Du mélange des genres dans l’industrie du luxe ou quand les « influenceurs » se rêvent créateurs

Dans un monde où l’image compte plus que la communication verbale, une nouvelle tribu d’influenceurs s’est créée et son impact est significatif sur les marques de luxe. Aujourd’hui un blog a parfois plus de poids que l’avis de critiques expérimentés ou même du directeur artistique de la marque. Un post sur Instagram ou une campagne virale peut vite faire un buzz qu’un média traditionnel ne saurait créer. Pour le bien et pour le mal, comme la marque Dolce & Gabbana en a fait amèrement l’expérience récemment avec une campagne complètement ratée bourrée de clichés jugés raciaux par les clients chinois. A tel point que la marque a dû annuler son défilé sous pression des autorités chinoises, mais surtout de la communauté des influenceurs chinois piqués au vif par une telle maladresse.

Lire également : Le Monde 25.11.2018 / Des vidéos de Dolce & Gabbana font scandale en Chine

 

Les marques de luxe sont-elles manipulées par des blogueurs ou instagrameurs ?

Louis Vuitton par Takashi Murakami

On peut admettre que tout un chacun puisse avoir un avis sur l’esthétique d’un sac à main ou d’une montre, mais est-ce qu’une marque doit pour autant s’adapter à la vox populi ?

Le trend marketing du moment est de vouloir se rapprocher de son public en « draguant » les influenceurs à coup d’invitations aux défilés ou autres présentations de collections, cadeaux en tout genre ou même de participation à des développements de nouveaux produits. Qu’une marque de luxe cherche à rajeunir son image en faisant du co-branding*1ou en utilisant des « ambassadeurs » de marque est une bonne idée en soi, mais il s’agit d’un exercice d’équilibrisme compliqué et à risque. Lorsque votre ambassadeur passe du statut d’icône absolue à mari infidèle pris en flagrant délit vous mettez le goodwill et l’image de votre marque en péril (ex. de Tiger Woods passé d’icône du golf à coureur de jupons invétéré et abandonné par ses sponsors en 2009).

La coopération devient problématique à mon avis lorsque qu’une marque institutionnelle se range derrière son ambassadeur ou son partenaire de co-branding, et carrément catastrophique lorsqu’une blogueuse de 21 ans commence à expliquer à la marque ce qu’elle doit faire !

Les blogueurs et leur influence insidieuse sur les marques de luxe

Dans un premier temps les blogs étaient écrits par des amateurs qui voulaient transmettre leur passion pour un domaine ou une marque. On pouvait les créditer d’une certaine indépendance dénuée de raisonnement mercantiliste (ex. tu me prends un banner sur mon site et je t’écris un article), mais très rapidement leur importance auprès du public cible a pris une telle importance que les marques ont commencé à les courtiser de façon très ciblée.

Très naïvement les marques prennent les chiffres avancés par les blogueurs en termes de followers et autres likes sur facebook (en perte de vitesse complète auprès des 15-35 ans) ou Instagram (WeChat pour l’Asie) pour de l’argent comptant !

J’ai moi-même vécu des situations où un jeune homme très poli vient vous voir en vous expliquant qu’il a plus de 100’000 followers sur Instagram et que moyennant quelques finances il va vous aider à augmenter la notoriété de votre marque. Je passe très rapidement ici sur la magie de la manipulation des algorithmes qui servent à manipuler des statistiques, mais pour faire simple et donner un exemple très concret : l’instagrameur qui vous avance un chiffre de 100’000 abonnés sur son compte et avec en moyenne 500 likes par post est probablement en train de vous « enfumer ». La règle (attention nous ne sommes pas dans le domaine scientifique, mais empirique !) dit que le taux d’engagement (likes) doit être de 2,5-3% pour 100’000 abonnés = 2’500 .

Conclusion les 500 likes sont dus aux 5’000 vrais followers et les 95’000 autres abonnés sont des “followers” de pays exotiques fournis par un alchimiste des réseaux pour des prix en baisse constante ; en 2012 un 1’000 de followers coûtait $ 90, aujourd’hui 10’000 coûtent $ 70 !

