Quel maître espion pour le Service de Renseignement de la Confédération ?

Fin novembre 2017, le chef du Service de Renseignement de la Confédération (SRC), Markus Seiler, quittait ses fonctions pour rejoindre le département des affaires étrangères d’Ignazio Cassis, fraichement élu.

Depuis lors, l’intérim est assuré par Paul Zinniker, le très expérimenté numéro deux du Service.

Prévue au printemps, la nomination du nouveau chef du SRC sera une tâche ardue tant le nombre de candidats pour ce poste pourtant exposé est élevé.

Rien qu’au sommet de la liste, pas moins de six profils de grande qualité, dévoilés par Le Temps en décembre dernier, s’activent déjà dans l’ombre pour s’installer dans le siège du chef.

Le choix sera d’autant plus compliqué que le Service est en pleine mutation depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur le renseignement (LRENS) et que les attentes, autant internes que politiques, sont grandes.

Sans préjuger des atouts et des défauts des candidats actuels, arrêtons-nous un instant sur quelques défis qui attendent le futur M helvétique.

  • Trouver l’équilibre entre efficacité et respect de la LRENS

Très bureaucratique, c’est pourtant le premier grand chantier qui attend le futur chef du SRC.

Sur le papier, la nouvelle Loi sur le renseignement a donné de nouveaux outils au SRC en contrepartie d’une surveillance administrative et politique accrue.

Dans la réalité, c’est une véritable usine à gaz procédurale qui entrave largement la liberté d’action et d’initiative du Service.

Le nouveau chef du SRC devra avoir le courage politique de monter au créneau pour réaffirmer les fondamentaux du renseignement, à savoir le secret -parfois absolu-, la souplesse opérationnelle et l’esprit d’initiative.

Ce sont ces éléments qui doivent distinguer le SRC de la Police Fédérale sans quoi s’opérera sans doute une fusion des prérogatives et des compétences qui posera rapidement la question de l’utilité même du Service.

  • Contrer les extrémismes et gagner en indépendance

En matière de terrorisme et de lutte contre les extrémismes, la Suisse ne peut compter que sur ses alliés et ses ennemis. Voilà en une phrase un résumé la place actuelle du SRC au sein des services de sécurité européens.

Budget opérationnel limité, impossibilité de tracer les flux bancaires ou encore infiltrations et surveillances refusées par frilosité politique, le recrutement de nos sources propres et l’acquisition agressive du renseignement sont largement bridés.

Nous pouvons remercier nos voisins de nous offrir des arrestations sur un plateau mais s’il y a bien un métier dans lequel il faut éviter d’être débiteur, c’est le renseignement.

Le nouveau chef du SRC aura ainsi la charge de ménager nos alliés tout en donnant une impulsion nouvelle à un Service qui doit impérativement gagner en indépendance.

  • Contrer les risques cyber et adapter les systèmes d’information

On disait hier que l’argent était le nerf de la guerre, cela est moins vrai depuis Internet.

Attaques informatiques, espionnage et manipulation, le cyber espace est devenu un lieu incontournable de conflits et le lieu où il faut être pour contrer et anticiper les menaces.

Un rapide coup d’œil à l’historique des projets informatiques au sein de la Confédération fait frémir et le nombre d’acteurs, fédéraux et cantonaux, impliqués dans la cyberdéfense suisse augure déjà de la cacophonie qui ne manquera pas d’émerger en cas d’audit.

Au niveau purement opérationnel, la Suisse est également un millefeuille de bases de données publiques et privées, plus ou moins bien tenues, et de registres, plus ou moins informatisés.

Expliquez aux services de renseignements français ou allemands que le SRC n’a pas d’accès direct aux bases de données des opérateurs, des banques ou même aux documents des registres du commerce, ils vous riront au nez.

La question est évidemment plus politique qu’opérationnelle, mais le futur chef du SRC devra impérativement avoir la fibre informatique et être un lobbyiste chevronné à même d’étoffer le service informatique du SRC.

Enfin, à plus long terme, le chef du SRC devra montrer une grande habileté politique pour participer à la nécessaire transformation digitale des institutions et à la concentration des bases de données qu’il est urgent d’opérer au niveau national.

Bon baiser de Suisse.

Alexis Pfefferlé

Alexis Pfefferlé est associé fondateur d’Heptagone Digital Risk Management & Security Sàrl à Genève. Juriste de formation, titulaire du brevet d'avocat, il change d'orientation en 2011 pour intégrer le monde du renseignement d'affaires dans lequel il est actif depuis. Engagé sur les questions politiques relatives au renseignement et à la sécurité, conférencier occasionnel, il enseigne également le cadre légal des activités de renseignement à Genève.

3 réponses à “Quel maître espion pour le Service de Renseignement de la Confédération ?

  1. D’une manière générale en vous lisant on a le sentiment que vous avez un état d’esprit patriotique, ce qui fait plaisir. En revanche vous semblez excessivement enclin à plaider pour une surveillance généralisée dans le style big data. Bien sûr il ne faut pas être naïfs, et donc notre SRC, dans la mesure où on peut avoir confiance dans le fait qu’il ne soit pas infiltré (ce qui n’est pas évident) doit bien utiliser les technologies modernes. Mais d’un autre côté c’est un peu inquiétant qu’un bureau d’intelligence économique plaide ainsi pour l'”überwachungsstaat”. Car que faites vous du secret des affaires si toute entreprise est transparente? Qu’est-ce qui nous garantit que les secrets d’affaires d’entreprises suisses tout à fait légitimes ne seront pas mis en danger par ce genre de politique excessivement intrusive? Un entrepreneur ne pourrait souhaiter être votre client, que si précisément vous l’aidez à empêcher toute intrusion de curieux dans les informations concernant son entreprise. Même par le simple croisement de fichiers informatiques. Même de la part d’autorités suisses valables comme le SRC. On ne sait jamais l’usage malveillant qui pourrait être fait des informations collectées. Il y a eu tellement de cas d’anciens espions ayant monnayé des informations. On a déjà perdu le secret bancaire… Si ça continue comme ça, que va-t-il rester de la traditionnelle discrétion suisse?

    1. Cher Monsieur,

      Je vous remercie pour ce commentaire constructif et qui pose des questions intéressantes. Je préciserais ici que je ne plaide pas pour une surveillance généralisée de toute entreprise et toute personne mais plutôt pour un effort d’intégration et de partage des bases de données existantes. En claire, l’idée n’est pas que les entreprises ou les particuliers doivent dévoiler plus qu’aujourd’hui mais que le SRC puisse accéder directement et simplement aux bases de données existantes sans devoir sans cesse passer par de la collaboration administrative.

Les commentaires sont clos.