Allaitement et espace public

Me revoilà, un enfant et quelques (quelques seulement…) transformations plus tard. Je ne ferai pas un article sur la réalité brute de la maternité de manière générale, je pense qu’il en existe déjà, bien que chaque expérience soit singulière. Si je me trompe, n’hésitez pas à me le dire en commentaire de cet article.

Je vais profiter de la semaine française de l’allaitement pour me concentrer sur cet aspect particulier de la maternité qu’est l’allaitement. Et plus précisément l’allaitement dans un espace public. Il s’en dit et s’en lit beaucoup à ce propos: des femmes qui ont allaité au musée, dans un café, au restaurant, dans un parc, et pour la plupart cela se passe très bien. Toutefois, certaines doivent faire face à des commentaires acerbes, à des regards intimidants ou jugeants, lorsque ce n’est pas à des agressions physiques (nombre d’articles de faits divers existent à ce sujet) !

C’est un acte pas banal, mais naturel. L’intime et le public s’entrechoquent.

Comment comprendre que certaines personnes ressentent une telle agressivité, un tel rejet, voire un profond dégoût pour ces femmes qui allaitent dans un lieu public ?

C’est un acte pas banal, mais naturel. L’intime et le public s’entrechoquent. La relation entre une mère allaitante et son bébé peut renvoyer à l’observateur une telle fusion, une telle complicité, qu’il peut se sentir exclus et avoir envie d’exclure en retour.

Mais il y a aussi le fait que les seins sont aujourd’hui quasiment exclusivement considérés comme des attributs érotiques. On oublie leur fonction nourricière, qui n’a rien de sexuel. C’est donc non seulement l’intime et le public qui s’entrechoquent, mais l’érotique et le naturel (on pourrait même dire l’essentiel, le physiologique).

Et si le malaise que ressentent certains à la vue d’une femme qui allaite provenait de cette imbrication ?

Vos avis m’intéressent.

Avoir de l’espoir en 2022: une impertinence ?

2022. Le Covid fait place à la guerre en Ukraine et, toujours, la crise climatique subsiste en toile de fond. Peut-on encore oser se projeter dans l’avenir, faire preuve d’optimisme, être heureux ? Peut-on encore exiger de “déjeuner en paix”, comme dans la célèbre chanson de Stephan Eicher ? Ou est-ce faire preuve d’impertinence, voire de déni ?

Je me suis en effet demandé ces derniers temps si j’étais dans le déni. Certes, je me sens impuissante pour ce qui se passe au niveau social et géopolitique, j’ai de l’empathie et de la compassion pour les millions de personnes qui vivent actuellement dans la peur et qui subissent la guerre. Malgré cela, je reste optimiste, j’ai envie de faire des projets d’avenir, je ne me sens pas gouvernée par la peur ou la méfiance vis-à-vis des autorités. Alors je m’interroge. Suis-je inconsciente ? Ou ai-je l’habitude d’être au plus proche de mes angoisses, ce qui me permet de gérer les événements actuels avec plus de recul ?

Comment concilier sa trajectoire individuelle, personnelle, et la trajectoire plus globale d’un groupe social donné ?

Je vois dans ces questionnements une tension entre l’accent mis sur la collectivité d’une part et l’accent mis sur l’individu d’autre part – dans une conception où l’individualisme n’est pas synonyme d’égoïsme ou de refus de l’autorité. Comment concilier sa trajectoire individuelle, personnelle, et la trajectoire plus globale du groupe social  ?

En effet, que ce soit à travers le vécu de la pandémie du Covid, à travers la guerre actuelle que subit l’Ukraine ou à travers la crise climatique/environnementale, la question est de savoir dans quelle mesure nous sommes prêts à sacrifier une part de notre individualisme au profit de la collectivité.

Dans moins de trois mois, je mettrai au monde mon premier enfant. Cela me pousse probablement à privilégier, en cette période précise, un regard tourné vers moi et vers mon monde interne, qui s’attelle à créer une nouvelle vie. Ceci explique peut-être pourquoi je ne suis pas gagnée par l’angoisse ou le désespoir face à la situation sociale, économique et écologique globale dans le monde.

Et vous ? Comment conciliez-vous ces deux pôles ?

L’injonction au lâcher prise

Si vous aussi vous passez du temps en librairie, que ce soit sur place au magasin ou en ligne, peut-être avez-vous été stupéfaits de découvrir à quel point nous sommes la cible de messages contradictoires, d’injonctions paradoxales, d’appels à changer/performer/s’améliorer, tout en devant rester soi-même, être authentique et lâcher prise ?!

Voici quelques captures d’écran des ouvrages que l’on peut trouver sur le site d’une librairie connue (Payot, pour ne pas dire son nom). Je précise que je n’ai évidemment rien à reprocher à Payot mais que j’interroge plutôt les messages qui émanent d’un système sociétal dans lequel nous évoluons.

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Cette injonction au lâcher prise se veut bienveillante et déculpabilisante, certes. Mais peut-on lâcher prise par le biais d’un processus, d’étapes, d’une marche à suivre ? Puisque le lâcher prise vise une acceptation et un moindre besoin de contrôle, comment peut-on y parvenir par le biais de techniques et d’entraînement, alors que l’idée est justement de ne pas devoir réaliser une performance ?

