Pourquoi la loi CO2 actuelle ne répond pas aux objectifs de Paris? Pourquoi la soutenir malgré tout?

Le Parlement va cette semaine se prononcer sur une révision totale de la loi CO2. Ce projet si longuement discuté au sein des chambres ne pourra malheureusement pas permettre de véritablement atteindre les objectifs qui en sont pourtant la raison d’être, et cela même si toutes les minorités péniblement obtenues par la gauche sont adoptées. Que lui manque-t-il ? Voici plusieurs exemples :

En ce qui concerne les carburants :

  • Il manque des objectifs d’atténuation pour l’ensemble des carburants! Toute la loi est construite autour des combustibles, alors que 40% (OFS) des émissions directes de la Suisse sont dues aux carburants. C’est la plus grande lacune dans l’élaboration de la loi et la principale raison pour laquelle elle ne permettra pas d’atteindre les objectifs de Paris, ni même les objectifs généraux d’atténuation formulés dans l’introduction de la loi.
  • L’Office fédéral de l’énergie définit les objectifs de quantité de CO2 (en g/km/an) émis par véhicule pour les importateurs d’automobiles en se calquant sur la législation européenne qui impose des seuils aux constructeurs d’automobiles. Selon la loi CO2, une quantité « moyenne » de 95 gCO2/km/an doit être respectée entre l’ensemble des importateurs du pays. La Confédération doit négocier des quantités tolérées « spécifiques » (valeur cible spécifique) avec chaque importateur ou groupe d’importateurs en fonction des caractéristiques et du poids des véhicules. Cela veut dire que les efforts des importateurs de « petites voitures » (comme Peugeot, Citroën, etc.) compensent l’inertie de ceux qui importent des « grandes voitures » (VW, Audi, Mercedes, etc.). Les efforts des petits font que les gros n’ont pas besoin d’en faire pour baisser leur « cible spécifique ». Ce système, extrêmement opaque, semble conçu tout exprès dans le but de favoriser les importateurs (et constructeurs européens) des véhicules les plus lourds et les plus puissants, qui devraient pourtant justement être ceux que l’on pénalise le plus. Dans ce cas précis, non seulement nous ne respectons pas le principe du pollueur-payeur, mais nous allons même à contresens de ce principe !
  • Avec une limitation de +12 ct/l d’essence au maximum les consommateurs privés ou les entreprises ne sont ni incités à réduire l’utilisation qu’ils ont de leurs véhicules ni à choisir des véhicules moins gourmands en essence car il n’y a pas d’impact significatif sur leur choix de consommation. Pour être vraiment efficace, une taxe carbone devrait impliquer carburants et combustibles au même taux.
  • Il manque des mesures complémentaires et incitatives. Par exemple, on devrait promouvoir clairement la mobilité électrique pour remplacer les carburants. ainsi que la mobilité douce, les offres de sharing et les transports publics. En plus de leur bilan favorable en CO2, les voitures électriques sont moins bruyantes et ne polluent pas l’air local ce qui augmenterait la qualité de vie dans les villes de manière considérable. La loi devrait imposer au gouvernement de promouvoir et de développer les infrastructures nécessaires pour le parc de véhicules électriques (bornes de recharge, etc.) et soutenir le développement et la recherche sur la mobilité électrique, notamment le développement et le recyclage des batteries.

En ce qui concerne les combustibles :

  • Avec les allocations gratuites des droits d’émissions les entreprises ne sont pas incitées à investir d’une manière durable sur le plan climatique. Pire, cela revient au même que de leur fournir des subventions.
  • La loi ne prévoit pas de mesures significatives pour promouvoir la recherche et le développement des énergies renouvelables. La Suisse dispose d’un grand potentiel pour le photovoltaïque qui est largement sous-exploité. A l’exception de l’énergie hydraulique nous figurons dans les derniers rangs en matière d’exploitation des énergies renouvelables en Europe. La loi devrait offrir un cadre incitatif pour le développement massif des énergies renouvelables, en particulier dans le solaire.

