Pensions alimentaires en cas de divorce: le Tribunal fédéral impose sa méthode

Depuis le mois de novembre 2020, le Tribunal fédéral a rendu différents arrêts visant à circonscrire  – de la façon la plus précise possible – les principes, ainsi que la méthode, permettant de calculer les pensions alimentaires de droit de la famille (5A_907/2018, 5A_311/2019, 5A_891/2018, 5A_104/2018, 5A_800/2019). Ces arrêts permettent une uniformisation de la matière au niveau fédéral.

Dans ma pratique des Tribunaux, ces précisions sont les bienvenues, dans la mesure où elles sécurisent les parties qui sauront désormais plus précisément la méthodologie que le Juge appliquera dans leur situation, nonobstant le lieu de la procédure et/ou le magistrat en charge de l’affaire.

Calcul des contributions d’entretien en droit de la famille – une seule méthode désormais appliquée  

Jusqu’à présent, les pensions alimentaires du droit de la famille (pensions pour les enfants, entre ex-époux) étaient calculées de différentes manières, selon le canton dans lequel la procédure avait lieu. Autrement dit, en fonction du canton choisi – respectivement imposé – le parent débiteur d’entretien pouvait se retrouver dans une situation plus ou moins favorable.

Cela a abouti à une pratique hétérogène des Tribunaux en Suisse, créant une forme d’inégalité de traitement entre justiciables, ce qui n’est plus souhaité par le Tribunal fédéral. Notre Haute Cour a clarifié des questions importantes concernant le droit de l’entretien et partiellement modifié sa jurisprudence topique en la matière.

Méthode du minimum vital avec répartition de l’excédent (dite en deux étapes)

Aux termes de la loi, chacun des parents contribue – selon ses facultés – à l’entretien convenable de l’enfant sous la forme de soins, d’éducation et de prestations pécuniaires. La capacité contributive des parents doit donc être appréciée au regard des circonstances concrètes, notamment des modalités de garde de l’enfant, du taux de prise en charge de ce dernier et de la capacité contributive des parents. Le principe de l’équivalence des prestations (soins donnés à l’enfant versus pension financière) est la règle et il ne peut y être dérogé qu’en cas de capacité contributive asymétrique entre les parents (situation dans laquelle l’un gagne davantage que l’autre).

Désormais, le montant de l’ensemble des prestations d’entretien sera calculé en utilisant la méthode du minimum vital avec répartition de l’excédent (en deux étape).

La première étape consiste à définir l’ensemble des revenus et charges des parents, afin d’observer l’existence ou non d’un disponible mensuel, selon le minimum vital du droit des poursuites, voire du droit de la famille si la situation financière de la famille le permet. Si les moyens en présence dépassent le minimum vital, l’excédent doit être réparti par appréciation en fonction de la situation concrète. Si les ressources ne permettent pas de couvrir toutes les contributions dues, l’entretien en espèces pour les enfants mineurs prime sur la contribution de prise en charge, puis l’éventuel droit à l’entretien du conjoint marié ou divorcé et, en fin de compte, la contribution d’entretien des enfants majeurs.

Dans le cas d’une situation financière peu aisée, la répartition des ressources s’arrêtera généralement là. Cependant, s’il reste un excédent, il convient de le répartir en équité entre les ayants-droit, ce qui correspond à la seconde étape de la méthode nouvellement imposée par le Tribunal fédéral.

La seconde étape consiste donc en la répartition de l’éventuel excédent. Il s’agira ici, selon l’appréciation du magistrat en charge, d’opérer une répartition « par grandes et petites têtes ». Autrement dit, chaque membre de la famille se verra attribuer un quotient/ratio sur le “cake à répartir” et chaque morceau sera ensuite alloué. Selon le Tribunal fédéral, il peut y avoir de nombreuses raisons justifiant de s’écarter de la règle susmentionnée, voire même d’y déroger à condition que le jugement explique pour quels motifs la règle a été appliquée ou non.

Selon mon analyse, on entrevoit ici une porte d’entrée permettant d’éviter un trop grand schématisme dans l’allocation de l’excédent!

A titre d’exemple, dans le cas d’une situation financière particulièrement aisée, il ne serait pas justifié d’allouer – par le biais du transfert de l’excédent – un montant supérieur au train de vie jusqu’alors mené par les époux, en particulier dans le cas où les époux sont mariés sous le régime légal de la séparation des biens. Cela aboutirait à un déplacement de patrimoine en faveur du parent crédirentier et contreviendrait au sens voulu par la loi.

Prise/reprise d’une activité lucrative par les parents

Le Tribunal fédéral a clarifié divers principes du droit du divorce et abandonné la règle dite « des 45 ans ». Cette règle prévoyait qu’un conjoint ne pouvait être tenu d’exercer une activité rémunérée s’il n’avait pas travaillé pendant le mariage et avait atteint l’âge de 45 ans au moment de la dissolution du ménage commun ou au moment du divorce; la limite d’âge étant relevée à 50 ans.

