Exploration spatiale

Voir Mars comme une Université

J’ai récemment travaillé avec mon ami Richard Heidmann, polytechnicien (français) et fondateur de la Mars Society française (“Association Planète Mars“) sur une étude concernant la viabilité économique d’une première colonie martienne. Elle comprendrait un millier de personnes, taille optimum qu’on pourrait atteindre avec les technologies (presque) d’aujourd’hui.

La faisabilité d’une telle Colonie repose sur la réussite du projet d’Elon Musk de « Mars Colonization Transport » (« MCT »). Il s’agit de la mise au point d’un lanceur super lourd capable de déposer en surface de Mars 100 tonnes ou 50 personnes et 50 tonnes. Le coût de ce lanceur serait raisonnable en raison de sa réutilisabilité, pourvu bien sûr qu’il soit construit en un minimum d’exemplaires (on en envisage une dizaine) et que les vols soient suffisamment fréquents malgré la contrainte imposée par la fenêtre de tirs qui ne s’ouvre que tous les 26 mois (NB : Elon Musk doit dévoiler les détails de son projet de MCT lors du prochain congrès IAC -International Astronautical Congress-, entre le 26 et le 30 septembre à Guadalajara, Mexique).

Nous avons estimé qu’une mission de 30 mois y compris deux fois six mois de voyage (avec utilisation du MCT) et 18 mois de séjour en surface de Mars, coûterait pour une personne, en l’état actuel de nos capacités technologiques pour construire également la base, la viabiliser et la maintenir viable, de 6 à 8 millions de dollars (3,2 millions de dollars par an).

Le montant est élevé mais il n’est pas invraisemblable d’envisager que des Terriens consentent à le payer. Le problème se pose vraiment sur la durée car on ne peut raisonnablement envisager que de telles dépenses soient indéfiniment à la charge des promoteurs du projet (personnes publiques ou privées) sans retours financiers suffisants. Il faudra que, tôt ou tard, la Colonie devienne rentable, c’est-à-dire qu’elle s’autofinance ou qu’elle génère par la vente de services proprement martiens, la couverture de ses coûts de fonctionnement et de développement (oubliez les exportations de pondéreux, les transports sont trop chers !).

Le coût c’est bien entendu l’importation des équipements que l’on ne peut fabriquer sur place (nombreux au début, malgré l’impression 3D), bien sûr les transport de personnes (aller et retour !) et leur rémunération ainsi que le fonctionnement du support vie (ECLSS et de plus en plus MELiSSA) pendant leur séjour.

La population martienne comprendra d’abord le personnel indispensable au fonctionnement de la Colonie. Compte tenu de la difficulté et de la complexité de l’implantation dans un milieu aussi hostile et éloigné, on évalue cette population « fonctionnelle » à environ la moitié des mille personnes. Les autres (les « hôtes payants ») seront des scientifiques, des professionnels indépendants et des touristes. Tous seront des personnalités remarquables dans leur domaine car il faudra être très compétent (et ingénieux) pour aller sur Mars. Même les « touristes » seront des gens, certes passionnés d’espace mais aussi ayant « réussi » leur vie professionnelle, riches d’une expérience et d’une capacité à la transmettre. On aura donc rassemblé dans ce milieu isolé une somme considérable de « cerveaux », tous disposant à un moment ou à un autre de temps libre qui leur permettra d’échanger…ou de former. Ce sera une « ressource » martienne évidente, dont on ne trouvera l’équivalent que dans quelques-unes des meilleures universités terrestres.

Il serait donc logique que des étudiants de haut niveau (doctorants) s’intéressant à des sujets dont le contexte martien favorisera l’étude, viennent sur Mars pour rassembler les dernières données d’observation nécessaires à leur diplôme, pour les analyser, les interpréter et publier leurs recherches sous le contrôle de ces personnes compétentes. On peut penser à des géologues ou à des exobiologistes mais aussi à des ingénieurs étudiant la résistance des matériaux ou des biochimistes travaillant sur les systèmes de support vie, ou des sociologues s’intéressant aux relations en milieux isolés fermés, des nutritionnistes, des agronomes, etc…

Alors oui, le prix à payer sera « un peu » cher pour des étudiants mais certaines recherches pourront apparaître comme particulièrement intéressantes à des industriels désireux d’exploiter de nouvelles connaissances et obtenir de nouveaux brevets pour des applications terrestres. Ce seront eux leurs financiers (on retrouve la même implication entre industrie et recherche sur Terre).

Au total ce sera un petit nombre de personnes, peut-être en régime de croisière une cinquantaine d’étudiants provenant de tous les points du globe terrestre. L’université fonctionnerait, en rapport avec les grandes institutions terrestres, avec très peu de personnel dédié (trois ou quatre administrateurs) et beaucoup de professeurs à temps partiel (les chercheurs et professionnels résidents). Le rôle des administrateurs serait un rôle d’organisation, de gestion et de diffusion.  Outre la publication de recherches, on peut concevoir aussi que les scientifiques produisent dans ce cadre des MOOC à l’attention du monde entier.

Avec le temps, le coût des voyages baissera, les résidents permanents deviendront plus nombreux, ils auront des enfants et ceux-ci seront évidemment éduqués. Parallèlement les étudiants terrestres auront moins de difficultés à se payer le voyage puisque le prix aura baissé. Ensemble avec les Martiens natifs, ils étofferont petit à petit les effectifs des étudiants, et des professeurs.  Mars deviendra ainsi ce à quoi sa nature la prédisposait, un des « pôles » de l’activité intellectuelle de notre civilisation nouvellement multiplanétaire.

Image à la une : « Grounds » of the University of Virginia (“UVA”), Charlottesville, « mon » université (conçue et construite par Jefferson, au pied de sa résidence de Monticello). Bien sûr l’Université Martienne ne ressemblera pas à cette belle construction classique mais pour les Martiens la recherche continue du Progrès et le culte de l’Ingéniosité seront tout aussi importants que pour le Concepteur de l’UVA. Jefferson en effet était un homme qui tout en ayant une grande culture classique s’intéressait énormément aux Sciences et recherchait constamment les solutions pratiques pour faciliter la vie quotidienne. Il aurait été un parfait Martien!

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