La fin du franc fort

Le dollar vient juste de passer au-dessus de la parité. Désormais, il faut payer plus d’un franc pour un billet vert. Les Suisses voyageant aux Etats-Unis ne vont plus avoir le sentiment d’être très riches.

Est-ce la fin du franc fort? Pas encore. Face au dollar, la monnaie suisse est relativement faible et plus les perspectives d’un relèvement des taux d’intérêt aux Etats-Unis se renforcement, plus le billet vert s’élèvera. C’est face à l’euro que le franc reste trop haut, car la monnaie unique reste plombée par la faiblesse de la reprise, les incertitudes sur la gouvernance de la zone euro et, surtout, par l’assouplissement quantitatif massif entrepris par la Banque centrale européenne.

Si le franc suisse s’affaiblit face à la monnaie unique, ce ne sera pas du fait des étrangers, mais des Suisses eux-mêmes. Et même s’ils ont essayé beaucoup de choses – cours plancher, achats massifs d’euros, et même, ironiquement, un coup de frein à la croissance – il leur reste une solution pour rendre leur monnaie moins désirable.

Cette solution, est politique: c’est nommer une personnalité incompétente à la tête du Département fédéral des finances (DFF). Une personne qui ne sache pas de quoi elle parle quand elle aborde les questions de politique monétaire, qui ne se rende pas dans les cénacles internationaux où se décident les grandes orientations de politique des changes ou de fiscalité. Une personne qui n’ose pas dire leur fait aux méga-banques et les laisse faire ce qu’elles veulent, quitte à déstabiliser le système financier.

Le mieux est encore de nommer un comptable sans vision stratégique. Ou, idéalement, un politicien qui, par principe, refuse de voyager, d’échanger des idées avec ses collègues d’autres pays, rejette la réalité d’aujourd’hui pour cultiver celle de hier. Le Conseil fédéral  actuel compte un tel candidat, c’est Ueli Maurer, actuellement chef du Département de la défense. Mais il pourrait en compter un autre, notamment si le Parlement élit le président de l’UDC Toni Brunner.

Avec de tels étendards, le franc ne sera plus défendu par un ministre des Finances qui voyage et défend les intérêts de la place financière et des entreprises suisses selon une vision réaliste des enjeux et des rapports de force, qui impose ses décisions aux grandes banques même quand cela ne leur fait pas plaisir, comme le faisait Eveline Widmer-Schlumpf.

Avec Ueli Maurer ou Toni Brunner, le franc serait défendu par des responsables dénués de crédibilité à l’échelle internationale. Quand les investisseurs s’en seront rendus compte, ils auront toutes les cartes en mains pour faire plonger le franc. Et même si elle s’en réjouit dans un premier temps, la Suisse des exportateurs et des gérants de fortune le regrettera très vite.

Les banques privées ne sont pas éternelles

Les diamants sont éternels. Pas les banques privées. Ce qui semble évident a toutefois été combattu avec résolution par tout ce que la Suisse financière compte de banquiers privés, à commencer par les plus éminentes familles genevoises. Combien de fois n’ont-elles pas vanté leur longuissime histoire pétrie de siècles!

Et pourtant une banque privée a été mise en faillite fin octobre, la zurichoise Hottinger, sur ordre de la Finma. Abattue par les contentieux, au premier rang desquels l’on peut fortement soupçonner le programme américain, à quoi une centaine de banques suisses tente d’échapper au prix d’amendes plus ou moins salées. Bien sûr, Hottinger n’était plus, techniquement, une société de personnes au sens strict, depuis 2010. Mais cette nuance ne trompe personne, les patrons n’avaient pas changé.

Il faut au moins remonter aux années 1970 et la retentissante – pour l’époque! – faillite de a banque genevoise Leclerc, emportée par la spéculation financière de son patron, pour trouver un équivalent depuis la guerre. Depuis lors, il y a eu des fusions, des absorptions, des rachats, et il y en aura encore. Mais la faillite reste une tache indélébile  sur la réputation de solidité et de fiabilité que la profession tente de plus difficilement de cultiver. Une tache de plus, après celles liées au secret bancaire et à son effondrement, aux affaires de blanchiment d’argent et d’opérations plus ou moins louches avec des criminels russes.

