Moi, les juifs je les déteste

Titre étonnant non? Choquant, n’est-ce pas? C’est tout-à-fait normal. Lorsqu’on affirme détester une catégorie de la population, mais toutefois “sans appeler au meurtre”, cela sent plutôt mauvais. Qui voudrait lire un livre avec ce genre de phrase: “Et si la colère envers les [juifs, femmes, obèses, vieux] était en fait un chemin joyeux et émancipateur lorsqu’elle peut s’exprimer?” ou encore “Moi, les [juifs, femmes, obèses, vieux] je les déteste”. En effet, pourquoi pas faire de la colère et de la détestation d’autrui une randonnée joyeuses vers des jours meilleurs? Exprimer sa colère contre un groupe une une forme de spiritualité libératrice?

La RTS semble adhérer à ce projet, il suffit juste de mettre le bon mot dans ce texte à trou haineux. Pauline Harmange s’en est chargé. Apparemment, “hommes” (en tant que genre) fait tout-à-fait l’affaire et il y a si peu à redire que tout tentative de censure est automatiquement considérée comme un acte isolé d’un vilain fonctionnaire qui veut supprimer la culture. Quant à cette jeune auteur “qui aime les chats et son mari”,  va forcément être “planétaire” tant sa cause est juste…

Si l’on est dans l’air du temps, il n’y a aucun problème à détester profondément une partie de la population. Cela est même beau et bon. Les journaux peuvent ainsi faire leur ode, tout est pour le mieux. On ne se demande à aucun moment si le fonctionnaire en question avait raison: on se contente de le dénigrer, lui qui “ne lit que le titre et la quatrième de couverture”, ah le vilain paresseux! Mais, il n’y a qu’à mettre “femme” ou “juif” à la place d’homme pour comprendre combien tout cela est odieux et absolument injustifiable.

Le vrai problème est le relais journalistique. Qu’une jeune fille déteste les hommes, je peux le comprendre. Qu’un noir déteste les blancs, un chrétien les musulmans, aussi. Je le comprend tout en condamnant, bien sûr. Mais qu’on justifie ces sentiments destructeurs par voie journalistique est impardonnable. Que l’idéologie se répande ainsi l’air de rien a de quoi donner la nausée. La RTS est un anti-journal, si elle ne donne pas comme d’ordinaire dans le sans-fond, elle donne dans le préjugé, le premier qui vient et le plus dangereux, sans le moindre recul.

 

Philippe Nantermod, politicien et sophiste.

Comment ne rien dire dans un article, mais pourtant écrire quelque chose? Demandez à Philippe Nantermod. Son dernier billet, court et précipité, est un bon exemple d’une “pensée” qui parvient à écrire sans l’embarras d’une idée.

Le premier tiers est une note historique semi-comique inutile, laissons. Dans le deuxième, il prétend qu’il existe des gens qui se réjouissent de voir mourir d’autres humains au nom d’une ancienne divinité grecque (candidement, il met même un hyperlien vers Encyclopédie Universalis à propos de Gaïa). Malheureusement, il n’a pas l’air de comprendre qu’il s’agit d’une simple personnification, c’est-à-dire une figure de style, un raccourci langagier (ou bien il fait exprès, et alors c’est un sophiste).

Il poursuit avec le champ lexical habituel du mépris en parlant de manière nuancée de “délire animiste new-age” de misanthropes “extrémistes” et “détestables”. Il est alors évident qu’il s’attaque – ce qui est commun autant que commode – à des gens qui n’existent tout simplement pas (même l’écolo le plus acharné n’a aucun plaisir à voir mourir quelqu’un aux urgences, à le voir agoniser près de sa famille, ni ne jouit en pensant aux “vies emportées” et aux “emplois détruits”). Ça, c’est son délire à lui, un délire aussi réel qu’irresponsable (dangereux même de la part d’un politicien). Faire passer les écologistes pour des dégénérés animistes satisfaits que les hommes meurent, c’est tout de même un peu cheap. Et accuser autrui d’être méchant ou fou est le signe même de l’incompréhension et de la mauvaise foi selon le psychologue Paul Watzlawick. Mr. Nantermod ne fait pas les choses à moitié: pour lui, les écolos sont fous et méchants. Il doit prendre les gens pour des… grands naïfs s’il croit seulement qu’ils mordront l’hameçon en s’exclamant dans leurs cœurs: “Comme ils sont détestables, ces sales écolos! Quelle ivraie qui n’aime pas l’humanité!”.

Le plus drôle, il le réserve élégamment pour la fin (je le mets en gros et en rouge):

“L’humanité a le droit, sans doute le devoir moral, de tout mettre en œuvre pour se préserver de ces fléaux [épidémies, tremblements de terre…]”.