A voir également : Media Kit : How to build a fake influencer

 

Nouvelle tendance dans le monde horloger : les blogs expliquent aux marques comment faire leur métier 

Zénith El Primero par Bamford watches

Après la première étape de construction de l’audience – c’est qui intéresse les marqueson passe aux séries limitées et autres pièces uniques faites en co-branding. En règle générale la créativité des « influenceurs » est vite épuisée et consiste à changer la couleur d’un cadran, d’une aiguille ou d’un bracelet. Jusqu’à là rien de grave et de tout temps les partenaires dans la distribution ont voulu avoir leur nom sur un cadran et mieux encore un cadran personnalisé.

Où les choses se compliquent c’est la deuxième phase de prise de pouvoir par les influenceurs : sûrs de leur pouvoir (l’audience), de la pertinence de leur avis et surtout de leur bon goût ils commencent à demander aux marques de développer des séries limitées selon leurs exigences. Et là on tombe dans le piège du “phagocytage” de la marque par l’influenceur. Le mot à la mode pour faire passer ces « collaborations » est LAB ou collection capsule. Rien d’inquiétant lorsque la marque garde visiblement la main sur la création, afin de ne pas transgresser les codes esthétiques de la marque, mais à risque lorsque l’esthétique d’un rappeur californien vient « embellir » une icône produit d’une marque pluriséculaire.

Viennent ensuite les “tuners” comme l’exemple ci-dessus d’une Zénith “améliorée” par le lab Bamford. Si la marque l’approuve et garde la main sur ce genre de collections “capsules *3” l’exercice peut s’avérer fructueux, mais lorsque les tuners commencent à interpréter des icônes de la marque ceci peut devenir gênant pour une marque. Dans le cas de Rolex la marque supprime purement et simplement la garantie si une montre a été altérée par des ateliers non agréés par la marque. Le changement d’une aiguille peut vous supprimer la garantie de 5 ans donnée par la marque. Ce qui est un bon moyen de refréner les ardeurs des clients potentiels. https://www.bamfordwatchdepartment.com

Dans le cas des artisans de Genève ci-dessous on peut attester d’une certaine audace esthétique et surtout d’une authentique bienfacture dans la réinterprétation des icônes d’une marque pas particulièrement connue pour sa créativité débordante. Les Artisans de Genève

 

Même si dans le passé le co-branding chez Rolex et toutes les autres marques horlogères était géré de façon moins strict à l’exemple de cette montre faite pour Domino’s Pizza (….) dans les années 1970-80.

 

Les collaborations fructueuses entre blogs et marques

Site officiel Omega avec l’édition limitée Speedy Tuesday
Site Fratello Watches

A l’inverse les collaborations peuvent se révéler très fructueuses à l’exemple d’Omega – et sa Speedy Tuesday – qui a décidé en 2017 de collaborer avec un blog horloger très axé sur les montres du segment de prix de la marque https://www.fratellowatches.com . L’exercice a été non seulement révélateur de la puissance des réseaux sociaux avec 2012 montres d’une série limitée vendue en 4 heures et 27 minutes chrono en main, mais aussi extrêmement bénéfique pour la marque ! Elle lui a notamment permis :

  1. d’engranger la quasi-totalité de la marge sur un chiffre d’affaires de CHF 13 millions ce qui n’est pas encore un facteur critique pour une marque qui a généré l’année passée plus de CHF 2,3 milliards de ventes (estimation, source Morgan Stanley/LuxeConsult). Mais ceci laisse augurer du futur des détaillants multimarques.
  2. d’avoir un contact avec le client final et non un détaillant. Ceci permet d’avoir à l’instant t un indicateur de succès.
  3. de générer en même temps un immense buzz sur tous les réseaux sociaux avec un résultat spectaculaire en un temps record.