C’est évidemment dur à avaler pour des banquiers autrefois privés très imbus de leurs personnes. Mais de ce sentiment, tout le monde se moque. Ce qui compte, c’est que ces “maisons”, comme elles plaisent à se désigner avec beaucoup de pédanterie, se banalisent. Elles ont été sanctionnées par la justice américaine, allemande ou française comme n’importe quel établissement de bas étage. Elles se sont transformées en vulgaires sociétés de capitaux, pour que leurs patrons n’aient plus à payer personnellement des conséquences de leurs errements. Et maintenant, elles tombent en faillite. Il est plus que temps de faire disparaître un statut définitivement obsolète, sauf à jeter de la poudre aux yeux.

Un lobby renforcé

 

L'élection à Genève du PLR Benoît Genecand vient renforcer un lobby qui compte dans la cité de Calvin, celui des banques. L'ancien directeur d'UBS à la Corraterie viendra épauler dès décembre ces défenseurs certifiés de la place financière que sont les avocats Christian Lüscher (même parti) et Yves Nidegger (UDC) ainsi que Céline Amaudruz (UDC elle aussi), gérante de fortune chez UBS Wealth Management.

Il en va de même dans les autres cantons à la représentation bancaire établie. Le PDC lucernois Konrad Graber, grand soutien du projet "Rubik" (une proposition alternative des banques qui ne voulaient pas de l'échange automatique d'informations fiscales, et qui a finalement été retiré) n'est cerrtes pas encore réélu au Conseil des Etats, mais il a fait un très bon résultat dans son canton de Lucerne. L'élection, aux Grisons, de Magdalena Martullo Blocher n'amènera certes pas sous la Coupole une nouvelle banquière, mais une femme entrepreneur aux positions fort bien connues. Le brillant résultat de Roger Köppel à Zurich, rédacteur en chef de la "Weltwoche", va donner un appui supplémentaire.

La puissance de feu des banques va donc se renforcer aux Chambres pour les quatre ans à venir. Exit, donc, les divers durcissements législatifs et réglementaires de ces dernières années qui ont été vécus par la place financière comme une antichanbre de l'enfer? Le Parlement, pour le moins, se montera plus "compréhensif" sur des dossiers comme l'échange d'information fiscale, les exigences de fonds propres ou le renforcement de la surveillance des grandes sociétés de courtage comme Glencore et Trafigura. Emblématique de cette tendance serait une éjection d'Eveline Widmer-Schlumpf du Conseil fédéral, elle qui porte la "faute" d'avoir donné l'estocade au secret bancaire.

Mais la marge de manoeuvre des Chambres est très limitée dans ce domaine. La Suisse a appris dans la douleur ce qu'il en coûte à cultiver des particularismes que ses voisins jugent exagérés. Tous les durcissements réglementaires ont été décidés soit par des pays étrangers (USA, UE), soit des organismes internationaux (OCDE, etc.) qui leur servent de relais. Et l'un des meilleurs gendarmes reste la Banque nationale, soucieuse de préserver la place financière d'une nouvelle crise.

Aussi, la "grande " réglementation, celle qui détermine les niveaux de transparence fiscale ou les exigences de fonds propres, ne devrait pas être affectée par le renforcement du lobby bancaire au Parlement, sinon à la marge. En revanche, les consommateurs risquent d'en faire les frais. Leurs défenseurs se sont affaiblis et ils ne peuvent guère compter sur des pressions internationales pour obtenir gain de cause.

Adieu à un grand économiste

Un géant. Physiquement d'abord. Mais, surtout, intellectuellement. A la macroéconomie, thématique complexe par excellence, où les concepts peu accessibles le disputent au jargon impénétrable, il savait donner du sens. Et bien plus que du sens: de la lumière. En sortant d'une discussion avec lui, on se sentait plus intelligent, mieux armé pour affronter les défis du moment, sans jamais se sentir abaissé par sa puissance intellectuelle.