On attend la suite. Quoi? Mettre en œuvre quoi au juste? Eh bien, il ne dit rien. Mais qui ne serait pas d’accord avec sa conclusion? Personne. Il aurait pu finir: “il faut cesser de faire le Mal, et se mettre, c’est notre devoir moral, à faire le Bien!” en rajoutant: “Cela n’est pas bien d’être fou et de se réjouir que son voisin meurt asphyxié”. Cela est désespéramment évident. Personne ne veut s’y opposer. Avec cette méthode, il peut en écrire trois par jour de ses “conférences de conciliation”. Son article au final ne fait que trahir sa haine à l’égard des écologistes. Comme disait Bachelard: on pense nommer les choses et c’est soi-même que l’on nomme.

Conclusion: Article indigne d’un politicien, captieux et sans charité, qui abuse de techniques sophistiques pour enfoncer des portes ouvertes.

Sur l’écriture inclusive et la collapsologie “heureuse”

Collapsologie heureuse – On nous a rapporté que la collapsologie pouvait être heureuse parce que l’on pouvait créer un groupe Facebook avec un titre éponyme. La stratégie est quelque peu surprenante, mais pourquoi pas: “le cancer colorectal heureux”, “le gai anévrisme”, “les joies secrètes de la pollution radioactives suite aux essais nucléaires 500 fois plus polluant que Tchernobyl“… Le “soleil noir” de Hugo me semblait l’oxymore indépassable, là nous avons un bon rival. Peut-être la question devrait être posée à un psychologue, à un bon: suffit-il d’une épithète pour rendre la catastrophe heureuse ? Suffit-il de la voir “sous un bon jour” comme la mort à la fin de la Vie de Brian? Aujourd’hui tout se règle en manipulant les mots sur des clouds: très pratique, peu salissant, politiquement inerte (tout pour plaire à l’homme moderne!). Je vois venir les ads et le pop-up: “La réalité vous effraie? Vous vivez dans la peur? Alors, créez un groupe Facebook!”).

 

L’impossible écriture inclusive – Je m’étonnes d’assister à une telle débauche d’énergie et de passion pour un sujet qui semble aussi superficiel que l’écriture inclusive, pour une pure affaire de “langage” (lorsque l’on sait, par exemple, que douze espèces disparaissent chaque jour). On le sait depuis les années septante: “la langue est fasciste” par essence: pourquoi dois-je genrer chaque chose? Le soleil, la lune, la collapsologie, le retour du réel? Pourquoi devrais-je genrer ces choses qui n’ont pas sexe? Pourquoi le soleil – avec la charge symbolique qu’on lui connaît – devrait-il être un homme? N’est-ce pas injuste envers la femme et envers l’homme?
L’invention d’un neutre – l’équivalent du “das” allemand – ne règlerait aucunement le problème, il ne ferait que le reporter. Il est impossible d’avoir une langue qui ne discrimine pas: l’information est possible, nous disent les linguistes, par la discrimination et la différence. A partir de ce fait, le choix le plus judicieux, à mon sens, serait de féminiser la langue comme les anglo-saxons (leur “she” omniprésent ne pose aucun problème). Une année au féminin, la suivante au masculin, ect. Car il faut avouer que les ” ils-elles”, “crée-e-s” posent des problèmes stylistiques très sérieux (il en va de la lisibilité elle-même).
Et si un “third kind”, un groupe avec un troisième sexe voulait aussi être représenté dans chaque mot, il faudrait inventer une nouvelle spécification (x) : “ils-elles-X”, “crée-e-x-s”. De même pour tous les groupes qui arrivent à avoir assez de pouvoir politique et sociale. La formule serait aisément adaptable: “Ils-elles-X-Y-Z-(N)”, “Crée-e-x-y-z-(n)-s”. Cette preuve par l’absurde ne fait que dire une chose: le langage est fasciste (au niveau de l’information), il est obligé qu’il soit rigide (d’éliminer des possibles) sinon la communication ne serait pas même possible.

Alors, 2020, année féminine?

 

Federer: remarques mêlées sur un “héros”

1.Certains critiques de la culture affirment que Federer n’est pas du tout un héros: il est ce qu’il est (ou il reste ce qu’il reste) seulement par une certaine, comme ils disent, “chance corporelle” (des cartilages particulièrement résistants, un lobe moteur densément connecté, …). Cette chance est évidemment accompagné d’une chance des circonstances (les deux sont nécessaires). Ils poursuivent en affirmant qu’il n’a pas plus de vertu ou de détermination que la plupart d’entre nous: il n’est pas plus moral, fort, significatif que n’importe quelle autre personne. Tout est produit par l’illusion médiatique qui sélectionne et façonne des héros destinés à la consommation intérieur. Est un héros celui sur qui on porte l’attention (médiatique). Ce qui ouvre parallèlement une piste intéressante: fabriquer d’autres héros, plus inattendus, intéressants, prometteurs, surtout plus enthousiasmants, protreptiques. Le choix de nos héros devraient être l’objet d’une attention soutenue et circonspecte : on ne devrait pas transformer en héros un homme qui n’a comme tout regret qu’une balle de match manquée (il faudrait un Comité éthique national/cantonal des Héros).

