Exploration spatiale

Pour la Colonie martienne la difficulté viendra plus des revenus à générer que des montants à investir

Il semble assez facile de réunir les sommes nécessaires à la création d’une base martienne. La difficulté viendra quand il faudra faire vivre cette base pour la transformer en Colonie or la profitabilité à long terme est la condition incontournable de la pérennité.

Sur la base du capital physique rassemblé grâce aux levées de fonds évoquées dans mon précédent article, l’exploitation de la Colonie par la société d’exploitation, dite « Compagnie des Nouvelles Indes », devrait lui permettre de générer des revenus. Sur la base des coûts et des prix résultant du modèle de Richard Heidmann, le seuil de rentabilité (le point-mort) ne devrait pas être atteint avant 20 ans suivant la création de la première capacité résidentielle (mais, avec cette durée, nous serions dans la même situation que pour des sociétés comme Amazon ou des projets d’infrastructure comme Eurotunnel). Après cette période, dans le cadre d’une structure d’exploitation quelque peu stabilisée, la marge opérationnelle pour une période synodique de 30 mois (18, séjour + 2 x 6, voyage AR) pourrait atteindre 10% d’un chiffre d’affaires que l’on pourrait estimer à 2,4 milliards (hors transport). Le revenu annuel net (sur 12 mois) pourrait être la moitié de cette marge, soit 120 millions (ces chiffres sont évidemment discutable mais donnent un ordre d’idée). Ce n’est pas beaucoup pour continuer l’expansion de la Colonie mais, du fait de cette rentabilité naissante, les promoteurs disposeraient quand même de l’assise pour passer à la phase de développement suivante.

Nous pourrions supposer que les fonds propres de la Compagnie évolue après les premières années de construction (lorsqu’elle entrera en « vitesse de croisière »), entre 15 et 20 milliards de dollars. Un tel montant peut sembler faible relativement aux besoins; cependant, il devrait suffire pour que cette Compagnie soit perçue comme un partenaire fiable et crédible (et cela serait renforcé par la garantie qu’elle pourrait obtenir de la part de la Fondation de Mars) et soit donc susceptible d’emprunter.

À condition que le projet évolue sans heurt sur le plan structurel et partant, dans la perspective de revenus prévisibles à long terme, la valeur des actions devrait augmenter, en particulier lorsque la colonie sera prête à accueillir un flux régulier d’hôtes-payants. Cette évaluation améliorée des fonds propres existants, pourrait compenser au moins en partie les fonds déjà dépensés et permettre une nouvelle émission de capital (« new money ») axée sur une nouvelle phase du développement du projet.

Comme suggéré, les fonds propres de la Compagnie pourraient être complétés pour de courtes périodes (fonds de roulement permettant d’actualiser les ventes ou les revenus attendus) ou même à long terme (jusqu’à 30 ans), par des d’émissions d’emprunts. Compte tenu du niveau des fonds propres, en supposant que l’exploitation commence à être rentable (couverture des frais d’exploitation), et en fonction du niveau des taux d’intérêt réels, le montant total de la dette pourrait s’élever jusqu’à 50% des immobilisations (l’intérêt de ces émissions étant de fournir des ressources complémentaires pour l’exploitant et de produire un effet de levier sur le rendement du capital pour les actionnaires). Au-delà de ces fonds à long terme, nous pourrions également envisager une dette perpétuelle (ne générant que des intérêts, sans imposer de remboursement de capital), cet instrument étant attrayant à condition que son taux d’intérêt (variable) tienne compte du caractère particulier de cette dette et que la liquidité d’obligations plus courtes ait été démontrée par l’expérience.

