Le sauvetage en mer; un dilemme sans réponse ?

Faut-il sauver des migrants dont l’embarcation a chaviré au large des côtes Libyennes ? La question ne se pose même pas. Sauver des vies n’est pas une option. C’est un devoir. Mais l’exercice de ce devoir n’exclut pas que l’on réféchisse sur les avenants et les aboutissants d’un geste qui reste un impératif moral.

Sous le régime de Ghaddafi environs deux millions d’africains en provenance de l’Afrique sub-saharienne venaient chaque année travailler quelques mois en Libye avant de rentrer chez eux. Ce mouvement permettait à environs 20 millions d’africains de subsister. En parallel un accord tacite avec Rome permettait à la marine italienne d’intercepter en mer  ceux qui cherchaient à émigrer illégalement vers l’Italie et de les débarquer discrètement en Libye. Certes tous ceux qui tentaient la traversée n’étaient pas interceptés et certains arrivaient à atteindre les côtes Italiennes mais le nombre était contenu et ne portait pas à conséquence.

La chute de Ghaddafi orchestrée en grande partie par l’administration Obama mit fin à ce régime. La Libye sombra dans l’anarchie. L’option d’un travail saisonnier tomba à zero. 20 millions d’africains se retrouvèrent sans revenus et en parallel, le pays devint une véritable passoire qui permit à des organisations mafieuses de gérer un trafic de migrants illégaux en provenance d’Afrique et du Moyen Orient à destination de l’Europe.

Les passeurs se servant souvent de bateaux  en piteux état, les naufrages devinrent courants. Les médias s’en firent l’écho et la réaction ne se fit pas attendre.

Le devoir des états

Normalement le sauvetage en mer relève de la responsabilité des gouvernements pour ne pas dire, dans ce cas précis, des instances européennes. Mais celles-ci sont déficientes. Le nombre de noyades augmente. L’opinion s’émeut.

Le secours en mer devient un nouveau créneau pour des ONGs de tout acabit pour qui c’était une opération sans danger qui n’exigeait que des fonds pour affréter des navires sauveteurs. Et pour ceux qui y étaient engagés, c’était sur le plan personnel, valorisant. Enfin une fois les naufragés débarqués en Italie, les sauveteurs pouvaient s’en laver les mains. Ainsi sans faire à quiconque un procès d’intention, sauver  des naufragés se révéla comme étant l’entracte facile d’un scénario aussi tragique que complexe.

Le sauvetage en mer s’inscrit dans une problématique qui a un amont et un aval. En amont il y a l’Italie, pays si ce n’est de destination finale du moins de débarquement. Or l’Italie est prise entre le reste de l’Europe à laquelle Rome n’arrive pas à imposer qu’elle la décharge d’une partie de ses migrants, et la situation en Libye qui rend un rapatriement aléatoire. Le résultat final, c’est une situation confuse et indéfinie. D’une part les autorités s’ingénient, mais pas trop, à rendre la vie dificile aux sauveteurs et de l’autre elles ferment les yeux sur les nouveaux arrivés qui se fondent dans le bourbier administratif  dans lequel  se complait la burocracie de la péninsule. Ce qui ne veut pas dire que à Rome on n’est pas conscient de ce que le problème implique. En effet, si l’on prend les chiffres des arrivées des dernières années et on les projette sur les prochains 25 ans on arrive à un influx de 4.2 millions de personnes. Mais au pays de Machiavel, le reflex naturel est de temporiser et lever la voix. Agir relève d’une autre DNA.

Des chiffres sans appels

En aval les chiffres sont sans appel. L’Afrique sub-saharienne d’ou proviennent la plupart des migrants compte actuellement 1 milliard d’habitants. Dans 25 ans elle en comptera 2 milliards. Quant à l’Afrique du Nord qui compte  actuellement 210 million d’habitants, elle en comptera 350 millions. C’est dire que la pression migratoire ne peut qu’augmenter et que le marché pour les passeurs restera porteur.

C’est donc entre ces deux pôles, l’amont et l’aval que se pose la problématique du sauvetage en mer. Il est claire que chaque migrant, qu’il soit sauvé ou non de la noyade, qui atteint les côtes italiennes représente une invitation à un autre migrant à emprunter le même cheminement.  Ce qui revient à dire que chaque naufragé sauvé contribue à entretenir un appel d’air dont l’aboutissement peut être funeste pour d’autres. Le résultat final est un dilemme diabolique ; on ne peut pas ne pas sauver des vies mais ce faisant on est susceptible d’encourager d’autres à prendre un risque qui mettra leur vie en péril. Un dilemme rendu encore plus pervers par le simple fait que personne ne peut affirmer avec certitude que les noyades ont  un effet dissuasif sur d’autres migrants qui seraient  tentés de prendre les mêmes risques.

