Cachez-moi vos astrolabes! Réponse aux directeurs d’UBS

Aujourd’hui parait dans le Temps une opinion assez cocasse sur laquelle il vaut la peine de s’arrêter. Elle donne avant tout à penser sur ce qu’est une opinion. L’article auquel je fais référence a pour titre “L’avenir de nos retraites pourrait-il venir du Portugal?”. Le titre est attirant puisque, en temps normal, on attend rien du Portugal (n’est-ce pas un de ces pays du Sud qui n’entendent rien en économie? Des affreux paresseux?). Le lecteur est prêt alors à cliquer sur le post pour voir ce qu’ont d’aussi génial, les portugais. Et alors on est bien déçu: personnellement, je m’attendais à trouver une solution réellement innovante et inattendue au problème du financement des retraites. Mais nos bons messieurs d’UBS, deux directeurs qui plus est, n’ont fait que pondre ensemble, de manière un peu fastidieuse, une métaphore saugrenue: l’astrolabe. L’astrolabe nous guide, l’astrolabe est pérenne, l’astrolabe règle les problèmes, l’astrolabe est une solution sûr. D’accord, mais encore? Messieurs, quelle est votre thèse? Elle est simple et décevante: il faudra travailler plus longtemps. Lisons ensemble un passage choisi:

“Le pays a aussi développé pour ses citoyens un modèle socialement acceptable qui a permis avec succès d’assouplir l’âge de la retraite et de le relever progressivement. Ce système a permis d’instaurer un financement pérenne et sécurisé des retraites mais aussi de réduire les dettes publiques implicites.”

J’ai mis en évidence le champ lexical de la quiétude (on dirait presque du Frédérique Lenoir). Relisez ce passage à plusieurs reprises, où simplement les mots en gras: n’a-t-il pas un effet calmant, tranquillisant, une vertu dormitive? Alors? On le veut maintenant leur astrolabe non? “Montrez nous l’astrolabe!”

Ne vous affolez pas trop vite, ce très séduisant astrolabe, malheureusement, ne signifie qu’une seule chose: les vieux casqueront, ils travailleront malgré leur vieillesse. L’argent supplémentaire, c’est eux qui devront le débourser (pas question d’aller le chercher ailleurs, croyez-les, c’est l’Astrolabe qui le dit!). Le fait que l’espérance de vie augmente n’est pas un argument en faveur de l’augmentation de l’âge de la retraite! Ce n’est pas un problème mathématique, mais humain. On ne sera pas plus en forme à septante ans en 2040 qu’en 2020 quand bien même on vivra dans des EMS jusqu’à 110 ans. L’astrolabe n’est qu’un grigri destiné à enfoncer l’idée d’une politique unique, soi-disant nécessaire et de ne pas aller chercher l’argent là où il se trouve et où il s’accumule. Mais, en fait, cher lecteur, tout était dit dans le petit et sournois paragraphe d’en-tête qui souvent martèle l’idéologie de manière plus visible que le corps même du texte:

“Il n’y a plus que certains nostalgiques des lendemains qui chantent à ne pas admettre qu’il va falloir – d’une manière ou d’une autre – relever l’âge de la retraite”.

N’est-ce pas clair? Est-ce qu’il y a de l’espace pour un débat quelconque? Celui qui prônerait une taxation des machines et des grandes fortunes, eh bien, c’est un nostalgique qui, le fou, veut faire chanter les lendemains. Il faut faire comme on dit, mais si vous le faites, alors vous pourrez être rassuré, tout ira bien! Ne sommes nous pas fatigués de leur “pensée”? De leur sempiternelles et fallacieuses idées? De tous leur “proposé par UBS”, “réalisé pour UBS” qui infestent le Temps? Qu’espèrent-ils? Sortir leur astrolabe et nous “guider” en profondeur?

Mais encore une citation pour le pur plaisir littéraire cette fois-ci:

“La nation des navigateurs au long cours pourrait tracer la voie pour les Helvètes aux bras noueux dans la tempête des systèmes de prévoyance”

A quand un “Vingt mille lieues sous les mers” réalisé pour UBS?

 

 

 

 

 

 

Arthur Simondin

Arthur Simondin est un professeur de philosophie à la retraite. Il veut user de ses connaissances et de son expérience d’enseignant afin de promouvoir une vision philosophique de l’actualité. Sa connaissance approfondie de la philosophie grecque et des courants dominants du 20ème siècle lui permet d’éclairer l’actualité et d’en révéler à la fois les structures et leurs significations.

8 réponses à “Cachez-moi vos astrolabes! Réponse aux directeurs d’UBS

  1. Bonjour,
    d’autant que l’espérance de vie “en bonne santé”, elle ne progresse pas, ou très peu. Mais chut, il ne faut pas le dire. Qu’en plus il commence a y avoir des voix contradictoires concernant la méthode de calcul de cette espérance de vie. Mais chut, là aussi il ne faut pas le dire. Et enfin que ce n’est qu’une valeur “moyenne”. C’est à dire qui ne veut pas dire grand chose. Quid des extrêmes? De tous ces gens a qui on va de facto supprimer le “droit à la retraite” du fait de l’allongement de la durée de cotisations, ou de l’âge pour la prendre. Parce que eux, qui font un travail dur, pénible, usant, quand ils vivent jusqu’à 65 ou 70 ans c’est déjà un miracle.

