Est-ce un problème pour une haute école si ses étudiant-e-s sont peu mobiles durant leur formation ?

Où se situe la mobilité internationale des étudiant-e-s suisses ? Movetia vient de publier une statistique sur le sujet www.movetia.ch/fr/index. Le tableau général est assez contrasté  – le taux varie entre 1 et 50% – et plutôt décevant dans la mesure où seule une haute école sur neuf atteint le seuil des 20 % d’étudiant-e-s mobiles. Et alors, “c’est grave docteur ?” Pour les jeunes qui n’en profiteraient pas oui. Le fait de pouvoir séjourner à l’étranger et y effectuer une partie de leur formation permet aux étudiant-e-s de développer des compétences très recherchées sur le marché du travail et constitue une plus-value indéniable pour la suite de leurs carrières. Mais pour l’institution ? En apparence non, mais en interrogeant le niveau de mobilité des étudiant-e-s d’une haute école, on questionne aussi son ancrage international, dont on sait qu’il représente un facteur important pour la qualité de la formation.

Pouvoir mesurer les objectifs de la stratégie nationale

En Suisse le domaine des échanges et de la mobilité est piloté depuis 2017 par une stratégie nationale. Comme toute stratégie qui se respecte, elle est portée par une vision («chaque jeune en Suisse effectue au moins une fois une expérience d’échange ou de mobilité») et vise un certain nombre d’objectifs. Or le défi dans ce domaine n’est pas seulement d’atteindre ces objectifs, mais aussi de pouvoir les mesurer, tant les données sont manquantes ou complexes à collecter. A l’exception cependant de la statistique de la mobilité dans les hautes écoles de l’Office fédéral de la statistique (OFS)

Taux de mobilité et indice d’internationalisation des hautes écoles

Afin de pouvoir exploiter cette statistique, Movetia s’est associée à un chercheur de l’Université de Lausanne. Avec pour objectif d’en extraire une photographie de chaque haute école suisse et de tenter de comprendre les facteurs qui favorisent la mobilité internationale. Un travail qui a débouché sur un «indice d’internationalisation», étayé par des données complémentaires collectées au sein des hautes écoles. Les données de mobilité des étudiant-e-s diplômé-e-s (bachelor et master) prises en compte sont celles de 2020, afin d’exclure les effets négatifs liés à la pandémie.

De grandes différences entre les hautes écoles

Premier constat: les taux de mobilité des étudiant-e-s dans les hautes écoles suisses varient fortement (entre 1 % et 50 %). Second constat: le taux de mobilité moyen est plutôt bas, soit de 15,7 % – celui de l’Autriche à laquelle la Suisse peut être comparée est à plus 24 % – et il n’est atteint que grâce à la performance exceptionnelle des trois premières institutions. La grande majorité des hautes écoles suisses se situe encore loin du seuil de référence de l’espace européen de l’enseignement supérieur en matière de mobilité (20 % des diplômé-e-s devraient avoir étudié ou effectué un stage à l’étranger).

Des résultats surprenants, mais aussi encourageants

Etonnamment, le classement en termes de taux de mobilité est indépendant du type de haute école (hautes écoles universitaires, hautes écoles spécialisées, hautes écoles pédagogiques) et ne dépend a priori pas non plus de la taille ou de l’âge de la haute école ou de la région linguistique concernée. Ainsi, l’Université de Saint-Gall, l’EPF de Lausanne, la HEP de Saint-Gall, l’Università della Svizzera Italiana ainsi que la Haute école spécialisée de Suisse occidentale HES-SO figurent parmi les cinq premiers du classement. Ce qui montre qu’il est possible pour tous les types de hautes écoles d’atteindre des taux de mobilité élevés, malgré des situations de départ et des contextes différents, et ce indépendamment de la motivation des étudiant-e-s.

Lien entre mobilité des étudiant-e-s et internationalisation de l’institution

L’étude met aussi en évidence un «lien significatif» entre le taux de mobilité et le degré d’internationalisation des établissements. Si les séjours à l’étranger accroissent l’employabilité des diplômé-e-s et favorisent l’acquisition de compétences spécialisées et personnelles importantes, cette mobilité représente aussi un facteur d’internationalisation majeur pour les hautes écoles. S’il vaut la peine d’investir dans une approche complète de l’internationalisation, ce n’est pas uniquement pour les étudiant-e-s, une telle approche permet également de développer la qualité de l’enseignement et de la recherche, d’encourager l’innovation, et de renforcer la visibilité, la compétitivité et la réputation de l’institution en Suisse comme à l’étranger.

Ce que le résultat indique au-delà du classement

Evidemment une telle étude, surtout si elle débouche sur un classement des institutions, a aussi ses limites et ses raccourcis. Difficile en effet de comparer une université solidement établie et bien ancrée dans un réseau international avec une haute école pédagogique (HEP) moins avancée dans son processus d’internationalisation et dont les défis de formation se situent davantage au niveau régional. Mais n’empêche, on retrouve une HEP à la 3ème place, et 5 d’entre elles dans la première moitié du classement, avec des taux de mobilités plus élevés que certaines universités. Comme quoi la volonté institutionnelle est elle aussi déterminante.

En conclusion cette étude lève le voile pour la première fois sur la mobilité internationale des étudiant-s dans les hautes écoles suisses. Certes sous la forme d’un classement forcément réducteur, mais qui souligne des écarts importants sur lesquels les acteurs et actrices suisses de la formation doivent agir afin que l’ensemble des étudiant-e-s disposent de possibilités similaires. Question d’égalité des chances. Cette publication a aussi le mérite de stimuler le système, en espérant que les institutions sauront utiliser les clefs d’amélioration mises à leur disposition et, surtout, comprendre pourquoi elles sont importantes pour elles et la qualité de leur enseignement et recherche.

 

Erasmus is a Big Plus for Switzerland and EU

A resolution for 2023: Switzerland joining the Erasmus+ programme!

By promoting exchange and mobility of young people, motivating them to meet and confront each other in a collaborative or even competitive spirit, we could aim to place education at the core of our international policy agenda and to strengthen a strong and sustainable intercultural understanding between Switzerland and Europe. A promising vision, an unquestionable focus and a pragmatic step to gradually improve the failing narrative about Switzerland’s place in Europe.

 

International cooperation as a key to the future of education

“Erasmus” sounds universal and has almost become part of everyday language. Most people associate it with a study semester abroad and the related “clichés” about student parties. But it’s far more. Erasmus has long since ceased to be limited to higher education institutions, but includes nowadays offers for all levels of education. And behind the familiar word lies a unique and irreplaceable network of international cooperation and mobility that stretches across Europe and beyond. Its potential for the Swiss education system and its international attractiveness is invaluable.

Why? Because international cooperation means access to networks and collaborative structures which enhance the quality of the education system, contribute to its development and further excellence. Adding an international dimension to any curriculum means added value for everyone – for the students, for the institutions and for the education system as a whole.

