Quelques considérations sur l’économie martienne (2. à la recherche de la rentabilité)

Nous avons vu la semaine dernières les activités et les hommes nécessaires au fonctionnement d’un établissement sur Mars. Mais il y a une autre dimension qu’il faut prendre en compte pour qu’à la viabilité d’un tel établissement s’ajoute la pérennité. En effet, pour qu’une colonie martienne « tienne » sur la durée, elle devra produire pour et exporter vers la Terre suffisamment pour atteindre et maintenir une relation équilibrée avec elle car (selon mon propre dicton!), « les philanthropes meurent et les gouvernements passent ». Cela implique de donner aux Martiens la possibilité d’exercer d’autres activités que celles précédemment considérées comme nécessaires/vitales, et aussi une certaine organisation favorable à cet exercice.

NB: je me situe dans la perspective d’un établissement de quelques 1000 à 10.000 personnes…Ce qui évidemment ne sera qu’une étape!

Les activités productives et génératrices d’exportations seront indispensables à la pérennité

Ces activités « optionnelles », c’est-à-dire non nécessaires à la survie, seront quand même essentielles puisqu’elles devront assurer la rentabilité de l’entreprise. En effet, à part les commerçants et divers petits producteurs locaux assurant « la vie de tous les jours », il y aura aussi des capitalistes (résidant soit sur Terre soit sur Mars) disposant de fonds importants qui auront investi dans les infrastructures et qui attendront un retour sur investissement pour légitimement rémunérer leur prise de risque et continuer à investir. S’ils ne font que dépenser, « ils n’y arriveront pas ». Il leur faudra des consommateurs payant avec leur argent et d’autres producteurs-investisseurs, vivant dans leur environnement, également consommateurs/utilisateurs de leurs infrastructures, pour générer pour et par leurs activités, d’autres dépenses donc d’autres ressources.

Pour assurer ce « retour » sur investissement, la société martienne assurant le fonctionnement de la colonie (ma « Compagnie des Nouvelles Indes », « CNI », voir plus bas) devra être accueillante à toutes sortes de personnes solvables désireuses de venir sur Mars pour consommer ou/et pour produire avec trois perspectives : susciter la création de richesses immatérielles exportables de toutes sortes (process conçus dans un environnement extrême, logiciels divers), limiter le besoin d’importations par une production locale, et mettre à disposition des locaux et des services, pour héberger les personnes et permettre ces activités.

Parmi les résidents exerçant ces activités, il y aura bien sûr les chercheurs envoyés par leur Université pour une étude bien particulière. Il y aura aussi des astrophysiciens et des ingénieurs en équipements d’observation astronomique car le sol martien sera idéal comme support pour observer le ciel d’un point de vue un peu différent et donc complémentaire de celui de la Terre (et bénéficiant a priori d’un ciel moins pollué !). Il y aura aussi des ingénieurs envoyés par leur entreprise pour tester des équipements ou des matériaux dans des conditions extrêmes (label « vérifié résistant aux conditions martiennes »). Il y aura aussi des entrepreneurs qui auront des « idées » et qui auront voulu les concrétiser, au moins jusqu’à la « preuve de concept », dans un milieu particulièrement réceptif aux innovations et riche en capacités scientifiques et ingénieuriales, concernant le recyclage, la robotique, les télécommunications, etc… Il y aura des particuliers qui pour une raison ou une autre, auront voulu s’abstraire de leur monde pour une partie de leur vie et qui auront bien entendu les moyens financiers de le faire. Il y aura des artistes qui voudront utiliser un environnement particulier pour nourrir leur inspiration. Il y aura des spécialistes financiers pour gérer les ressources des particuliers et de la communauté, organiser le financement des projets (y compris lever des fonds sur Terre), piloter le financement des entreprises existantes, c’est-à-dire tout simplement des banquiers ; sans oublier des assureurs pour couvrir les risques (donc faciliter les financements) et lisser l’impact des pertes. Il y aura enfin des communicants chargés de mettre en valeur ce qui sera effectué sur Mars afin d’attirer de nouveaux candidats au voyage et au séjour sur ce nouveau monde…et de nouveaux capitaux.