Autre exemple très positif, les deux collaborations du blog horloger le plus suivi au monde (2 millions de visiteurs par mois !) Hodinkee x Swatch Sistem 51 . Il s’agit de la deuxième collaboration avec Swatch pour un site qui est normalement positionné sur le créneau du vintage, mais qui trouve qu’une Swatch avec un look 1980 est cool ! Ce qui est très intéressant dans ce cas est que des gens externes à une marque arrive à faire comprendre à celle-ci qu’elle a tout intérêt à puiser dans son référentiel esthétiques qui puissent plaire aux millennials.

A lire égalementLe Temps / Comment les horlogers se réinventent

 

Sistem 51 co-branding Swatch x Hodinkee

Les pièges à éviter pour une marque

En voulant absolument rajeunir l’image de marque ou « pousser » les ventes, certains directeurs « créatifs » sont prêts à laisser le volant à des gens qui n’ont ni les compétences, ni la créativité pour amener une plus-value. Je précise mon propos, mais sans donner de noms pour ne vexer personne, et j’ajouterais que si l’exercice consiste à faire approuver un dessin par l’ambassadeur de marque (une star hollywoodienne ou un sportif) qui du haut de son génie créatif arrive à choisir la couleur d’aiguilles qui fera exploser les ventes en 5 minutes, l’exercice sera bénéfique !

Par contre là où le bât blesse ce sont les « créations » des influenceurs pour lesquelles ils n’hésitent pas parfois à mélanger des codes qui ne sont pas forcément cohérents avec la marque. On oblige par exemple la marque à surfer sur une tendance de mode qui sera perçue au mieux comme de l’opportunisme court-terme.

Dans le même ordre idée il est très dangereux pour une marque de délaisser sa communication à des tiers en pensant qu’ils seront plus crédibles. En laissant aux influenceurs la liberté de s’exhiber sous les feux de la rampe en s’appropriant la légitimité et le goodwill de la marque, les marques de luxe prennent le risque de perdre leur autorité sur leur propre marque. Dans son excellent livre « Le Luxe et les nouvelles techologies »*2 Carmen Turki Kervella nous explique que les contenus générés par les publics peuvent être tolérés par la marque, mais qu’elle se doit de garder la main sur sa communication « …. En fournissant régulièrement aux publics de nouvelles thématiques leur permettant de mettre en avant – sous leur contrôle – leur perception originale de la marque sur la Toile. »

 

Finalement est-ce une bonne chose que tout le monde s’improvise créateur ?

Créer des panels de clients, journalistes, blogueurs, etc. est certainement une initiative extrêmement intéressante et potentiellement positive. Mais il ne faut pas confondre les rôles en donnant à ces « experts » externes le rôle de la création. Combien de fois ai-je entendu récemment « j’ai dessiné le cadran de telle montre « ? A croire que le métier de designer s’apprend en 15 jours et au-travers d’une collaboration avec une maison horlogère. J’ai participé aux développements de plusieurs dizaines de montres avec différentes marques horlogères, mais jamais je n’aurais eu le culot de m’approprier le travail des designers qui avec leur talent transforment votre brief en quelque chose de concret.

Ne serait-il pas plus judicieux que tout le monde reprenne la place qui est la sienne et que les créatifs continuent de créer ?

 

*co-branding : association ponctuelle ou éphémère pour la promotion d’un produit ou d’un service

*2 Le luxe et les nouvelles technologies par Carmen Turki Kervella, Ed. M. Laurent du Mesnil (22.10.2015), ISBN-10:2840018551

*3 Collaboration ponctuelle entre une marque et un créateur pour une collection limitée dans le temps et/ou les quantités

** Le masculin est utilisé afin d’alléger le texte et comprend le féminin lorsque le contexte l’indique.

 

Pour un Swiss made horloger crédible et honnête

Pour tout de suite situer le débat, on peut estimer que plus de la moitié des marques arborant le Swiss made sur leurs cadrans n’ont de suisse que le nom. Les motivations sont multiples, mais peuvent se résumer dans la majorité des cas dans la recherche de la maximisation des marges en profitant de la crédibilité d’un sceau assimilé à la tradition horlogère suisse tout en fabriquant à l’étranger. Or aujourd’hui ce sceau de qualité est utilisé abusivement par beaucoup de marques horlogères dont les produits ont une ADN avec des liens très lointains de la Suisse. Et c’est un euphémisme de dire que la règle est aujourd’hui l’abus, et l’exception incarnée par le respect de la provenance helvétique des composants horlogers !