Enfin, nous pourrions imaginer que les installations de transfert interplanétaires (« MCT », « Mars Colonization Transport ») soient développées (et exploitées) indépendamment de la Compagnie. SpaceX ou un autre membre de la Fondation (le « transporteur ») pourrait le faire dans le cadre d’un contrat comme celui de SpaceX actuellement avec la NASA pour desservir l’ISS (ce qui permettrait au transporteur d’avoir d’autres sources de revenus que les services rendus pour Mars). Les voyages seraient organisés et gérés par ces sociétés indépendantes (il pourrait y en avoir plusieurs, comme des compagnies aériennes) dans le cadre d’un contrat de service signé avec la Compagnie. Les voyageurs pourraient acheter leur séjour (transports compris) auprès du transporteur, qui pourrait gérer librement sa politique de prix. Des frais d’utilisation des installations martiennes au cours d’une période synodique seraient négociés par le transporteur avec la Compagnie, dans les limites du prix du «billet» pour l’ensemble du séjour. Bien entendu, ce prix pourrait être modulé pour inclure ou non, certains types de services une fois sur Mars ou pendant le voyage (“packages”). La Compagnie pourrait à l’inverse être le partenaire du client pour discuter du prix du séjour plus le transport (et recevoir le paiement intégral, dont une partie serait reversée au transporteur).

Atteindre la profitabilité sur le long terme

Pour les raisons déjà évoquées, notamment la nécessité de fournir aux actionnaires de la société exploitante une perspective de rendement financier, aussi lointaine soit-elle, la politique de prix devrait permettre, à l’achèvement de la première tranche de développement de la Colonie (après les 20 années susmentionnées), une opération rentable, atteignant au moins le point-mort.

Mais ces prix devront être payés par des personnes. Il faut des clients en regard des investisseurs! A cela deux obstacles : 1) il ne sera sûrement pas facile pour un particulier de rassembler les 5 à 8 millions de dollars nécessaires (le rôle de la Banque sera important). Ce serait beaucoup moins difficile pour les entreprises ou autres institutions (NB : Un séjour dans l’ISS coûte 60 millions de dollars et l’ISS a toujours trouvé « preneurs ».) ; 2) la coupure d’avec ses proches et d’avec ses autres activités nécessitant une proximité physique. Elle sera réelle mais elle peut être enrichissante. Il ne faut pas qu’elle soit conçue comme l’ouverture d’une parenthèse mais comme un surplus d’expérience, une période de fondation pour une nouvelle tranche de vie.

Mais aussi il serait un peu insuffisant pour la Colonie de ne compter que sur les ressources engrangées par la Compagnie pour l’hébergement des personnes. Aucune société ne peut compter pour prospérer, que sur l’immobilier. Il faudra qu’à l’intérieur de cet immobilier, les gens non seulement vivent mais créent de la richesse. Cela dépendra de ceux qui voudront venir sur Mars et des facilités qui leur seront offertes par la Colonie pour s’épanouir. Cela implique pour la Compagnie de bien choisir lors de l’affectation de ses ressources rares. L’affectation se fera en principe par les prix (fixés par l’offre et la demande) mais il lui faudra aussi évaluer les projets de ses hôtes en fonction de leur potentiel sur le long terme car elle pourrait s’associer aux plus prometteurs en contrepartie de son aide, ce qui lui permettrait de générer un complément plus ou moins important de revenus (on peut concevoir la Colonie comme une pépinière de start-up).

Nous supposons que le résultat de la Compagnie soit exempté d’impôts et en particulier d’impôt sur les sociétés et que les actionnaires pourront obtenir diverses facilités tant au niveau de leurs impôts sur le revenu que sur leur éventuel impôt en capital (stock investi ou plus-value d’actions) ou de leur impôt sur les successions. Cela ne semble pas impossible (au moins dans les principaux pays participants), compte tenu du cadre très particulier de l’entreprise. Ce serait pour les Etats, un moyen d’obtenir plus rapidement un retour sur investissement de leurs Agences-spatiales. Pour que ces exonérations fiscales soient acceptées, nous devrions considérer Mars comme un territoire international bénéficiant d’un accord fiscal spécial conclu entre chaque pays participant à la Compagnie par l’intermédiaire de son Agence.

Il faut bien avouer que tout ceci sera difficile mais il y a quand même une voie vers la rentabilisation. Les hommes voudront-ils s’y engager ?

Image à la Une: Mars, Base Alpha, conception Elon Musk (crédit Elon Musk/SpaceX). Il n’y a pas “grand-monde” dehors mais c’est la nuit et il fait près de moins 100°C. Sauf urgence, ce n’est pas l’heure des sorties en scaphandre.

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Index L’appel de Mars 23 02 19

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