Pour que deux et deux ne fassent jamais cinq

Des féminicides à en perdre son latin

Dans une interpellation adressée au Conseil d’Etat suivie d’un débat sur les ondes de Forum, une députée plaide pour l’utilisation du terme féminicide par l’administration vaudoise. L’étroitesse de la grille de lecture proposée est navrante et dessert le combat en faveur des victimes.

Disons-le en préambule : il s’agit d’un sujet important, à traiter avec sérieux. D’une part – mes lecteurs habituels le savent bien – car le choix des mots est essentiel. En particulier en ce qui concerne des définitions juridiques. D’autre part car la protection de toutes les victimes, notamment des femmes, devrait être une priorité du débat politique.

C’est donc avec intérêt que j’ai pris connaissance de l’interpellation de Mathilde Marendaz portant sur le probable quadruple meurtre d’Yverdon ainsi que le débat qui s’est ensuivi sur les ondes de la RTS. Autant le dire tout de suite : Camus se retournerait dans sa tombe s’il prêtait attention à cette affaire, supposée nommer un peu mieux les choses pour diminuer d’autant le malheur du monde.

Que demande l’interpellatrice ?

En ce qui nous concerne, l’élue d’extrême gauche affirme qu’un « meurtre commis par un homme contre une femme, cela s’appelle un féminicide ». Elle demande en conséquence que la Police cantonale utilise cette expression, y compris lorsqu’une enquête est en cours, avant tout jugement. En outre, elle souhaite que les bases légales soient mises à jour afin que les services de l’Etat en fassent de même. Pour le surplus, les meurtres d’enfants doivent être appelés « infanticides ».

Ces propos ont été répétés sur les ondes de la RTS dans l’émission Forum de mardi, appuyés par l’avocate Lorella Bertani, qui renchérissait : « tuer des femmes, oui, c’est un féminicide, car sinon c’est un homicide. Un homicide, c’est tuer un homme ».

Une mauvaise compréhension du sujet

Nous l’avons dit, il s’agit d’un thème important. Il est donc d’autant plus exaspérant que l’élue n’ait pas daigné utiliser un dictionnaire avant d’agir au Grand Conseil. Il lui aurait été possible de déterminer qu’il y a féminicide lorsque le meurtre d’une femme (ou d’une fille) est lié au fait qu’elle est une femme. Il ne suffit donc pas que la victime soit une femme, mais il faut aussi que le mobile soit fondé sur ce fait. Ainsi, un automobiliste qui perd malgré lui le contrôle de son véhicule, tuant une personne de sexe féminin, ne commet pas un féminicide – comme le voudrait la députée – mais un homicide, potentiellement qualifié d’involontaire.

En oubliant l’élément subjectif qu’est l’intension de l’auteur, Mathilde Marendaz vide sa demande de toute substance. Elle transforme une discussion qui devrait porter sur la qualification des infractions, leurs mobiles, leur répression et les méthodes de prévention en une simple question sémantique voire statistique sans conséquence, évoquant les éternels arguments de l’invisibilité et de la société patriarcale.

La faute vient probablement d’une erreur de latin particulièrement répandue au sein des mouvements hostiles au français académique. Penser que l’homicide est l’acte de tuer un homme et nécessite un équivalent féminin, c’est méconnaître l’étymologie de ce mot : homicide, avec un m, vient du latin homo, soit l’être humain, et pas du français homme (issu pour sa part du latin impérial). Le terme homicide désigne l’action de tuer un être humain. Il n’est pas question de masculinité.

Pour mémoire, on notera que l’interpellatrice se trompe aussi au sujet de l’infanticide : contrairement à ce que prétend la députée, l’infanticide ne désigne pas le meurtre d’un enfant par un adulte, notion que l’on pourrait utiliser pour prononcer une peine plus sévère. Au contraire, il s’agit d’une disposition du code pénal dont le but est d’atténuer la peine des mères qui tuent leur enfant « pendant l’accouchement ou alors qu’elle[s] se trouvai[en]t encore sous l’influence de l’état puerpéral » (art. 116 CP).

Une porte ouverte aux dérives… ou à l’inaction

Durant le débat, le champ de la discussion s’est élargi à la modification du code pénal dans le sens évoqué par les interlocutrices. Soyons clairs : si l’on souhaitait intégrer en droit pénal une notion de féminicide, décrit comme le meurtre d’une femme par un homme, sans y inclure la question du mobile, on s’éloignrait automatiquement des définitions prises en compte par les institutions internationales pour sombrer dans le ragot politique sans suite. Certaines infractions devraient alors être jugées différemment selon le sexe de l’auteur et de la victime, ce qui violerait le principe d’égalité devant la loi (reprendre l’exemple de l’accident de voiture est évocateur ici).

Si, en revanche, il était question de mettre en œuvre la volonté de Madame Marendaz tout en tenant compte de la vraie définition du féminicide, alors les agents de l’Etat dont la police devraient prendre position sur les motifs inhérents à des infractions avant le jugement de celles-ci, ce qui violerait les garanties procédurales les plus élémentaires.

La volonté de l’interpellatrice ne pouvant être appliquée comme cela, elle ne peut accoucher in fine que sur la répétition par les autorités de statistiques déjà connues et publiées ventilant les auteurs et victimes d’homicides selon leur sexe. Beaucoup de bruit pour ne pas faire avancer la cause des femmes, en somme.

La protection des victimes mérite mieux

Pour ma part, bien qu’opposé à l’introduction d’un nouveau qualificatif pénal dans le cas d’espèce, j’estime que ce débat aurait pu avoir de l’intérêt s’il avait été bien mené, de sorte à ce qu’une discussion de fond puisse avoir lieu sur les différents types d’homicides, la marge de manœuvre des juges, le besoin pour les victimes et leurs proches de voir des ignominies nommées par leur nom, les réalités chiffrées des violences domestiques sous toutes leurs formes et les conséquences à en tirer, notamment en matière de renvoi.

Le traiter sans préparation préalable (ou sans compréhension approfondie du sujet), malheureusement, nuit à la cause de la lutte contre les violences en mobilisant du temps et des moyens au profit d’une approche populiste et stérile de la chose. Mais l’intéressée aura obtenu ses quelques minutes d’antenne et une tribune pour prétendre soutenir les plus faibles. Dans une démocratie parlementaire, c’est parfois tout ce que l’on cherche.

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