Cet homme, Andreas Höfert, nous a hélas quitté. Soudainement, mardi 6 octobre, à New York, métropole où ce Genevois formé à Saint-Gall avait ré-élu domicile voici quelques mois après un séjour en Suisse.

Dans un domaine, la macroéconomie, où la concurrence en matière d'explications est extrême, Andreas Höfert s'est distingué par la clarté et la pertinence de son propos, souvent engagé. Et surtout, par son indépendance. Quitte à dévier de la vision officielle de la banque, voire à la mettre quelque peu dans l'embarras. Ferme défenseur de la création d'un fonds souverain avec une partie des réserves de devises accumulées par la Banque nationale, il a mis UBS en porte-à-faux avec l'institution qui l'a sauvée il y a sept ans.

Il y avait bien sûr parfois un petit côté manipulateur dans certaines de ses explications, dans le sens de certains intérêts de son employeur. Il ne faut pas (toujours) cracher dans la soupe. Mais c'était toujours avec un sourire (ironique) bienveillant, presque une invitation lancée à son interlocuteur de ne pas prendre tout ce qu'il disait pour argent comptant.

L'auteur de ces lignes a eu de très nombreuses occasion d'échanger des idées avec Andreas Höfert, qui s'est montré d'une rare disponibilité, même lorsqu'il était en voyage (ce qui arrivait très souvent). Il adresse à son épouse et ses proches ses sincères condoléances.

Mieux vaut être Ethiopien qu’Américain

En matière de fraude fiscale, les banques suisses vont rester une passoire. Le Conseil national a dynamité la dernière tentative d'Eveline Widmer-Schlumpf, issue de la Weissgeldstrategie, d'obliger les institutions bancaires à s'assurer de la conformité fiscale des fonds qui leurs parviennent. Elles devront juste s'assurer que leurs clients ne leur font pas courir de risques. Par exemple celui de se voir infliger une méga-amende à l'étranger.

Il est vrai que la Suisse va appliquer l'échange automatique d'informations fiscales dès 2017 (avec transmission des données dès 2018). Dans un tel cadre, les fraudeurs auront beaucoup de peine à se cacher puisque leurs données bancaires seront automatiquement transmises au fisc de leur pays. Mais ces échanges auropnt lieu uniquement avec les Etats avec lesquels la Suisse signe, et signera des accords d'échange de renseignements. Autrement dit, avec les pays de l'OCDE (une bonne trentaine de pays développés en Europe, en Amérique du Nord, du Cône sud et d'Asie-Pacifique) et quelques grandes puissances régionales comme la Chine, avec qui il vaut mieux d'être en règle.

Mais les clients arrivant des autres pays continueront de passer entre les mailles du filet. Les riches Ethiopiens (il y en a!) pourront continuer de faire parvenir leurs valises de billets via les commandants de bord et les stewards d'Ethiopian Airlines. Ni Berne ni Addis Abeba n'ont la moindre intention de signer le plus petit accord prévoyant de brider ces flux. Il en va de même pour la bonne centaine d'autres pays souvent très pauvres et corrompus, dont les élites politiques et économiques volent la population en "oubliant" de déclarer leurs avoirs.

Bien sûr, les banques suisses se défendent en disant qu'elles ne sont pas les seules. Aux Etats-Unis, la fraude fiscale est largement facilitée par les législations passoire de Floride, du Delaware et de quelques autres Etats. Il en irait de la capacité concurrentielle de la place financière suisse.

Mais de l'autre, ces mêmes banques, qui ne sont toujours pas remises de leurs traumatismes avec l'Oncle Sam, créent toutes les difficultés possibles aux détenteurs de passeports américains, ou de simples cartes vertes des Etats-Unis, qui sont régularisés fiscalement avec le fisc américain et qui cherchent à ouvrir un compte courant ou d'épargne. Deux poids deux mesures!

Ces banques préfèrent-elles vraiment les fonds sales de potentats corrompus à celles de clients en règle mais, pour leur malheur, américains? Quelles étranges priorités stratégiques. Et où est le bon sens dans ce choix?

