En face de moi, un jeune homme de 20 ans que je reçois dans le cadre d’un suivi de crise. Après son arrivée aux urgences psychiatriques quelques jours plus tôt, un suivi a été mis en place pour l’accompagner dans cette période de vie difficile. Il raconte sa souffrance et la détresse liée au regard que les autres pourraient poser sur lui « s’ils savaient ». Et puis, à un moment de l’entretien, il me dit le plus sérieusement du monde :
– Mais vous, vu que vous êtes psy, vous n’avez pas besoin d’aller vous-même voir un psy !
Ma réponse, qui vous l’imaginez bien lui apprend le contraire, le surprend et le fait réfléchir.
Cette autre patiente qui m’explique son scepticisme face à la psychiatrie, sa réserve à venir consulter parce qu’elle n’est « pas folle ».
Et puis ce patient de 57 ans qui risque de perdre son travail : sa détresse est telle qu’il a pensé à s’ôter la vie. Sa femme a insisté pour qu’il vienne aux urgences, il ne serait « jamais venu de [lui]-même ».
La crise psychique met à mal les croyances des patient-e-s. Les croyances qu’ils ont sur eux-mêmes, sur les autres, sur le monde, sur la psychiatrie. Pourquoi est-ce si difficile de demander de l’aide ? Pourquoi le fait de se débrouiller seul avec ses problèmes est perçu comme plus valorisant – ou moins humiliant – que d’être accompagné pour aller mieux ? Aujourd’hui encore, la psychiatrie est parfois interprétée comme synonyme de folie. Elle inspire peur et méfiance.
C’est sans parler de la psychanalyse, courant théorique et école de pensée de la psychologie et de la psychothérapie, qui subit de nombreuses critiques et qui inspire souvent bien des soupçons quant à son efficacité ! Pour moi, dans ma pensée et ma pratique, l’approche psychanalytique est en grande partie phénoménologique: ce sont les vécus des patients, toujours singuliers, qui m’importent (et qui m’apportent). Comme le dit Bernard Delguste (2021) dans son ouvrage Un divan aux urgences psychiatriques, “accueillir cette dimension subjective irréductible au travers d’une rencontre, rencontre nécessaire comme support thérapeutique, est la tâche du clinicien” [1].
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J’essaie de rétablir de la pensée dans l’urgence, dans les réactions, dans les agirs. J’essaie d’ouvrir à des solutions qui ne passent pas nécessairement par des actes.
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Dans cette même idée d’urgence, j’éprouve beaucoup d’impuissance en tant que psychologue face au besoin d’immédiateté des patient-e-s, mais aussi face à mon propre besoin d’immédiateté, car je suis moi aussi un être humain et une citoyenne soumise aux mêmes injonctions que les patient-e-s. J’essaie de rétablir de la pensée dans l’urgence, dans les réactions, dans les agirs. J’essaie d’ouvrir à des solutions qui ne passent pas nécessairement par des actes, même si cela est bien-sûr parfois nécessaire (arrêt de travail, médication, etc.). Il faut parfois différer la réponse qu’on peut apporter, la réfléchir ensemble, la coconstruire dans la relation thérapeutique. Tout comme le bébé va construire son espace psychique à travers l’absence momentanée de sa mère qui diffère sa réponse à ses besoins, l’adulte en crise doit pouvoir réintroduire de la pensée et du temps pour comprendre ce qui lui arrive, pourquoi ça lui arrive, et comment il peut retrouver un état d’équilibre. Si la réponse lui est livrée telle quelle, dans l’immédiat, déjà toute faite, alors il y a fort à parier qu’à la prochaine crise dans son existence, le patient repassera par les urgences, en proie à la même détresse, dans un mouvement identique de non-élaboration.
La tâche est ardue : il s’agit d’apprendre à tolérer l’incertitude, la souffrance, l’attente. D’accepter de demander de l’aide, d’accepter une certaine dépendance et une possible régression. Au risque sinon d’y perdre la tête…
[1] Delguste, B. (2021). Un divan aux urgences psychiatriques. Editions Erès.
Ribeau, C., et al. (2005). La phénoménologie: une approche scientifique des expériences vécues. Recherche en soins infirmiers, 81(2), 21-27.
comme c’est malheureux de nous faire bégayer patient-e-s dans une lecture qui devrait être fluide. Pédante vous aussi?
Bonjour Monsieur. Si le fait d’inclure les femmes dans la catégorie des patients renvoie à de la pédanterie, alors il faut croire que c’est un trait de personnalité fort répandu. Je peux entendre que ça ne vous convienne pas forcément, mais c’est dommage d’arrêter votre lecture à cela.
Je pose la question sincèrement: plutôt que déployer un soutien psychique onéreux et au résultat incertain, ne vaudrait-il pas mieux les envoyer travailler à la ferme ?
S’occuper des animaux, octroi de responsabilités, dur travail physique mais gratifiant, … levée à 04h30, sans playstation.
Ne sommes-nous pas en train de perdre le bon sens terrien ? Le dur travail physique en extérieur n’est-il pas le meilleur traitement aux problèmes psy ?
Bonjour Madame,
Même si je pense que l’exercice physique et la nature peuvent faire beaucoup de bien moralement, votre proposition équivaut à proposer une tisane d’herbes des Alpes à un malade du cancer.
Par ailleurs, il y a chez les agriculteurs (corps de métier qui correspond au plus près à votre description) un des plus haut taux de suicide. Preuve s’il en était encore besoin que travailler à la ferme et se lever tôt n’est pas un remède aux troubles psychiques, qui sont des maladies. Pas des caprices, ni un manque de volonté.
Bonne lecture:
https://www.campus.de/buecher-campus-verlag/wissenschaft/soziologie/unter_verschluss-16522.html
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