Le 9 février dernier, la Suisse conservatrice imposait d'un souffle sa volonté de rompre avec la démarche bilatérale qui avait si bien réussi au pays, infligeant un coup terrible aux partisans de l'ouverture et de la collaboration avec nos voisins. En ce jour du 18 mai 2014, la Suisse de l'ouverture lui a rendu la monnaie de sa pièce, en lui imposant à son tour sa volonté sur un sujet capital au coeur des vainqueurs du 9 février: l'armée, privée pour la première fois d'un avion de combat qu'elle désirait acquérir.
En l'espace de trois mois, deux votations majeures se sont jouées à pas grand'chose et ont laissé une moitié du pays en état de choc. Le 9 février, les métropoles et la Suisse romande se retrouvaient battues sur un point capital, celui de leur lien avec le monde extérieur, indispensable à leur dynamisme économique. Aujourd'hui, c'est au tour de la Suisse des conservateurs de se retrouver bras ballants, l'inconcevable pour elle s'étant produit: pour la première fois de son histoire, la Suisse a dit non à un projet militaire. Et ce sont essentiellement les perdants du 9 février: les métropoles et la Suisse Romande, qui lui ont imposé ce choix, comme on s'en convaincra en observant la carte du vote, disponible ici.
On notera par ailleurs que les vainqueurs du 9 février, alémaniques et italophones, ont approuvé d'un rien (16'000 voix d'écart) le Gripen – ce sont les Romands qui, pour la première fois de l'histoire récente des votations de ce pays, emportent la décision ce soir.
Schadenfreude, donc – car on peine en définitive à identifier de vrais gagnants lors de ces deux scrutins en miroir. Le 9 février, la Suisse ouverte était cruellement battue; le 18 mai, c'est le tour de la Suisse conservatrice. Au final, les deux moitiés du pays, qui luttent à parts à peu près égales pour les suffrages du pays, sont parvenues à se blesser grièvement l'une l'autre, mais aucune ne semble être sortie vainqueur de l'affrontement: un double combat, deux vaincus indiscutables, pas de gagnant.
Le pays est décidément plus que jamais brisé en deux parties presqu'égales et qui ne donnent pas l'impression d'être prêtes au moindre compromis, alors que les enjeux des prochains mois et des prochaines années s'annoncent les plus importants et périlleux depuis au moins deux décennies. On se prend donc à espérer – à devoir le faire, en définitive – que de ce double choc puisse naître une volonté, partagée d'un côté et de l'autre du pays et des camps en présence, de se mettre à une table commune et de dessiner ensemble le chemin des possibles de notre futur, en réhabilitant cette vertu cardinale de notre pays: le sens du compromis.
Un pour tous, tous pour un, dit la devise de la Suisse. Chiche?