Il est évident qu’il n’y à pas une solution passe partout à  la problématique  telle qu’elle se pose aujourd’hui. Mais il y a un ensemble de solutions susceptibles de rendre le problème moins ingérable.

Il est certains que l’Europe a besoin de migrants avec deux bémols ; pas n’importe lesquels et pas illégaux. En d’autre termes c’est aux Etats de choisir les migrants dont ils ont besoin et non pas aux migrants d’imposer leur présence à des sociétés qui ne les  veulent pas.

En se basant sur ce principe il n’y a pas d’alternative à une politique de dissuasion absolue et inconditionnelle  de toute immigration illégale. Du point de vue pratique cela veut dire que tout migrant en provenance de Libye qu’il soit sauvé en mer  ou ayant réussi à débarquer sur les côtes italiennes se verrait automatiquement  renvoyé dans les plus brefs délais vers un centre de transit situé sur le territoire africain. Et c’est dans un tel centre que les Etats qui le désirent pourront trier les migrants, en accepter certains et renvoyer les autres chez eux avec un document de voyage temporaire et un pécule pour couvrir leurs frais.

Si la création d’un tel centre de transit, qu’il soit en Tunisie, en Egypte pour ne pas dire au Niger ou au Tchad a été parfois abordée tangentiellement, il n’a jamais fait l’objet d’une proposition concrète avec un budget de la part de l’Europe. Or dans un environnement ou tout a un prix, la carence ne se situe pas au niveau des moyens mais au niveau de la volonté politique d’agir.

C’est dire que selon toute vraisemblance les Italiens  continueront de bramer, l’Europe de les ignorer, les moins chanceux des migrants de se noyer, les ONGs d’oeuvrer et les passeurs de prospérer.

 

 

Alexandre Casella

Diplômé de la Sorbonne, docteur en Sciences Politiques, ancien correspondant de guerre au Vietnam, Alexandre Casella a écrit pour les plus grands quotidiens et a passé 20 au HCR toujours en première ligne de Hanoi a Beirut et de Bangkok à Tirana.

5 réponses à “Le sauvetage en mer; un dilemme sans réponse ?

  1. Péché par omission ??? En soulignant l’aval et l’amont, nulle mention du rôle des passeurs, pourtant bien connu du HCR et du Haut Commissariat aux droits de l’homme, vu leurs divers rapports sur les passeurs.
    Cette industrie transnationale du crime, bien organisée en même temps en aval et en amont, prospère dans une quasi impunité, avec un excellent retour sur investissement sans les risques du trafic de drogue ( poursuites pénale outre les risques de concurrence sanglante). Absence de volonté politique de la part des Etats et par conséquent du HCR et du HCDH ?

  2. Dans le strict cadre de son mandat, le Professeur de droit canadien François Crépeau, Rapporteur Spécial sur les droits de l’homme des migrants du HCDH entre 2011 et 2017 a minutieusement décrit les rouages économiques , le business model, les nécessaires complicités en amont et en aval des passeurs, ces esclavagistes des temps modernes, condamnant parfois à la servitude les migrants à leur arrivée . Ils doivent leur rembourser les montants exorbitants réclamés pour le passage et le service après-vente lorsque les passeurs leur trouvent un emploi dans le pays d’accueil.

    Sincèrement je ne saisis pas vos motifs d’éviter le mot même de passeurs dans votre blog sur le dilemme des noyades en mer alors que les passeurs sont les seuls responsables de ces morts en envoyant à prix d’or les migrants sur de frêles esquifs ou des embarcations pourries et surchargées, escomptant qu’un certain nombre de migrants seront recueillis en mer, suffisamment pour ne pas décourager les candidats à la loterie de la vie et de la mort par noyade.

    Cette omission du rôle crucial des passeurs invalide vos conclusions. C’est avant tout contre les passeurs que les gouvernements doivent agir. Le mandat des rapporteurs spéciaux est d’enquêter sur les violations des droits de l’homme des migrants et de recommander les voies et moyens pour surmonter les obstacles et assurer la protection de leurs droits ( Rés. 1999/44; 2002/62 ; 2005/47).

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