Afin de restaurer la crédibilité du Swiss Made, les critères devraient être plus stricts sur l’origine de la provenance de ses composants qui – selon la nouvelle loi entrée en vigueur en 2017 – exige que 60% de la valeur ajoutée doit être produite en Suisse. Mais plutôt que de se tirer une balle dans le pied en appliquant la preuve d’origine uniquement aux 60% suisses on pourrait très bien ajouter que 30% de la valeur ajoutée (uniquement sur les composants) soit fabriquée en Europe et les 10% restants au reste du monde.

  • L’horlogerie Suisse a besoin de ses sous-traitants français, allemands, italiens, etc. pour pouvoir fonctionner. Tout autre revendication relève du folklore politique.
    • Autant qu’elle a besoin des travailleurs frontaliers pour faire fonctionner ses manufactures.
  • Certains composants ne peuvent être fabriqués dans leur totalité en Suisse ou en Europe et en quantités suffisantes à un coût de revient économiquement viable. Ceci serait couvert par le 10% restant qui pourrait être fabriqué ailleurs dans le monde.

Les motivations ne sont pas uniquement la qualité du produit – les horlogers suisses avaient déjà entrepris de sous-traiter en Asie dans les années 1960 – mais sont liées à des arguments plus pertinents :

  • La préservation du savoir-faire qui permet de revendiquer un label
  • Une traçabilité des matériaux et composants
  • Maintenir une base industrielle permettant d’innover et de préserver des places de travail qualifiées

Swissness ou la genèse d’une loi à moitié satisfaisante

Partant du constat que la loi en vigueur – datant de 1971 – était trop permissive, l’industrie horlogère s’est mise en quête d’une nouvelle législation plus stricte. Elle d’abord voulu tenter l’aventure de sa propre initiative – par naïveté ? – en pensant qu’elle était la seule à avoir un intérêt pour le renforcement d’une appellation d’origine contrôlée et sans avoir compris le lobbying nécessaire au parlement pour faire passer une loi.

Comme toujours en Suisse les choses prennent beaucoup de temps, surtout à Berne, et ce n’est finalement que le 1erjanvier 2017 – après 20 ans d’âpres négociations – que la nouvelle loi sur le Swiss made est entrée en vigueur. Le Temps / Une task force pour contrôler le Swiss made

  • les politiciens helvétiques ont fini par s’entendre sur un compromis de loi qui à prime abord renforce les critères d’acceptation et donc la crédibilité du Swiss made. L’industrie horlogère n’étant qu’une des parties prenantes dans le projet de loi « Swissness » il est évident que ses critères sont très différents par exemple de ceux de l’industrie du chocolat par rapport à la provenance des composants utilisés.
  • Pour arranger tout le monde on a successivement édulcoré les critères les plus contraignants en ramenant par exemple la part de la valeur ajoutée obligatoirement fabriquée en Suisse de 80 à 60%. Dans ce coût de revient le fabriquant a le droit d’inclure les frais liés au R&D, donc au travail de développement sur l’habillage et le mouvement ce qui a bien sûr comme effet de réduire la part de valeur ajoutée exigée sur les composants fabriqués en Suisse. Cependant la loi amène une contrainte « positive » pour la crédibilité qui impose que dès 2019 le développement technique soit fait en Suisse…. Inutile d’expliquer que ce genre de contrainte ne peut que convaincre un fonctionnaire à Berne, car un plan exécuté sur un PC à Shenzen a juste besoin d’un changement de cartouche (la référence qui indique qui en est l’auteur) sur l’ordinateur d’un bureau technique Suisse.

