Espionnage financier: Berne sur une autre planète

Mais qu’est-ce qui a bien pu passer par la tête de l’espion suisse arrêté en Allemagne et soupçonné de chercher à en savoir plus sur la lutte contre l’évasion fiscale entreprise outre-Rhin? L’homme aurait été envoyé par le Service de renseignement de la Confédération pour remonter les filières des achats de CD volés contenant les noms de clients de banques suisses. On croit rêver.

C’est comme si la Suisse n’avait pas officiellement renoncé au secret bancaire pour les questions fiscales il y a déjà quatre ans, donné son accord pour échanger les informations fiscales sur une base automatique et même mis cette politique en oeuvre dès le début de cette année en recueillant les informations qui seront transmises dès l’an prochain aux autorités fiscales étrangères.

Ce n’est pas la première fois que nos James Bond paraissent en retard d’une bonne guerre dans ce domaine. A l’été 2013, ils mettaient le paquet pour faire parler un employé de banque, Pierre Condamin Gerbier, qui avait imprudemment prétendu face au parlement français détenir une liste de clients fortunés hexagonaux dans des banques suisses. Ce fut un flop, mais le pauvre homme a passé plusieurs mois en prison.

Plus largement, certaines autorités ne semblent toujours pas avaler le changement d’époque: pourquoi certains juges zurichois s’acharnent-t-ils contre Rudolf Elmer, ex-banquier de Julius Bär, alors qu’il a été blanchi par la Cour suprême du canton de Zurich de l’accusation d’avoir enfreint le secret bancaire?

On pourrait multiplier ces exemples de ces combats d’une autre époque. Comme si certains magistrats et fonctionnaires refusaient les évidences:

  • La Suisse a systématiquement perdu ses batailles pour défendre son bon vieux secret bancaire depuis 2009.
  • Le blanchiment d’argent dans les banques suisses présente un risque beaucoup plus élevé que la découverte de fraudeurs fiscaux dans ces mêmes établissements, selon les principales autorités de poursuite de ce pays.
  • La lutte contre la criminalité en col blanc a même été élevée au premier rang des priorités du Ministère public de la Confédération (MPC), et se situe très haut dans l’ordre des interventions de la Finma.

Si le SRC veut cesser de se couvrir de ridicule, il doit de toute urgence abandonner ses vieilles lunes.

Finance verte, virage raté

Un beau jour, la verdure a fini par atteindre les rivages de la finance, longtemps après avoir abordé ceux de la société civile, du monde politique et celui de l’industrie. Et progressivement, les financiers s’y sont intéressés. Parce qu’ils ont graduellement pris conscience, comme les autres avant eux, du caractère limité des ressources naturelles de la planète, bien sûr. Mais surtout parce qu’ils ont découvert qu’il y avait des profits à réaliser, comme il y a des profits à réaliser dans le financement du pétrole et du gaz ou dans l’industrie automobile.

Progressivement, les marchés financiers ont vu apparaître de nouvelles gammes de produits: des fonds investis dans des activités durables comme les énergies renouvelables ou la production d’eau potable, voire dans des activités encore plus exotiques comme le financement des programmes de développement dans des pays émergents ou même des parcs naturels. Et, surtout, une approche beaucoup plus critique concernant les entreprises qui n’adhèrent pas à une approche responsable envers la durabilité, l’environnement et les critères de bonne gouvernance.

Mais les banques suisses ne paraissent pas en avoir pris réellement conscience. Ou à peine. Quelques établissements ont lancé quelques fonds. Puis, l’an dernier, Swissbanking, l’association faîtière des banques suisses, a inscrit la finance verte parmi les objectifs de la place financière, laquelle est en manque de nouvelles impulsions depuis la fin du secret bancaire.

Hélas, seule Pictet s’affiche parmi les dix plus gros gérants européens de “fonds verts”, devant une gamme de grands gérants allemands (Deutsche AM, Ökoworld), britanniques (Jupiter, Pioneer, Blackrock), français (BNP Paribas) et néerlandais (Triodos, ASN Bank), selon un classement établi par Novethic. Quelle misère, lorsque l’on pense à la responsabilité vis-à-vis du futur de la planète, ou plus prosaïquement, des opportunités d’affaires croissantes!

Les investisseurs se convertissent de plus en plus nombreux aux placements “verts”, que ce soit par conviction ou opportunisme. Les encours des fonds “verts” ont progressé de 47% en Europe ces trois dernières années! En Suisse, la progression des fonds a été moins spectaculaire. Mais lorsque l’on y ajoute les mandats discrétionnaires et les produits structurés, qui constituent une part essentielle des portefeuilles des individus fortunés, le volume a bondi de 169% en 2015 par rapport à l’année précédente, selon les derniers chiffres disponibles établis par le Forum Nachhaltige Geldanlagen.

De toute évidence, les responsables de l’investissement dans les banques suisses ne croient toujours pas au potentiel. Ils ne comprennent pas ce qui fait la spécificité de cette forme d’investissement émergente. et parfois même, ils croient, à tort, que les placements verts sont moins performants que les autres!Entièrement consacrées à leur adaptation au monde de transparence et aux fintechs du nouveau monde d’après-crise, les banques suisses oublient de voir qu’autour d’elles le monde de l’investissement évolue aussi. Et que les places sont à prendre maintenant. Que ce soit par le lancement  de produits. Ou par l’acquisition d’établissements étrangers qui se sont déjà faites une place.