Vulgarisation ou médiation scientifique ? Les discussions durent depuis 20 ans… Ces termes sont-ils finalement équivalents ou pas, en termes de pratiques et de fonctions ? Fait étrange, les formations académiques et professionnelles initient au journalisme scientifique, à l’animation, à la médiation, mais rarement à la vulgarisation. Y aurait-il là une piste à suivre pour comprendre les spécificités de la médiation scientifique ?
Médiation et vulgarisation scientifiques
On pourrait dire en première approximation, et pour refléter la réalité historique du concept, que la vulgarisation scientifique rassemble un ensemble de pratiques descendantes et essentiellement frontales, voulues et opérées par des sachants (souvent des chercheurs et des chercheuses) à l’attention de non-sachants (que l’on appelle parfois le « grand public ») dans des domaines spécialisés de la science et de la technologie.
La médiation scientifique est plus récente et plus professionnalisée. Elle est issue de la vulgarisation et en englobe diverses pratiques, mais elle ne se confond pas avec elle. Car contrairement à la vulgarisation, la médiation scientifique n’a pas pour but de transmettre des connaissances complexes à un public plus ou moins considéré comme ignorant.
Sa fonction est bien plus générale et, dans sa version forte et citoyenne, on pourrait dire qu’elle consiste plutôt à « travailler » la place de la science et de la technologie en société : à soumettre ces dernières au débat public, le plus sereinement possible, à croiser les savoirs savants et les savoirs profanes. Jusqu’à permettre parfois d’évaluer la pertinence des politiques publiques en matière de choix technologiques à l’aune des opinions exprimées au sein de la société civile.
Oublier un peu le « message »
La médiation scientifique nécessiterait-elle alors de tels efforts qu’il faille imaginer des formations professionnelles dédiées, là où les vulgarisateurs amateurs avaient auparavant simplement besoin de bien connaître leurs sujets et de savoir les restituer clairement et simplement ? Là où pour exceller, il suffisait jusque-là de savoir faire usage d’anecdotes, de métaphores bien choisies, et d’enrober le tout dans un peu d’érudition, d’humour et de charisme ? N’était-ce pas suffisant pour, comme on l’entend souvent, « faire passer le message » ?
Et bien non car, dans la version forte de l’idée de médiation scientifique dont nous désirons témoigner ici, il n’y a justement pas de message à « faire passer ». Là où la vulgarisation scientifique cherche à nourrir la culture générale en sciences d’un grand public indifférencié dont elle croit parfois évaluer l’ignorance par des sondages portant sur des connaissances spécifiques et anecdotiques, la médiation cherche à développer une culture de science, sur la science. Dans la perspective de conférer à ses publics une autonomie de pensée, et pas une adhésion aveugle à la science et à ses applications.
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Des différences fondamentales
Mais précisons ces différences, au risque de les exagérer un peu, pour mieux comprendre ce qui se joue entre ces deux conceptions de la communication publique de la science. Là où la vulgarisation néglige délibérément les valeurs individuelles au profit de la connaissance pure, la médiation part de l’opinion pour rendre la connaissance nécessaire. Là où la technologie et le progrès scientifique sont souvent souhaitables pour la vulgarisation, la médiation s’interroge sur leur acceptabilité sociale. Là où la vulgarisation invente des formats qui placent les détenteurs du savoir à transmettre sur un piédestal, la médiation introduit l’usage d’outils participatifs permettant à tout un chacun de construire son savoir savant à partir de son savoir profane.
C’est ainsi que des associations comme Les Atomes Crochus ou L’île Logique sont allés jusqu’à imaginer des spectacles de clowns de science. Non pas (ou du moins pas seulement) dans une perspective de vulgarisation, pour faire aimer la science aux jeunes en la dédramatisant par le rire et en leur refilant au passage quelques connaissances scientifiques qu’ils oublieront aussitôt ; dans une perspective de médiation, avec pour objectif premier de lutter contre l’autocensure de ces mêmes jeunes vis-à-vis de la science et de la technologie, de leur permettre de prendre confiance en leurs capacités à apprendre, à comprendre, à réussir, à entreprendre dans les domaines scientifiques.