Le débat raté sur le franc

Difficile de remettre en cause une icône nationale. Dans un premier temps , on n’ose pas. Dans un second temps, lorsque les motifs sont trouvés, on ne sait pas comment les articuler. C’est ce qui arrive maintenant au franc et à son instance responsable, la Banque nationale suisse.

Tombée de son piédestal à la suite de sa renonciation au cours plancher le 15 janvier dernier, l’institution est aujourd’hui la cible d’attaques politiques répétées. Un débat sur les conséquences du franc fort est prévu aux Chambres fédérales lors de la session de septembre 2015 à propos de sa politique monétaire. Un autre s’était déjà tenu en mars dernier. Malheureusement, ses critiques se trompent de cible.

Selon la NZZ, les partis fourmillent d’idées pour aider les entreprises ou créer de nouvelles subventions. Le PLR veut réduire les coûts liés à l’accroissement de la réglementation; l’UDC exige une dérégulation et un gel des dépenses publiques; le PDC propose la création d’un “M. Régulation” à l’image de M. Prix; les Verts veulent augmenter les aides à l’assainissement des immeubles; le PS appelle à la création d’un fonds de 2 milliards pour aider les PME; etc., etc.  Bref, ça sent les élections.

Hélas, aucun parti ne relance le débat fondamental, à savoir comment les décisions sont prises à la BNS. Pourquoi des décisions aussi essentielles pour la prospérité suisse que le taux de change souhaité avec l’euro ou le dollar, le niveau d’inflation visé et le prix de l’argent sont prises par trois personnes seulement, en toute opacité.

La BNS a certes accumulé nombre de succès lors de sa centenaire histoire. Mais elle a aussi commis de graves erreurs qui ont coûté cher à la Suisse: hyperinflation en 1918; refus dogmatique de toute dévaluation dans les années 1930; expansionnisme monétaire exagéré après le krach de 1987 suivi d’une période beaucoup trop longue de taux d’intérêt punitifs en 1994-95 qui ont retardé la reprise  économique; maintien démeesurément long du cours plancher introduit dans la précipitation en 2011.

Bref, la BNS doit se moderniser comme l’exigent plusieurs parlementaires à Berne: élargir son directoire de trois à cinq ou six personnes, publier les minutes de ses décisions après un délai de quelques semaines, institutionnaliser un rendez-vous avec les Chambres pour s’expliquer sur sa politique. Exactement comme le font la Fed, la BCE, la Banque d’Angleterre, avec qui elle collabore pourtant étroitement.

Il est vrai que ce sont des sujets extrêmement sérieux, qu’il vaut mieux aborder après les élections. Entre-temps, le département fédéral des Finances doit fournir un rapport sur le franc suisse d’ici la fin de cette année. Ce sera la vraie base de discussion.

 

Le grand écart

On a appris, en Suisse, à se méfier des grands écarts monétaires. La fin brutale du cours plancher franc/euro décrétée le 15 janvier dernier par la BNS était la conséquence directe de la divergence alors nouvelle des politiques de la Fed et de la BCE. La première manifestant de manière toujours plus évidente sa volonté de remonter ses taux, la seconde s'apprêtant, au contraire, d'ouvrir les vannes. Conséquence, l'économie suisse, qui se portait comme un charme, n'échappe que de peu à une récession cette année.

Ce n'étaient que les signes avant-coureurs. La BCE, on le sait, injecte quelque 1100 milliards d'euros pour soutenir le redressement de l'économie de la zone euro. Elle va démultiplier ses efforts. Son président, Mario Draghi, a clairement indiqué le jeudi 3 septembre qu'il était prêt à étendre "la taille, la composition et la durée" du présent programme, ce qui a logiquement fait plonger l'euro et soutenu les marchés d'actions européens.

La Fed, on le sait aussi, est à un carrefour: soit elle fait ce qu'elle laisse entendre et relève ses taux d'intérêt. Trois dates sont avancées pour cette annonce: le 17 septembre, le 28 octobre ou le 16 décembre, où se concluent les réunions de deux jours du comité de politique monétaire où se prennent ordinairement ce genre de décision.

