Le 30 mars 2013, Schweiz am Sonntag publiait l'article intitulé "Einbrüche: Schweiz ist Europameister" en référence à une statistique soi-disant publiée par Eurostat . Problème! Cette statistique n'existe probablement pas sous cette forme! Elle est sensée présenter les vols par effraction en Europe et par pays, mais surtout la Suisse comme étant le plus dangereux pays d'Europe en la matière. J'ai évidemment instantanément entamé un triple salto arrière en lisant cette information, bouche bée. Et j'ai effectué un triple lutz en la découvrant le lendemain dans Le Matin.
Mais une question ne cesse de me tourmenter depuis: à qui profite le crime de désinformation?
L'article laisse croire, sans jamais l'écrire, que les statistiques européennes 2012 ont été publiées. Nenni! Nous n'avons que jusqu'à 2010 à disposition, je le sais, je suis la situation depuis 20 ans. Oui, il y a un rapport européen qui tente une comparaison européenne et une table qui résume la situation des cambriolages en comparaison mondiale, de même que des données sur le site Eurostat. Mais pas l'année 2011 et encore moins l'année 2012!
Les chiffres s'arrêtent donc en 2010. Alors, pourquoi Schweiz am Sonntag publie-t-il cette situation 2012? Et de proposer dans la foulée le vote OUI-NON à la question: Haben Sie Angst, Opfer eines Einbruchs zu werden? (Avez-vous peur d'être victime d'un cambriolage?). La réponse sera bien évidemment OUI! Et à quoi consiste ce vote? À vérifier que le message anxiogène a réussi? On tourne décidément en rond!
Les chiffres proposés par Schweiz am Sonntag reposent sur un biais méthodologique. Il faut en effet savoir que les chiffres européens (Eurostat) compilent les "burglary" (cambriolages) répondant à la définition suivante: “Domestic burglary is defined as gaining access to a dwelling by the use of force to steal goods” et “dwelling” est un synonyme de “house/home”, donc dans la statistique Suisse de police, il s'agit uniquement des cambriolages de “maisons/appartements”. Ainsi, pour tenter de trouver une correspondance, il faut comparer 35'801 vols par effraction dans les villas et appartements commis en Suisse (Rapport Statistique policière de la criminalité 2012, p. 49, 3.6.3.2) et non les 73'714 cambriolages au total comme l'a fait Schweiz am Sonntag. Le taux suisse est donc de 450 cambriolages pour 100'000 habitants et non 926.7. C'est la moitié moins que ce qui a été publié! La Suisse n'est donc pas, plus, première de classe en Europe, comme par enchantement.
S'agit-il purement et simplement d'un procédé que l'on peut suspecter d'être malhonnête ou pour le moins manipulateur? Ou alors, une méconnaissance totale des statistiques de la criminalité telle qu'elle pousse à la faute? Je ne sais malheureusement pas répondre à ces questions, mais je sais que le peuple a été trompé. Pourquoi devrions-nous toujours avoir peur? Pour que quelques projets législatifs passent plus facilement les obstacles parlementaires?
Ce qui est assez étonnant dans cet article, ce sont les interviews de mon ancien professeur de criminologie, Martin Killias, et de mon très estimé collègue, président de la Commission criminelle suisse et commandant de la police cantonale bernoise, Stefan Blättler. Ils se sont fait avoir, en quelque sorte, en prenant position sur une fausse réalité, ils se sont exprimés dans l’absolu. Quel gâchis! Il faut toujours vérifier les sources, ce principe étant en fait le prénom de l'alphabet policier.
J'ai évidemment demandé ses fameuses sources à Schweiz am Sonntag et au journaliste du Matin, pour l'heure sans réponse du premier média. Quant au second, il s'est fait berner en rapportant des informations non vérifiées…Dans l'intervalle, 24Heures-TdG m'a contacté pour me demander une réaction. J'ai appelé à la prudence, normal, face à de telles allégations, par honnêteté intellectuelle, par souci éthique, tout en envoyant les derniers chiffres européens.
A suivre, donc. Ce qui est certain, c'est que le mal est fait, des centaines de milliers de citoyens sont persuadés de vivre dans le pire pays d'Europe. Et dire que l'année passée, le titre de l'article qui suivait la publication de la statistique suisse de la criminalité était "La Suisse, le paradis des voleurs", cherchons un tantinet l'erreur…
En finalité, retenons qu'il est pratiquement impossible d'effectuer des comparaisons internationales, pour des raisons de définitions. Le sujet est compliqué et délicat.
Pour preuve, Marcelo Aebi, professeur à l'Institut de criminologie de l'Université de Lausanne, a fait une analyse des définitions dans le European Sourcebook, montrant la grande diversité de celles-ci à travers l’Europe. Dans la 4ème édition on découvre (Aebi et al, 2010: 33) que toute la problématique liée à la définition de "burglary" n'autorise, en fait, pas de comparaison.
Mais si l'on persistait à vouloir obtenir un classement que l'on sait interdit, selon les derniers chiffres à disposition de 2010, la Suisse (avec un taux de 327.2 pour 100'000 habitants) serait en septième position en Europe si l'on considère les vols par effraction domestiques. C'est la Belgique (taux de 634.9), la Hollande et l'Angleterre qui occuperaient le podium. Et si l'on prenait l'ensemble des cambriolages, la Suisse (taux de 812.1) occuperait le sixième rang. Ce seraient l'Autriche (taux de 1054.5), la Suède et la Hollande qui occuperaient ce podium-là. Et de relever pour terminer que le taux suisse des cambriolages pour 100'000 habitants était de 956 en 2004 (dernier pic de criminalité) alors qu'il était de 812 en 2010, il était de 926 en 2012.