Moreover, the individual skills acquired through an exchange are countless. Among the 10-15 skills of the future identified by employers, many can be acquired by spending a semester at a foreign university, following a traineeship in a company abroad, or by taking part in a job-shadowing at a different institution. Interculturality is a skill in high demand on the labour market, and will most likely remain so in the future.

 

Common challenges and benefits in education field

Switzerland is located in the middle of the European continent and surrounded by EU member states. We live and pursue the same values and goals, and struggle with the same challenges, also in the field of education. Challenges such as the lack of qualified teachers and topics such as the provision of soft skills are relevant for all of Europe including Switzerland and should be addressed together. Exchanging and learning from each other about teacher training, new ways of learning and skills for the future are beneficial for all. At the same time, these benefits of exchange and mobility go beyond education. The immersion in other countries and cultures broadens horizons and contributes to solving international challenges in other areas, like migration and integration as well as peace keeping.

Both sides have much to gain. The EU, for example, has years of experience and functioning vessels and mechanisms in the area of exchange and mobility. At the same time, Switzerland can contribute its expertise in various topics, such as vocational training and multilingualism. Switzerland and the EU are both interested in closer cooperation of labour markets. This makes mobility and cooperation in vocational education and training (VET), which are closely linked to labour market needs, all the more important. If companies work together in education and training, this strengthens mutual trust and strengthens cooperation more broadly. At the same time, cooperation in education leads to a better understanding of the training systems and to a better recognition of diplomas and competences.

Moreover, mobility and cooperation in education are also the foundation for a successful research landscape, which in turn thrives on international networks and contacts. If future researchers are offered the opportunity to network and gain international experience already during their studies, the more effective their involvement in European research collaboration will be.

 

Cooperation in education is now complicated for both parties

Movetia the swiss national agency for exchange and mobility, regularly receives concrete requests for the participation of Swiss institutions in Erasmus+ projects, both from the Swiss side and from European partners. Unfortunately, due to the non-association, these requests cannot usually be supported and any alternatives do not offer the same added value.

The implementation of exchange and cooperation projects via the Swiss programme for Erasmus+ is significantly more complicated and expensive for both sides and covers only a part of the Erasmus offers. The parallel processes comes with higher costs and additional resources that educational institutions need to invest. Erasmus+ cooperation projects between Swiss and European educational institutions can currently only be realised partially and with clear limitations. Even where Swiss institutions have access to Erasmus+ actions (e.g. the European Universities initiative), they cannot benefit from the same tools and opportunities (such as platforms, networks etc.) as their partners and are thus disadvantaged or cannot exploit the full potential of cooperation. This in turn reduces the benefits of cooperation for the European partners and the attractiveness of a partnership with Swiss institutions As far as the Swiss programme for exchange and mobility is concerned, it is becoming increasingly difficult for Switzerland to maintain compatibility with Erasmus+. The differences in offers and processes are increasing and cooperation in education will become more complicated for all parties involved.

 

European education united.

In the current climate of global insecurity and rising challenges, the need for European actors in education to stick together to promote and defend democracy, academic freedom and diversity in Europe is all the more important. We all know, that the political impasse between Switzerland and the EU won’t be easy to solve. But in order to enable collaboration despite or meanwhile, Erasmus+ (and potentially other programmes) could open all their actions for the immediate like-minded EU neighbours, such as Switzerland, to enable at least the participation of educational institutions as self-funded associated partners and associated coordinators. The idea is that in the absence of an association to the programme, all projects would be open for Swiss partners as long as they bring their own funding into the project. This form of participation is already possible for certain Erasmus+ actions, but not for all. Opening all programme actions would contribute to strengthening the European education systems and bring European societies closer together.

To sum up, it is imperative that negotiations for Switzerland’s association to Erasmus+ be resumed without delay. In the context of the upcoming European Year of Skills 2023 in particular, political disputes between Switzerland and EU should not be to the detriment of young people and education actors. Switzerland’s future lies in Erasmus+!

 

With the contribution of Monika Wohlhauser

Image mise en avant/Credit for the picture  https://erasmus-ch.ch/en/erasmus-and-switzerland/

La maturité gymnasiale, en phase avec son temps ?

Une révision de la maturité gymnasiale est actuellement en consultation auprès des acteurs politiques et économiques de notre pays. En apparence une réforme à la Suisse, sans grands bouleversements, dans la continuité d’un système qui se construit sur des évolutions et non des révolutions. Une adaptation attendue, mais les vrais défis sont encore devant.

Erodée dans son monopole au sein d’un système de formation toujours plus perméable, jugée trop académique et vieillissante par certains milieux, démystifiée par les ultras de la formation professionnelle qui considèrent (à tort) qu’elle polarise trop l’attention, la maturité gymnasiale en Suisse reste malgré tout une « institution » solide.

Porte d’entrée directe vers l’université, elle a toujours la cote auprès des jeunes et s’apparente pour beaucoup de parents à une valeur refuge, notamment dans des périodes d’incertitude ou de crise comme aujourd’hui. Sans oublier le repère culturel qu’elle représente pour les familles issues de pays où le baccalauréat reste la « voie royale ». Sur un plan éducatif, dans une société où la formation est désormais conçue pour se dérouler tout au long de la vie, son bagage universel et ses solides compétences de base la maintiennent toujours dans l’air du temps.

Mais tout cela est-il suffisant pour prétendre « répondre aux exigences de demain » ? Être un passage obligé pour entrer à l’université n’est pas un gage éternel. Sa reconnaissance et son assise sociale sont des paramètres volatiles, le marché du travail évolue et les attentes des jeunes et de leurs parents elles aussi. Est-ce que la méthode des réformettes à la Suisse va continuer d’opérer ou le gymnase aurait-il besoin d’une mue plus complète pour se projeter dans le futur ?

La révision en cours effleure des questions de fond

La consultation court jusqu’au 30 septembre 2022. L’objectif du projet « Évolution de la maturité gymnasiale » (EVMG) vise à préserver la qualité reconnue de la maturité gymnasiale en Suisse et garantir à long terme l’accès sans examen aux universités. À cet effet, le projet propose d’adapter deux textes – qui datent de 1995 – le plan d’études cadre (PEC) de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) et la réglementation de la reconnaissance commune à la Confédération et aux cantons.

Parmi les principales nouveautés on trouve le renforcement des compétences dans la langue d’enseignement et en mathématiques, l’extension du choix de certaines disciplines (économie et droit, informatique), la promotion des échanges et de la mobilité ou encore la durée minimale obligatoire de quatre ans pour toutes les filières de maturité gymnasiale. Des adaptations attendues ou dans l’air du temps, mais aussi quelques sujets plus croustillants.

En 4 ans faire autre chose qu’aligner des cours comme on enfile des perles

La durée de la maturité gymnasiale sera sans doute un des enjeux les plus âprement discutés de cette réforme. De 4 ans dans la majorité des cantons, elle reste de 3 ans dans les cantons de Vaud, Neuchâtel et Jura, ainsi que la partie francophone du canton de Berne. En théorie, car dans les faits la dernière année du secondaire 1 est considérée comme année d’enseignement à caractère prégymnasial. Une harmonisation a été évoquée à de nombreuses reprises, mais n’a jamais pu être mise en place auparavant.

