«Il me faudrait engager un stagiaire pour passer en revue toutes ces sollicitations!» s’exclamait derrière moi un CEO de startup alors que j’assistais à la dernière édition des Swiss Startup Days. Mais que voulait-il dire par-là?
Petit tour d’horizon
Un petite mise en perspective est ici de mise. Il n’y a pas photo: l’écosystème des startups en Suisse ne cesse de gagner en maturité. Plusieurs éléments viennent étayer ce propos:
- entre 2013 et 2018, les jeunes pousses installées sur le territoire ont quasiment triplé le capital qu’elles ont levé pour atteindre plus de 1.2mia; les tours de financement gagnent également en importance. Cette activité n’échappe pas aux Echos.
- On note aussi des rachats et des participations conséquents à tous niveaux et dans toutes les industries, tels qu’Actelion par Johnson & Johnson, Darix par Bullard, Symetis par Boston Scientific, Autoform par Astorg, et j’en passe. La liste ne se veut pas exhaustive mais souligne que le terreau helvète est propice à satisfaire les appétits d’acteurs majeurs internationaux (ne pas s’en cacher!).
- Entre 2002 et 2018, le nombre de startups fondées par année a quadruplé pour atteindre environ 300. Les cantons de Zurich et Vaud arrivent en tête, notamment grâce aux deux écoles polytechniques fédérales.
A n’en pas douter, c’est dans l’entrepreneuriat dans l’innovation trouve ici sa suite logique et un engouement nécessaire pour son envol. On observe une plus grande fluidité dans le processus from lab to market: la technologie concrétise tout d’abord une idée et se transforme ensuite en une offre qui intéresse le marché. Il faut prendre garde à ne pas pécher par orgueil et se concentrer sur le market fit. C’est d’ailleurs la première des raisons identifiée par CB Insights pour lesquelles les startups mettent la clé sous la porte: le marché ne veut pas ou n’a pas besoin de ce que la startup lui propose. A ce titre, un journaliste scientifique de Cambridge au Massachusetts le soulevait: “Too many engineers focus on what they have developed [during their studies] but the market doesn’t want technology [per se], it wants a value proposition.”
Un écosystème amené à se renforcer
Cette vague d’intérêt pour la voie entrepreneuriale a aussi un effet sur l’écosystème en général: on assiste à une sorte de sur-offre pour toute personne qui voudrait se lancer (parfois atteinte du virus du wantrepreneur dont les symptômes sont caractérisés par un éblouissement du hype de la start-up et l’engagement pas toujours raisonné dans une carrière entrepreneuriale). On ne compte plus la myriade de concours, de programmes de soutien, de séances de coaching, de compétitions de pitchs, de prix, de classements à intégrer, de cursus à rejoindre (p.ex. accélérateurs, academy, etc.), de subventions à fonds perdus (étatiques ou non), de prêts à taux nul, etc.
Il ne s’agit pas là de se faire juge ou bourreau de toutes ces initiatives qui sont le fruit d’intentions extrêmement louables. D’immenses labeurs et batailles ont dû être menés pour les lancer. Il est incontestable que plusieurs d’entre elles amènent une valeur importante aux startups et les aident à prendre leur envol. Aussi, d’un point de vue purement marketing et relations publiques, elles favorisent l’émergence d’une culture startup en Suisse, ce qui fait positivement évoluer les mentalités. Enfin, toutes ces possibilités densifient le tissus dans lequel vont germer les jeunes entreprises.
Cependant, ne serait-il pas temps de passer à la prochaine étape? Comme dans tout système en constante évolution, ne faudrait-il pas se concentrer sur un nombre plus restreint d’initiatives et préférer les renforcer d’une manière stratégique, afin d’éviter un environnement où il est parfois difficile de s’y retrouver? Comme le diraient les Américains: «it is difficult to navigate the fog of opportunities.» A ne plus savoir où donner de la tête et à trop vouloir lancer sa propre initiative, on néglige la qualité de l’offre, mais également des participants qui ont tout simplement plus d’opportunités pour solliciter une aide quelle qu’elle soit. On a l’impression d’assister à une forme “d’auto-entretien” du système à coup d’encouragements à la portée de tout un chacun.
Voici quelques pistes et suggestions:
- éviter de créer ou d’entretenir une compétition entre structures: davantage de ressources seront disponibles pour l’investissement dans les projets, au lieu de faire du marketing
- Clairement différencier son offre: cela évitera le sentiment de same but different.
- A petit pays, un nombre adéquat d’initiatives: la Suisse n’a pas la taille critique pour leur multiplication. On retrouve souvent les mêmes projets (régulièrement ou forcément sélectionnés) et les mêmes jurés.
- Diversifier ses membres de jurys: les jurés sont très sollicités et sont souvent les mêmes, parfois peu spécialisés pour juger objectivement une technologie et un modèle d’affaire précis.
- Prendre garde aux conflits d’intérêts: certaines initiatives se créent uniquement pour positionner une institution ou une industrie plutôt que de soutenir les start-ups.
- Concentrer les financements pour augmenter leur impact: l’effet n’est-il pas plus important lorsque l’on donne CHF 500’000.- à une start-up particulièrement prometteuse, plutôt que dix fois CHF 50’000.- à des projets sélectionnés à la va-vite? Au niveau du coaching, ne vaudrait-il pas mieux un ou deux coaches spécialisés suivant de près une start-up, plutôt qu’une dizaine de personnes de tous horizons lui consacrant chacune une ou deux heures? Trop de points de vue et de conseils – même avisés – peuvent apporter un sentiment d’embrouillamini.
Une dynamique à cibler
Un clair engouement pour les start-ups se fait entendre, des écoles polytechniques au parlement, des parcs de l’innovation aux accélérateurs, des bancs d’universités aux communes. On entend souvent que le système suisse offre une forme de perfusion aux start-ups, à qui on ne dit pas assez la vérité en face. A ce petit jeu, les Etats-Unis sont beaucoup plus directs et donnent à qui veut bien l’entendre un unfiltered feedback, dont le seul but est de pointer du doigt les faiblesses d’une idée afin de lui donner toutes les chances de réussir. Quand on sait qu’une infime minorité des start-ups ne survit, il est nécessaire d’éviter de prolonger leur agonie et d’être plus critique. La qualité de l’écosystème ainsi que de ses acteurs ne s’en trouvera que renforcée.