Du pain et des jeux

Les burkinis interdits aux Jeux de Paris?

A l’heure où le peuple genevois s’est doté d’une nouvelle loi sur la laïcité, la Ligue du Droit International des Femmes (LDIF) a récemment lancé un appel au Comité d’Organisation des Jeux de Paris 2024 afin de faire respecter le principe de laïcité; il s’agit d’interdire tout signe religieux parmi les participants de façon à garantir “la paix et le respect entre des jeunes venus du monde entier”. En clair, le voile islamique doit être proscrit des Jeux Olympiques.

Cet appel semble faire suite à la politique de deux pays, l’Iran et l’Arabie Saoudite, qui soumettent la participation des femmes aux compétitions internationales à des considérations extra-sportives : seules les disciplines jugées « coraniques » leur sont autorisées, mais à la condition qu’elles soient couvertes de la tête aux pieds et qu’elles ne participent qu’à des épreuves non-mixtes.

Les préoccupations de la LDIF, qui dénonce un “apartheid sexuel”, sont parfaitement légitimes et méritent d’être entendues par les instances sportives. Mais la Charte Olympique, qui gouverne notamment l’organisation des Jeux Olympiques, prône-t-elle vraiment le principe de laïcité, selon lequel les participants devraient s’abstenir de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs? N’en déplaise à la LDIF, la réponse est inverse: non seulement la Charte Olympique ne commande pas la laïcité, mais elle la proscrit.

Selon le sixième principe fondamental de l’Olympisme:

“la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Charte olympique doit être assurée sans discrimination d’aucune sorte, notamment en raison de la race, la couleur, le sexe, l’orientation sexuelle, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation”.

Cette obligation de non-discrimination s’impose notamment aux Comités nationaux olympiques qui doivent s’assurer, dans le cadre de la sélection des athlètes, que nul n’a été écarté pour des raisons religieuses.

On peut ainsi soutenir que le mouvement olympique consacre la liberté religieuse comme le font tous les Etats démocratiques: chacun est libre de vivre sa religion sans discrimination. Or, le principe de laïcité contrevient précisément à la liberté religieuse! Une athlète voilée qui se verrait refuser l’accès aux Jeux Olympiques au nom de la laïcité pourrait parfaitement se plaindre d’une discrimination fondée sur la religion en invoquant la Charte Olympique. L’appel à la laïcité de la LDIF revient à discriminer les athlètes voilées et donc à commettre une violation de la Charte Olympique. En fait, la problématique est la même que celle que nous connaissons bien en Suisse avec l’autorisation du port du voile islamique par les élèves. Notre Tribunal fédéral a déjà rappelé à plusieurs reprises que toute mesure ayant pour but ou pour effet d’empêcher le port du voile par des élèves dans les écoles publiques porterait une atteinte disproportionnée à la liberté de religion.

Certes, la Charte Olympique interdit aussi toute sorte de démonstration ou de propagande religieuse dans un site olympique, mais cela n’est pas inconciliable avec la liberté religieuse. On peut parfaitement imaginer qu’un athlète faisant du prosélytisme serait renvoyé à la maison. Mais le port du voile n’est pas assimilable à de la propagande. Du reste, le Tribunal fédéral considère, dans le cadre de l’école, que le port du voile religieux par un élève ne tend pas à influencer les autres élèves dans leurs convictions religieuses. Ainsi, la LDIF ne peut pas être suivie lorsqu’elle affirme que la Charte Olympique inclurait “une forme exigeante de laïcité”.

En réalité, l’enjeu n’est pas de savoir si le voile doit être interdit ou non. Il est d’ores et déjà accepté. Lors des derniers Jeux Olympiques, une escrimeuse portait le hijab lors des compétitions et est devenue la première femme musulmane américaine de l’histoire à remporter une médaille. Plusieurs sports comme le football ou le basketball ont adopté des règles règlementant le port du voile qui est en définitive admis.

Le vrai enjeu pour le mouvement olympique est de sanctionner les pays qui, comme l’Iran ou l’Arabie Saoudite, discriminent les femmes et leur empêchent l’accès à des compétitions au nom de l’islam. Rien à voir avec la laïcité.

En définitive, vouloir imposer la laïcité au mouvement olympique ne revient pas, comme le soutient la LDIF à “faire respecter l’universalisme des droits fondamentaux”. Au contraire, cela revient très précisément à violer une liberté fondamentale: la liberté de pensée, de conscience et de religion.

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