Pour que deux et deux ne fassent jamais cinq

Accueil extrafamilial : la Confédération placera-t-elle les cantons à la crèche ?

Dans l’indifférence générale, le Parlement s’apprête à grignoter encore plus les compétences cantonales en matière de politique familiale. Jusqu’où peut-il bafouer le fédéralisme au nom de la bonne cause ?

La Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil national (CSEC-CN) a entériné par une confortable majorité son projet intitulé « remplacer le financement de départ par une solution adaptée aux réalités actuelles »[1]. Derrière ce titre obscur qui pourrait correspondre à bon nombre d’objets parlementaires (combien de cadres financiers ont-ils été pérennisés puis étendus pour correspondre aux réalités actuelles ?) se cache l’élaboration d’une nouvelle loi supposée améliorer la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle et aider les cantons à développer leur politique d’encouragement de la petite enfance.

Les raisons de s’opposer à ce projet ne manquent pas : présupposé idéologique selon lequel une proportion élevée d’enfants confiés à un accueil extra-familial public est un but en soi, exclusion des solutions familiales ou privées, création d’un enfer bureaucratique, établissement du droit de chaque enfant à un financement fédéral – le tout saupoudré d’une couche de vocabulaire progressiste dispensable. Toutefois, le vice suprême de la loi réside à l’évidence dans son absence de base constitutionnelle.

Une interprétation frivole de la Constitution 

Si l’article 116 de la Constitution charge la confédération de prendre en considération les besoins de la famille dans l’accomplissement de ses tâches, il ne lui octroie aucune compétence directe[2] : ce sont les cantons qui sont compétents en la matière. Tout au plus l’État fédéral peut-il soutenir les mesures destinées à protéger la famille. Il est dès lors proprement révoltant que la CSEC-CN travestisse la disposition constitutionnelle, prétendant dans son rapport que ce même article autorise la confédération à prendre des mesures destinées à protéger la famille.

Rappelons-nous que le peuple avait été appelé à voter sur un sujet similaire en 2013. A l’époque, le rapport de commission précisait sans détour que « il n’existe pas à ce jour de base constitutionnelle permettant à la Confédération de définir des exigences minimales auxquelles les cantons devraient répondre, telles que l’obligation de garantir un certain nombre de structures de jour ou de participer à leur financement ». Ces propos confirmaient les affirmations répétées du Conseil fédéral, pour qui « il n’appartient pas à la Confédération de jouer ici un rôle directeur, qui serait en contradiction avec les principes du fédéralisme et de la subsidiarité »[3].

Les cantons devront payer et se taire

La majorité de la commission définit sans gêne les compétences dont elle est investie de manière extensive. Sur la base de cette mésinterprétation grossière des principes du fédéralisme, elle souhaite entériner des mesures visant à « contrebalancer l’hétérogénéité dans les cantons » et « créer une concurrence entre eux » avec l’objectif affiché « d’inciter les cantons à augmenter leurs subventions dans le domaine ». L’étonnante facilité avec laquelle nos représentants peuvent tirer la couverture du pouvoir vers eux laisse songeur.

Le projet ayant été accepté par 17 voix contre 7 en commission, son succès définitif devant la chambre du peuple ne fait que peu de doutes, signe malheureux que de telles largesses ne sont plus éliminatoires dans la Berne fédérale d’aujourd’hui. En définitive, le législateur fédéral n’hésite plus à fermer les yeux sur la répartition constitutionnelle des compétences lorsqu’il s’agit de s’emparer d’un thème politiquement porteur. A se demander si la prochaine étape ne consistera pas à placer les cantons à la crèche, le temps de terminer la phagocytose des dernières prérogatives ayant encore échappé à la centralisation…

[1] Procédure de consultation 2022/34, relative à l’iv. pa. 21.403.

[2] Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à un nouvelle constitution fédérale, p. 335.

[3] Réponse du Conseil fédéral à l’interpellation 04.3668

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