Cloud computing: une immatérialité énergivore

En tant qu’institution phare dans le monde académique, le MIT publie régulièrement des articles et livres de références comme par exemple la liste annuelle des 10 technologies révolutionnaires ou le Global Change Outlook. A l’instar de ces publications, sa faculté d’informatique a lancé une série d’études de cas dans le cadre de son initiative sociale et responsabilité éthique en informatique. Un des chercheurs et doctorants, Steven Gonzalez Monserrate, anthropologue de surcroît, s’est penché sur la question de la matérialité du cloud et son lien avec l’impact environnemental de l’informatique et du stockage des données. Etat des lieux de la situation.

 

“À l’ère du machine learning, du minage de crypto-monnaies et de la capacité de stockage de données apparemment infinie permise par le cloud computing, les coûts environnementaux de l’omniprésence de l’informatique dans la vie moderne sont occultés par la complexité même des infrastructures et des chaînes d’approvisionnement impliquées dans les transactions numériques les plus simples.”

 

Techniquement parlant, le “Nuage” (Cloud) fait référence à la mise en commun de ressources informatiques sur un réseau. Dans la culture populaire, le terme englobe l’ensemble des infrastructures qui rendent toute activité en ligne possible. Le nuage du numérique est insaisissable et son fonctionnement reste bien mystérieux pour les homo connectus que nous sommes. Mais tout comme les nuages au-dessus de nos têtes rivées aux écrans, aussi informes ou éthérés qu’ils puissent paraître, le Cloud est bel et bien constitué de matière: ce nuage du numérique est lui aussi implacablement matériel.

 

“Quels que soient vos demandes, désirs ou objectifs, l’internet vous les fournit, et toute la complexité [du contenu, produit ou service, …] est contenue dans des chaînes de bits infiniment complexes.”

 

Câbles sous-marins enserrant le globe, fibres optique, ventilateurs, circuits de refroidissement, antennes, serveurs: la liste des équipements est longue. S’ajoutent à cela les flux matériels d’électricité, d’eau, d’air, de chaleur, de métaux, de minéraux et de terres rares qui sous-tendent nos vies numériques. Ainsi, le nuage n’est pas seulement matériel: c’est aussi un mastodonte somme toute peu écologique. Au fur et à mesure de son expansion, son impact sur l’environnement s’accroît, tout comme sa consommation électrique, estimée à 1% de la production mondiale en 2018, donc encore plus aujourd’hui. Nos existences numériques se baffrent d’électricité et renforcent ainsi le défi de notre génération qui consiste à assurer un approvisionnement énergétique décarboné, rentable et durable.

 

 

La chaleur, voilà le grand ennemi à pourfendre. Elle est le produit résiduel du calcul. Si elle n’est pas maîtrisée, elle devient un obstacle au fonctionnement de la civilisation numérique. La chaleur doit donc être réduite sans relâche afin de maintenir le moteur du numérique en état de marche constant, 24 heures sur 24, chaque jour que les GAFAM nous abreuvent en ligne; la tolérance au temps mort n’est pas de mise. Le refroidissement des circuits (via l’air ou l’eau) est un élément incontournable et absolument nécessaire de n’importe quel centre de données. Le mix énergétique en amont est donc directement à prendre en compte puisque l’électricité générée est plus ou moins “verte” (un centre en Pologne sera donc drastiquement plus mauvais élève qu’un centre similaire en Islande). Une sur-utilisation de l’eau est critique dans certains environnements aux resources d’or bleu limitées. Moins médiatisé mais certainement présente, la pollution sonore, ce fredonnement constant des centres de données auquel les anti-éoliens se rallient car source de désagréments physiques, voire psychiques.

 

“Mes oreilles se dressent au son de la musique du Nuage, une symphonie discordante de messages, d’e-mails, de vidéos de chats et de fausses nouvelles qui fait vibrer mes oreilles.”

