Des bienfaits du tourisme

Toute personne ayant visité un lieu un tant soit peu touristique en Europe cet été aura sans doute remarqué le nombre impressionnant de touristes chinois. L’afflux est peut-être encore plus impressionnant ici à Tokyo. On trouve d’innombrables touristes du Royaume du Milieu dans les musées et temples de la ville, et encore plus dans les quartiers commerciaux. La frénésie des achats de ces visiteurs est telle que les médias japonais ont inventé une nouvelle expression en son honneur, bakukai, soit « explo-shopping ». Une petite ballade à Tokyo permet vite de comprendre pourquoi.

Dans le quartier de divertissement et de shopping de Shinjuku, où je réside, les visiteurs du Royaume du Milieu envahissent les magasins de produits électriques et ménagers, les dévalisant de leurs appareils domestiques et autres que les Japonais savent fabriquer mieux que tout autre. Les Chinois ont même canonisé certains objets, leur accordant le statut de « quatre trésors du Japon » : les cuiseurs de riz, les toilettes électroniques, les thermos isolants et les couteaux en céramique. Pendant ce temps, à Ginza, le quartier des boutiques chics, des tours spécialement organisés emmènent d’abord les clients dans des magasins de bagages pour acheter de grandes valises avant d’entamer une tournée des grandes surfaces où celles-ci sont vite remplies.

 

Aubaine économique…

L’afflux des touristes chinois présente une source de revenus bienvenue pour l’économie japonaise qui ne se porte pas beaucoup mieux que celle des grands pays européens.  Pour cela, le pays doit d’abord remercier le développement et la libéralisation (relative) de son voisin. L’explosion du tourisme chinois est effet d’abord dû à des facteurs bien connus, notamment la croissance fulgurante de la classe moyenne urbaine et consommatrice, alliée à l’assouplissement des restrictions sur les voyages à l’étranger jadis imposées par le gouvernement. Le Japon a reçu un coup de pouce supplémentaire sous la forme de la faiblesse du yen, qui rend un voyage (et le shopping) ici d’autant plus abordable.

Tous les commerces ont dû s’adapter à cette nouvelle foule de visiteurs. Presque tous les restaurants de Shinjuku ont maintenant un ou plusieurs employés chinois pour guider leurs compatriotes dans l’utilisation des machines à coupon repas dont sont affublés beaucoup d’établissements, tandis que mes camarades de classe venus de Taiwan ou du continent reçoivent d’innombrables offres de jobs d’étudiant dans les grands magasins comme aides aux consommateurs. L’effort en vaut la peine, et les affaires n’ont pour beaucoup jamais été meilleures.

 

Et influence positive

Les bénéfices pour le Japon du boom du tourisme chinois ne sont pas uniquement économiques. Peut-être plus important encore, les touristes du continent ramènent chez eux non seulement des appareils ménagers en tout genre, mais également de bons souvenirs qui contribuent à améliorer en Chine l’image du Japon. Dû à « l’éducation patriotique » et aux médias qui maintiennent et renforcent dans la population du Royaume du Milieu les souvenirs douloureux de l’invasion japonaise durant la Seconde Guerre Mondiale, et dû également aux disputes répétées autour de ces questions historiques et des îles Senkaku (Diaoyu en mandarin), près de 90% des Chinois affirmaient ces dernières années avoir une impression négative du Japon.

Heureusement, pour beaucoup de visiteurs de l’archipel, un séjour ici semble corriger quelque peu cette impression. Il faut dire qu’entre la nourriture fraiche et délicieuse et l’air pur des montagnes et de la campagne traditionnelle (facilement accessibles depuis tous les centres urbains), la politesse et honnêteté des habitants et la qualité du service fourni partout, on comprend pourquoi, après la pollution et le chaos des grande villes chinoises, les touristes du continent apprécient leur séjour ici. Ceux-ci sont donc souvent surpris et heureux de découvrir que leurs images préconçues du Japon n’ont que peu à voir avec la réalité d’aujourd’hui.

Les Chinois résidant ici en tant qu’étudiants ou migrants avec qui j’ai pu discuter s’y plaisent d’ailleurs également beaucoup. Et, grâce aux récits et photos dont bénéficient ensuite amis et famille, et grâce aux discussions ayant lieux sur les médias sociaux dont les Chinois sont des utilisateurs assidus, ces expériences positives sont partagées et disséminées. Résultat, si l’on en croit les sondages récents, l’image du Japon en Chine commence déjà à reprendre des couleurs. On ne peut donc qu’espérer que cette tendance positive continuera encore longtemps, et qu’aucune dispute diplomatique ne viendra à nouveau l’entacher.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.