Tous ces gens devront être traités par d’autres résidents qui devront leur fournir les services dont ils auront besoin pour vivre, se déplacer, exercer leurs talents sur Mars. L’ensemble constituants les consommateurs tout autant que les producteurs martiens.

Public ou Privé ?

Si comme je le crois, l’installation de l’homme sur Mars se fera à l’initiative du secteur privé américain, dont bien sûr Elon Musk, ce secteur aura une influence très importante sur le comportement des agents économiques d’autant que le secteur public terrestre hésitera à dépenser beaucoup d’argent public pour des causes privées (en dehors bien sûr de considérations scientifiques et politiques, non nulles). Ce secteur privé avec probablement une participation publique (la NASA entre autres), sera sans doute organisé dans la société d’investissement et d’exploitation mentionnée plus haut, la « Compagnie des Nouvelles Indes » (pour marquer, évidemment, la ressemblance avec les grandes sociétés coloniales du passé…même si, je le sais, ce passé n’est pas très bien vu de certains de nos contemporains). A noter que ce « privé » sera considéré un peu comme du « public » par les Martiens (le « public-martien ») puisque ce sera à lui qu’il faudra payer l’utilisation des « commodités », les locations d’habitats ou d’équipements et l’utilisation des services publics. A côté de lui, la multitude d’activités menée par de petits entrepreneurs et individus constituera ce qu’on pourrait appelé par symétrie le « privé-martien ».

L’esprit dominant l’activité économique sera donc celui du privé, on peut même oser dire du capitalisme, donc de la recherche de l’efficacité et de la rentabilité au moyen de la concurrence et de la responsabilité. Par principe de subsidiarité, ce sera le privé-martien qui prendra en charge toute production ou tout service vital qu’il sera capable d’assumer, le public-martien ne s’occupant que de ce qui ne pourra être effectué par le privé-martien. Le public-martien ne sera jamais perdant car tout en allégeant son implication directe, il continuera à percevoir des autres résidents, une rémunération pour l’utilisation de ce qu’il mettra à leur disposition. Bien entendu compte tenu de l’isolement et de la nécessité que l’ensemble de la population soit productif, des délais d’adaptation devront être accordés aux entreprises les moins efficientes (constatées comme telles par la concurrence) pour se reconvertir et l’aide de la Cie des Nouvelles Indes assuré pour que cette reconversion soit effective le plus rapidement possible.

Du côté des producteurs on devra évidemment se contenter d’un tout petit marché local. Cela pose problème car les producteurs ne pourront espérer d’économies d’échelle importantes. Fabriquer un vêtement pour 100 personnes coûte beaucoup plus cher à l’unité que de le fabriquer pour 10.000. Comme les producteurs devront pouvoir vivre de leur travail, les prix unitaires seront forcément très élevés par rapport aux prix sur Terre. Cependant la limite haute, celle au-dessus de laquelle les prix martiens ne seraient pas compétitifs avec les prix terriens, sera vraiment très haute puisque le transport coûtera toujours très cher depuis la Terre, sera limité en volume (nombre et capacité d’emport des fusées) et ne pourra être fréquent (on s’efforcera de surmonter cet obstacle par l’impression 3D). Donc il y aura une sorte de protection tarifaire très élevée pour les produits martiens, la seule véritable limite étant le coût d’un bien ou service proposé par rapport au « pouvoir d’achat » du résident martien et par rapport aux alternatives de dépense (point développé plus bas).

Pour être rentable donc productible, un bien ou service doit être désiré pour un prix supérieur à son coût (même si le producteur peut faire un pari sur une profitabilité future en commençant la commercialisation en dessous de son coût). La difficulté sera atténuée par le fait que le pouvoir d’achat du client sera quand même élevé puisque, par définition, tout producteur sera obligé de mettre sur le marché ses produits à un prix élevé puisque pour lui aussi le coût unitaire sera élevé. Le prix de chaque objet ou service doit en effet être évalué par rapport au prix de tous les autres objets ou services offerts sur le marché, inclus dans un panier que le consommateur peut acheter. A noter, il ne faut pas l’oublier, qu’un élément non négligeable du coût sera constitué des redevances à payer à la Cie des Nouvelles Indes pour utiliser les structures et les « commodités » qu’elle aura mises à disposition pour vivre. Ni l’habitat, ni son entretien, ni l’eau ou l’air ne seront « gratuits ». Toute utilisation de « commodités » ou de « services publics » devra être payée et il y aura des capteurs avec des compteurs partout (un excellent moyen de limiter le gaspillage !). La seule nécessité pour la Cie des Nouvelles Indes qui les aura financées, sera de ne pas « tuer le client », c’est-à-dire que les prix qu’elle demandera devront être raisonnables pour ne pas rendre la vie (production et échanges) des résidents martiens, impossible. Mais les gens de la CNI sauront dès le début qu’ils devront être patients et ils ne rechercheront certainement pas à devenir rentables avant une trentaine d’années suivant le démarrage de la Colonie.

