L’ascenseur

L’ascenseur, un espace physique et temporel confiné, un voyage à la verticale. Comme les œufs Kinder, c’est uniquement une fois ouvert que vous saurez quelle surprise il vous réserve en termes de rencontres.

Prenez l’ascenseur d’un immeuble qui n’est pas le vôtre, ou celui d’un hôtel.

La porte s’ouvre, quelqu’un entre, il n’est pas rare qu’une petite gêne s’installe. Souvent on ne se dit même pas bonjour, ou alors sans sourire. Manquerait plus qu’on sympathise !

On évite les regards qui se croisent, on fixe le sol, on prend l’air affairé, tout pour ne pas suggérer qu’on serait ouvert à la discussion, à la fraternisation. Cette crainte de la familiarité intempestive, c’est sans doute cette proximité involontaire qui la provoque.

On est tout près, tellement près qu’on devine le parfum, l’haleine de l’autre. Pour le meilleur et pour le pire.

Parfois, plus vexant, la porte s’ouvre et même s’il reste de la place, les potentiels nouveaux arrivants sursautent et n’entrent pas. Ils laissent la porte se refermer, sur un lapidaire « Je prendrai le suivant » censé justifier rationnellement leur dédain à peine voilé. C’est ma tête qui ne leur revient pas ou quoi ? Vite, je me regarde dans le miroir pour me rassurer… Pas de feuille de salade entre les dents, pas de fiente de pigeon dans mes cheveux… Bon. Tant pis pour eux.

Le regard de l’autre nous fait sortir de notre zone de confort. L’intimité qui n’est pas élective nous embarrasse.

Et pourtant, ce serait une belle occasion de rencontrer des humains que nous n’avons pas choisis, mais qui potentiellement nous feraient découvrir d’autres histoires, d’autres horizons que les nôtres. Combien de films nous ont fait rêver en partant de ce simple postulat de la rencontre fortuite qui se mue en véritable incarnation du destin ?

Je vis souvent des grands moments de solitude avec ma façon trop latine d’aborder les autres, en essayant de détendre l’atmosphère, d’avoir un mot gentil.

Certes, c’est un moment éphémère, une toute petite transition d’un lieu vers un autre, et on ne veut pas se fatiguer à entamer une conversation qui a toutes les chances de se révéler anodine et sans lendemain.

Mais la vie n’est-elle pas justement faite de ces petits moments inattendus, de ces rencontres imprévues, de ces échanges qui n’étaient pas au programme ?

Et si l’on se projetait, si l’on se plaisait à imaginer le rôle que cet autre pourrait tenir dans notre vie hors de cet ascenseur ? Alors je vous inviter à appuyer – symboliquement – sur « stop » la prochaine fois que vous prendrez un ascenseur pour lever le regard et observer la personne en face de vous (sauf s’il s’agit d’un mineur non accompagné, d’un serial killer ou d’une femme de chambre du Sofitel), lui parler ou tout simplement deviner ce qu’il vit, s’il est heureux, stressé, triste. Des petites pépites de vie qui ne se consomment que dans l’instant présent. Exclusivement au rayon frais.

Sabrina Pavone

Illustration: Ascenseur de l’Hôtel L’Echiquier Opéra Paris

Le rond-point

Avez-vous déjà observé ce qui se déroule au niveau humain dans un rond-point ?

Techniquement le rond-point est conçu pour pouvoir circuler de façon fluide sans avoir besoin de signalétique. La règle du jeu est simple, connue de tous. Potentiel problématique : faible à très faible. En théorie.

Parce que, si on regarde de plus près le comportement des conducteurs qui s’y croisent et entrecroisent, on observe un jeu des places à prendre parfois assez éloigné de la formalité circulationnelle

En principe l’entrée dans un rond-point devrait ressembler à ceci : je m’approche du point d’entrée, j’observe les véhicules déjà engagés, qui ont la priorité ; mon tour arrive, les autres conducteurs ralentissent afin que je puisse m’insérer en douceur, et vogue le navire !

