La maturité gymnasiale, en phase avec son temps ?

Une révision de la maturité gymnasiale est actuellement en consultation auprès des acteurs politiques et économiques de notre pays. En apparence une réforme à la Suisse, sans grands bouleversements, dans la continuité d’un système qui se construit sur des évolutions et non des révolutions. Une adaptation attendue, mais les vrais défis sont encore devant.

Erodée dans son monopole au sein d’un système de formation toujours plus perméable, jugée trop académique et vieillissante par certains milieux, démystifiée par les ultras de la formation professionnelle qui considèrent (à tort) qu’elle polarise trop l’attention, la maturité gymnasiale en Suisse reste malgré tout une « institution » solide.

Porte d’entrée directe vers l’université, elle a toujours la cote auprès des jeunes et s’apparente pour beaucoup de parents à une valeur refuge, notamment dans des périodes d’incertitude ou de crise comme aujourd’hui. Sans oublier le repère culturel qu’elle représente pour les familles issues de pays où le baccalauréat reste la « voie royale ». Sur un plan éducatif, dans une société où la formation est désormais conçue pour se dérouler tout au long de la vie, son bagage universel et ses solides compétences de base la maintiennent toujours dans l’air du temps.

Mais tout cela est-il suffisant pour prétendre « répondre aux exigences de demain » ? Être un passage obligé pour entrer à l’université n’est pas un gage éternel. Sa reconnaissance et son assise sociale sont des paramètres volatiles, le marché du travail évolue et les attentes des jeunes et de leurs parents elles aussi. Est-ce que la méthode des réformettes à la Suisse va continuer d’opérer ou le gymnase aurait-il besoin d’une mue plus complète pour se projeter dans le futur ?

La révision en cours effleure des questions de fond

La consultation court jusqu’au 30 septembre 2022. L’objectif du projet « Évolution de la maturité gymnasiale » (EVMG) vise à préserver la qualité reconnue de la maturité gymnasiale en Suisse et garantir à long terme l’accès sans examen aux universités. À cet effet, le projet propose d’adapter deux textes – qui datent de 1995 – le plan d’études cadre (PEC) de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) et la réglementation de la reconnaissance commune à la Confédération et aux cantons.

Parmi les principales nouveautés on trouve le renforcement des compétences dans la langue d’enseignement et en mathématiques, l’extension du choix de certaines disciplines (économie et droit, informatique), la promotion des échanges et de la mobilité ou encore la durée minimale obligatoire de quatre ans pour toutes les filières de maturité gymnasiale. Des adaptations attendues ou dans l’air du temps, mais aussi quelques sujets plus croustillants.

En 4 ans faire autre chose qu’aligner des cours comme on enfile des perles

La durée de la maturité gymnasiale sera sans doute un des enjeux les plus âprement discutés de cette réforme. De 4 ans dans la majorité des cantons, elle reste de 3 ans dans les cantons de Vaud, Neuchâtel et Jura, ainsi que la partie francophone du canton de Berne. En théorie, car dans les faits la dernière année du secondaire 1 est considérée comme année d’enseignement à caractère prégymnasial. Une harmonisation a été évoquée à de nombreuses reprises, mais n’a jamais pu être mise en place auparavant.

Un chantier délicat, surtout que la “recherche” n’est pas non plus catégorique sur le sujet. Si les jeunes issus d’une maturité en 3 ans semblent éprouver plus de difficultés au début de leurs études universitaires, les choses se normalisent par la suite. Non pas que les jeunes jurassiens, neuchâtelois et vaudois soient plus intelligents, mais parce que de toute évidence la durée du cursus n’est de loin pas le seul facteur expliquant la réussite ou non.

Partant du principe qu’il serait difficile, et au final pas souhaitable, que la majorité des cantons renonce au gymnase à 4 ans, la question à débattre devrait être la suivante : « qu’est-ce qu’on pourrait faire de mieux en 4 ans de gymnase qu’on ne peut faire en 3 ans » ? Sûrement pas continuer à aligner des cours comme on enfile des perles. Et pourtant c’est encore ce qu’on fait dans la grande majorité des établissements.  Ne devrait-on pas songer à revoir et mettre à plat les plans d’études et les grilles-horaires afin de redonner du sens à tout l’édifice ? Pas tout simple d’accord, mais d’autres pays l’ont fait, la Finlande par exemple, pourquoi pas la Suisse.

Viser d’autres compétences et sortir des « murs » du gymnase

Car à chaque réforme les mêmes injonctions ressurgissent dans le débat : il faut revoir le saucissonnage des disciplines, favoriser des séquences d’enseignement qui laissent plus de place pour mener des travaux de plus longue durée, aborder des démarches interdisciplinaires, apprendre à travailler en équipe, permettre aux jeunes d’acquérir de nouvelles compétences dans d’autres contextes interculturels, etc.

Sans grand succès jusqu’à aujourd’hui. On notera cependant parmi les innovations de cette réforme, celle du renforcement de la promotion des échanges linguistiques et de la mobilité internationale, via un nouvel article : « l’école prend des mesures pour que chaque élève participe durant ses études gymnasiales à des activités d’échange et de mobilité avec une autre région linguistique en Suisse ou à l’étranger ».