2. “Federer reste Federer“. Voilà la justification avancée par le Temps pour justifier un couteux et polluant voyage à Dubaï afin d’entendre notre Héros un peu plus d’un quart d’heure. Et Skype? Ne s’agit-il pas “d’aider la planète”? Non. La Présence du Héros est nécessaire, on doit pouvoir contempler son Corps Glorieux (parler de fétiche, ici, est un euphémisme).

3. Plus qu’être des héros, nos sportifs sont des marques ambulantes, de perpétuels “représentants” , des mascottes jusque dans leurs os. Quel message pourraient-ils délivrer au monde qui les regarde? Ce qu’une équipe de communication a préparé pour eux en vue d’un interview, rien de plus. En quoi devrait-il avoir une “conscience”? C’est trop leur demander (leur domaine de compétence est en effet assez restreint). Après tout, il gagne leur pain (et quel pain!) en “tapant dans des balles en caoutchouc” (comme l’affirment les plus aigris des sceptiques).

Ad Nauseam – Lorsque j’entends “vas-y Roger!” un dimanche après-midi, la vue d’un revolver ne m’est pas désagréable.

On veut éradiquer Polanski, non le juger

“On ne détache pas un film de son auteur, comme on ne détache pas un coupable de sa victime”. Merci à Lou Roy-Lecollinet pour ce slogan, assez représentatif du féminisme militant. Mais, où est le raisonnement? Je ne vois qu’une parataxe de deux préjugés passablement idiots. Qu’est-ce qui dit qu’on ne peut pas “détacher” un auteur de son film? En quoi sont-ils attachés? Si c’est dans un sens trivialement causal, cela ne présente aucun intérêt. “Polanski est attaché à J’accuse parce qu’il a fait le film”. Non. L’attachement requis par Lou Roy-Lecollinet est très particulier: le film doit être le reflet/expression/émanation de la nature morale supposée de Polanski. Puisqu’on a préalablement décidé d’en faire un monstre en isolant un acte qui ne peut qu’être le signe d’une inhumanité incurable, d’une bestialité féroce, alors il devient facile de prétendre que ses films (par une sorte de principe bizarre et magique) sont eux aussi monstrueux. Ce dont on ne veut pas par contre, c’est qu’une œuvre puisse être soit une sublimation (ce qui supposerait que le mal puisse devenir un bien), soit une preuve de l’innocence morale de Polanski (“un homme qui fait de si bons films, ne peut pas être coupable”) soit une entité libre/innocente (“elle doit être jugé à partir de ses qualités esthétiques et seulement à partir d’elles”).

 

Évidemment, la stratégie est doublement perverse (monstrueuse?): elle vise à culpabiliser le spectateur et détruire la carrière professionnelle de Polanski (en l’excluant des festivals, en cherchant à interdire les projections…). Dans cette perspective, le spectateur est complice ou pervers, dans tous les cas coupable. Celui qui récompenserait une de ses œuvre “pour elle-même” ou “en vertu de ses caractéristiques intrinsèques” serait traité avec la même intransigeance.

 

Le but “final”, je le crains, est d’éradiquer Polanski qu’il soit conçu comme un homme ou un artiste: car le corolaire au principe de Roy-Lecollinet est le suivant: si on détruit l’accès à l’œuvre (donc l’œuvre), on détruit l’homme. C’est par conséquent une stratégie haineuse (elle veut détruire autrui, pas seulement le combattre ou le juger) qu’il faudrait légalement punir et juger. Que la justice se penche aussi sur cette monstruosité là!

La Suisse comme illusion, la spiritualité, les comités éthiques: courte réponse à M. Neirynck

La Suisse n’existe pas

 

“Qu’est-ce qui peut lier les hommes entre eux?” nous demande M.Neirynck. Si la question se pose à l’échelle d’un pays (la Suisse) on entrevoit mal la réponse. Qu’est-ce qui unifie les Suisses? La démocratie? Le fédéralisme? Les institutions? Mais cette “unité” n’est que formelle et vide; elle considère l’individu comme une entité abstraite, une fiction. Quoi d’autre? Des Mythes? Personne n’y croit plus, personne ne les connait, ne les médite, en fait quoique ce soit (l’Histoire (réel et mythique) n’a de réalité qu’utilisée au présent, que “pratiquée”). La seule liaison crédible est avant tout économique, simplement produite par la prospérité; un mariage d’argent non d’amour. A l’instar des Belges, il suffit que la situation économique se corse pour que notre Suisse vole en (trois) éclats. Si la Suisse existe, elle existe très peu, à peu près comme une énorme illusion, “neutre” et sans saveur particulière. Elle marche, fonctionne; mais il ne faut pas chercher romantiquement “un lien national”. J’affirme cela sans colère ni passion; cette illusion est sans douleur, agréable comme une bonne digestion ou une journée aux bains de Saillon. Celui qui veut se faire croire qu’il y a bien “quelque chose” de vraiment unifiant, il lui incombe de le prouver (et qu’il ne dise pas “Federer” ou “la passion du travail” ou que sais-je encore).

