que je ne visite que des villes dotées de ponts, dont certains emblématiques.
Tandis que nous trouvons des raisons pour ne pas en avoir, ailleurs on arrive à faire des ponts qui non contents d’être fonctionnels, sont surtout visités, photographiés, font office d’ «incontournables» de ces villes. Ils créent du lien entre quartiers, accompagnent l’évolution d’une ville et contribuent à son économie. À toute heure du jour et de la nuit, les habitants, pendulaires, visiteurs, touristes, circulent librement d’une rive à l’autre sans restreindre leurs horizons de crainte d’être pris au piège.
Pendant ce temps, la deuxième ville du pays célèbre pour ses bâtisseurs de ponts, tunnels, ascenseurs et téléphériques, se grippe matin et soir. J’avoue que je ne sais plus, au juste, que répondre aux visiteurs qui s’étonnent, se moquent et finissent par perdre patience avec nos histoires de pont.
Les solutions de Zurich, Bilbao, Oresund
Que leur opposer lorsqu’ils font remarquer qu’ailleurs on trouve des solutions à l’échelle d’une génération ? A Zurich, l’effet entonnoir du centre-ville est en partie mitigé par le bac qui, à certains points du lac, prend en charge les voitures. A Bilbao, depuis 1893 le pont transbordeur fait traverser véhicules et piétons d’une berge à l’autre. A Dubrovnik, c’est la guerre d’indépendance qui a perturbé la construction du pont: la paix revenue, il suffi de quelques années pour qu’il voie le jour avec éclat. Pour désengorger les berges du fjord de Kotor (Monténégro) les voitures traversent en bac. Enfin au Danemark le pont Oresund se fait tunnel en plongeant sous terre en pleine mer!
Venise est une des villes les plus complexes et visitées au monde. Son véritable poumon ce ne sont pas les ponts mais les bateaux. Pour € 1, les gondoles publiques relient les rives du canal. A la force des poignets des gondoliers, on circule en préservant tradition et savoir-faire. On tient compte aussi de ceux qui y travaillent et vivent : les « vaporetti » (bateaux publics) relient avec une efficacité impressionnante les quartiers et les îles. Ferries et « motoscafi » (taxis aquatiques) complètent un éventail adapté non seulement au tourisme mais à la réalité des besoins.
Le lac n’est pas la lagune, certes. Il n’en reste pas moins que les Mouettes et les bateaux de la CGN ont un rôle à jouer en répondant encore mieux aux besoins croissants de mobilité des habitants, ce dont aucun touriste ne se plaindra.
Je veux croire que nous sommes au moins aussi visionnaires et créatifs que ceux qui, en Suisse ou ailleurs, ont trouvé des solutions. Je veux croire que nous les consultons et que grâce à ce supplément de recul, Genève peut faire aussi bien, voire mieux. Enfin, je veux croire que ça se fera à l’échelle de ma génération, pour que nous ne soyons pas celle qui a contribué à asphyxier notre ville.