“Compétences d’avenir, scénarios pour le monde de demain” : l’organisation de l’école ne peut pas être centralisée.

“Compétences d’avenir – Quatre scénarios pour le monde de demain”. C’est l’ouvrage de Jakub Samochowiec publié par la fondation JACOBS et édité par le Gottlieb Duttweiler Institute (GDI). L’étude – il s’agit de cela – est passée quasi inaperçue en Suisse romande. Dommage, tant son approche que ses hypothèses valent le détour de leur lecture. Ce d’autant que le livre a été diffusé l’année dernière, dans un contexte qui soulève bien des questions fondamentales sur notre avenir et rend l’ouvrage encore plus actuel.

A priori le livre se fonde sur une évidence, qui comme toutes les évidences, mérite d’être rappelée : “l’avenir est imprévisible et si l’imprévisibilité de l’avenir fait qu’il est extrêmement difficile de l’étudier, c’est précisément cette imprévisibilité qui rend l’analyse de l’avenir indispensable”. On se préoccuperait évidemment moins des compétences d’avenir si le monde des enfants était fortement semblable et continu à celui de leurs parents et grands-parents.

Ce n’est pas dans le sujet que réside son originalité, le thème des “skills of the future” étant déjà disserté de long et en large dans les revues scientifiques ou les médias. Ses constats, eux aussi, ne nous apprenent pas ce que l’on perçoit déjà : “(…) les projections dans le futur nous montrent que l’esprit communautaire, le travail d’équipe, la flexibilité, et le fait d’avoir le courage de faire face à la nouveauté et de connaître l’échec sont des exemples d’aptitudes clefs qui caractérisent l’individu et notre société. Ce sont ces aptitudes qui sont absolument nécessaires, et qui doivent être acquises dès aujourd’hui par les enfants et par les jeunes, afin de pouvoir affronter le monde de demain, toujours incertain.” C’est limpide, mais c’est dit.

Ce qui constitue à mon sens la plus-value de cet ouvrage, c’est les scénarios envisagés et les pistes de réflexion choisies pour sonder et façonner l’avenir. L’étude esquisse en effet 4 scénarios pour la Suisse en 2050, certains intelligibles, dans lesquels on peut se projeter, même si anxiogènes, d’autres plus catastrophistes, voire même poussés à l’extrême. Je les résume très brièvement ci-dessous :

1) Effondrement. Le commerce international est pour ainsi dire inexistant. Les communautés locales ne font plus partie d’organisations nationales ou supranationales, et doivent se réorganiser dans les décombres d’une société industrialisée et mondialisée.

2) Précariat de l’économie des petits boulots. Les machines assument désormais de nombreuses tâches, provoquant ainsi un chômage technologique. Les personnes concernées se tournent vers une nouvelle forme de travail : l’économie des petits boulots. Elles cherchent à décrocher de rares emplois dans un monde où l’économie règne en maître.

3) Réduction à zéro. Les espoirs de combattre le changement climatique grâce au progrès et à la technologie se sont envolés. Le seul remède efficace : les restrictions personnelles radicales. L’objectif est de réduire les émissions de CO2 à zéro. Les méthodes utilisées divergent en fonction de la région et sont pour cela définies au plus bas niveau possible.

4) Luxe de l’automatisation complète, offert par l’IA. Les machines assument désormais de nombreuses tâches qui étaient autrefois réalisées par des humains. Chacun profite des fruits de ce travail. Les humains peuvent tout faire, sans aucune obligation. Ils sont donc confrontés à un double défi : touver un ses à leur vie, et conserver leur autonomie personnelle vis-à-vis de l’intelligence artificielle supérieure.

Pour chacun de ces mondes, l’auteurs ou les auteurs ont ensuite dégagé des aptitudes et des caractéristiques qui sont nécessaires pour exister et prospérer. Une enquête réalisée auprès d’enseignant(e)s suisses a ensuite permis de déterminer dans quelle mesure ces compétences étaient apprises au sein de leur école. Intéressant.

L’avenir incertain et la diversité des quatre scénarios suggèrent bien entendu qu’il est impossible de préparer les enfants et les jeunes pour un avenir donné. Plus l’avenir sera différent du monde actuel, moins les institutions et les expériences actuelles pourront servir de repères et plus les générations futures seront livrées à elles-mêmes. Les compétences d’autodétermination comme la motivation et l’efficacité personnelle, ainsi que la capacité à prendre des décisions en groupe sont donc importantes dans tous les cas de figure. Là aussi, on s’en doutait.