Un chantier délicat, surtout que la “recherche” n’est pas non plus catégorique sur le sujet. Si les jeunes issus d’une maturité en 3 ans semblent éprouver plus de difficultés au début de leurs études universitaires, les choses se normalisent par la suite. Non pas que les jeunes jurassiens, neuchâtelois et vaudois soient plus intelligents, mais parce que de toute évidence la durée du cursus n’est de loin pas le seul facteur expliquant la réussite ou non.

Partant du principe qu’il serait difficile, et au final pas souhaitable, que la majorité des cantons renonce au gymnase à 4 ans, la question à débattre devrait être la suivante : « qu’est-ce qu’on pourrait faire de mieux en 4 ans de gymnase qu’on ne peut faire en 3 ans » ? Sûrement pas continuer à aligner des cours comme on enfile des perles. Et pourtant c’est encore ce qu’on fait dans la grande majorité des établissements.  Ne devrait-on pas songer à revoir et mettre à plat les plans d’études et les grilles-horaires afin de redonner du sens à tout l’édifice ? Pas tout simple d’accord, mais d’autres pays l’ont fait, la Finlande par exemple, pourquoi pas la Suisse.

Viser d’autres compétences et sortir des « murs » du gymnase

Car à chaque réforme les mêmes injonctions ressurgissent dans le débat : il faut revoir le saucissonnage des disciplines, favoriser des séquences d’enseignement qui laissent plus de place pour mener des travaux de plus longue durée, aborder des démarches interdisciplinaires, apprendre à travailler en équipe, permettre aux jeunes d’acquérir de nouvelles compétences dans d’autres contextes interculturels, etc.

Sans grand succès jusqu’à aujourd’hui. On notera cependant parmi les innovations de cette réforme, celle du renforcement de la promotion des échanges linguistiques et de la mobilité internationale, via un nouvel article : « l’école prend des mesures pour que chaque élève participe durant ses études gymnasiales à des activités d’échange et de mobilité avec une autre région linguistique en Suisse ou à l’étranger ».

L’idée est d’inciter les jeunes à mener une expérience interculturelle à l’étranger ou dans une autre région linguistique, et pratiquer une langue dans son contexte écrit et parlé. Une manière aussi d’alterner les formes d’apprentissage et de permettre aux élèves de mener une expérience enrichissante « hors les murs » durant leur parcours gymnasial. Avec comme corollaire celui de stimuler aussi leur motivation.

La conviction et l’engagement de chacun ne crée pas une vision collective

Il est vrai que l’on entend souvent les acteurs du système se plaindre que les jeunes viennent « consommer » leur maturité gymnasiale, acquérir un ticket d’études pour la suite. C’est sans doute un peu vrai, mais reconnaissons aussi que l’organisation et le « bachotage » actuel des gymnases ne sont pas de nature à les motiver et donner un sens immédiat à « ce qu’ils font là ». Et le problème est davantage systémique que lié à des facteurs ou des individus isolés. Chaque enseignant paie de lui-même et nourrit l’espoir que sa matière contribue au développement du jeune en formation, mais mis bout à bout et séquencés heure par heure tous ces enseignements n’offrent pas l’image d’une vision construite et partagée, vers laquelle il fait sens cheminer.

Ce n’est pas non plus la faute des directions et des politiques qui ne font rien ou ne contribuent pas à son adaptation. Mais souvent le point de départ d’une réforme est la perception d’un problème ou une commande politique ciblée. Donc à chaque fois on ajuste et on adapte les textes au coup par coup, au lieu de réfléchir en termes de vision ou d’objectif plus ambitieux.

Développement personnel et préparations aux études, un mariage impossible ?

Bousculer le tout c’est compliqué. Toutes les grandes réformes et tentatives de donner une vision à la maturité gymnasiale se heurtent en fait à sa double injonction : d’une part le gymnase doit préparer aux études universitaires et, d’autre part, il doit favoriser le développement des jeunes. Et de ce fait toute vision qui s’orienterait vers le deuxième objectif doit être jugée à l’aune du premier. Vous imaginez les débats et les rapports de force autour de la conciliation de ces deux intérêts ? Pas étonnant dès lors que toute tentative de réforme plus en profondeur se bloque avant même d’avoir commencé.

C’est le constat de Philippe Wampfler, auteur d’un très bon article (en allemand) « Gymnasium in der Krise – 10 Thesen », sur une nouvelle idée du gymnase. https://schulesocialmedia.com/2022/06/13/gymnasium-in-der-krise-10-thesen/. Un auteur, enseignant dans un gymnase, qui sait de quoi il parle. Il estime aussi que l’école de maturité a besoin d’une introspection plus complète. Il n’y va d’ailleurs pas avec le dos de la cuillère. Extrait : « Il faut un gymnase sans matières et sans notes, sans horaires et sans canons. Avec une expertise et un feedback, un engagement et des exigences élevées. Les apprenants doivent faire l’expérience chaque semaine de j’ai fait quelque chose, je sais faire quelque chose de mieux que la semaine précédente (…) »

Favoriser et laisser se développer les initiatives des écoles et des enseignants

Philippe Wampfler admet que créer une telle école serait un rêve et restera probablement une utopie. Est-ce pour autant une fatalité ? Selon lui c’est l’action individuelle, celle des enseignant-e-s et des écoles, qui in fine peut faire la différence et bousculer les habitudes : « il faut que les gymnases aient le courage d’ouvrir des brèches individuelles et de se réinventer au lieu de continuer à s’administrer comme ce qu’ils ont toujours été. » A défaut de réforme en profondeur de l’ensemble, l’auteur revendique une certaine liberté de créer.

Car en fin de compte comme le souligne un autre praticien du terrain, Fabrice Sourget, directeur d’une école dans le canton de Neuchâtel, dans une Exploration Heidi. News Réinventer l’école : « les lois sont suffisamment vagues pour essayer de nouvelles choses, nous n’avons pas d’autres limites que celles imposées par nos habitudes ».

Ces énergies pour essayer de nouvelles choses sont nombreuses dans les écoles, il faut juste les favoriser et leur laisser de la place. A défaut de pouvoir réformer le gymnase en profondeur ou y construire une vision consensuelle, c’est cette créativité et cette forme de pragmatisme qui le conduira à changer et davantage répondre aux exigences de demain.

La Suisse doit réussir un double Erasmus

Il y a le grand frère européen, auquel on espère une réassociation de la Suisse au plus vite, et le petit frère helvétique, en gestation, dont on se demande pourquoi il n’est pas encore né. Soit à l’échelle nationale un système d’échanges et de mobilités systématique pour nos élèves, apprenti-e-s ou étudiant-e-s. Un programme qui capitaliserait sur notre plurilinguisme et deviendrait même un produit de référence made in Switzerland. 

L’accord entre Vaud et Zürich constitue-t-il un nouveau point de départ ?