Un produit martien ne sera donc pas du tout compétitif par rapport à un produit terrestre mais cela n’aura aucune importance puisqu’il n’y aura pas de concurrence entre eux, sauf bien évidemment dans le cas des quelques produits provenant de la Terre tous les 26 mois, que les Martiens ne s’amuseront pas à produire. D’ailleurs ces produits seront précisément ceux que l’on ne pourra pas produire sur Mars (trop grande complexité, ou plutôt nécessité de l’utilisation de toute une filière industrielle qui n’aura pas encore pu être développée sur Mars).

La monnaie devra être locale mais convertible en monnaies terrestres

Pour former un prix à la rencontre d’une offre et d’une demande, c’est-à-dire donner une valeur à quelque chose par rapport à autre chose, le meilleur instrument sera la monnaie, bien fongible, commun dénominateur à toute offre et toute demande. Donner un prix dans une monnaie, c’est le seul moyen d’exprimer véritablement à la fois un choix collectif et un choix individuel et de limiter le gaspillage. C’est un moyen beaucoup plus efficace que l’allocation administrative (qui prétend savoir mieux que le consommateur ce qu’il veut) pour déterminer ce qui doit être produit. L’URSS l’a amplement démontré.

A priori une monnaie martienne correspondant aux spécificités du marché martien, serait le premier choix d’instrument. Cependant les personnes qui arriveront sur Mars et qui ensuite seront en relation avec la Terre, « ne sortiront pas de l’œuf ». Elles auront de l’épargne, certaines seront payées par leur société ou leur université, d’autres généreront leurs revenus exclusivement par leur production et leurs échanges sur Mars ; d’autres encore par leurs exportations vers la Terre. Lorsqu’ils reviendront sur Terre, les Martiens voudront non seulement utiliser leur expérience martienne mais aussi le capital qu’ils auront pu accumuler sur Mars (certains partiront même de la Terre pour cela !). Tout ceci entraine la prise en compte de monnaie(s) terrestre(s). La monnaie employée sur Mars pourrait être tout simplement le dollar mais cela ne sera possible que si les composants non-américains de la Colonie (personnes et capitaux) ne sont pas trop nombreux / importants. Dans le cas contraire, on pourrait imaginer une monnaie locale convertible dont la contrevaleur serait incontestable (il faudra pouvoir vendre la monnaie locale contre la monnaie terrestre sans risque de perte, à tout moment). Dans ce cas, le mieux serait un panier de monnaies sous-jacentes, actualisé en permanence (comme les monnaies composantes).

Un pari qu’il vaut la peine de prendre

La réussite du pari d’une économie martienne n’est pas évidente. En fait, les premières années, un petit établissement pourrait vivre uniquement selon des considérations technologiques. Sur le long terme il faudra bien atteindre un équilibre des comptes tels que les communautés terriennes ou les investisseurs terriens qui auront fait le pari, soient récompensés. Il s’agit pour les investisseurs au sens stricte de devenir bénéficiaires et pour les autres (moins motivés par l’argent), de rentrer au moins dans leur frais. Il faudra que les investisseurs et ceux qui voudront simplement vivre sur Mars soient suffisamment ingénieux pour trouver des sources de revenus adéquates pour générer de nouvelles richesses qui feront de la société martienne pour la Terre, non pas « un boulet à trainer » mais un partenaire intéressant. Rien n’est certain mais le monde tel qu’il évolue et qu’il change, est « comme ça ». Il est fait d’inventivité, d’opportunités, de risque pris, suivis d’échecs ou de réussites constatés monétairement. Espérons pour Mars…mais aussi pour la Terre. La réussite de l’entreprise sera dans l’intérêt de tous, même bien entendu de ceux qui resteront sur Terre car la réussite d’un établissement sur Mars serait un enrichissement pour tous.