 

Remarque sur l’idée d’une spiritualité laïque

 

Quant aux liens généraux des hommes entre eux, il est sans doute vrai que philosophies et religions, par leur transcendance, ont longtemps unifié nos sociétés. Le fait que la vérité soit hors-sol, établie de manière éternelle était une garantie hégémonique d’objectivité. Cependant, la possibilité d’une “spiritualité laïque” est problématique. Je sais que bien des philosophes contemporains (comme André Comte-Sponville) veulent aller dans ce sens: il suffirait selon eux de contempler un objet très grand (comme l’univers physique) pour développer des sentiments unifiants et spirituels. A mon avis, le “très grand” de l’athée n’est absolument pas satisfaisant (tout au plus, il sera la cause d’un certain sentiment cosmique, celui de voir les choses du point de vue de Sirius; mais son effet s’arrêtera là). La religion (dont le “très grand” est divin et humain) est quelque chose de magnifique et quelque chose qui a coup sûr reviendra sous une forme qu’il nous est difficile de prévoir. Aussi, je ne vois pas pourquoi cette spiritualité devrait être laïque (ce n’est pas parce que nous le sommes présentement que les choses resteront ainsi).

 

Concernant les conseils éthiques

 

Quant aux conseils éthiques, ils sont effectivement des coquilles vides comme le remarque avec courage M. Neirynck. Ils sont vides dans la mesure où ils sont l’agrégation de personne qui ne peuvent s’entendre que superficiellement (un thomiste et un scientiste, qu’on-t-il à dire de commun sur des cas concrets impliquant un témoin de Jehovah, un athée, un homosexuel, un arabe, un fou?). Ils donnent l’illusion d’une objectivité rassurante, autoritaire. Mais sur quoi fondent-ils, individuellement, leur expertise? Leur lecture (telle pile de livres qu’ils prisent particulièrement), leur expérience, leur “génétique”, leurs apriori, leurs lubies, leur préjugés (qui n’en a pas, et qui ne peut, dès lors, donner son avis sur n’importe quel cas et dès lors siéger dans tel ou tel comité?).

M. Neirynck ne peut aller jusqu’à parler de “farce” ou de “théâtre”, ces métaphores ont quelque chose d’un peu belliqueux, elles sont pourtant nécessaires car elles décrivent littéralement ce dont il s’agit. La multiplication des “laboratoires éthiques” ou des laconiques “Labs” (qui peuvent désigner aujourd’hui n’importe quoi autant un think tank qu’un restaurant asiatique Asian Lab) sont de la poudre aux yeux, sans doute nécessaire. Ils aimeraient se substituer à la parole divine, verticale, transcendante, par une multiplicité contingente, variable, sans fondement: on peut constituer une infinité de comités éthiques qui rendront une infinité de jugements différents (ils n’ont en commun que leur puissance rhétorique qui donne à leur parole des airs de nécessité). Tout ce que l’on veut au final c’est l’impression d’objectivité, rien de plus.

Megxit, le Temps, le clitoris: remarques mêlées

Avertissement: “Au «Temps», on donne la parole à ceux qui ne pensent pas comme nous, ce qui peut irriter certains lecteurs“. Ici, la pensée est expérimentale, néo-Wittgensteinienne. Alors s’il te plait, ne t’irrites pas, Ô irascible lecteur!

 

Sur le journalisme

1. Le Temps comme journal de référence. Que faut-il entendre par cette expression? Un journal auquel on devrait se référer? Un journal qui est une référence par rapport à d’autres qui ne le sont pas? Et est-ce qu’on peut se dire “de référence” sans risque de paraître suffisant et fat? Ne faudrait-il pas jouer l’humilité: “le Temps, un journal correct“, “le Temps, un journal tout court“, ” le Temps, un journal parmi d’autres”. Et, dernière question, qu’est-ce qui permet d’évaluer ce caractère d’être une référence? “Parce que l’on suit les règles que l’on s’est astreint, et ces règles sont (les) bonnes” ou bien “parce que nous sommes précisément ce que nous sommes”? Malheureusement, le cercle est irrémédiablement vicieux (il n’y a pas de moyen qu’il ne le soit pas). L’attribution est flatteuse, l’auto-attribution un brin pompeuse.