Passé presque inaperçu dans le contexte pandémique et son halo médiatique, l’accord des cantons de Vaud et Zürich constitue un pas dans cette direction, avec la volonté d’intensifier de manière plus systématique les échanges entre institutions et personnes en formation à tous les degrés. Mais un pas qu’entre deux cantons. Il en reste 24 à connecter autour d’une déclaration du même type. C’est-à-dire comment passe-t-on d’un usage de circonstance à un usage généralisé des échanges à un niveau national ? Ou comment traduit-on concrètement dans le terrain la vision de la stratégie de la Confédération et des cantons (2017Movetia) que « tout jeune en Suisse effectue au moins une fois durant sa formation un projet d’échange ou de mobilité ».

A l’étranger ou en Suisse, l’enjeu n’est plus là aujourd’hui, on doit se convaincre de leur complémentarité. C’est vrai qu’on s’imagine plus facilement pouvoir motiver un jeune à séjourner dans un pays différent que dans une autre région linguistique de Suisse, où l’idée semble davantage minée par toute une série de préjugés et de fausses bonnes excuses pour s’en désintéresser. Ce serait une erreur. Car même au-delà des poncifs politiques de diversité culturelle et linguistique, une démarche plus systématique au niveau national aurait bien des vertus pédagogiques, sociales et économiques. Comme celles de son grand frère Erasmus.

Un Erasme helvétique

L’idée de promouvoir la compréhension linguistique sous la forme d’un “Erasme helvétique” se lit déjà dans un document de 2008 de la Société suisse des professeurs de l’enseignement secondaire (SSPES). L’objectif était d’encourager par un ensemble de mesures incitatives les étudiant-e-s à passer une partie ou la totalité de leurs études dans une autre région linguistique de sorte qu’à moyen terme cette mobilité devienne un usage généralisé. L’analyse part du constat que les expériences d’enseignement précoce des langues ou bilingue en cours à l’époque, même si elles sont prometteuses, se heurtent au manque d’enseignants maîtrisant couramment la langue cible. Même si le contexte est différent plus de 10 ans après, on semble toujours se heurter aux mêmes difficultés. Le défi de former de très nombreux maîtres est grand et on atteint vite des limites qui paraissent indépassables.

Dans ce contexte les échanges et les parcours d’immersion dans une autre région linguistique se profilent comme un complément et un substitut stratégique. Ce d’autant que les études et l’expérience vécue montrent qu’avec un niveau de connaissances linguistiques de base, la progression pour suivre les cours et séminaires est très rapide lorsqu’on est parachuté dans un contexte linguistique différent. Si l’immersion dans un autre cadre linguistique de travail ou d’étude semble aujourd’hui le vecteur le plus efficace de multilinguisme, il demande donc à être encouragé, organisé et surtout sysématisé.

Miser sur le degré secondaire II

Ce système d’échanges systématique trouverait un terrain fertile au secondaire II (gymnases, écoles de maturité spécialisée et formation professionnelle). Ce moment semble le plus favorable pour faire cette expérience, à un âge où les jeunes sont à la fois assez mûrs pour l’autonomie en dehors de leur famille et le plus libre d’attaches. L’immersion y serait très efficace et la progression pour suivre des cours ou faire un stage professionnel dans une autre langue locale très rapide. Le degré secondaire II représenterait donc une « fenêtre de mobilité » idéale, ce d’autant que des échanges y sont déjà pratiqués par de nombreux élèves ou apprenti-e-s. Et ancrer un échange systématique, obligatoire, même de courte durée, à cet étage aurait évidemment un impact positif sur les parcours de formation et la mobilité au degré tertiaire. En moins d’une génération on pourrait créer un « standard de qualité » qui rendrait tout naturel de passer une partie de sa formation dans une deuxième langue nationale.

Et la concurrence de l’anglais ?

Opposer les langues nationales à l’anglais relève d’une confusion sur les objectifs des unes et de l’autre. Tout jeune aujourd’hui est exposé et appelé à utiliser l’anglais d’une manière ou d’une autre au cours de sa formation. Jusqu’à présent, ils s’en accommodent plutôt bien, nécessité fait loi. Mais, si important soit-il, il ne faut pas confondre un anglais instrument de travail incontournable avec une langue de communication intercommunautaire qui se substituerait au multilinguisme helvétique. Celui-ci doit rester un fondement de notre pays, de notre diversité culturelle et de notre cohésion.

Par ailleurs la vertu d’un échange est bien plus large que sa seule dimension linguistique, l’expérience et les compétences acquises sont multiples. Faire un échange ou partir dans un autre contexte culturel a des bénéfices immenses pour la personne et sa carrière professionnelle. C’est aussi un gain considérable pour les écoles, le système éducatif dans son entier et bien évidemment le marché du travail.

Et on créerait un swissness

Les échanges c’est donc aussi un atout social et économique. Erasmus a certes une visée idéologique, mais il est devenu avec le temps un système d’échanges très performant à l’échelle européenne, voire mondiale, et pour tous les âges. Révolu le temps où le programme s’adressait qu’aux étudiant-e-s, aujourd’hui c’est un système « long life learning » qui vise tous les publics scolaires et s’impose en Europe comme un élément incontournable de quasi tout parcours de formation. Imaginez la Suisse en faire autant à l’intérieur du pays, à travers un programme systématique d’échanges ou de mobilités faire de son plurilinguisme un standard de qualité, une marque de fabrique, une vraie valeur économique, et pas seulement culturelle. Un vari produit made in Switzerland.

La Suisse doit réussir son double Erasmus. Par cohérence et complémentarité dans l’usage des langues, mais aussi parce que l’échange a une valeur éducative, sociale et économique forte. Un tel système serait aussi le vecteur d’une cohésion et d’un sentiment d’appartenance fort, à un pays, voire à un continent.

Erasmus+ et Horizon pour se réconcilier avec l’Europe

L’accord institutionnel entre la Suisse et l’Union Européenne est une histoire d’itinéraire. Ou le récit des voies à trouver pour construire notre prospérité commune. Si les chemins diffèrent, si les champs de collaboration varient et si l’intensité de nos liens divise, il demeure que la communauté de destin continentale, politique, culturelle et économique qui nous lie à l’Europe existe bel et bien. Irréfutable.

Aujourd’hui ce récit est en panne d’idée(s). Temporairement, car nul doute que les deux parties sauront se montrer inventives et qu’un nouveau narratif verra le jour dans un avenir proche. Parmi les défis à surmonter, celui de ne pas perdre de vue l’intérêt commun et de ne pas oublier d’y associer les futures générations. Car la compréhension interculturelle se nourrit aussi grâce et par l’éducation. Former les jeunes générations à se côtoyer et se confronter dans un esprit collaboratif ou sainement compétitif ne pourra que favoriser les liens et les échanges entre la Suisse et l’Europe, quel que soit le chemin choisi.