Le débat fait rage aux Etats-Unis (et ailleurs) pour savoir si cette hausse sera précoce ou tardive. Peu importent les conséquences sur la conjoncture américaine. Celle-ci est en hausse soutenue (+3,7%) au 3e trimestre, mais avec un rythme instable (+0,6% au 2e trimestre), ce qui suscite encore maintes interrogations de la part des économistes.

Mais ce qui compte dans l'immédiat, c'est l'impact sur les marchés des actions, en particulier outre-Atlantique. A la fin juillet, le SP500 atteignait un record absolu à plus de 2120 points. Même la baisse de quelque 10% subie depuis lors n'a pas vraiment fait pâlir sa performance – elle a juste effacé 14 moins de gains boursiers.

Cette hausse a été soutenue essentiellement par la mise à disposition massive de liquidités par la Fed. Le parallélisme entre la hausse des indices boursiers et celle du bilan de la banque centrale est particulièrement éclairant à cet égard. On mesure ainsi mieux l'angoisse qui saisit les gérants de fonds américains face à la perspective d'un renversement de politique monétaire. On imagine sans peine les trésors d'ingéniosité qu'ils doivent déployer pour que la Fed retarde le plus possible le renchérissement du coût du crédit.

Toutefois, si l'économie américaine continue de croître, si le taux de chômage (actuellement à 5,1%) continue de descendre, la hausse des taux sera inéluctable. Cela entraînera une chute des actions et obligations. Elle pourrait bien être durable, si la santé des marchés financiers est si dépendante des injections de dollars de la Fed. Tout le pari, c'est de croire en la solidité de la reprise américaine; et de se persuader que les marchés ont déjà anticipé les effets de cette hausse de taux, et que le mini-krach du 24 août dernier n'a été finalement que le reflet de leur scepticisme quant à l'imminence de cette hausse…

Bref, admettons que, après une phase de creux, la bourse américaine retrouvera de la vigueur, entraînant le dollar à la hausse, alors que l'euro continuera d'être affaibli par l'assouplissement quantitatif de la BCE. Ce dernier devrait permettre à l'économie européenne de retrouver la santé, mais les fonds préféreront le dollar, dont les rendements seront supérieurs.

Ce rééquilibrage va à nouveau secouer la Suisse. L'économie, stagnante, pourrait profiter d'un rebond européen. S'il se réalise. Mais elle continuera de souffrir de la force du franc, poussé vers le haut par la baisse de l'euro. Une fois encore, elle devra s'accommoder des décisions prises ailleurs.

 

Lire aussi:

"L’écart des politiques monétaires ouvre une phase d’instabilité sur les marchés", article paru dans Le Temps du 16 septembre 2015

Questions autour d’un krach

Comme tout bon tremblement de terre, la violente secousse boursière du lundi 24 août est suivie se ses répliques. Marchés en hausse le lendemain, en baisse le jour suivant, et ainsi de suite. Il faudra du temps pour que les intervenants trouvent de nouvelles zones d’équilibre. Ou, du moins, acquièrent la conviction de les avoir atteintes. Mais nombre de questions restent ouvertes.

  1. L’emballement est venu de Chine. Vraiment? Certes, le noeud du problème est à Shanghai et Shenzhen, les deux principales places boursières. Mais elles sont en forte baisse depuis fin mai. Elles ont perdu, depuis, plus de la moitié de leur valeur boursière sans que le reste du monde ne s’en émeuve. En réalité, ce n’est que lorsque la panique a franchi la frontière pour atteindre Hongkong et Tokyo dans la nuit de dimanche à lundi que les esprits se sont alarmés. Alors, bien sûr, les marchés ont réagi à la longue succession d’informations témoignant d’une dégradation de la conjoncture chinoise. Mais au plan boursier, Shanghai est-elle déjà en position de dicter le ton ou cette fonction ne reste-t-elle pas dévolue à des centres plus développés et plus matures?
     
