Lausanne – l’impossible densification

Dans un quartier proche du centre de Lausanne, une propriétaire immobilière désire remplacer un vieil immeuble de quatre logements par une nouvelle construction en comptant vingt de plus. Les quatre locataires évincés s’opposent. Le PS les rejoint. La densification est un vain mot.

En termes d’aménagement du territoire et d’aménagement urbain, peu de concepts ont eu autant d’importance que celui de la densification. En réponse à l’étalement urbain, qui grignote année après année des surfaces agricoles et des paysages ruraux, la densification prône une croissance avant tout absorbée par les régions déjà construites : les centres, les villes, les quartiers urbains. Ce principe n’est plus contesté par personne, et il est une des pierres angulaires des législations récentes en la matière, notamment les plans directeurs cantonaux, et la nouvelle loi fédérale sur l’aménagement du territoire.

Sur le principe donc, tout le monde est d’accord. Mais dans les faits, c’est une autre histoire : il est en effet extrêmement difficile de la mettre en œuvre sur le terrain, parce que les projets de densification interstitielle, c’est-à-dire celle qui devrait prendre place parcelle par parcelle dans des quartiers déjà construits, se heurtent à toutes sortes de problèmes, dont le moindre n’est certes pas l’opposition des occupants actuels ou des voisins.

Par conséquent, les villes tendent à s’intéresser avant tout aux friches urbaines, ces grandes parcelles plus ou moins abandonnées, dont le potentiel à première vue semble beaucoup plus intéressant et qui ont comme gros avantage de n’avoir ni occupants inexpugnables, ni voisins directs. Dans cette catégorie tombent les grands plans urbains de nos villes : Praille-Acacias-Vernets à Genève, Métamorphose à Lausanne, Gare-Lac à Yverdon-les-Bains par exemple. Tout cela est fort bien, à ceci près que leur mise en place prend un temps abominablement long : ainsi, des projets précités dont on parle depuis bien plus de dix ans, pas un seul logement n’est encore sorti de terre.

Conséquence, la densification urbaine a bien du mal : Lausanne, où habite près du cinquième de la population vaudoise, n’abrite qu’un dixième des logements construits dans le Canton entre 2006 et 2012[1]. Le reste s’est construit surtout en banlieue et dans la campagne, et par conséquent c’est là que s’est portée l’essentiel de la croissance démographique des dix dernières années – aggravant ainsi l’étalement urbain et ses effets pervers : pertes de terres agricoles, augmentation de la pendularité, etc…

Le Parti Socialiste ayant épousé les valeurs de l’écologie politique, il a porté, plus que bien d’autres, les politiques restrictives en matière d’aménagement du territoire dont la densification urbaine constitue l’un des fondements. Et à Lausanne comme ailleurs, il a plutôt courageusement défendu cette voie jusqu’ici, en promouvant non seulement la densification des friches, mais aussi, dans bien des cas, celles des parcelles interstitielles, souvent contre des mouvements issus de son propre camp  – pour preuve, on se souviendra de la récente campagne lausannoise sur la tour Taoua.

Or, voilà que dans le quartier de Montétan, une propriétaire a mis à l’enquête la démolition d’un vieil immeuble de quatre appartements et son remplacement par un bloc locatif de vingt-quatre logements. Les locataires actuels se sont opposés et battent le rappel – et le PS lausannois, confronté comme d'habitude à un choix difficile, entre propriétaire et locataires, entre conservateurs et bétonneurs, entre idéal et réalité, se joint à la contestation.

Et à la lecture des communiqués de la formation lausannoise, on se rend compte que ce n’est pas une position prise à la légère : c’est au contraire une fusée à deux étages, portée par des figures du parti, et reprenant à son compte les deux principaux arguments de l’opposition de gauche à Taoua : contre la spéculation immobilière d’abord, pour la protection du patrimoine ensuite. On peut à bon droit parler d’un repositionnement du PS lausannois sur cette question – et d’ailleurs, il ne s’en cache pas : la densification doit désormais passer exclusivement par le développement des friches ; la densification interstitielle et le renouvellement bâtiment pour bâtiment, c’est fini.

Le quartier concerné, Montétan, est déjà très densément habité ; plusieurs des parcelles voisines de celle qui fait débat sont d’ailleurs déjà occupées par des immeubles d’appartements, et la zone, assez proche du centre de Lausanne, est très bien desservie par les transports publics, tout en étant proche d’un magnifique espace vert, le Parc de Valency. En bref, c’est un endroit idéal pour la densification urbaine – et on se prend à penser que si on décide de refuser la densification ici, on la refusera partout. En tout état de cause, 20 logements non construits à Montétan, ce sont 50 personnes qui devront aller habiter ailleurs, y consommer plus d’espace, y consacrer plus de moyens à leurs déplacements.

On commence à entendre dans certains milieux d’urbanistes que la densification est morte, et que le futur est à la ville horizontale – et on se prend à croire qu’ils ont peut-être raison. On finit en tous cas par se dire que la densification est peut-être à prendre pour ce qu’elle est : du vent.

 

[1] Office Fédéral de la Statistique – Statistique de la Construction et des Logements

Pierre Dessemontet

Pierre Dessemontet est docteur en géographie économique, syndic d'Yverdon-les-Bains, député au Grand Conseil vaudois, et vice-président du Parti Socialiste Vaudois.