 

A coup d’initiatives onéreuses, un mélange de mesures de compensation (crédits carbone) et d’investissements dans le renouvelable (p.ex. installations de panneaux solaires), les GAFAM se sont déjà engagés dans la voie verte (Microsoft et Facebook: neutres en carbone d’ici 2030, Google: compensation de toutes ses émissions jamais produites et tourne aux renouvelables). Mais soyons réalistes, la consommation explose. Les ressources sont infinies, non? Le Shift Project lancé par Jean-Marc Jancovici fait le point: la vidéo en ligne génère 60% des flux de données mondiaux et donc plus de 300 millions de tonnes de CO2 par an, soit 1% des émissions globales (autant que l’Espagne). Le numérique émet aujourd’hui 4% des émissions de gaz à effet de serre et sa consommation d’énergie augmente de 9% par an (chiffres de 2019).

 

 

N’oublions pas de revenir également sur les éléments tangibles de notre Nuage: les ordinateurs, câbles, batteries, ventilateurs d’air conditionné, unités de distribution d’énergie, transformateurs, etc. nécessitent eux aussi des quantités astronomiques de matières premières, de combustibles, de terres rares, de matériaux (et de procédés de raffinage, de transformation, d’assemblage, de manufacture au sens large). L’obsolescence ayant bien été programmée, cette longue liste de choses est continuellement jetée et renouvelée sans forcément être améliorée, triée, recyclée ou encore proprement débarrassée. Des déchets électroniques que Wall-E trierait ad vitam aetnernam

 

“Cette étude de cas illustre le fait que la dynamique écologique dans laquelle nous nous trouvons n’est pas entièrement une conséquence des limites de conception mais [englobe] des pratiques et des choix humains – entre individus, communautés, entreprises et gouvernements – combinés à un manque de volonté et d’imagination pour mettre en place un cloud durable. Le Nuage est à la fois culturel et technologique. Comme tout aspect de la culture, la trajectoire du cloud – et ses impacts écologiques – ne sont pas prédéterminés ou immuables. Comme tout aspect de la culture, ils sont mutables.”

 

Nous ne sommes plus sur un petit nuage. Nous sommes dans le Nuage, matrice mystique que nous avons créée pour répondre à des nouveaux besoins sans cesse croissant. Il se pose désormais paradoxalement comme une menace à notre espèce. Qu’à cela ne tienne, nous nous retrouverons dans le métavers. Ou pas.

Covid-19: les géants du numérique se renforcent

Tandis que toute l’économie subit l’impact paralysant du coronavirus, les affaires des plus grandes entreprises technologiques se maintiennent, voire prospèrent. Les gens étant invités, voire forcés, à travailler à domicile et à rester à l’écart des autres, la pandémie a renforcé la dépendance aux services des plus grandes entreprises du secteur technologique (les GAFAM par exemple) tout en accélérant les tendances qui leur profitaient déjà.

Pour les entreprises qui gèrent leurs infrastructures sur l’Internet, l’adaptation des besoins informatiques est coûteuse et compliquée. Le cloud computing facilite cette tâche et offre une alternative rapide et scalable. Les entreprises se débarrassaient déjà de leurs propres centres de données pour louer des ordinateurs chez Amazon (Web Services AWS), Microsoft (Azure) et Google (Cloud). Cette évolution devrait s’accélérer car des millions d’employés sont obligés de travailler à domicile, des étudiants de suivre leurs cours depuis chez eux, etc., ce qui met à rude épreuve les infrastructures technologiques des différentes organisations.

  • Utilisation croissante des outils de collaboration et de télétravail

Microsoft a fait une promotion agressive de son nouvel outil de messagerie et de collaboration, Microsoft Teams, qui est en concurrence avec la société indépendante Slack qui avait vraiment démocratisé la messagerie instantanée au travail. Récemment, Microsoft a déclaré que le nombre d’utilisateurs de Teams avait augmenté de 37 % en une semaine, pour atteindre plus de 44 millions d’utilisateurs quotidiens. Chaque jour, il y a eu au moins 900 millions de réunions et de comptes rendus de conférences téléphoniques sur Teams.

  • Les applications de livraison de produits d’épicerie sont très demandées

Depuis plusieurs années déjà, Amazon s’est allié aux détaillants en magasin (brick and mortar) en rachetant par exemple la chaîne nord-américaine Whole Foods. Cependant, désormais réticents à se rendre en magasin, les acheteurs se tournent d’autant plus vers le géant du commerce en ligne pour une plus grande variété de produits, comme les produits d’épicerie et les médicaments en vente libre (rappelons qu’en 2018, Amazon était possédait 49% des parts du commerce de ventre en ligne aux USA). Pour faire face à la demande, le groupe cherche actuellement à recruter 100’000 personnes pour ses centres et ses réseaux de distribution. Après les livres, Amazon chamboule les habitudes d’achat pour les produits d’épicerie.