Ce n’est pourtant pas ce que j’expérimente la plupart du temps. Ma première roue délicatement engagée sur la tangente du grand cercle de bitume, voilà que celui qui arrive se sent envahi dans son espace qu’il pensait visiblement réservé à son seul usage. Au lieu de ralentir, il fonce droit sur moi et commence à s’agiter, à gesticuler. Je crois même deviner des insultes légèrement misogynes sur ses lèvres… » Il n’en faut pas plus pour que mon sang de femme ne fasse qu’un tour, alors, oui je l’avoue, il m’arrive de mettre un coup d’accélérateur pour m’imposer. Parfois, je cède, fatiguée de cet éternel combat pour l’égalité et l’équité, et dont la route n’est que l’énième de ses champs de bataille. Ou est-ce moi qui vois le sexisme partout ? Après tout, pas besoin d’être macho pour être un grossier personnage.

Il y a aussi ceux qui attendent, attendent et attendent encore avant d’entrer dans le rond-point, jusqu’à ce qu’une bonne âme ralentisse ou qu’il n’y ait plus la moindre voiture à l’horizon. Ils ont toutes les difficultés du monde à se lancer, hésitent, laissent passer, font des politesses, patientent jusqu’à ce que tous les usagers du rond-point, passés, présents et à venir, aient pris leur place. Et se font copieusement houspiller par les conducteurs qui ont le malheur d’être derrière et de devoir subir ces atermoiements totalement superfétatoires.

Ou alors, il y a ceux qui sont engagés dans le rond-point et qui, plutôt que d’assumer leur égoïsme débridé, feignent de ne pas voir les autres, comme pour se donner bonne conscience, genre… « aaaah, tu voulais entrer dans le rond-point, désolé, j’ai cru que tu étais garé(e). Sinon, tu penses ! »

Trouver sa place dans la vie est souvent une question épineuse. Certains en prennent trop, d’autre s’effacent, d’autres encore s’épuisent à la revendiquer sans succès.

Comme dans un rond-point, prendre sa place est censé se faire de façon fluide, et comme dans un rond-point, ce n’est souvent pas le cas.

On en revient toujours à Darwin, les plus forts survivent les autres s’adaptent ou meurent.

Je suis peut-être idéaliste, mais je crois au contraire qu’une place nous est attribuée dès la naissance et que si tout le monde prenait un peu de hauteur pour observer le système dans sa totalité, les places pourraient être distribuées de façon équilibrée dans le grand théâtre de l’existence. Et la circulation dans le rond-point de la vie serait simple, sans accroc ni friction.  Alors qui sait, la prochaine fois que vous approcherez un rond-point, peut-être y porterez-vous un regard différent ?

Sabrina Pavone

 

A propos de ce blog…

Des situations de vie banales et quotidiennes vues à travers le prisme des enjeux, des fonctionnements humains et des mécanismes aussi bien personnels que sociaux-culturels qu’elles impliquent.

Ce blog n’a nulle prétention littéraire ni éducative ; sa seule vocation est de sensibiliser les lectrices et les lecteurs, de les inciter à porter un regard plus conscient, plus aiguisé sur ces situations de vie quotidienne, les comportements et ressentis qu’elles font intervenir, les réactions qu’elles engendrent. L’objectif : remettre un peu l’humain au centre de la machine « société ». Proposer une autre lecture de ces interactions si fréquentes qu’on en oublie qu’elles ont un sens peut-être moins anodin qu’il n’y paraît…

Pourquoi l’œil du Paon ? Tout d’abord Paon en italien se dit Pavone, mon nom de famille. Puis, les plumes du Paon portent un œil à qui on a souvent attribué un caractère mystique et profond qui va au-delà de ce que l’œil normal est capable de voir.

Dans la Grèce antique déjà il était devenu l’oiseau emblème de la déesse Héra, épouse de Zeus. Il compte parmi les figures animales les plus présentes dans les enluminures des manuscrits durant tout le Moyen Âge en Europe, où il symbolise souvent la renaissance ou la résurrection. Au Moyen-Orient, le paon figure fréquemment de chaque côté de l’arbre de vie et symbolise l’incorruptibilité de l’âme et la dualité psychique de l’homme.

Une légende soufie raconte que Dieu créa l’Esprit sous forme d’un paon et lui montra sa propre image dans le miroir de l’Essence divine. Le déploiement de la queue du paon symbolise le déploiement cosmique de l’Esprit.

Dans les traditions ésotériques, le paon est un symbole de totalité, en ce qu’il réunit toutes les couleurs sur l’éventail de sa queue déroulée.