  2. Le krach a reflété l’inquiétude croissante des acteurs. Vraiment? En fait, le site Zerohedge a constaté une succession impressionnante de mini-flash-krachs, ces effondrements brutaux de cours entraînés par les traders à très haute fréquence. Ces derniers, qui emploient des logiciels de trading réagissant à la moindre impulsion à la milliseconde, ont joué un rôle central dans l’effondrement de lundi, forçant les plate-forme de négoce boursières à activer un très grand nombre de fois leurs dispositifs de blocage. Dans quelle mesure les marchés ne se sont-ils pas laisser manipuler ce fameux lundi noir? Le seront-ils encore la prochaine fois?
     
  3. La situation a été sauvée grâce à la résilience des bourses américaines. Vraiment? L’optimisme est revenu après que le Dow Jones, le Standard & Poor’s et le Nasdaq, les trois principaux indices américains, ont montré qu’ils ne plongeaient pas comme leurs équivalents asiatiques et européens. Et les analystes de gloser sur la force de la reprise américaine, qui induit des attentes bénéficiaires accrues de la part des entreprises, ce qui justifie le maintien de prix élevés. Peut-être (cette question sera abordée plus bas). Mais ce qui est étrange, c’est que les fonds spéculatifs qui ont fui les émergents (Turquie, Brésil, Afrique du sud, etc.), très endettés et fragilisés par la crise chinoise, ont choisi l’euro, et donc l’Europe, comme destination refuge. La monnaie unique s’est donc appréciée face au dollar. Les Etats-Unis sont-ils vraiment le dernier secours?
     
  4. L’avenir est-il vraiment américain? Une lecture rapide des indicateurs de conjoncture le laissent penser: croissance au double de celle de la zone euro, entreprises prospères, réindustrialisation, absence de crise grecque… un tableau général complété d’une perspective réjouissante pour les détenteurs d’actions, la perspective d’une hausse des taux d’intérêt, qui incite les détenteurs d’obligations à se redéployer au plus vite vers les actions. Mais c’est oublier que celles-ci sont déjà extraordinairement chères: elles se payent près de 17 fois les bénéfices attendus ces 12 prochains mois contre une moyenne historique de 15 fois. En fait, le principal moteur de la hausse n’est pas enrayé: les banques centrales sont toujours aussi accommodantes, elles continuent d’inonder les marchés financiers de liquidités bon marché. La banque centrale chinoise s’est jointe au club en abaissant son taux de référence de 0,25% au lendemain du krach.
     
  5. Le lundi noir n’est-il qu’un simple accident ou début de la fin? C’est la question à un million de points d’indice boursier. Le plongeon du 24 août a été le plus violent depuis septembre 2008 au lendemain de la faillite de Lehman Brothers. Mais il n’a duré qu’un jour. En octobre 2014, les marchés d’action ont davantage baissé. Mais c’était réparti sur plusieurs jours, ce qui en atténué l’impact psychologique. Le fait est que les actions restent très chères. Elles sont donc exposées à de nouveaux plongeons. Ceux-ci pourraient devenir sans cesse plus violents à mesure que l’on s’approche du jour fatidique où les banques centrales annonceront la fin de leurs largesses.

 

Seulement par carte

Les moyens de paiements virtuels se multiplient. Les cartes de crédit et de débit peuvent désormais payer sans contact direct avec une machine. Et elles se dématérialisent, notamment lorsque l'on paie sur internet. Et que penser du bitcoin dont les transactions se font par téléphone portable? La technologie du blockchain que la monnaie virtuelle a engendrée sera bientôt appliquée aux paiements en bonne vieille monnaie classique. Nous allons tout droit vers la cashless society, la société sans liquide, réclamée par quelques grands économistes américains dont Lawrence Summers au nom de l'efficience et de la lutte contre la fraude.

Mais, en Suisse, on en est encore très loin. En dépit de la multiplication de ses cartes et machines, le pays se traîne dans le gros du classement des pas développés. Les pays nordiques, toujours pragmatiques et à la pointe, mènent le jeu. On l'a vu, le Danemark et la Suède souhaitent que les petits commerces ne soient plus obligés d'accepter billets et pièces au nom de la chasse aux coûts. Un de leurs voisins est encore plus avancé dans ce processus, l'Islande. Isolée tout au nord de l'Atlantique, frappée de 6 mois d'hiver, l'île grande comme un quart de la France et peuplée comme un canton helvétique moyen a fait du paiement électronique une solution universelle.