2. La référentialité n’est jamais une garante de vérité. Le style du journaliste (qui se veut neutre et souvent scolairement antithétique) ne vise toujours qu’à produire, comme l’a dit Roland Barthes, un effet de réel. “Croyez-nous car nous disons bien les choses, comme il se doit”. La confiance dans le journalisme est le fruit de notre éducation, de notre propension à croire ce qui est écrit parce que cela respect une certaine forme: le format du papier, sa texture, le fait d’être distribué tous les matins, une certaine police d’écriture, un certain design et certaines catégories (l’éditorial). C’est une mise en scène rhétorique (au sens noble) en vue de se rendre crédible (la crédibilité est toujours subjective, il n’y a pas une crédibilité qui serait en soi). Mais cela, bien sûr, n’a rien à voir avec “la vérité”. Le journaliste est toujours et irrémédiablement un écrivain (pour le meilleur et pour le pire) qui pratique un certain genre.

3. Avant de couvrir l’extrême futilité (du Megxit par exemple), il faut se poser les bonnes questions: est-ce que le Brexit (censé être un sujet très sérieux et important) ne risque-t-il pas de devenir aussi futile et cela énormément? Toute information ne devient-elle pas du coup et dangereusement une sorte de ragot? Et le journaliste ne devient-il pas une bête monstrueuse: à la fois reporter, paparazzi, partisan et conteur. Parfois, si l’on veut garder intact sa “référentialité” peut-être vaut-il mieux ne pas parler de certains choses, ne pas se laisser tenter… La question éthique pour le journaliste étant: que doit-on raconter?

4. La royauté anglaise est une série TV in vivo: on y croit alors que tout est feint, on admire alors que tout est payé par l’impôt, on envie alors que tout est faux et falsifiée. Seul le “respect” des journalistes lui donne une existence qui paraît réel. Il est très possible que beaucoup de prétendues “réalités” n’existent que par la forme journalistique (ici, ce n’est qu’un exemple, cherchez en d’autres). Il faudrait plus généralement se demander à quel point le journalisme est d’abord une mise en scène, un art. On gagnerait certainement beaucoup à penser ainsi.

 

Encore des remarques mêlées

5. On ne peut pas parler d’un humanisme des entreprises comme Swisscom, Salt, Sunrise et cie. Ce n’est pas l’homme qui passe d’abord, mais la rentabilité d’une tautologie: “s’il y a des nouvelles antennes plus puissantes, alors il faut les installer”. De l’existence, il découle le devoir. Si la technologie permet de le faire plus vite, il faut le faire plus vite (ce que l’on nomme technocratie). Le problème, c’est à la fois le vide de cette injonction et son manque de fondation (en plus de son inanité face à des considérations comme la santé). Il est clair que la seule fondation possible est l’argent, mais l’argent, en vue de quoi? D’acheter de nouvelles antennes en vue d’avoir plus d’argent. Tel est le double vide qui anime un bon nombre d’entreprises. Leur stratégie réussit dans la mesure où nous regardons ailleurs et nous laissons convaincre par des arguments creux. Si nous n’y pensons pas et si nous sommes sans idéaux, alors nous sommes facilement séduits et contaminés. La santé, c’est avant tout avoir un idéal, quelque chose à quoi (se) tenir au-dessus du vide (de l’argent, de la technologie, du progrès).
Il se peut aussi que nous ayons fini par préférer la vitesse d’une connexion à la santé de notre corps; avec une telle modernité rien n’est impossible.

6. La nouvelle remarque des vendeurs d’Interdiscount lorsque l’on sort un sac en tissu: “Ah ça, ça fait du bien à la planète!”, “Joli geste pour les générations futures!”, “la nature vous remerciera!”. Et de se dire intérieurement ” Oui! Aujourd’hui j’ai fait quelque chose pour la planète“. Si ce genre de comédie permet de dissoudre “la culpabilité ambiante”, le problème est encore plus grave que je le pensais. “Du Biodiesel? Quel beau geste! Quelle grandeur d’âme!”, “Une batterie en Lithium dans une Porsche? Que ne faites-vous pas pour les générations futures!”, “Taxer les billets d’avions? Quelle audace! Enfin, l’humanité est devenu grande!“.

7. Dans le Vigousse de cette semaine, on se plaint sous couvert d’une habituelle ironie des animaux morts dans les incendies en Australie. Et une page plus loin, une publicité pour une boucherie mettant en scène des bœufs vivants, à table, mangeant des steaks… Le rire aussi a ses limites et ses contradictions. “La déconnade oui, mais il faut bien vivre…”.