Dans ce sens, deux programmes-cadres européens touchant en particulier la jeunesse et la relève scientifique sont dans un excellent timing politique et n’attendent qu’à être ratifiés par la Suisse : Horizon Europe pour la recherche et Erasmus+ pour l’éducation. Dans les deux dossiers un consensus s’est formé au niveau national et les conditions juridico-politiques sont quasi réunies pour les faire aboutir.

Ce d’autant plus que formellement les deux programmes ne relèvent pas de l’accord institutionnel, ils n’exercent pas d’influence sur le marché. L’association de la Suisse dans les programmes éducation et recherche de l’UE relève d’un acte de coopération qui n’a par conséquent aucun lien, ni juridique ni matériel, avec l’accord institutionnel. Il n’en reste pas moins que la Commission européenne a décidé de ne mener aucun entretien exploratoire avec la Suisse tant que le dossier de l’accord institutionnel n’aurait pas progressé. Une occasion côté suisse de revenir dans la partie, de montrer son intérêt et de « faire la paix » avec l’Europe en s’engageant avec conviction sur ces deux dossiers. A défaut d’accord global, il faut parfois savoir se contenter de petits pas, ceux par exemple qui consistent à prioriser les dossiers qui rapprochent et non ceux qui divisent.

Horizon Europe

Horizon Europe, programme sur le point de succéder à Horizon 2020 (2014-2020), l’Union européenne (UE) est certainement le plus grand et le plus ambitieux programme d’encouragement de la recherche et de l’innovation au monde. Doté d’un budget de près de 100 milliards d’euros pour les années, il vise à renforcer les bases scientifiques et technologiques en Europe et à consolider la position de l’espace européen de la recherche dans le monde. Le programme encouragera la recherche et l’innovation fondée sur l’excellence pour créer une Europe plus verte, en pleine santé et prête à relever les défis actuels et à venir.

Les relations entre la Suisse et l’UE se caractérisent par une longue et fructueuse collaboration dans ce domaine. Dès 1987, très rapidement après la création de ces programmes en 1984, la Suisse a été une partenaire forte, performante et fiable. Avec plus de 4300 participations de chercheurs et d’entreprises établis en Suisse (état: septembre 2020), la Suisse est le plus actif des pays associés à Horizon 2020 et fait ainsi partie intégrante de l’espace européen de la recherche et de l’innovation.

La Suisse est prête pour les négociations concernant Horizon Europe, elle remplit toutes les conditions pour entamer les négociations avec l’UE en vue de sa pleine association au paquet Horizon. En décembre 2020, le Parlement fédéral a approuvé le message de financement pour le paquet Horizon 2021-2027. Quasi en même temps le Conseil fédéral a adopté le mandat de négociation et par la suite la révision de l’ordonnance relative aux mesures concernant la participation de la Suisse, qui est entrée en vigueur le 1er mars 2021.

Ne pas participer pour la Suisse à cet ambitieux programme de recherche aurait des conséquences scientifiques et économiques très lourdes. On se souvient de 2014.

Erasmus+

Erasmus+ est le programme européen qui vise à donner aux étudiant-e-s, aux élèves, aux stagiaires, aux enseignant-e-s d’une manière générale aux jeunes de moins de 30 ans, la possibilité de séjourner à l’étranger pour renforcer leurs compétences et accroître leur employabilité. Il aide également les organisations à travailler dans le cadre de partenariats internationaux et à partager les pratiques innovantes dans les domaines de l’éducation, de la formation, de la jeunesse et du sport.

Depuis 2014, la Suisse ne peut participer qu’indirectement au programme européen de formation Erasmus+, dans le cadre d’une solution transitoire. Bien que cette solution assure la mobilité des personnes en formation, elle implique des restrictions importantes sur les autres volets du programme, en particulier les coopérations et les partenariats entre établissements qui sont fortement limités. La non-association à Erasmus+ affaiblit la position de la Suisse dans l’espace international de formation : notre pays est exclu d’organes internationaux et ne peut plus contribuer aux réformes politiques, son absence des groupes d’experts internationaux entrave la circulation des informations et l’échange de bonnes pratiques en matière de politique de formation. De plus, elle risque d’être distancée en matière de digitalisation et d’outils numériques.

Le Parlement s’en est préoccupé et le Conseil fédéral s’est engagé en faveur d’une association de la Suisse au programme « Erasmus+ » 2021-2027. Des négociations en ce sens seront menées dès que l’état des relations générales entre la Suisse et l’UE le permettra. Côté européen la proposition de programme pour Erasmus+ 2021-2027 vient d’être approuvée, le timing est donc parfait pour entamer ces négociations. Avec l’adoption de la Stratégie suisse en matière d’échanges et de mobilité en novembre 2017, la Confédération et les cantons se sont donnés comme objectif commun que les échanges, les coopérations et la mobilité deviennent un élément fort des cursus scolaires, professionnels et extrascolaires, ainsi que de la qualité et de la capacité d’innovation de notre système éducatif.

Une occasion est donnée à la Suisse de franchir un pas déterminant dans cette direction en rejoignant le programme européen Erasmus+.

 « Les enfants finlandais ne sont peut-être pas plus intelligents, mais le système éducatif semble l’être »

A l’heure où on se questionne beaucoup durant cette crise sur l’avenir de l’école et ses transformations, la Finlande et son système éducatif refont la une de l’actualité. Mythe ou réalité quant à sa valeur, la Finlande a su en tous cas développer un système cohérent et vendre son image internationale de pays performant et intégratif sur le plan éducatif. L’ouvrage de Pasi Sahlberg Finnish Lessons – What Can the World Learn from Educational sur le sujet reste une référence en la matière. Morceaux choisis et regards critiques.

Un système plutôt unique
C’est peut-être dans sa géopolitique qu’il faut chercher les origines de son système. Historiquement la Finlande a toujours été prise dans un étau entre la Suède et la Russie. Challengée par ses voisins et obligée d’afficher une certaine singularité, la Finlande a développé un système complètement nouveau, en basant ses réformes sur des principes humanistes, individuels et sociaux. La décentralisation y est d’abord vue comme un moteur de fonctionnement, faisant en sorte que les cités et les municipalités s’occupent elles-mêmes de l’éducation des finlandais. Le système est ensuite construit sur un certain « bon sens » qui pousse les élèves à se découvrir, à effectuer eux-mêmes et assez tôt des choix pour les préparer à s’insérer dans la société et entrer sur le marché du travail. Sur le terrain cela donne une éducation qui ne repose pas sur la recherche absolue de niveaux élevés de connaissances (bachotage), mais qui est fondée sur une forte confiance mutuelle, de telle façon que les enseignant-e-s se sentent valorisé-s et, à leur tour, les élèves en sécurité et respectés.

L’autonomie des écoles et le rôle de l’enseignant-e

”À l’étranger beaucoup de monde croit que la Finlande est un pays socialiste, où un gros bonnet à Helsinki décide ce qu’on doit faire. La grande différence par rapport à d’autres pays, c’est qu’en Finlande les enseignant-e-s, les écoles et les municipalités disposent d’une grande autonomie en matière de contenus et méthodes d’apprentissage », avertit Pasi Sahlberg.