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Quelques considérations sur l’économie martienne vue du côté martien (1. les hommes)

On peut se poser des questions sur la nature et l’importance des échanges économiques au sein d’une société martienne naissante, disons entre 1.000 et 10.000 habitants. J’ai mes idées là-dessus et je voudrais vous en faire part dans deux articles que je vais publier cette semaine (les contraintes, les activités vitales et les hommes) et la suivante.

Tout d’abord considérons les contraintes

  1. Les Martiens seront coupés physiquement du reste de la communauté humaine pendant 26 mois avec, en plus, un décalage de 6 mois de voyage si l’on considère la date limite d’embarquement des « fournitures » terrestres. NB : si des hommes avaient été installés sur Mars et qu’on ait oublié une pièce essentielle pour faire fonctionner la mission Insight partie de la Terre début mai 2018, on n’aurait pu l’embarquer qu’en juillet 2020 et on n’aurait pu l’ajuster aux équipements arrivés sur Mars fin novembre 2018, qu’au plus tôt en février 2021 puisque la fenêtre de lancement depuis la Terre suivant celle de Mai 2018 ne s’ouvrait qu’en juillet 2020.
  2. Les Martiens auront en permanence toutes les télécommunications possibles avec la Terre mais ils seront irrémédiablement en décalage temporel, décalage qui évoluera le long du cycle synodique, entre environ 3 et 22 minutes (distance entre les deux planètes / vitesse de la lumière).
  3. Les Martiens auront à disposition dans leurs « datacenters », tout le stock de données de la communauté terrestre dont ils auront besoin, du moins ceux pour lesquels ils auront droit d’accès, ainsi que tous les logiciels dont ils pourront avoir besoin et droit d’accès et/ou qu’ils pourront payer.
  4. L’environnement martien sera hostile dans la mesure où l’atmosphère sera irrespirable, trop peu dense (610 pascals en moyenne), et les radiations spatiales trop fortes pour être supportées continument sans protection. Le sol sera totalement stérile et, de plus, couvert d’une couche de sels de perchlorates.
  5. Cependant cet environnement aura aussi des aspects positifs puisque l’atmosphère offre des éléments exploitables (carbone et oxygène) et donne une certaine protection (équivalent d’une colonne d’eau de 20 g/cm2). Les Martiens en plus de cette ressource auront à disposition dans le sol, de l’eau (sous forme de glace) et les mêmes éléments chimiques que sur Terre (même si la minéralogie n’a pas autant évolué et ne s’est pas autant diversifiée que sur Terre).
  6. Les Martiens auront besoin de générer des revenus pour payer les équipements importés de la Terre. L’établissement sur Mars doit s’avérer profitable, sinon les financements initiaux se tariraient après quelques années.