D’autres applications de livraison de produits d’épicerie, dont Instacart (cherche 300’000 personnes dans les trois prochains mois, soit plus du double de sa base actuelle), Walmart Grocery (cherche 150’000 personnes pour ses centres de distribution) et Shipt, ont commencé à enregistrer un nombre record de téléchargements quotidiens.

  • Augmentation du trafic vers les sites de streaming vidéo et les plateformes de médias sociaux

Les appels vocaux sur le service de messagerie WhatsApp (2 milliards d’utilisateurs au niveau mondial, appartenant au groupe Facebook) ont doublé en volume. L’application Messenger de Facebook (1.3 milliards d’utilisateurs au niveau mondial) a connu une croissance similaire. Les analystes sont optimistes quant aux perspectives de Facebook, car de nombreuses personnes s’y tournent pour obtenir des nouvelles en temps de crise et pour se distraire lorsqu’elles travaillent à la maison (Facebook News, tout comme LinkedIn Newsroom avec notamment un feed spécifique sur le coronavirus).

Les téléchargements de l’application Netflix (167 millions d’utilisateurs au niveau mondial) ont augmenté de 66 % en Italie, de 35% en Espagne et de 9% aux USA où Netflix a été fondé et était déjà largement populaire (Netflix et YouTube ont même réduit leur qualité pour ne pas bloquer le réseau). Aujourd’hui, alors que les salles de cinéma ferment sur ordre du gouvernement, Netflix et YouTube gagnent un nouveau public.

L’utilisation des jeux vidéo et de la diffusion en direct a aussi connu une forte hausse: le week-end du 14 mars a vu une augmentation significative du nombre de spectateurs de la diffusion en direct par rapport au week-end précédent, avec une hausse de 10 % pour Twitch et de 15 % pour YouTube Gaming. Verizon a constaté que les jeux en ligne ont augmenté de 75 % aux heures de pointe en Amérique du Nord, tandis que la diffusion en continu a augmenté de 12 %.

  • Augmentation de l’utilisation des applications

Même Apple, une entreprise qui compte des centaines de magasins fermés dans le monde, semble de plus en plus vouloir sortir de la pandémie en bonne santé. De nombreuses usines d’Apple sont presque revenues à la normale. Les gens consacrent plus de temps et d’argent à ses services numériques. Apple a même annoncé le lancement d’une gamme de nouveaux gadgets.

L’augmentation du temps et de l’argent consacrés aux téléphones est également une bonne nouvelle pour Apple et Google, car ils réduisent la plupart des ventes et des achats d’applications. En deux semaines aux USA, les recettes de l’App Store d’Apple et d’Android ont augmenté de 14 à 20%.

  • Les plus grandes entreprises technologiques pourraient en sortir beaucoup plus fortes

Cela ne veut pas dire que les grandes entreprises technologiques ne doivent pas s’inquiéter. La publicité, le moteur de Google et de Facebook, a tendance à souffrir en période de ralentissement économique. Les actions d’Apple, de Microsoft, d’Amazon, de Facebook et de la société mère de Google, Alphabet, ont perdu collectivement plus d’un trillion de dollars en valeur marchande au cours des dernières semaines. Et Microsoft, Twitter et Apple ont réduit leurs prévisions financières à court terme en raison du ralentissement des dépenses de consommation.

Au-delà des cinq grands protagonistes, les choses ont été plus difficiles. Les outils de communication comme Zoom sont désormais essentiels, mais les entreprises de location de voitures comme Uber and Lyft et les sites de location de propriétés comme Airbnb voient leurs clients disparaître. L’industrie technologique mondiale, qui pèse 3’900 milliards de dollars, en souffrira cette année, mais on à quel point? Difficile de le prédire.

En résumé, lorsque l’économie finira par s’améliorer, les grandes technologies pourraient bénéficier de l’évolution des habitudes de consommation. Et malgré des mois de critiques de la part des législateurs, des régulateurs et des concurrents avant que la pandémie ne frappe durablement les USA et le reste du monde, les plus grandes entreprises finiront probablement l’année plus fortes que jamais.

(source AngelList)