Pour que deux et deux ne fassent jamais cinq

Immigration : vers un assouplissement anticonstitutionnel du regroupement familial ?

Le Parlement s’apprête à assouplir les conditions permettant aux étrangers de s’installer en Suisse au titre du regroupement familial. Contraire à la constitution, cette modification représenterait un camouflet pour le peuple votant et la démocratie directe. 

A la suite d’un arrêt du Tribunal fédéral, reprenant la jurisprudence européenne, notre législation connaît deux régimes en matière de regroupement familial : les familles étrangères des citoyens européens, au bénéfice de l’accord sur la libre circulation des personnes, peuvent plus facilement immigrer dans notre pays que les familles étrangères des citoyens suisses, soumis à la loi sur les étrangers.

La Commission des institutions politiques du Conseil national (CIP-CN) prend maintenant le taureau par les cornes pour mettre un terme à cette « discrimination », et souhaite modifier la loi afin que les citoyens suisses bénéficient des mêmes largesses que les ressortissants de l’Union européenne. Une bonne idée, vraiment ?

L’égalitarisme à tout prix : un réflexe pavlovien à enterrer

S’il est vrai que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne est plus que douteuse et que la situation à deux vitesses qu’elle induit pour la Suisse n’est guère satisfaisante, le réflexe pavlovien égalitariste consistant à élargir le cercle des bénéficiaires de droits juridiquement mal fondés et pratiquement démesurés pour éviter tout traitement défavorable d’une part de la population n’est pas le bon – il ne peut en découler qu’une fuite vers l’avant sans issue.

Rappelons ici un élément : la gestion de l’immigration des personnes n’étant pas ressortissantes de l’Union européenne est l’un des derniers domaines, en matière migratoire, sur lesquels la Suisse est encore libre de légiférer. Abandonner cette rare tranche d’autonomie sur notre politique démographique est un aveu d’échec. C’est également un refus d’appliquer la volonté du peuple souverain.

Encore une fois, les élus fédéraux se moquent de la constitution fédérale

Le 9 février 2014, le peuple et les Cantons ont accepté l’initiative populaire contre l’immigration de masse. Ce faisant, ils ont modifié la constitution de sorte à y prévoir une gestion autonome de l’immigration[1]. Il y est inscrit noir sur blanc que les autorisations liées au regroupement familial doivent être contingentées et que ce droit peut être limité.

Contrairement aux questions de libre circulation des personnes qui concernent les ressortissants européens, il n’existe dans le cas présent aucune obligation ou pression venue de l’étranger pour que la Suisse accepte de se plier – volontairement – à l’interprétation large que fait la Cour européenne du regroupement familial. Ni le Tribunal fédéral[2], ni la CourEDH[3] n’ont estimé qu’un système similaire à celui de notre pays allait à l’encontre du droit supérieur ou devait être modifié.

Nous nous trouvons ici clairement dans un cas de violation directe d’une norme constitutionnelle par une majorité parlementaire, sans la moindre justification relevant du droit international, des accords bilatéraux ou d’un quelconque engagement de la Suisse vis-à-vis d’une institution ou d’un autre.

Tout le contraire d’une immigration choisie

Précisons que la modification légale ne concerne pas le conjoint ou les enfants mineurs des ressortissants suisses, qui jouissent aujourd’hui déjà d’un droit facilité au regroupement familial. En d’autres termes, les bénéficiaires de la révision seront principalement les parents et grands-parents ainsi que les enfants adultes des conjoints étrangers de ressortissants suisses qui n’ont pas d’autorisation de séjour durable en Europe. Des personnes qui n’ont pas ou alors très peu d’attache avec notre pays et qui n’ont jamais vécu – pour le moins légalement – sur notre continent.

Il faut bien comprendre que cette réforme accordera un droit quasi automatique à immigrer en Suisse à un nombre important de personnes : sans même prendre en compte les assouplissements prévus, le regroupement familial auprès des seuls ressortissants suisses représente annuellement 7 à 9’000 personnes.

Il s’agit qui plus est, et c’est important de le noter, d’une immigration surreprésentée dans les institutions sociales[4], susceptible de percevoir des cotisations AVS sans n’avoir jamais cotisé et pratiquement impossible à renvoyer[5] quand bien même l’union familiale ne serait que de courte durée et ne subviendrait pas aux besoins des personnes concernées.

Le Parlement doit se rappeler d’où il tient son pouvoir législatif !

Nous venons de voir que, d’une part, rien n’oblige la Suisse à assouplir son droit et que, d’autre part, un tel assouplissement viole la constitution et la volonté populaire en créant un nouvel appel d’air migratoire. En outre, la révision ne concerne pas même les personnes les plus proches des ressortissants suisses – conjoint et enfants par alliance – mais un nombre élevé d’ascendants et d’enfants majeurs sans attache avec le pays ou même le continent.

Une telle révision semble déconnectée des attentes de la population – cela d’autant plus lors d’une année alliant immigration record et crise du pouvoir d’achat. Le fait qu’elle ait trouvé une majorité dans les commissions concernée devrait nous inquiéter quant à la capacité de nos élus à appliquer les votations populaires. Il ne reste plus qu’à espérer que le plénum se rappelle d’où il tient son pouvoir législatif, lorsqu’il sera appelé à se prononcer…

[1] Art. 121a Cst. féd.

[2] Arrêt du TF du 13 juillet 2012 2C_354/2011, consid. 2.7.

[3] Voir ATG 136 II 120, consid. 3.3 à 3.4.

[4] Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat 17.3260 de la CIP-CE du 30 mars 2017, ch. 7.3.

[5] Rapport de la CIP-CN joint au projet soumis à consultation, ch. 4.

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