Imaginaires

L’ordonnance du spécialiste (y a pas que le Covid)

C’est l’histoire d’une dame qui consulte un spécialiste pour un problème de santé (somatique) à ne pas négliger mais somme toute assez banal. Elle a déjà fait tous les examens nécessaires, d’après lesquels il n’y a pas péril en la demeure, et la visite de l’organe dont le spécialiste est spécialiste confirme que la dame, à vues humaines, ne risque pas de voler prochainement au personnel soignant du temps et de l’énergie dont d’autres ont besoin, surtout en ce moment, si vous voyez ce que je veux dire. Pourtant, le monde est mal fait, le spécialiste n’est pas content.

Le spécialiste n’est pas content parce qu’il a vu dans le dossier que la consœur et le confrère qui ont déjà visité la dame lui ont bien prescrit deux médicaments, mais pas le curcuma*. En tant que spécialiste de l’organe dont il est spécialiste, le spécialiste ne jure que par le curcuma. A moins que…non, on ne va pas le soupçonner d’un tel cynisme…à moins qu’il ne soit dépité que le bon état de la patiente ne lui laisse, pour marquer quand même son territoire, que la ressource de lui prescrire une dose (minimale) de curcuma ? Tellement minimale (juste en prévention, précise-t-il) qu’on se demande si, à la place, il n’aurait pas pu aussi bien lui prescrire, mettons, de l’ail des ours.

Il griffonne son ordonnance et la tend à la patiente, en déclarant impérieusement : «Je vous mets sous curcuma !» La patiente, ça la ferait rire, tellement c’est une caricature, sauf qu’elle a repéré l’entrechat sémantique produit par l’inconscient de ce somaticien. Ce n’est pas mets sous qu’il a pensé, mais bien soumets. Je vous soumets à mon pouvoir de petit chef médical, au moyen d’une ordonnance de curcuma. Et ça, la patiente, elle n’a pas trouvé drôle du tout – si bien que l’ordonnance a fini au vieux papier.

Comme toutes les histoires, celle-ci a une moralité. Si les médecins du corps veulent être suivis par leurs malades, certains et certaines d’entre eux devraient être plus attentifs au genre de choses dont s’occupent les médecins de l’esprit.

 

* nom du médicament connu de la narratrice

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