Une fonction sociale
Dès lors, le médiateur ou la médiatrice scientifique sont amenés à endosser plusieurs rôles aux divers points de rencontre entre les acteurs de la science et de la société, de la nature, de la technologie, de l’industrie, de l’information, des médias, de la politique, du militantisme, etc. Mais à cette intersection, leur fonction est fondamentale : ils et elles facilitent les échanges et écoutent les préoccupations de l’ensemble des parties prenantes, partagent et discutent de leurs valeurs avec eux, s’inspirent de leurs conceptions pour élaborer leurs activités de médiation et tentent finalement de promouvoir une compréhension réciproque entre la communauté scientifique et ceux et celles qui utilisent ou sont touchés par les découvertes qu’elle fait.
Des compétences diversifiées
Vaste programme, donc ! Nous classons les compétences nécessaires à la réalisation de cette mission en cinq catégories :
- La pratique de la médiation scientifique nécessite bien sûr en premier lieu de connaître la science et la technologie : leurs contenus, leurs méthodes, leurs démarches. Cette forme de culture scientifique correspond à la part de notre « culture générale » qui porte sur la science et ses applications.
- Or au-delà des applications de la science, il y a ses implications ! Pour toutes les raisons qui font sa spécificité par rapport à la vulgarisation, la médiation scientifique suppose en deuxième lieu une compréhension fine des relations entre science, politique, économie, société, c’est-à-dire des questions socialement vives liées à la mise en application des sciences. Et donc une compréhension de la société et des agents, humains et non humains, qui la peuplent et l’animent. C’est tout le reste de notre « culture générale », sa part sociétale en quelque sorte.
- En conséquence, la pratique de la médiation scientifique ne peut se passer de la compréhension de la manière dont ses acteurs et interlocuteurs (scientifiques et non-scientifiques réunis) pensent, réagissent, comprennent, apprennent ou produisent des connaissances. Des disciplines comme les sciences de l’apprendre, l’épistémologie ou la sociologie des sciences peuvent dès lors jeter des éclairages particulièrement percutants sur les pratiques des médiatrices et des médiateurs. Elles leur permettent en effet d’abandonner leurs idées reçues spontanées et naïves sur la manière dont leurs publics apprennent et forgent leurs opinions, mais aussi sur la manière dont la connaissance scientifique se construit. C’est la culture de science (ou sur la science) évoquée plus haut.
- La pratique de la médiation scientifique suppose bien sûr également une connaissance professionnelle des réseaux d’acteurs nationaux et internationaux de la communication publique de la science, ainsi que de ses outils et de ses pratiques : du journalisme à la muséologie en passant par la co-création art-science, les usages du numérique, le mouvement maker… Une sorte de « culture de la culture scientifique », en somme.
- Mais surtout la médiation nécessite, comme un préalable que nous jugeons indispensable, de s’être interrogé sur les fonctions de cette communication publique de la science, c’est-à-dire sur les besoins sociétaux auxquels elle prétend répondre. Des besoins qui ne sont évidemment pas réductibles au désir qu’éprouvent les scientifiques de partager leurs connaissances et leur passion pour leur métier. Car bien au-delà de la transmission de savoirs ou de la promotion de la curiosité ou de l’esprit critique, ces fonctions vont de la construction d’une citoyenneté éclairée et active à l’empowerment des populations éloignées de la science, de la création de lien intergénérationnel à l’inclusion sociale, en passant par le divertissement intelligent, l’émerveillement, ou simplement le plaisir d’apprendre et de savoir… Cette réflexion sur notre rôle en tant que médiatrices et médiateurs, et la vérification que nos actions sont bien en adéquation avec nos objectifs, relève de ce que l’on nomme la « réflexivité » de la médiation scientifique.
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Un métier véritable
Pour ces cinq raisons, le terme de médiation ne peut donc raisonnablement plus être vu comme la nouvelle appellation d’un ancien terme jugé soudain insatisfaisant. Il s’agit bien au contraire d’un terme qui désigne un métier véritable, nécessitant des compétences complexes et diversifiées, auquel il est possible de se former de manière professionnelle autant qu’académique, et qui nécessite ensuite de perpétuelles mises à jour au gré des évolutions du rapport nature-science-technologie-société.
Ceux et celles qui ont choisi ce métier savent combien il est riche en découvertes intellectuelles et en relations humaines. Combien il est utile aussi, si on sait l’aborder avec humilité et qu’on n’arrête jamais de s’interroger sur le sens de ce que l’on fait.
Ce texte est issu de la vidéo éponyme de la chaîne YouTube « Savoirs en Société » développée par l’auteur à l’attention de la communauté des médiatrices et médiateurs scientifiques. Il est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.