Cette autonomie, cette liberté dans le choix des méthodes d’enseignement est une des particularités et des forces de l’école finlandaise. Les écoles sont vues comme des communautés où tout le monde apprend réciproquement, et que même les adultes apprennent des enfants. Les compétences technologiques et le codage y sont au goût du jour et sont enseignés ensemble avec d’autres matières.

L’enseignant-e joue un rôle central dans cette vision de l’école. Du coup la carrière d’enseignant-e a été fortement valorisée et est devenue un choix professionnel attrayant pour beaucoup de jeunes finlandais. Avec comme corolaire des concours d’entrée dans les « écoles normales » et une sélection très stricte. Au final des enseignant-e-s trié-e-s sur le volet, hautement qualifié-e-s et respecté-e-s. Ce statut de l’enseignant-e est donc bien une des clefs de la réussite du modèle finlandais.

L’interdisciplinarité et l’enseignement des « phénomènes »

Avec la réforme de 2020, on a longtemps cru ou affirmé à l’extérieur que la Finlande avait supprimé l’enseignement des matières scolaires. C’est faux, même la Finlande s’est fendue de démentis officiels sur le sujet. Dans les écoles nous trouvons toujours des cours de finnois, de mathématiques, de géographie, de physique, de chimie, de biologie, de langues étrangères, d’histoire, d’éthique ou encore d’éducation physique et d’art.

Cependant, les frontières entre ces matières ne sont pas rigides, les enfants apprennent à penser de manière interdisciplinaire. Si les recettes du système éducatif finlandais reposent sur plusieurs aspects, une des plus importantes est d’avoir compris et généralisé l’inter- et la transdisciplinarité des matières.

Ainsi, l’enseignement des matières classiques est souvent alterné avec l’enseignement de ce qu’on appelle ici des « phénomènes ». En d’autres termes, du lien avec les sujets sociétaux importants tels que l’écologie, l’énergie, les médias, la technologie ou encore l’Union européenne. Les élèves travaillent sur des projets multidisciplinaires et se familiarisent avec l’interdépendance des sciences et des différentes disciplines. Mais la centralité des phénomènes n’est qu’une des méthodes d’apprentissage, les enseignant-e-s continuent d’utiliser des approches pédagogiques variées.

Classement PISA et système finlandais : l’oeuf ou la poule ?

Avec l’entrée en vigueur de leur nouveau programme d’enseignement en 2020, des rumeurs couraient sur la fin du meilleur système éducatif du monde ? En haut lieu on semble pourtant afficher un détachement par rapport aux classements PISA, qui ont pourtant placé la Finlande parmi les meilleurs pays. Ces tests internationaux sont plutôt considérés comme une prise de tension artérielle, qui permet de vérifier la direction, sans toutefois être un point de repère. On affirme que les décisions concernant l’éducation ne sont pas prises sur la base des résultats des classements PISA, du coup ils reflèteraient plutôt la qualité de l’école finlandaise. Au lieu de cela, « ce qui est essentiel, ce sont les connaissances dont auront besoin les enfants et les jeunes dans l’avenir », explique Pasi Sahlberg. La Finlande croit plutôt que “chaque individu doit être comparé à soi-même et que le développement de chacun est plus important que la comparaison entre chaque élève”. A suivre, car la Finlande, régulièrement sur le podium PISA durant de nombreuses années, qui a occupé la première place du classement en 2000, 2003 et 2006, a été cependant rétrogradée à la 12ème place en 2013.

Est-ce que cela marche ?

Aujourd’hui plus de voix s’élèvent pour mettre en place une analyse objective de ce que propose la Finlande en matière d’éducation et en même temps relativiser la signification du classement PISA. Les plus sceptiques ont tenté d’expliquer la performance de l’école finlandaise  par la « petite » taille du pays – pourtant des pays plus petits ne réussissent pas aussi bien – voire par la faible densité de population – qui est plus un handicap pour homogénéiser l’offre éducative – ou encore par une faible immigration – l’immigration représente certes à peine 5 % de la population, mais dans certaines écoles ce taux peut être supérieur à 30 %. Des arguments discutables.

Cela dit, d’un point de vue social et économique, le pays ne tire pas ou plus vraiment profit des retombées des excellents résultats dans les classements internationaux, la dynamique positive observée dans les années 2000 semble en effet s’essouffler. Si on mesure l’école finlandaise à l’aune de la compétitivité, elle est aussi moins bien placée que celle par exemple de pays de l’Asie de l’Est, axée plus sur la réussite individuelle, la compétition et l’importance du travail. Et sur le plan de la diversité du système, les filières de formation professionnelle sont nettement moins soutenues que dans d’autres pays, dont la Suisse. Et même s’il s’agit d’évaluer si les enfants sont “heureux” à l’école, tous les indicateurs ne sont pas aussi euphoriques… Bref, tout dépend de l’endroit où on place le curseur.

Quoiqu’il en soit le système finalandais reste intéressant et un modèle d’inspiration. Sa réussite s’explique par de nombreux aspects relevant tant de son histoire et du rôle assigné à l’école, que de l’autonomie et du travail pédagogique des enseignant-e-s, animé-e-s d’une volonté de favoriser une véritable égalité des chances pour les élèves. Parmi les aspects “transférables” citons notamment le statut des enseignant-e-s, l’accessibilité, le développement de soi, la pensée critique, la santé mentale des élèves ou encore la place à l’erreur. Et politiquement, il y a surtout une conviction partagée de l’importance de l’école, ce qui se traduit par une forme de « pacte social » puissant et fédérateur qui lie enseignant-e-s, parents et autorités. Une source d’inspiration pour beaucoup de pays.

Pasi Sahlberg, Finnish Lessons 1.0, 2.0 et 3.0: What Can the World Learn from Educational, 2011, 2015 et 2021

“Compétences d’avenir, scénarios pour le monde de demain” : l’organisation de l’école ne peut pas être centralisée.

“Compétences d’avenir – Quatre scénarios pour le monde de demain”. C’est l’ouvrage de Jakub Samochowiec publié par la fondation JACOBS et édité par le Gottlieb Duttweiler Institute (GDI). L’étude – il s’agit de cela – est passée quasi inaperçue en Suisse romande. Dommage, tant son approche que ses hypothèses valent le détour de leur lecture. Ce d’autant que le livre a été diffusé l’année dernière, dans un contexte qui soulève bien des questions fondamentales sur notre avenir et rend l’ouvrage encore plus actuel.

A priori le livre se fonde sur une évidence, qui comme toutes les évidences, mérite d’être rappelée : “l’avenir est imprévisible et si l’imprévisibilité de l’avenir fait qu’il est extrêmement difficile de l’étudier, c’est précisément cette imprévisibilité qui rend l’analyse de l’avenir indispensable”. On se préoccuperait évidemment moins des compétences d’avenir si le monde des enfants était fortement semblable et continu à celui de leurs parents et grands-parents.