Une dernière pensée – Une fois le clitoris connu (puisqu’il l’est si peu selon les journaux), je me demande quel sera le prochain organe le plus oublié de l’histoire, le prochain qui sera à la mode. A votre avis? Non, non! ne dites rien!

Est-il possible de rendre désirable le changement?

Il semble qu’un des grands objectifs de notre époque est de rendre désirable un changement de vie pourtant radical. Maints éditorialistes et blogueurs en tout genre disent la même chose: il faut rendre désirable la décroissance/le changement. Mais comment, je leur demande, fait-on une telle chose? La plupart d’entre eux ont eu suffisamment de lucidité pour remarquer qu’il ne suffit aucunement d’interdire, de prescrire, d’obliger, de culpabiliser. Les mangeurs de foie gras, les collectionneurs de motos ne veulent pas qu’on légifère brutalement sur leur consommation de foie gras et sur le nombre de motos qu’ils peuvent acheter. Ce moyen n’est bon qu’à stimuler leur souverain désir de liberté individuelle, ils sont alors réellement prêt à se “battre” pour garder leur sainte liberté de collectionner des motos ou que sais-je.

Alors comment faire? Comment rendre désirable le non-Iphone à quelqu’un qui se réjouit, bien qu’il vienne d’acheter le 11, d’acheter l’Iphone 12, voir le 13? Comment le sevrer? Comment rendre réjouissant le fait de ne pas avoir de nouveau Iphone? C’est là que le bât blesse. Personne ne sait vraiment comment faire. Car il y a une question encore plus dangereuse: que faire du désir ainsi libéré? Va-t-il simplement disparaître ou bien se dirigera-t-il vers autre chose? Vers quoi au juste?

Si on ne peut forcer, on ne peut pas non plus attendre que les fous de la tablette se dégoutent des nouveaux gadgets, qu’ils se lassent tout simplement de la consommation. “L’innovation” est si forte et si valorisée qu’elle n’est pas prête de dégouter, ni d’être abandonnée. Alors une nouvelle question surgit: faut-il une guerre? Une vraie, mais intestine? Faut-il malgré tout faire le forcing et être prêt à combattre les mangeurs de foie gras chevauchant leur motos anciennes? Mad Max, version helvétique? Sans doute, il y aura de la violence à un moment ou à un autre. On croit naïvement, qu’en Suisse, on entendra plus jamais parler de violence (mais qui dit, même si la probabilité est assez faible, que les membres d’Extinction Rebellion ne se mettront pas à casser du mangeur de foie gras, et vice-versa? Il suffit d’un peu moins de “prospérité” pour que tout foute le camp, surtout notre très vénéré sens du “compromis”). Qui vivra verra.

“Mais, sérieusement, il doit bien y avoir un moyen de rendre désirable le changement tout de même!?“. Ma solution? Elle est d’une naïveté affligeante, à en être gênante: il faut tenter d’oublier notre désir, donc restreindre les stimulations et orienter notre libido vers ce qui ne pollue pas, n’asservit pas autrui, et ne vole pas notre travail; j’entends la culture. Plutôt que de consommer et en tirer du plaisir, être plus créatif sur sa propre substance mentale; apprendre toujours et se parfaire. La progression spirituelle est bien plus valorisante et jubilatoire que le dernier Samsung Galaxy. Devenir soi-même, jouir de sa liberté en refusant les sollicitations incessantes, devenir un iconoclaste, un rebelle, etc. Devenir à soi-même son œuvre d’art, tâcher de ne pas être une énième copie se réjouissant toujours des mêmes bagatelles. Bref, “sculpter sa propre statue”.

Cette solution, bien que désespérément vraie – c’est la seule envisageable  – est naïve: on ne voit pas du tout comment on peut faire avaler ça au bourgeois standard qui collectionne ses motos, veut aller en vacances à New York, faire le tour du monde, acheter des kärcher, des Apple-Watch, des playstation 5, des voitures électriques, etc, etc, etc. Il crachera sur cette “spiritualité” néo-babaifiante (qui ne l’aide ni à réparer ses motos, ni à assortir son foie) ou bien il voudra l’acheter sur la catalogue d’Amazon, quelques livres de Deepack Chopra ou Lenoir ou Onfray… Le bourgeois est avant tout une catégorie spirituelle mais aussi le problème fondamental de notre temps. Comment passer de la race du bourgeois à quelque chose de plus équilibré, de plus fin, raffiné, maitrisé? est la seule question à laquelle nous devrions consacrer notre énergie.