Historiquement les critères du Swiss made horloger ont toujours été très faibles

L’ancienne loi régissant les critères du Swiss made ne mentionnait que trois critères essentiels : 1. plus de 50% de la valeur ajoutée du mouvement devait être créée en Suisse, 2. La montre devait être emboîtée en Suisse et 3. Le contrôle final devait avoir lieu en Suisse……

Inutile d’expliquer que les aiguilles, le cadran, le boîtier, le bracelet pouvaient avoir des origines asiatiques pour des questions de coûts.

Cette loi datant de 1971 était née du problème des contrefaçons de montres suisses fabriquées par des sous-traitants hongkongais qui fabriquaient des boîtiers pour …. l’industrie horlogère helvétique et qui avaient vite compris que le précieux sigle « Swiss Made » n’était protégé par aucune loi. Pour mettre fin aux agissements de ces contrefacteurs une loi sensée protéger l’industrie horlogerie fut votée ( Le Temps/Aux origines d’un label controversé)

Trois points sont à relever :

  • à l’époque les Suisses sont pionniers dans la mise en œuvre d’un label protégeant une origine national d’un produit. La France et l’Italie le feront pour des produits emblématiques, mais qu’à partir des années 1990.
  • Ce label Swiss made ne protégeait que l’origine du mouvement, mais pas celle de l’habillage (cadran, aiguilles, etc.)laissant la porte grande ouverte à l’abus d’une appellation d’origine contrôlée.
  • La nouvelle loi entrée en vigueur présente les mêmes lacunes, car la contrainte sur l’origine des composants d’habillage est toujours insuffisante. Le Temps / Le Swiss made fait à Shenzen

 

Mais finalement est-ce que le Swiss Made est si important ? Les enjeux industriels

 

L’industrie horlogère a toujours été une carte de visite de la Suisse, car elle incarne les valeurs réputées être typiquement helvétiques : le savoir-faire, la précision et la pérennité.

Au-delà du cliché les montres suisses sont la vitrine d’une industrie composée par un terreau fertile de PME actives dans la mécanique, l’électronique et une multitude de métiers d’art.

Elle emploie plus de 50’000 personnes et elle est la 4èmeindustrie exportatrice de notre pays. Jusqu’à là nous sommes dans le domaine du factuel. Un vecteur de communication et en même temps l’argument le plus tangible pour vendre ses produits étant son fameux label Swiss Made.

La suisse ne contribue que pour 2% du volume de montres vendus chaque année dans le monde (24,8 millions sur 1,2 milliard de pièces), mais pour 50% en valeur (le marché mondial est estimé à CHF 40 milliards). Le prix moyen d’une montre Suisse exportée (prix public moyen approx. CHF 2’000) équivaut à plus de 200 fois celle d’une montre produite en Chine.

Est-ce une bonne chose ? Il ne faut pas se tromper de cible en voulant à la fois faire du volume et occuper une position de niche dans le haut de gamme.

Comme je l’expliquais dans un autre article ( Blog Le Sablier: Ce que les chiffres de la FHS ne nous disent pas )l’industrie horlogère Suisse ne peut survivre que si l’ensemble de ses sous-traitants ont du travail payé à sa juste valeur et qui permette de continuer à investir dans la recherche et les moyens de production. Or en jouant le jeu du court-termisme qui consiste à optimiser ses marges en délocalisant la majeure partie de ses approvisionnements en Asie, beaucoup de marques jouent un jeu dangereux qui tend à décrédibiliser un label connu et reconnu pour incarner une image de qualité, de bienfacture et de respect incarnée par le Swiss Made.

Selon une étude récente publiée par l’Université de Saint-Gall un client est prêt à payer 100% de plus pour une montre estampillée Swiss made par rapport à un produit fabriqué ailleurs dans le monde Etude Université de Saint-Gall sur le goodwill du Swissness

 Ne galvaudons pas ce fantastique avantage concurrentiel bâti par une industrie qui n’a certes pas inventé l’horlogerie, mais qui a toujours su manier l’excellence produit et le discours marketing !

Qui sont les bons élèves ?