Du coup l’étude s’attache à proposer des solutions et sérier un certain nombre d’aptitudes. Pour donner aux enfants et aux adolescents les clefs qui leur permettront de façonner l’avenir, elle propose trois catégories de compétences-clefs, tout d’abord le “savoir” – pour façonner l’avenir, il faut connaître le présent – ensuite le “vouloir” – pour façonner l’avenir, il faut établir des objectifs – et enfin “l’agir” – pour combler le fossé entre le présent et les objectifs formulés, il faut agir concrètement.

En résumé, pour façonner le monde de demain, il faut donc de nouvelles idées et un consensus doit être trouvé au niveau de la société. C’est le message fédérateur et le manifeste de l’étude.

Plus intéressante cependant, parmi les éclairages et hypothèses de cette étude, est la leçon suivante : ” l’organisation d’un monde extrêmement complexe ne peut pas être centralisée”. Sous-entendu, je force à peine le trait, qu’une organisation scolaire ne peut pas décider par le haut ou piloter ce qu’elle doit laisser à ses acteurs, les éléments-clefs du système éducatif :

“Pour créer une société résistante, il faut que de petits groupements se développent, essayent de mettre en place de nouvelles idées et apprennent les uns des autres. Ce sont des projets pratiques choisis et réalisés en groupes qui peuvent justement permettre aux enfants d’acquérir les aptitudes nécessaires pour tenter de telles expériences en mini-sociétés.” L’école comme laboratoire, pas nouvelle comme idée, mais là aussi, elle mérite d’être (re)suggérée.

Tout cela va évidemment dans le sens d’une relative perte de mâitrise du système par les pouvoirs publics et d’une plus grande responsabilisation des écoles et des enseignants. Il s’agit de laisser aux écoles un certain espace de créativité, soit la place à l’expérimentation de savoirs pédagogiques ou de nouvelles pratiques. Mais aussi admettre une forme de “sérendipité” du système éducatif, soit cette capacité à faire par hasard une découverte inattendue et à en saisir l’utilité. Osé, mais si on y réfléchit bien, c’est d’une certaine manière le génie de notre fédéralisme, par beau temps évidemment.

In fine on est loin des pratiques actuelles, même si les discours alimentent et plébiscitent cette tendance. Peut-être serait-il temps, à l’issue de cette crise, d’accélérer ce mouvement d’autonomie et de donner aux écoles et aux enseignants la marge de liberté nécessaire, afin de davantage les impliquer et les stimuler dans la mise en oeuvre des savoirs de demain ? Je suis pour.

L’ouvrage est disponible sur https://jacobsfoundation.org/en/publication/future-skills/

 

Olivier Tschopp

Olivier Tschopp est directeur de Movetia, l'agence nationale pour la promotion des échanges nationaux, ainsi que des coopérations et mobilités internationales. Tour à tour enseignant, directeur d'école, puis secrétaire général d'un département, il connait parfaitement le système éducatif et le contexte institutionnel suisse. Ses choix professionnels sont étroitement liés au change management et ses motivations le poussent à relier les frontières (inter)culturelles.

Une réponse à ““Compétences d’avenir, scénarios pour le monde de demain” : l’organisation de l’école ne peut pas être centralisée.

  1. Monsieur, vous avez en grande partie raison, mais concernant ce point : “d’accélérer ce mouvement d’autonomie et de donner aux écoles et aux enseignants la marge de liberté nécessaire”
    Il sera presque impossible à mettre en œuvre puisque le ou la conseillère d’état qui est en charge de ce département n’entendra jamais perdre son royaume ! Quand je dis royaume, c’est principalement son pouvoir, celui de nommer des proches à des postes clés comme nous pouvons le voir dans le canton de Vaud, celui de cacher le fait qu’il ou elle reçoit plusieurs salaires dans différents postes au même instant tout en défendant qu’il ou elle y travaille à 100 % …..
    Et comme on peut le voir dans le monde du fonctionnariat, personne n’est disposé à perdre un tout petit bout de son prés carré au bénéfice du bon sens !
    Dans le système éducatif actuelle, on privilégie les politiciens, les hauts fonctionnaires, afin qu’il ne perde pas un bout de leurs avantages comme vous pouvez le voir avec la priorité sur l’accès au vaccin.
    On ne vaccine pas nos professeurs, nos enseignants, car on sait très bien qu’il n’y en a pas assez, mais par contre plusieurs conseillers nationaux se profile en cachette dans des hôpitaux privés !

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