On est simplement revenu à la case départ. “Le monde va mal? Eh bien, devenez sage!” Oui, mais, par où commencer? Les désirs sont si forts, si autoritaires! On ne le contraint pas d’un coup de baguette magique! Pourtant c’est eux qui nous mèneront au désastre (on le sait tous obscurément), nos désirs, qu’on pense détenir alors que ce sont eux qui nous détiennent. Les Jolliens et les Lenoir font un travail de dingue pour calmer le jeu, mais c’est une goutte d’eau dans la mer…

Il y a peut-être une solution suggérée par le vieux philosophe qui vous parle: tâcher soi-même de calmer le jeu en riant de ses propres désirs. Oui, le rire. C’est peut-être l’exercice spirituel le plus intelligent et le plus accessible: se voir de haut, se voir en train de désirer la dernière niaiserie up-to-date, et rire de soi. Se voir en train de déballer religieusement son nouveau Kärcher K5, son Apple Watch, sa moto, son paquet de foie gras (la liste est arbitraire, faites en une pour vous-même!) et se moquer de soi-même. Puis tout oublier. Se rendre compte qu’on était encore un enfant. Mais que tout est passé, et lire un bon bouquin ou en pondre un, ou écrire une chanson rieuse, se mettre au sport, inviter des amis et parler philosophie, regarder un vieux Woody Allen sur une vieille télé, s’enivrer, poétiser, moins travailler, aiguiser son esprit par l’étude, apprendre une langue inutile, calligraphier, lutter, se promener, jouer avec son chien, jouer du saxophone, désobéir civiquement, s’enivrer encore un peu, ne plus lire les journaux, rire de ce que l’on est devenu, méditer sur ses désirs, ses amours, ses haines, ralentir le temps, devenir une amibe pensante, penser à la mort, à l’instant, refondre son mental lentement, crier par les fenêtres comme dans le film Network, s’enivrer, boxer un mur, vendre ses bien et vivre comme un ronin, rire de plus en plus, de tout, jubiler, s’habiller en femme (ou en homme), prendre conscience que l’on est rien, que l’on sait rien sur soi, ni sur les autres, puis, s’enivrer…

Bref, tâchez de changer et by the way de vous en payer une bonne tranche !

 

 

 

 

 

 

 

Cachez-moi vos astrolabes! Réponse aux directeurs d’UBS

Aujourd’hui parait dans le Temps une opinion assez cocasse sur laquelle il vaut la peine de s’arrêter. Elle donne avant tout à penser sur ce qu’est une opinion. L’article auquel je fais référence a pour titre “L’avenir de nos retraites pourrait-il venir du Portugal?”. Le titre est attirant puisque, en temps normal, on attend rien du Portugal (n’est-ce pas un de ces pays du Sud qui n’entendent rien en économie? Des affreux paresseux?). Le lecteur est prêt alors à cliquer sur le post pour voir ce qu’ont d’aussi génial, les portugais. Et alors on est bien déçu: personnellement, je m’attendais à trouver une solution réellement innovante et inattendue au problème du financement des retraites. Mais nos bons messieurs d’UBS, deux directeurs qui plus est, n’ont fait que pondre ensemble, de manière un peu fastidieuse, une métaphore saugrenue: l’astrolabe. L’astrolabe nous guide, l’astrolabe est pérenne, l’astrolabe règle les problèmes, l’astrolabe est une solution sûr. D’accord, mais encore? Messieurs, quelle est votre thèse? Elle est simple et décevante: il faudra travailler plus longtemps. Lisons ensemble un passage choisi:

“Le pays a aussi développé pour ses citoyens un modèle socialement acceptable qui a permis avec succès d’assouplir l’âge de la retraite et de le relever progressivement. Ce système a permis d’instaurer un financement pérenne et sécurisé des retraites mais aussi de réduire les dettes publiques implicites.”

J’ai mis en évidence le champ lexical de la quiétude (on dirait presque du Frédérique Lenoir). Relisez ce passage à plusieurs reprises, où simplement les mots en gras: n’a-t-il pas un effet calmant, tranquillisant, une vertu dormitive? Alors? On le veut maintenant leur astrolabe non? “Montrez nous l’astrolabe!”

Ne vous affolez pas trop vite, ce très séduisant astrolabe, malheureusement, ne signifie qu’une seule chose: les vieux casqueront, ils travailleront malgré leur vieillesse. L’argent supplémentaire, c’est eux qui devront le débourser (pas question d’aller le chercher ailleurs, croyez-les, c’est l’Astrolabe qui le dit!). Le fait que l’espérance de vie augmente n’est pas un argument en faveur de l’augmentation de l’âge de la retraite! Ce n’est pas un problème mathématique, mais humain. On ne sera pas plus en forme à septante ans en 2040 qu’en 2020 quand bien même on vivra dans des EMS jusqu’à 110 ans. L’astrolabe n’est qu’un grigri destiné à enfoncer l’idée d’une politique unique, soi-disant nécessaire et de ne pas aller chercher l’argent là où il se trouve et où il s’accumule. Mais, en fait, cher lecteur, tout était dit dans le petit et sournois paragraphe d’en-tête qui souvent martèle l’idéologie de manière plus visible que le corps même du texte:

“Il n’y a plus que certains nostalgiques des lendemains qui chantent à ne pas admettre qu’il va falloir – d’une manière ou d’une autre – relever l’âge de la retraite”.