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Article trouvé sur le site du Magazine Elle

 

Et pourquoi lâcher prise ? On parle de lâcher prise face aux situations dans/sur lesquelles nous n’avons pas de contrôle. Ne serait-il pas plus simple d’identifier les éléments de la situation sur lesquels nous pouvons avoir prise, même de façon minime ? Car pour certain-e-s, lâcher prise signifie abandonner, se résigner. Ce peut être aussi la sensation d’être dépossédé de son expérience, de son vécu. “Lâcher prise”, ce n’est pas toujours perçu de façon positive et ce n’est pas l’objectif suprême pour tout le monde.

Au final, ne sommes-nous donc pas seulement passés d’une injonction à l’autre ? De l’injonction du contrôle menant à la réussite à celle nous enjoignant de ne plus viser une réussite à tout prix ? Pourtant, il faut manifestement encore réussir son lâcher prise

Déployer la pensée dans l’urgence psychiatrique

En face de moi, un jeune homme de 20 ans que je reçois dans le cadre d’un suivi de crise. Après son arrivée aux urgences psychiatriques quelques jours plus tôt, un suivi a été mis en place pour l’accompagner dans cette période de vie difficile. Il raconte sa souffrance et la détresse liée au regard que les autres pourraient poser sur lui « s’ils savaient ». Et puis, à un moment de l’entretien, il me dit le plus sérieusement du monde :

– Mais vous, vu que vous êtes psy, vous n’avez pas besoin d’aller vous-même voir un psy !

Ma réponse, qui vous l’imaginez bien lui apprend le contraire, le surprend et le fait réfléchir.

 

Cette autre patiente qui m’explique son scepticisme face à la psychiatrie, sa réserve à venir consulter parce qu’elle n’est « pas folle ».

 

Et puis ce patient de 57 ans qui risque de perdre son travail : sa détresse est telle qu’il a pensé à s’ôter la vie. Sa femme a insisté pour qu’il vienne aux urgences, il ne serait « jamais venu de [lui]-même ».

 

La crise psychique met à mal les croyances des patient-e-s. Les croyances qu’ils ont sur eux-mêmes, sur les autres, sur le monde, sur la psychiatrie. Pourquoi est-ce si difficile de demander de l’aide ? Pourquoi le fait de se débrouiller seul avec ses problèmes est perçu comme plus valorisant – ou moins humiliant – que d’être accompagné pour aller mieux ? Aujourd’hui encore, la psychiatrie est parfois interprétée comme synonyme de folie. Elle inspire peur et méfiance.

C’est sans parler de la psychanalyse, courant théorique et école de pensée de la psychologie et de la psychothérapie, qui subit de nombreuses critiques et qui inspire souvent bien des soupçons quant à son efficacité ! Pour moi, dans ma pensée et ma pratique, l’approche psychanalytique est en grande partie phénoménologique: ce sont les vécus des patients, toujours singuliers, qui m’importent (et qui m’apportent). Comme le dit Bernard Delguste (2021) dans son ouvrage Un divan aux urgences psychiatriques, “accueillir cette dimension subjective irréductible au travers d’une rencontre, rencontre nécessaire comme support thérapeutique, est la tâche du clinicien” [1].

J’essaie de rétablir de la pensée dans l’urgence, dans les réactions, dans les agirs. J’essaie d’ouvrir à des solutions qui ne passent pas nécessairement par des actes.

Dans cette même idée d’urgence, j’éprouve beaucoup d’impuissance en tant que psychologue face au besoin d’immédiateté des patient-e-s, mais aussi face à mon propre besoin d’immédiateté, car je suis moi aussi un être humain et une citoyenne soumise aux mêmes injonctions que les patient-e-s. J’essaie de rétablir de la pensée dans l’urgence, dans les réactions, dans les agirs. J’essaie d’ouvrir à des solutions qui ne passent pas nécessairement par des actes, même si cela est bien-sûr parfois nécessaire (arrêt de travail, médication, etc.). Il faut parfois différer la réponse qu’on peut apporter, la réfléchir ensemble, la coconstruire dans la relation thérapeutique. Tout comme le bébé va construire son espace psychique à travers l’absence momentanée de sa mère qui diffère sa réponse à ses besoins, l’adulte en crise doit pouvoir réintroduire de la pensée et du temps pour comprendre ce qui lui arrive, pourquoi ça lui arrive, et comment il peut retrouver un état d’équilibre. Si la réponse lui est livrée telle quelle, dans l’immédiat, déjà toute faite, alors il y a fort à parier qu’à la prochaine crise dans son existence, le patient repassera par les urgences, en proie à la même détresse, dans un mouvement identique de non-élaboration.

La tâche est ardue : il s’agit d’apprendre à tolérer l’incertitude, la souffrance, l’attente. D’accepter de demander de l’aide, d’accepter une certaine dépendance et une possible régression. Au risque sinon d’y perdre la tête…


[1] Delguste, B. (2021). Un divan aux urgences psychiatriques. Editions Erès.

Ribeau, C., et al. (2005). La phénoménologie: une approche scientifique des expériences vécues. Recherche en soins infirmiers, 81(2), 21-27.