Voyons, dans ce contexte, les activités vitales qu’il faudra assurer

Les hommes devront non seulement travailler sur Mars mais aussi y vivre (autonomie minimum compte tenu d’un retour sur Terre 30 mois après en être parti.). C’est-à-dire qu’ils devront se nourrir, se vêtir, utiliser toutes sortes d’objets et maintenir leurs espaces viabilisés en bonnes conditions d’hygiène et de confort. Se nourrir cela signifie pratiquer une agriculture sous serres intensive, de l’algoculture et de la pisciculture ou de la crevetticulture en bassins, un petit élevage en habitats dédiés (pour le lait et les oeufs – pourvu qu’on puisse transporter des embryons de gallinacés congelés? – sinon pour la viande – la viande synthétique serait une alternative préférable). Se vêtir c’est fabriquer vêtements et chaussures à partir de fibres synthétiques (éléments minéraux) mais aussi à partir de déchets végétaux (les fibres) ou animaux (fibres, os, peau). C’est aussi réparer tout ce qui peut l’être, collecter les déchets alimentaires, les vieilles chaussures et les vieux vêtements et recycler tout ce qui peut l’être car sur Mars, coupés du reste du « Monde », les hommes ne devront rien gaspiller, surtout pas les matières organiques parce qu’ils devront les produire eux-mêmes et ne pourront le faire qu’à petite échelle. Utiliser toutes sortes d’objets cela veut dire les fabriquer sur place mais plus vraisemblablement reproduire les objets terrestres par impression 3D avec de la matière première martienne. Maintenir les espaces viabilisés en bonnes conditions, c’est contrôler et entretenir la structure des bulles et des corridors viabilisés, enlever périodiquement la poussière ultrafine (et collante !) de tous les hublots et de toutes les parties critiques des équipements utilisés à l’extérieur, c’est (de retour à l’intérieur) contrôler et rééquilibrer la pression atmosphérique ou la composition en gaz de l’atmosphère et repérer et remédier à l’éventuelle présence d’agents pathogènes. C’est contrôler et réparer le système électrique (certaines pannes pourraient être mortelles). C’est contrôler et réparer le système de chauffage, c’est contrôler et réparer la tuyauterie apportant l’eau propre et récoltant l’eau usée. C’est purifier cette eau pour la remettre en circulation dans des tuyauteries chauffées permettant que l’eau reste liquide. C’est nettoyer régulièrement et fréquemment toutes les surfaces internes des habitats, mêmes celles qui sont en locaux privatifs ou qu’on ne voit pas parce qu’elles sont dissimulées par parois, meubles ou objets, pour éliminer toute plaque de champignons ou de bactéries.

Qui dit vie dit reproduction. Il y aura des hommes et des femmes sur Mars et il y aura donc des enfants et il y aura aussi, malheureusement, des personnes inaptes au travail pour lequel elles seront venues sur Mars. Les enfants seront des désirs assumés ou des « accidents » mais de toute façon une grande joie pour la communauté puisqu’un gage de pérennité, et une responsabilité qu’il faudra assumer. Le seul problème c’est que les enfants (comme d’ailleurs les femmes enceintes) ne pourront pas revenir sur Terre avant la fin de leur adolescence car les radiations auxquelles ils seraient exposés pendant le voyage Terre / Mars seraient trop dangereuses pour leur organisme en développement. Une petite population, les enfants avec au moins un de leurs parents, resteront donc sur Mars au-delà du cycle synodique au début duquel ils sont arrivés. Les enfants ne seront évidemment pas des producteurs mais les personnes inaptes, le plus souvent parce que malades, ne le seront pas non plus. Dans la mesure du possible, ces derniers effectueront des tâches non assumées par les autres résidents mais cependant utiles à la communauté (par exemple s’occuper des enfants). S’ils sont gravement malades et inaptes à toute production, ils seront naturellement pris en charge par la communauté qui leur fournira les soins que toute société décente doit assurer à ses membres mais la société martienne ne pourra se permettre le luxe d’être une société « sociale ». Pour ces personnes inaptes à la production, le retour sur Terre sera inévitable lors du prochain départ, sauf bien sûr si leur santé ne le permet pas ou si elles peuvent assumer financièrement leur coût (dans ce cas-ci, pourquoi ne pas rester). Il n’y aura pas de chômage de convenance sur Mars. Toute personne capable devra fournir à tout moment un service utile aux autres en échange de l’aide qui lui sera accordée, à moins (comme dit plus haut) que financièrement elle puisse assumer son inactivité.

Enfin, compte tenu du nombre de personnes impliquées et de la complexité d’une vie en société, un minimum de coordination sera nécessaire, un arbitrage en cas de conflit, peut-être un service d’ordre. Comme dans un orchestre de chambre, un musicien jouant l’instrument principal peut donner le tempo mais pour un fonctionnement plus fluide il faut une petite équipe administrative spécialisée avec direction et assistants. Ce sera très probablement le cas. Il y aura aussi nécessité de protéger les installations financées par les investisseurs terriens et utilisés bien évidemment localement. Il y aura encore nécessité de constater les besoins généraux et d’en faire part aux mêmes aussi bien qu’aux personnes sur place, afin de permettre toutes sortes de prévision et de planification des développements.