N’est-ce pas clair? Est-ce qu’il y a de l’espace pour un débat quelconque? Celui qui prônerait une taxation des machines et des grandes fortunes, eh bien, c’est un nostalgique qui, le fou, veut faire chanter les lendemains. Il faut faire comme on dit, mais si vous le faites, alors vous pourrez être rassuré, tout ira bien! Ne sommes nous pas fatigués de leur “pensée”? De leur sempiternelles et fallacieuses idées? De tous leur “proposé par UBS”, “réalisé pour UBS” qui infestent le Temps? Qu’espèrent-ils? Sortir leur astrolabe et nous “guider” en profondeur?

Mais encore une citation pour le pur plaisir littéraire cette fois-ci:

“La nation des navigateurs au long cours pourrait tracer la voie pour les Helvètes aux bras noueux dans la tempête des systèmes de prévoyance”

A quand un “Vingt mille lieues sous les mers” réalisé pour UBS?

 

 

 

 

 

 

IPhone 12: bientôt des suppositoires connectés?

Je vous écris car je suis déçu. Alors que l’automne approche et avec lui une langueur monotone, j’avais, comme antidote, quelque chose dans le cœur qui me donnait envie, tout de même et malgré la saison, de me réjouir (ne faut-il pas constamment de ces petites choses qui nous font vivre en nous réjouissant ?). Je savais que l’IPhone 11 allait sortir et je trépignais d’impatience. Mais à l’instar du Temps, je suis parfaitement déçu du manque d’innovation qui frappe Apple. De quel quoi droit espère-t-elle nous tromper grossièrement en multipliant les objectifs (maintenant trois) en pensant que cela nous donnera l’envie de consommer ? Franchement, à vous, ça vous donne l’envie de consommer ? Est-ce qu’il y a quelque part en vous un petit désir-de-IPhone-a-triple-objectifs ? Est-ce que pour vous ça a marché, vous l’avez, le désir, le picotement ?

On était quand même en droit d’espérer mieux ! Je ne sais pas, quelque chose de pliable ou de plus fin ou avec des hologrammes. Des IPhones qui seraient aussi des boomerangs et des frisbees, des IPhones qui permettraient de ramasser les déjections de nos chiens lorsqu’on les promène, quelque chose de véritablement innovant. Mais non : trois objectifs, c’est tout. Je comprends donc la triste langueur de Anouch Seydtaghia dans son article dont la fin est un crève-cœur : « A noter enfin qu’une nouvelle montre et un nouvel iPad ont été annoncés mardi soir lors d’une conférence sans surprise ». Mr. Seydtaghia l’a bien senti, il n’y a pas de surprise. On n’est pas surpris du tout, les trois objectifs ne sont absolument pas quelque chose de surprenant. J’aurais été partiellement satisfait si 1) on aurait pu plier le IPhone dans tous les sens (par exemple pour amuser des enfants) ou 2) s’il avait été fait dans un matériau inattendu, mou si possible. Or, sachez qu’on ne pourra pas encore le plier, ni le déplier, ni le faire grandir, ni lui faire cracher des hologrammes ! Trois objectifs, c’est tout. Notons que Le Temps fait fausse route en se plaignant du manque d’innovation ; il se plaint de choses assez triviales comme le manque de la 5G, de la connectivité, etc. Mais à quand le « Suppositoire Connect Ultra » qui permettra, par le jeu invisible de notre rectum, de guider nos applications sans nos mains ? Face aux « innovants », il ne faut pas hésiter à demander la lune et ne pas se contenter de maigres objectifs.

Le point plus sérieux, philosophique dans tout ça est le suivant : on parle d’”innovations” alors qu’en fait il n’y a rien qui puisse être qualifié de « nouveauté ». Le manque d’imagination de ces entreprises donne froid dans le dos. Le mot n’a simplement plus de sens ; tout à chacun parle d’« innovations » et d’ « innovants », il y en a partout, bientôt plus que les communicants. Mais qu’est-ce qu’innover réellement ? Rajouter des objectifs, rendre plus plat les choses ? les rendre pliables ? Tout ceci est une farce énorme qui nous englobe tous et ne laisse rien intact : tout est souillé, nos désirs comme la valeur de nos mots. On a aujourd’hui du respect pour Tim Cook et l’on se réjouit de la 5G et – on l’espère ! – de l’IPhone 12 qui sera, lui, très, mais alors très innovant ! Que sommes-nous devenus ? Qu’est-ce que l’on peut faire avec une humanité pareille ?  L’avenir nous le dira !