En ce qui concerne la finance durable :

  • Malgré les avancées depuis son passage au États en automne dernier, la loi n’encourage pas suffisamment les finances durables. Il est pourtant extrêmement important d’inciter la Confédération, la BNS, les caisses de pension et autres institutions à gérer leurs finances d’une manière durable. Ceci aurait un très grand impact car des fortunes considérables sont gérées en Suisse. Si la Confédération et la BNS montraient le bon exemple, cela donnerait un signal majeur aux investisseurs. Il faudrait également développer les bons standards pour la classification de ces fonds financiers et leur monitoring.
  • La loi ne stipule pas suffisamment les investissements en technologies durables et neutres sur le plan climatique. A l’avenir, il faudra faire un plus grand effort pour préparer notre économie future à moyen et long terme.

En ce qui concerne la formation :

  • Cela implique également un investissement important dans la formation initiale et continue, en particulier dans les domaines des énergies renouvelables, notamment le photovoltaïque, la construction et le bâti, la mobilité électrique, l’adaptation au changement climatique (aménagement du territoire, agriculture et sylviculture) et l’éducation au développement durable. Le développement rapide des énergies renouvelables, l’innovation dans les domaines de la construction et du bâti tout comme dans les transports afin de s’affranchir des énergies fossiles demande du personnel supplémentaire et spécialisé. Nous avons donc besoin d’une offre accrue et de contenu adéquat des programmes de formations initiales et continues pour répondre à cette demande. L’adaptation au réchauffement climatique implique également des nouvelles pratiques et connaissances, en particulier dans les domaines de l’agriculture, de la sylviculture et de l’aménagement du territoire. Enfin, les changements de comportements nécessaires à la réalisation des objectifs de Paris implique l’introduction d’une éducation au développement durable dans tous les domaines, en particulier celui des finances, du commerce et de l’ingénierie.

Et l’adaptation au réchauffement climatique ?

  • Il manque la base légale pour les mesures d’adaptation au changement climatique. La simple coordination par la Confédération ne suffit pas. Il faut ancrer les mesures d’adaptation, la Confédération devrait implémenter une stratégie d’adaptation pour toute la Suisse sur la base de l’excellent rapport de l’OFEV (2017).

Dans ces conditions, pourquoi soutenir un projet si décevant au regard de l’urgence climatique ? Car malgré tout elle porte certains avantages :

Avantages de la loi CO2

  • La loi fixe des objectifs de réduction précis pour 2030 et 2050. Les minorités proposées par la gauche, pour autant qu’elles soient acceptées, fixent des seuils compatibles avec les exigences de l’initiative des glaciers.
  • L’établissement de la taxe CO2 sur les combustibles comme instrument de marché est le point fort de la loi, dont les effets positifs sur l’évolution des émissions nationales sont perceptibles depuis plusieurs années. De plus, les revenus de cette taxe sont redistribués à la population.
  • Le système de mise aux enchères d’une part des droits d’émission et le lien au marché d’émission européen dans le secteur de l’aviation sont aussi de bonnes avancées.
  • La création d’un Fonds pour le climat à partir de cette nouvelle taxe également. Cependant, dans un but de cohérence et d’efficacité, les ressources financières issues de ce fond devraient être placées auprès de produits financiers qui respectent le principe de neutralité climatique.
  • Enfin, cette loi représente le seul cadre législatif que nous ayons pour les années postérieures à 2020.

Son rejet par un référendum serait donc dangereux de ce seul point du vue. Il est cependant absolument nécessaire de la compléter au plus vite par un maximum d’interventions parlementaires visant à compléter les lacunes décrites ci-dessus. Le rythme et l’agenda de traitement de ces interventions et dépôts devra également être prioritaire dans l’agenda des deux chambres. Comme l’a démontré la crise sanitaire du COVID-19 de tels bouleversements d’agenda face à une urgence sont possibles. En regard des menaces que fait peser le réchauffement climatique sur les conditions de vie, et de santé, des jeunes générations, nous ne voyons pas bien pourquoi, il ne serait pas possible aujourd’hui d’appliquer les mêmes principes afin de justifier un traitement urgent des objets permettant d’améliorer et de compléter la loi CO2.