Voyons ensuite les hommes qui devront les exercer

Il faudra « faire tout cela » et les Martiens ne seront pas nombreux (le voyage coûtera toujours cher, les volumes viabilisés dans les vaisseaux spatiaux seront peut spacieux, les infrastructures d’accueil mettront un certain temps à pouvoir être construites et sécurisées). Il y aura donc beaucoup de robots, autant que nécessaire. Mais il faudra aussi des hommes pour les diriger. Il y aura des agronomes, des algologues, des ichtyologues, des carcinologues, des spécialistes des petits animaux, qui non seulement les étudieront pour les adapter toujours le mieux possible à leur environnement clos « un peu » particulier, mais qui aussi s’occuperont d’eux pour les faire naître et les faire croître, les récolter ou les tuer (donc des poissonniers et des bouchers si on décide de consommer de la viande prélevée sur des animaux plutôt que de la viande synthetique), les stocker, les conserver, les préparer pour la consommation (des cuisiniers), les servir puis récolter tous les restes (personnel de restaurant), les recycler (ingénieurs spécialisés). Il y aura des couturiers, des bottiers et des cordonniers, des commerçants de toute sorte. Il y aura des médecins dans toutes les spécialités nécessaires, des microbiologistes pour maintenir l’environnement propre et des pharmaciens (et bien sûr une petite industrie pharmaceutique). Il y aura des planificateurs urbains (il sera vital de penser l’implantation des habitats, des lieux de production viabilisés et des volumes sociaux les uns par rapport aux autres), des architectes, des ingénieurs-structures, des producteurs de verre, d’acier, de métaux divers, de produits chimiques divers, à partir de la matière brute qu’il faudra repérer, extraire, transporter, stocker, raffiner, stocker. Comme par ailleurs, la population de robots sera importante, que les télécommunications avec la Terre seront permanentes et qu’il faudra pouvoir tout contrôler et réparer aussi vite que possible, il y aura une multitude de capteurs, envoyant constamment leurs données à des centres de contrôle puissamment équipés en informatique et qui disposeront d’un dispositif de stockage de données considérable et dupliqué pour redondance (sécurité !). Il y aura aussi une partie de la population qui sera responsable des transports physiques entre la Terre et Mars, même si ceux-ci auront une cyclicité très forte (les fameux 26 mois !) et comme ils ne seront pas employés à temps plein, ils devront aussi s’occuper des transports planétaires distants effectués par fusées à moyenne portée (un autre moyen d’amortir le Starship par économie d’échelle !). Enfin il faudra télécommuniquer entre Martiens et entre Martiens et Terriens, donc beaucoup de personnes seront dédiées aux télécommunications et à toutes leurs complexités.

Je n’oublie pas les enfants. Les élever ne sera pas facile au début, surtout qu’ils « prendront » nécessairement du temps aux parents ce qui représentera un coût important, pour eux et la communauté. Ils devront très vite être pris en charge par un personnel spécialisé. S’ils ne sont pas nombreux « les uns et les autres » s’en occuperont avec une solidarité minimum pour que les mères puissent assurer le travail pour lequel elles seront venues sur Mars. Mais à partir d’une petite douzaine, il y aura des éducateurs professionnels et des personnes chargées de la coordination de leur enseignement en utilisant les capacités des nombreux spécialistes présents sur Mars (je vois l’établissement martien tout entier comme une sorte d’Université).

Et pour faire fonctionner tout cela il y aura des producteurs d’énergie, des gens qui capteront les rayonnements du Soleil avec des panneaux importés de la Terre (il faudra « un certain temps » pour pouvoir obtenir sur place la pureté du silicium nécessaire), d’autres qui entretiendront les réacteurs nucléaires (il faudra « un certain temps » avant de pouvoir construire leur cœur sur Mars), d’autres qui repéreront les sources géothermiques et les exploiteront d’une manière ou d’une autre (ce serait dommage de ne pas le faire !), d’autres qui s’occuperont de la distribution de l’énergie secondaire ou du résidu « chaleur » et veilleront à une utilisation aussi rationnelle et précautionneuse que possible (compte tenu de l’environnement, la capacité de production énergétique sera primordiale et on s’efforcera d’éviter tout gaspillage).