Sans prendre aucun risque je me permets d’affirmer que des marques comme – à titre d’exemples – Rolex, Patek Philippe, Omega, Audemars Piguet, Chopard ou … Swatch sont des exemples de Swiss made avec des valeurs ajoutées qui vont nettement au-delà du seuil légal requis. Avec l’exception des cuirs en alligator et des diamants utilisés (anecdote préférée de M. Hayek Sen. pour justifier la provenance souvent lointaine de la Suisse de composants utilisés par certaines marques de son groupe) dans les montres haut de gamme, nous sommes capables de fabriquer l’ensemble des composants en Suisse.

Les marques niches de l’horlogerie haut de gamme peuvent également revendiquer une origine proche du 100% Suisse de leurs composants et pour en citer quelques-unes, je nommerais F-P. Journe, De Bethune, Kari Voutilainen, MB&F, Akrivia ou encore H. Moser & Cie.

Tout le monde pourra identifier les « tricheurs » par déduction et par esprit de consensus helvétique, j’éviterai de les nommer.

Les solutions

Certains ont très bien compris que le Swiss made sur leur cadran décrédibilisait plus le produit qu’autre chose. En effet avoir le même label sur une montre fabriquée à 100% en Suisse et sur le cadran d’une montre ayant tout juste vu les terres helvétiques, brouille fortement le message pour le consommateur.

  • Vous êtes un provocateur et vous voulez vous démarquer : H. Moser & Cie a décidé d’enlever le Swiss Made, d’une part parce qu’ils peuvent en toute transparence revendiquer plus de 95% d’origine Suisse de leurs composants. François-Paul Journe, marque indépendante de haute horlogerie, peut elle aussi et sans rougir revendiquer être d’origine Suisse sans avoir besoin de l’afficher sur le cadran. Le Temps : H. Moser et sa Frankenwatch
  • Vous êtes plus subtil et vous faites comprendre au travers de votre communication que vous maîtrisez votre propre outil industriel, et que la mention Swiss made est une réalité dans les faits. Patek Philippe, Rolex, Audemars Piguet, Chopard le font avec beaucoup de crédibilité et ce sont des marques qui n’ont pas besoin de se justifier.
  • La 3èmesolution consistant à créer un label de qualité qui explicitement ou implicitement requiert une traçabilité de la fabrication suisse, comme le AOSC de la marque Bédat & Co. qui à l’époque de sa fondation avait mis en place une charte très stricte permettant de certifier de l’origine des composants. Mais ce genre d’initiatives n’a bien sûr aucune chance, si elle ne repose pas sur une caution d’un organe étatique ou d’une organisation faîtière.

Personnellement je préconiserais une solution beaucoup plus radicale et qui a été évoquée lors des débats sur la nouvelle loi « Swissness » et esquissée plus haut :

  • le Swiss made devrait être réservé aux marques qui peuvent justifier de la provenance de leurs composants pour 100% selon la clé proposée ci-dessus : 60% au minimum conçus et fabriqués en Suisse, 30% au maximum conçus en Suisse, mais fabriqués en Europe et 10% maximum conçus en Suisse et fabriqués ailleurs
  • toutes les autres marques devant assumer le fait que leur produit est dans le meilleur des cas conçu en Suisse, mais fabriqué ailleurs et donc indigne d’une appellation d’origine contrôlée.

Swatch a prouvé qu’il était possible de fabriquer un produit de masse à un prix compétitif en Suisse. Il ne s’agit donc pas de restreindre l’accès au précieux sésame, mais d’inciter les marques à investir dans leur outil industriel ou de payer le juste prix à des sous-traitants soumis aux exigences d’un pays aux salaires et au niveau de vie élevés !

Cette interprétation radicale d’une vraie origine (les raisins du Champagne ne sont pas produits en Espagne pour être pressurisées en France et finir avec le précieux label qui permet une plus-value substantielle par rapport à un Cava ou un Prosecco) réduirait substantiellement le nombre de marques habilitées à porter notre précieux label.

Le message et sa crédibilité pour le client seraient démultipliés par rapport à la situation actuelle.