Valentine Python

Docteure EPFL, climatologue et géographe, Valentine Python s’investit dans l’éducation à l’environnement. Consultante scientifique, elle transmet les connaissances nécessaires pour comprendre le réchauffement climatique et l’érosion de la biodiversité. Conseillère nationale depuis 2019, elle s’applique à créer des passerelles entre Science et Politique.

5 réponses à “Pourquoi la loi CO2 actuelle ne répond pas aux objectifs de Paris? Pourquoi la soutenir malgré tout?

  1. se baser uniquement sur le CO2 pour une politique climatique est très maladroit et les taxes calculées uniquement sur les rejets de CO2 encore plus ridicules , les plus aisés des citoyens se moquant bien de quelques centaines de francs à verser par année à votre cagnotte verte , vite entamée par les frais administratifs …
    La confédération doit investir en infrastructures renouvelables ( chauffages PAC ” pompes à chaleur”, toits solaires , bornes électriques et parking gratuit pour les véhicules de ce type , …) .
    L’industrie suisse a tout à gagner à miser sur ces filières pour acquérir le savoir faire qui peut être exportable .
    nous économiserons également sur les importations de pétrole dont nous sommes dépendants , ce dernier point doit être souligné pour qu’il devienne un argument contre les nationalistes se contredisant en prêchant d’un côté l’indépendance et d’un autre la dépendance aux ressources fossiles !
    Il faut analyser tous les aspects et montrer une vision d’avenir aussi pour l’économie .

  2. Madame,

    La surtaxe sur les carburants reste, à mes yeux, une énigme. Pour autant que je sache, l’élasticité-prix de la demande de carburant (en Suisse) est quasiment nulle à court terme et relativement faible à moyen terme or le coût politique de cette mesure est important. Il existe un risque non négligeable que ce seul point fasse capoter la loi pour un effet, au mieux, limité.
    Vous le dites vous-même l’impact sur la consommation sera faible.
    De plus, la transition écologique consiste, au moins partiellement, à remplacer le stock de capital physique nécessitant des énergies fossiles. Il serait probablement plus efficace de cibler directement le stock plutôt que de taxer les flux.

  3. Bonjour Mme Python,

    Faisant écho à vos propos, j’attire votre attention sur un livre qui vient de paraître : Stopper le réchauffement climatique – Propositions concrètes.
    La démarche du livre est constructive, pédagogique et chiffrée, montrant qu’il est possible de contrer le réchauffement climatique et d’inverser la tendance, grâce notamment aux énergies sans carbone.
    Si vous le souhaitez, je peux vous fournir le livre en format PDF. Je suis disponible pour en parler avec vous. Le résumé du livre figure ci-dessous.

    Restant à votre écoute, bien cordialement.
    Jean-Charles Piketty

    Résumé du livre :
    Face au réchauffement climatique, nous devons réduire massivement nos émissions de gaz à effet de serre, mais nous n’en prenons pas le chemin. Il est nécessaire de proposer un objectif très ambitieux. Ce haut niveau d’exigence est décisif car il va permettre de découvrir des solutions auxquelles nous ne pensons pas.
    L’auteur fournit une méthode avec les éléments chiffrés sur l’énergie et les quantités d’émissions de gaz à effet de serre. Il explique les solutions concrètes proposées dans tous les secteurs d’activité. Par exemple, dans le secteur des transports, l’aménagement des infrastructures routières rend possible la généralisation des véhicules électriques.
    La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible de réussir à contrer le réchauffement climatique sans remettre en cause notre système et notre mode de vie. Par exemple, chacun de nous pourra continuer à disposer d’une voiture individuelle.
    L’auteur définit ainsi un projet de transformation énergétique sans précédent. Nous pourrions ainsi être les pionniers en montrant comment franchir un pas important vers le refroidissement climatique. Ce livre offre une vision claire du problème et s’adresse à tous les citoyens.

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