Du restaurant de Reykjavik, la capitale qui concentre 2/3 de la population du pays à l'hôtel perdu dans un fjord isolé, du taxi au refuge perdu au milieu des hauts plateaux glacés du centre de l'île, tout se fait par carte. Chaque institution est dotée de son lecteur. Même l'entrée des WC de ce haut lieu touristique qu'est l'imposante cascade de Gullfoss. En Suisse, on en est encore à se battre avec X systèmes différents et pas toujours compatibles entre eux. Essayez de payer votre parking sur les quais de Lausanne et on ne vous accepte pas votre carte de débit. Tentez d'entrer dans les toilettes d'une gare et on ne vous y acceptera que doté des bonnes pièces de monnaie!

La perspective d'une société purement sans cash est évidemment discutable. Même s'il pouvait régler tous ses achats par voie électronique, votre serviteur a apprécié d'avoir quelques couronnes au fonds de sa poche lors de son séjour islandais cet été, déjà rien que pour faire face à la toujours possible panne de système. Mais la généralisation des moyens de paiement électroniques pour tout type de dépense, et surtout l'intégration générale et absolue de tous les systèmes est une nécessité impérative. Que l'on installe, aujourd'hui encore comme à Nyon, des parcmètres qui ne prennent que les cartes de crédit et refusent les cartes de débit est un anachronisme indigne d'un pays aussi avancé que la Suisse.

Vers une intégration approfondie

Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, et son ministre des Finances Yanis Varoufakis peuvent clamer autant qu'ils veulent leur volonté de rester dans la zone euro. La décision vient de leur échapper définitivement. En rejetant – selon les projections de ce dimanche soir – la proposition de l'Eurogroupe, les électeurs grecs se sont mis hors-jeu de la monnaie unique. Qui voudra leur avancer le moindre sou désormais?

Le président américain Barack Obama et les économistes qui lui sont porches Lawrence Summers et Jo Stiglitz peuvent lancer tous les appels pour le maintien du pays dans la zone. On peut s'interroger si ces louables prpoccupations ne sont pas davantage dictées par l'intérêt géostratégique de ne pas trop affaiblir la Grèce, pilier de l'OTAN non loin de la Syrie, que pour sauver le porte-monnaie de ses habitants. Ou alors, à eux d'inciter le FMI, où ils sont si bien entendus, d'avancer des nouveaux milliards en dépit du défaut de paiement du 30 juin dernier.

Cela dit, les dirigeants européens savent que pour faire face à la tempête qui se lève, ils doivent désormais répondre aux aspirations des peuples, appauvris pour la moitié d'entre eux, rendus sceptiques pour l'autre moitié, face aux manquements de l'union économique et monétaire. Il est désormais évident que l'on ne peut plus laisser chaque pays à la merci de son gouvernement pour faire entrer des économies très différentes dans le moule du traîté de Maastricht.

Questions de compétences des politiciens en charge, mais aussi de la maigreur des instruments à disposition des eurocrates responsables de la stabilité du système. Si la Suisse avait dû répartir gains et sacrifices de sa propre union économique et monétaire come l'UE, pas sûr qu'elle ait survécu.

La réponse sur le long terme – lorsque le sort de la Grèce sera définitivement scellé, très certainement dehors – c'est donc la mise en place de davantage d'amortisseurs sociaux pour compenser les rééquilibrages financiers et fiscaux. Pour aider à la création d'entreprises, pour éviter que le quart d'une population active ne soit condamnée au chômage, pour que l'Europe ne se prive plus des forces jeunes, pour que l'idée même d'Union européenne ne soit plus assimilée à une terreur de l'argent.

Tout ceci s'appelle un approfondissement de l'intégration européenne. Un vaste chantier pour l'Europe de demain.