L’idée est d’inciter les jeunes à mener une expérience interculturelle à l’étranger ou dans une autre région linguistique, et pratiquer une langue dans son contexte écrit et parlé. Une manière aussi d’alterner les formes d’apprentissage et de permettre aux élèves de mener une expérience enrichissante « hors les murs » durant leur parcours gymnasial. Avec comme corollaire celui de stimuler aussi leur motivation.

La conviction et l’engagement de chacun ne crée pas une vision collective

Il est vrai que l’on entend souvent les acteurs du système se plaindre que les jeunes viennent « consommer » leur maturité gymnasiale, acquérir un ticket d’études pour la suite. C’est sans doute un peu vrai, mais reconnaissons aussi que l’organisation et le « bachotage » actuel des gymnases ne sont pas de nature à les motiver et donner un sens immédiat à « ce qu’ils font là ». Et le problème est davantage systémique que lié à des facteurs ou des individus isolés. Chaque enseignant paie de lui-même et nourrit l’espoir que sa matière contribue au développement du jeune en formation, mais mis bout à bout et séquencés heure par heure tous ces enseignements n’offrent pas l’image d’une vision construite et partagée, vers laquelle il fait sens cheminer.

Ce n’est pas non plus la faute des directions et des politiques qui ne font rien ou ne contribuent pas à son adaptation. Mais souvent le point de départ d’une réforme est la perception d’un problème ou une commande politique ciblée. Donc à chaque fois on ajuste et on adapte les textes au coup par coup, au lieu de réfléchir en termes de vision ou d’objectif plus ambitieux.

Développement personnel et préparations aux études, un mariage impossible ?

Bousculer le tout c’est compliqué. Toutes les grandes réformes et tentatives de donner une vision à la maturité gymnasiale se heurtent en fait à sa double injonction : d’une part le gymnase doit préparer aux études universitaires et, d’autre part, il doit favoriser le développement des jeunes. Et de ce fait toute vision qui s’orienterait vers le deuxième objectif doit être jugée à l’aune du premier. Vous imaginez les débats et les rapports de force autour de la conciliation de ces deux intérêts ? Pas étonnant dès lors que toute tentative de réforme plus en profondeur se bloque avant même d’avoir commencé.

C’est le constat de Philippe Wampfler, auteur d’un très bon article (en allemand) « Gymnasium in der Krise – 10 Thesen », sur une nouvelle idée du gymnase. https://schulesocialmedia.com/2022/06/13/gymnasium-in-der-krise-10-thesen/. Un auteur, enseignant dans un gymnase, qui sait de quoi il parle. Il estime aussi que l’école de maturité a besoin d’une introspection plus complète. Il n’y va d’ailleurs pas avec le dos de la cuillère. Extrait : « Il faut un gymnase sans matières et sans notes, sans horaires et sans canons. Avec une expertise et un feedback, un engagement et des exigences élevées. Les apprenants doivent faire l’expérience chaque semaine de j’ai fait quelque chose, je sais faire quelque chose de mieux que la semaine précédente (…) »

Favoriser et laisser se développer les initiatives des écoles et des enseignants

Philippe Wampfler admet que créer une telle école serait un rêve et restera probablement une utopie. Est-ce pour autant une fatalité ? Selon lui c’est l’action individuelle, celle des enseignant-e-s et des écoles, qui in fine peut faire la différence et bousculer les habitudes : « il faut que les gymnases aient le courage d’ouvrir des brèches individuelles et de se réinventer au lieu de continuer à s’administrer comme ce qu’ils ont toujours été. » A défaut de réforme en profondeur de l’ensemble, l’auteur revendique une certaine liberté de créer.

Car en fin de compte comme le souligne un autre praticien du terrain, Fabrice Sourget, directeur d’une école dans le canton de Neuchâtel, dans une Exploration Heidi. News Réinventer l’école : « les lois sont suffisamment vagues pour essayer de nouvelles choses, nous n’avons pas d’autres limites que celles imposées par nos habitudes ».

Ces énergies pour essayer de nouvelles choses sont nombreuses dans les écoles, il faut juste les favoriser et leur laisser de la place. A défaut de pouvoir réformer le gymnase en profondeur ou y construire une vision consensuelle, c’est cette créativité et cette forme de pragmatisme qui le conduira à changer et davantage répondre aux exigences de demain.

Olivier Tschopp

Olivier Tschopp est directeur de Movetia, l'agence nationale pour la promotion des échanges nationaux, ainsi que des coopérations et mobilités internationales. Tour à tour enseignant, directeur d'école, puis secrétaire général d'un département, il connait parfaitement le système éducatif et le contexte institutionnel suisse. Ses choix professionnels sont étroitement liés au change management et ses motivations le poussent à relier les frontières (inter)culturelles.

2 réponses à “La maturité gymnasiale, en phase avec son temps ?

  1. C’est très intéressant mais l’école secondaire est aux antipodes de ce projet, elle inclut énormément d’apprentissage par coeur. La sélection en 8ième se fait surtout sur l’apprentissage par coeur, et inclut ceux qui ont raté l’année de 8ième et la refont une deuxième fois, et les années suivants testent aussi beaucoup l’apprentissage par coeur de détail. L’école n’enseigne plus de compétences mais des pages d’encyclopédie.

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