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Index L’appel de Mars 20 10 26

Pour la Colonie martienne la difficulté viendra plus des revenus à générer que des montants à investir

Il semble assez facile de réunir les sommes nécessaires à la création d’une base martienne. La difficulté viendra quand il faudra faire vivre cette base pour la transformer en Colonie or la profitabilité à long terme est la condition incontournable de la pérennité.

Sur la base du capital physique rassemblé grâce aux levées de fonds évoquées dans mon précédent article, l’exploitation de la Colonie par la société d’exploitation, dite « Compagnie des Nouvelles Indes », devrait lui permettre de générer des revenus. Sur la base des coûts et des prix résultant du modèle de Richard Heidmann, le seuil de rentabilité (le point-mort) ne devrait pas être atteint avant 20 ans suivant la création de la première capacité résidentielle (mais, avec cette durée, nous serions dans la même situation que pour des sociétés comme Amazon ou des projets d’infrastructure comme Eurotunnel). Après cette période, dans le cadre d’une structure d’exploitation quelque peu stabilisée, la marge opérationnelle pour une période synodique de 30 mois (18, séjour + 2 x 6, voyage AR) pourrait atteindre 10% d’un chiffre d’affaires que l’on pourrait estimer à 2,4 milliards (hors transport). Le revenu annuel net (sur 12 mois) pourrait être la moitié de cette marge, soit 120 millions (ces chiffres sont évidemment discutable mais donnent un ordre d’idée). Ce n’est pas beaucoup pour continuer l’expansion de la Colonie mais, du fait de cette rentabilité naissante, les promoteurs disposeraient quand même de l’assise pour passer à la phase de développement suivante.

Nous pourrions supposer que les fonds propres de la Compagnie évolue après les premières années de construction (lorsqu’elle entrera en « vitesse de croisière »), entre 15 et 20 milliards de dollars. Un tel montant peut sembler faible relativement aux besoins; cependant, il devrait suffire pour que cette Compagnie soit perçue comme un partenaire fiable et crédible (et cela serait renforcé par la garantie qu’elle pourrait obtenir de la part de la Fondation de Mars) et soit donc susceptible d’emprunter.

À condition que le projet évolue sans heurt sur le plan structurel et partant, dans la perspective de revenus prévisibles à long terme, la valeur des actions devrait augmenter, en particulier lorsque la colonie sera prête à accueillir un flux régulier d’hôtes-payants. Cette évaluation améliorée des fonds propres existants, pourrait compenser au moins en partie les fonds déjà dépensés et permettre une nouvelle émission de capital (« new money ») axée sur une nouvelle phase du développement du projet.

Comme suggéré, les fonds propres de la Compagnie pourraient être complétés pour de courtes périodes (fonds de roulement permettant d’actualiser les ventes ou les revenus attendus) ou même à long terme (jusqu’à 30 ans), par des d’émissions d’emprunts. Compte tenu du niveau des fonds propres, en supposant que l’exploitation commence à être rentable (couverture des frais d’exploitation), et en fonction du niveau des taux d’intérêt réels, le montant total de la dette pourrait s’élever jusqu’à 50% des immobilisations (l’intérêt de ces émissions étant de fournir des ressources complémentaires pour l’exploitant et de produire un effet de levier sur le rendement du capital pour les actionnaires). Au-delà de ces fonds à long terme, nous pourrions également envisager une dette perpétuelle (ne générant que des intérêts, sans imposer de remboursement de capital), cet instrument étant attrayant à condition que son taux d’intérêt (variable) tienne compte du caractère particulier de cette dette et que la liquidité d’obligations plus courtes ait été démontrée par l’expérience.