A présent, la nouveauté est qu’il faut toujours partir du principe que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que le conjoint travaille, à condition que cette possibilité existe effectivement et qu’aucun motif tel que la garde de jeunes enfants n’y fasse obstacle. Il y aura alors lieu d’examiner les circonstances précises dans chaque cas d’espèce, notamment examiner des critères tels que l’âge, la santé, les activités antérieures, la flexibilité personnelle et la situation du marché du travail.

Droit à une contribution d’entretien entre époux 

Jusqu’à cette nouvelle jurisprudence, les ex-époux pouvaient prétendre à une contribution d’entretien lorsque le mariage était considéré comme “lebensprägend”, à savoir lorsqu’il a eu une influence concrète sur la vie des époux. Cela était le cas en cas de mariage “de longue durée” ou, en tous les cas, lorsqu’il y a eu des enfants communs.

A présent, le Juge devra examiner si le mariage en question a eu une influence décisive sur la vie des époux ; si la réponse est affirmative, la durée de la contribution post-divorce doit être limitée dans le temps de manière appropriée en fonction des circonstances particulières de chaque cas d’espèce. Selon la nouvelle définition, un mariage est considéré comme étant « lebensprägend » si l’un des conjoints a renoncé à son indépendance économique pour s’occuper du ménage et des enfants, et qu’il n’est donc plus possible pour lui de reprendre son ancienne activité lucrative après de nombreuses années de mariage, alors que l’autre époux a pu se concentrer sur sa carrière professionnelle, compte tenu de la répartition des tâches entre les conjoints.

https://brodard-avocats.ch/

 

Anais Brodard

Anaïs Brodard est avocate de droit de la famille (divorce/séparation) à Lausanne. Elle est également médiatrice FSA et formée au droit collaboratif. Associée au sein de l'étude Brodard Avocats SA, elle est principalement active dans le droit de la famille, domaine dans lequel elle exerce tant comme avocate, que comme médiatrice reconnue par la Fédération Suisse des Avocats et assermentée par le Tribunal cantonal. A ce titre, elle est régulièrement appelée par les Tribunaux.

2 réponses à “Pensions alimentaires en cas de divorce: le Tribunal fédéral impose sa méthode

  1. Merci pour votre tentative de résumé, mais j’y perds toujours autant mon latin (et mon argent).
    Malheureusement on reste donc dans le flou le plus absolu avec de nombreuses exceptions à justifier en détail, ce qui fait que les frais d’avocats ne sont à mon avis pas prêts de diminuer.

  2. Bonjour,
    Dans cette nouvelle jurisprudence, une part d’impôt pour les enfants est ajoutée à leur minimum vital élargi, calculé comme le ratio des impôts de la partie débirentière correspondant au rapport entre les contributions d’entretien et les revenus totaux. Ensuite cette part d’impôt est retranchée des impôts totaux de la partie débirentière. Cette méthode à l’avantage de prendre en compte toutes les déductions sociales qu’à droit la partie débirentière qui reçoit les contributions d’entretien pour le calcul de la part des enfants chez elle. Par contre, en garde partagée, une part d’impôt des enfants devrait être aussi calculée chez la partie créantière. En effet, en garde partagée, le minimum de base des enfants, une part du loyer, et une part des excédents, correspondant au taux de garde de la partie créantière est assumée en nature et est déduite des frais des enfants pour calculer la contribution d’entretien. Cela conduit donc à une certaine injustice, car plus le taux de garde de la partie créancière augmente, plus le créancier participera en nature aux frais financiers qui ne sont pas déductibles. En résumé et en simplifiant, si le taux de garde est de 30% ou 50% pour le créancier , le créancier pourra déduire 20% de plus ou de moins de contribution, alors qu’il assumera le même montant financier pour les enfants (principe des vases communiquants), il sera simplement réparti différemment entre les contributions et en nature. Il serait donc assez logique qu’une part d’impôt des enfants soit aussi calculée chez le créancier, pour tenir compte de ce qu’il paie en nature et qu’il ne peut pas déduire, puisque il est considéré comme célibataire. Pour schématiser, si le créancier donne 10.- au débirentier pour nourrir son enfant, il peut le déduire, si il paie 10.- pour le nourrir chez lui, là il ne peut pas. La part pour les enfants chez le créancier pourrait par exemple être calculé en utilisant le ratio entre la part en nature et les revenus totaux, ou la différence entre les impôts effectifs et le calcul d’impôt si les contributions étaient les contributions effectives additionnées de la part en nature (par loyer, part minimum vital,…).

Les commentaires sont clos.