  2. Dans la tempête, nous sommes déjà. Avec les problèmes de climat et d’environnement qui se dégradent, de ressources qui s’épuisent, de l’ubérisation des conditions de travail, des systèmes de santé et de retraite qui cafouillent. La mesure préconisée par ces banquiers UBS est une fuite en avant qui ne résoudra certainement pas les problèmes de ce système devenu comme une gigantesque pyramide de Ponzi. De fait, l’astrolabe est un outil obsolète, le sextant étant bien meilleur pour naviguer. Peut-être faudrait-il raisonner autrement en taxant plutôt le capital que le travail et en allant chercher l’argent là où il est?

  3. Dans la page d’accueil du Temps de ce 28 octobre, l’article journalistique gratuit (pour l’UBS ou Le Temps ?) que vous commentez est complété par un message qui défile en en-tête du journal : « Pour que vous puissiez vous permettre de vivre jusqu’à cent ans et plus – UBS ». Je souhaitais mentionner que si vous doutez de nos forces pour travailler jusqu’à 70 ans, cette banque est prête à nous aider juste après, pour que le fruit de nos efforts ne roule pas de l’assiette au moment où l’on se réjouit de le croquer.

    Un bon investissement est un fruit que l’on cueille à temps, au verger de la banque qui le soigne directement sous la branche au travers des saisons : printemps, été, automne… puis le saisit aux premières neiges pour nous l’offrir bien ferme et rouge. Cette prévoyance juteuse nous permettra quand même de garder nos fruits au milieu de la table dans un beau panier ! Et si vers l’âge de cent ans nous ne sommes plus en mesure de retrouver le dentier caché sous l’oreiller, pas de soucis ! Le goût de la purée acide de l’EMS, posée dans son bol à côté du café sans mousse, nous rappellera les pommes que nous croquions à pleines dents dans notre insouciante jeunesse !

    (À M. Arthur Simondin : Si ce texte qui n’est ni du journalisme, ni de la publicité ne fait pas rire ou agace, vous être libre de ne pas le publier)

  4. “Il n’y a plus que certains nostalgiques des lendemains qui chantent à ne pas admettre qu’il va falloir – d’une manière ou d’une autre – relever l’âge de la retraite”.

    Alexandre Zinoviev aurait dit: “lendemains qui sentent”…

    Quant à l’astrolabe (et même le sextant), UBS, qui préfère sans doute naviguer à vue, ne semble pas encore avoir remarqué qu’aujourd’hui, la navigation se fait par GPS et par satellite. Au fond, la banque enfile les métaphores.

    En attendant, je file. Eux, ils peuvent continuer cette folie sans moi. Je ne marche plus, Je cavale. Non, je ne déserte pas. Mon départ est un repli stratégique.

  5. L’Astrolabe… n’est-ce pas ce navire qui sombra corps et biens? Quelle magnifique métaphore! UBS ne saura jamais nous faire oublier leur (bon) sens du naufrage.
    Cela étant, ce second pilier en détresse est effectivement une désillusion du néolibéralisme. Après avoir rendu les retraits plus difficiles, on parle d’obliger les indépendants à monter dans la barque pour écoper. Si les intermédiaires financier renonçaient à en confisquer près de 30%, ça soulagerait déjà un peu.

    1. L’Astrolabe faisait en effet partie de l’expédition française autour du monde commandée par le comte de La Pérouse, qui fit naufrage en 1788 dans les îles Salomon à la suite d’un cyclone. La Pérouse était un jeune capitaine valeureux, très aimé de ses équipages et de son roi qui le laissa partir non sans beaucoup de réticences au vu des dangers considérables d’un tel périple et alors qu’il venait de se marier. Les banquiers d’UBS ont certainement aussi bien des qualités, mais une tempête climatique ou sociale est hélas un phénomène aussi imprévisible que dévastateur. J’écris cela, car cette histoire présente également un autre parallèle avec notre époque. La disparition de l’expédition affecta beaucoup Louis XVI, qui demanda encore juste avant son exécution en janvier 1793 si “on avait reçu des nouvelles de ce bon Monsieur de La Pérouse?”. Face à la Révolution et à sa propre mort, le roi a sans doute exprimé ainsi ses regrets face à une tragédie et des événements pour lui complètement incompréhensibles et incontrôlables, mais dont il se sentait pourtant responsable. Si jamais notre époque tourne mal, on se demande ainsi ce que trouveront à dire nos “génies des alpages” de l’UBS, qui ne semblent pas comprendre que des mesures d’ordre purement financier sont totalement insuffisantes à elles seules pour maintenir en bonne santé notre civilisation et assurer son avenir.

  6. Mon générateur automatique de textes aléatoires fait une lecture quelque peu à sa tête de la perle que vous citez au bas de votre article:

    ‘Pour une fois la nation des navigateurs aux bras noueux pourrait tracer la voie pour les Helvète au long cours dans la tempête des systèmes de prévoyance’.

    Vingt mille yeux sous les mères surveillent la mer à boire de la pensée UBueSque…

  7. J’avais oublié cette autre perle des subtils rhéteurs d’UBS: “…les baby-boomers de l’après-guerre atteindront l’âge de la retraite au cours des prochaines années.” Né en 1946, je fais donc partie de la génération des baby-boomers et, bien que toujours fauché comme une trombe, suis à la retraite depuis bientôt dix ans. Or, on ne cesse de marteler que les baby-boomers vont bientôt atteindre l’âge de la retraite. Dois-je en conclure que j’ai rajeuni d’une décennie?

    De ma cervelle trouée de flèches, écoutille flottant sur la mer des déconfitures boursières, par les sept pertuis de ma tête ne cesse de rejaillir la sagesse de la Paradeplatz.

    P.S. Dans mon dernier message, à l’avant-dernière ligne, il fallait lire “Helvètes” et non “Helvète”. Merci toutefois de l’avoir posté (ceci me permet d’ajuster mes compas).

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