Ce n’est pas dans le sujet que réside son originalité, le thème des “skills of the future” étant déjà disserté de long et en large dans les revues scientifiques ou les médias. Ses constats, eux aussi, ne nous apprenent pas ce que l’on perçoit déjà : “(…) les projections dans le futur nous montrent que l’esprit communautaire, le travail d’équipe, la flexibilité, et le fait d’avoir le courage de faire face à la nouveauté et de connaître l’échec sont des exemples d’aptitudes clefs qui caractérisent l’individu et notre société. Ce sont ces aptitudes qui sont absolument nécessaires, et qui doivent être acquises dès aujourd’hui par les enfants et par les jeunes, afin de pouvoir affronter le monde de demain, toujours incertain.” C’est limpide, mais c’est dit.

Ce qui constitue à mon sens la plus-value de cet ouvrage, c’est les scénarios envisagés et les pistes de réflexion choisies pour sonder et façonner l’avenir. L’étude esquisse en effet 4 scénarios pour la Suisse en 2050, certains intelligibles, dans lesquels on peut se projeter, même si anxiogènes, d’autres plus catastrophistes, voire même poussés à l’extrême. Je les résume très brièvement ci-dessous :

1) Effondrement. Le commerce international est pour ainsi dire inexistant. Les communautés locales ne font plus partie d’organisations nationales ou supranationales, et doivent se réorganiser dans les décombres d’une société industrialisée et mondialisée.

2) Précariat de l’économie des petits boulots. Les machines assument désormais de nombreuses tâches, provoquant ainsi un chômage technologique. Les personnes concernées se tournent vers une nouvelle forme de travail : l’économie des petits boulots. Elles cherchent à décrocher de rares emplois dans un monde où l’économie règne en maître.

3) Réduction à zéro. Les espoirs de combattre le changement climatique grâce au progrès et à la technologie se sont envolés. Le seul remède efficace : les restrictions personnelles radicales. L’objectif est de réduire les émissions de CO2 à zéro. Les méthodes utilisées divergent en fonction de la région et sont pour cela définies au plus bas niveau possible.

4) Luxe de l’automatisation complète, offert par l’IA. Les machines assument désormais de nombreuses tâches qui étaient autrefois réalisées par des humains. Chacun profite des fruits de ce travail. Les humains peuvent tout faire, sans aucune obligation. Ils sont donc confrontés à un double défi : touver un ses à leur vie, et conserver leur autonomie personnelle vis-à-vis de l’intelligence artificielle supérieure.

Pour chacun de ces mondes, l’auteurs ou les auteurs ont ensuite dégagé des aptitudes et des caractéristiques qui sont nécessaires pour exister et prospérer. Une enquête réalisée auprès d’enseignant(e)s suisses a ensuite permis de déterminer dans quelle mesure ces compétences étaient apprises au sein de leur école. Intéressant.

L’avenir incertain et la diversité des quatre scénarios suggèrent bien entendu qu’il est impossible de préparer les enfants et les jeunes pour un avenir donné. Plus l’avenir sera différent du monde actuel, moins les institutions et les expériences actuelles pourront servir de repères et plus les générations futures seront livrées à elles-mêmes. Les compétences d’autodétermination comme la motivation et l’efficacité personnelle, ainsi que la capacité à prendre des décisions en groupe sont donc importantes dans tous les cas de figure. Là aussi, on s’en doutait.

Du coup l’étude s’attache à proposer des solutions et sérier un certain nombre d’aptitudes. Pour donner aux enfants et aux adolescents les clefs qui leur permettront de façonner l’avenir, elle propose trois catégories de compétences-clefs, tout d’abord le “savoir” – pour façonner l’avenir, il faut connaître le présent – ensuite le “vouloir” – pour façonner l’avenir, il faut établir des objectifs – et enfin “l’agir” – pour combler le fossé entre le présent et les objectifs formulés, il faut agir concrètement.

En résumé, pour façonner le monde de demain, il faut donc de nouvelles idées et un consensus doit être trouvé au niveau de la société. C’est le message fédérateur et le manifeste de l’étude.

Plus intéressante cependant, parmi les éclairages et hypothèses de cette étude, est la leçon suivante : ” l’organisation d’un monde extrêmement complexe ne peut pas être centralisée”. Sous-entendu, je force à peine le trait, qu’une organisation scolaire ne peut pas décider par le haut ou piloter ce qu’elle doit laisser à ses acteurs, les éléments-clefs du système éducatif :

“Pour créer une société résistante, il faut que de petits groupements se développent, essayent de mettre en place de nouvelles idées et apprennent les uns des autres. Ce sont des projets pratiques choisis et réalisés en groupes qui peuvent justement permettre aux enfants d’acquérir les aptitudes nécessaires pour tenter de telles expériences en mini-sociétés.” L’école comme laboratoire, pas nouvelle comme idée, mais là aussi, elle mérite d’être (re)suggérée.

Tout cela va évidemment dans le sens d’une relative perte de mâitrise du système par les pouvoirs publics et d’une plus grande responsabilisation des écoles et des enseignants. Il s’agit de laisser aux écoles un certain espace de créativité, soit la place à l’expérimentation de savoirs pédagogiques ou de nouvelles pratiques. Mais aussi admettre une forme de “sérendipité” du système éducatif, soit cette capacité à faire par hasard une découverte inattendue et à en saisir l’utilité. Osé, mais si on y réfléchit bien, c’est d’une certaine manière le génie de notre fédéralisme, par beau temps évidemment.

In fine on est loin des pratiques actuelles, même si les discours alimentent et plébiscitent cette tendance. Peut-être serait-il temps, à l’issue de cette crise, d’accélérer ce mouvement d’autonomie et de donner aux écoles et aux enseignants la marge de liberté nécessaire, afin de davantage les impliquer et les stimuler dans la mise en oeuvre des savoirs de demain ? Je suis pour.

L’ouvrage est disponible sur https://jacobsfoundation.org/en/publication/future-skills/

 

L’école de demain ou la tentation du repli sur soi

Dans une démarche participative, l’UNESCO interroge les problématiques clés du futur de l’éducation https://fr.unesco.org/futuresofeducation/ en vue d’un nouveau Rapport mondial. L’initiative est évidemment associée au contexte de crise actuel, avec le rappel que l’apprentissage et la connaissance comptent parmi les ressources clés dont dispose l’humanité pour anticiper les défis, favoriser la résilience et envisager de nouvelles alternatives.

Dans un monde complexe, aux contours imprévisibles, impacté aujourd’hui par une crise globale, l’éducation avance elle aussi à tâtons, formule des hypothèses qu’elle interroge à intervalle régulier. Avec des moments où l’on croit savoir, où l’on se sent presque euphorique, donc très intelligent. Et d’autres où l’on n’est pas sûr de tout comprendre, où l’on se sent un peu niais et on aimerait bien savoir dans quelle direction le vent souffle.