Enfin, nous pourrions imaginer que les installations de transfert interplanétaires (« MCT », « Mars Colonization Transport ») soient développées (et exploitées) indépendamment de la Compagnie. SpaceX ou un autre membre de la Fondation (le « transporteur ») pourrait le faire dans le cadre d’un contrat comme celui de SpaceX actuellement avec la NASA pour desservir l’ISS (ce qui permettrait au transporteur d’avoir d’autres sources de revenus que les services rendus pour Mars). Les voyages seraient organisés et gérés par ces sociétés indépendantes (il pourrait y en avoir plusieurs, comme des compagnies aériennes) dans le cadre d’un contrat de service signé avec la Compagnie. Les voyageurs pourraient acheter leur séjour (transports compris) auprès du transporteur, qui pourrait gérer librement sa politique de prix. Des frais d’utilisation des installations martiennes au cours d’une période synodique seraient négociés par le transporteur avec la Compagnie, dans les limites du prix du «billet» pour l’ensemble du séjour. Bien entendu, ce prix pourrait être modulé pour inclure ou non, certains types de services une fois sur Mars ou pendant le voyage (“packages”). La Compagnie pourrait à l’inverse être le partenaire du client pour discuter du prix du séjour plus le transport (et recevoir le paiement intégral, dont une partie serait reversée au transporteur).

Atteindre la profitabilité sur le long terme

Pour les raisons déjà évoquées, notamment la nécessité de fournir aux actionnaires de la société exploitante une perspective de rendement financier, aussi lointaine soit-elle, la politique de prix devrait permettre, à l’achèvement de la première tranche de développement de la Colonie (après les 20 années susmentionnées), une opération rentable, atteignant au moins le point-mort.

Mais ces prix devront être payés par des personnes. Il faut des clients en regard des investisseurs! A cela deux obstacles : 1) il ne sera sûrement pas facile pour un particulier de rassembler les 5 à 8 millions de dollars nécessaires (le rôle de la Banque sera important). Ce serait beaucoup moins difficile pour les entreprises ou autres institutions (NB : Un séjour dans l’ISS coûte 60 millions de dollars et l’ISS a toujours trouvé « preneurs ».) ; 2) la coupure d’avec ses proches et d’avec ses autres activités nécessitant une proximité physique. Elle sera réelle mais elle peut être enrichissante. Il ne faut pas qu’elle soit conçue comme l’ouverture d’une parenthèse mais comme un surplus d’expérience, une période de fondation pour une nouvelle tranche de vie.

Mais aussi il serait un peu insuffisant pour la Colonie de ne compter que sur les ressources engrangées par la Compagnie pour l’hébergement des personnes. Aucune société ne peut compter pour prospérer, que sur l’immobilier. Il faudra qu’à l’intérieur de cet immobilier, les gens non seulement vivent mais créent de la richesse. Cela dépendra de ceux qui voudront venir sur Mars et des facilités qui leur seront offertes par la Colonie pour s’épanouir. Cela implique pour la Compagnie de bien choisir lors de l’affectation de ses ressources rares. L’affectation se fera en principe par les prix (fixés par l’offre et la demande) mais il lui faudra aussi évaluer les projets de ses hôtes en fonction de leur potentiel sur le long terme car elle pourrait s’associer aux plus prometteurs en contrepartie de son aide, ce qui lui permettrait de générer un complément plus ou moins important de revenus (on peut concevoir la Colonie comme une pépinière de start-up).

Nous supposons que le résultat de la Compagnie soit exempté d’impôts et en particulier d’impôt sur les sociétés et que les actionnaires pourront obtenir diverses facilités tant au niveau de leurs impôts sur le revenu que sur leur éventuel impôt en capital (stock investi ou plus-value d’actions) ou de leur impôt sur les successions. Cela ne semble pas impossible (au moins dans les principaux pays participants), compte tenu du cadre très particulier de l’entreprise. Ce serait pour les Etats, un moyen d’obtenir plus rapidement un retour sur investissement de leurs Agences-spatiales. Pour que ces exonérations fiscales soient acceptées, nous devrions considérer Mars comme un territoire international bénéficiant d’un accord fiscal spécial conclu entre chaque pays participant à la Compagnie par l’intermédiaire de son Agence.

Il faut bien avouer que tout ceci sera difficile mais il y a quand même une voie vers la rentabilisation. Les hommes voudront-ils s’y engager ?

Image à la Une: Mars, Base Alpha, conception Elon Musk (crédit Elon Musk/SpaceX). Il n’y a pas “grand-monde” dehors mais c’est la nuit et il fait près de moins 100°C. Sauf urgence, ce n’est pas l’heure des sorties en scaphandre.

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Index L’appel de Mars 23 02 19