C’est d’autant plus délicat que l’éducation semble aujourd’hui portée par une diversité sans fin de vents et courants. Avec ce réflexe devenu primaire, d’en faire le lieu d’apprentissage de toute une série de « fausses bonnes idées », certes souvent généreuses et dignes d’intérêt, mais que l’on confie à l’école, plus par défaut, opportunisme ou commodité que par nécessité, besoin ou exigence. « Etre dans le vent, l’ambition d’une feuille morte » avait écrit Gustave Thibon. Ballotée au gré des modes ou de tendances éphémères, l’éducation offre peu de consistance et de lisibilité pour le grand public. Un peu comme ces vagues qui déferlent les unes après les autres et disparaissent dans l’écume de l’illusion ou de la vanité qui les a fait naître.

Dans le contexte de l’après-pandémie Coronavirus/Covid-19, les pressions sur le système éducatif pour prendre en charge l’ensemble des maux que la pandémie aura fait resurgir ou résoudre les défis qu’elle aura révélés, seront très fortes. Parmi celles qui m’effraient le plus, la tentation de stigmatiser toute forme de mondialisation, de se réfugier dans un localisme protecteur ou de se recroqueviller à l’intérieur de nos frontières connues.

Certes il s’agira d’entendre les appels à la vulnérabilité de notre planète, le besoin de renouer avec des écosystèmes plus locaux, de développer des alternatives à la croissance spéculative, mais pas par effet d’aubaine, avec le souci de les inscrire dans des missions éducatives durables et porteuses de sens. Nul doute que le déconfinement à venir sera aussi celui du déconfinement des esprits et des clochers, même si cela n’ira peut-être pas jusqu’à cette « nouvelle humanité» que d’aucuns espèrent. Dans tous les cas le repli sur soi et nos frontières serait la pire des réponses.

Du coup quelles ambitions pour l’éducation de demain ? Sans aucun doute de davantage favoriser la collaboration et l’échange à tous les niveaux. Inspirée par cette ambition l’éducation deviendra cette ressource-clé qui contribuera au renforcement du sentiment d’appartenance à une même planète et un destin commun. L’apprentissage de la compréhension mutuelle, du décentrement et de la nécessité de coopérer commence très jeune. Là les systèmes éducatifs ont un rôle essentiel à jouer.  Par exemple en insistant sur la dimension interculturelle dans les plans d’études, en multipliant les possibilités d’échanges avec d’autres jeunes, les opportunités de collaboration et en permettant aux personnes en formation de voyager intelligemment. Les crises, on l’observe, mettent à mal les cohésions et les solidarités internationales, elles résistent d’autant mieux lorsqu’elles sont durables et bien ancrées dans nos sociétés.

Pour les institutions et les enseignants, les échanges et le réseau seront sans doute les clefs de l’école de demain. Ce qui signifie la faculté à échanger l’information comme aptitude et le réseau comme ressource. En lieu et place d’entités isolées ou de groupes d’enseignants esseulés, c’est des communautés apprenantes qui devront être bâties. Les outils digitaux, numériques, ont montré durant cette crise toute la palette de possibilités et d’usages qu’ils peuvent offrir pour contribuer à renforcer la collaboration et les coopérations, même à distance très lointaine. Bien utilisés ils ne peuvent que servir les intérêts de l’éducation et du devenir de notre société.

L’éducation de demain ne sera pas globale, au sens d’une globalisation ou mondialisation réduite à sa seule expression économique, mais internationale et interculturelle. Avec en toile de fond et corollaire de cette indispensable solidarité et cohésion dans le monde, la réduction des inégalités économiques et l’effacement des discriminations sociales ou ethniques, qui devront eux aussi légitimer les actions futures de l’éducation. Une école face au vent!

Switzerland and the potential of participating in the Erasmus+ programme

Erasmus sounds universal and is almost part of everyday language. While many people imagine a study trip to a foreign university, few know that behind this name, behind the clichés, lies a system and a network of cooperation and mobility that is unique and irreplaceable in Europe. And its potential for the Swiss education system and its international attractiveness is massive.

Why!? International cooperation means access to networks and collaborative structures which enhance the education system and contribute to its development, its attractiveness and its level of excellence. Giving education a more international dimension also provides all stakeholders at every level with significant value added – the students, the institutions and the education system as a whole.

While the momentum recently observed in the field of mobility and international cooperation has been curbed somewhat by the coronavirus pandemic, it is important to keep our eyes on the bigger picture: the importance of exchange, mutual understanding and openness to the world is clearer than ever and the contribution of these elements is strongly underlined in the management of a crisis such as the one currently facing us

Switzerland is not currently associated with Erasmus+. As of 2014, it has no longer been associated and the Swiss Programme to Erasmus+ was introduced at short notice to replace mobility activities in higher education, vocational, school, adult education and extracurricular youth work. This solution has facilitated the development of certain activities while nevertheless limiting the possibilities for international cooperation. Today, this limitation penalises stakeholders in the education system and places Switzerland in jeopardy of becoming marginalised.

And especially the Higher Education Institutions (Universities, Universities of Applied Sciences, Universities of Teacher Education). In this field the Erasmus+ programme provides an invaluable framework within which universities from 34 countries create joint educational and research initiatives, promote innovation in teaching and learning, and carry out peer learning activities. The programme has been substantially shaping the European Higher Education Area for years and was significantly expanded in 2017 with the establishment of “European Universities”. Such an initiative provides new and transformative systemic impetus for European higher education and enhances the competitiveness of the entire European Higher Education Area.

Strategic networks shape the future university landscape. Student and staff mobility cements the intense cooperation between universities and is firmly anchored in the programme. Both in the current programme generation 2014-20 and in the coming period 2021-27, however, the promotion of systematic and strategic cooperation comes to the fore as a clear response to the needs of universities. In future, cross-border cooperation is to take place with a small number of high-quality partnerships between higher education institutions. This will strengthen university networks and enable more comprehensive cooperation across subjects, departments, education and research. Swiss institutions are in the midst of this development, but are dependent on access to important networks, which is linked to participation in international education and research programmes.

The Swiss solution has its limits and marginalises Switzerland. Without an association with Erasmus+, Switzerland has only limited opportunities to participate and its involvement in shaping the European Higher Education Area is very restricted. A clear indication of this is the low level of participation of Swiss institutions in multilateral Erasmus+ cooperations in the years 2014-19: Austria with 174 and Switzerland with 24 projects.

The Swiss programme for Erasmus+ has worked in the short term, but the gap with Europe is widening. The Swiss programme for Erasmus+ arose at short notice from the urgency of not being associated with Erasmus+ in 2014 in order to ensure the continuity of Swiss (student) mobility within Europe. Today, six years later, the effects of non-association and the limited possibilities of the Swiss solution are becoming apparent. The growth in mobility figures has generally slowed, in some areas the figures have slumped, and programme maintenance has become more complex: As a comparison, Austria records 26% more mobility under Erasmus+. The planned digitisation of the Erasmus+ programme administration will further increase the gap between Switzerland and Europe.

With regard to Erasmus+, the Federal Council will carry out a careful analysis during the second half of the year, on the basis of which it will define the parameters of a possible negotiation mandate for association with the follow-up programme to Erasmus+.