Les secrets des mafias ouest-africaines de la cocaïne

Ecrit par:
Olivier Guéniat, chef de la police judiciaire neuchâteloise
Anaïs Gasser, étudiante en Master de criminologie à l'Ecole des sciences criminelles – UNIL

 

On croit souvent à tort, tant du point de vue politique et journalistique que populaire et même policier, que l'apparition de la vente de cocaïne sur rue par des requérants d'asile d'Afrique de l'Ouest a une origine récente se limitant aux seuls phénomènes migratoires du début du 21ième siècle. Pourtant, une recherche historique et bibliographique nous démontre qu'il s'agit plutôt d'une lente construction apparue dès les années cinquante résultant de facteurs tant logiques que complexes et débouchant sur une situation presque inexorable. Pour mieux comprendre le contexte de ce marché illicite assez visible et dérangeant dans les villes suisses, voici un levé du voile sur les secrets d'une organisation criminelle très efficace qui a su s'adapter à toutes les contraintes répressives. 

Les origines du trafic de cocaïne transitant par l’Afrique de l’Ouest

La première utilisation de l’Afrique de l’Ouest comme plaque tournante du trafic de drogue remonte aux années 50 par des trafiquants libanais impliqués dans la contrebande d’héroïne vers les Etats-Unis. Servant d’abord de passeurs aux narcotrafiquants libanais, les mafias nigérianes ont pris le contrôle d’une partie du transport de l’héroïne dans les années 80 en se fournissant directement en Inde, au Pakistan et en Thaïlande. Rapidement, elles ont noué des liens avec les organisations criminelles asiatiques du Triangle d’or et les triades chinoises. Ainsi, elles se sont affirmés dans le trafic d’héroïne. En 1994 par exemple, 30% des saisies d’héroïne aux Etats-Unis concernaient des mules contrôlées par des trafiquants nigérians.

Plus tôt, dans les années 60, des trafiquants nigérians et ghanéens entreprirent l’exportation de marijuana vers l’Europe pour satisfaire la demande inhérente au mouvement hippie. Ce trafic, a priori mineur, a alors ouvert la voie à un marché narcotique de plus grande échelle dans les années 80 et représentait une voie de passage supplémentaire à exploiter.

Dans les années 80, après cinq siècles de colonisation et à l’époque où les derniers pays ouest-africains célébraient leur indépendance, l’Afrique de l’Ouest était plongée dans des conflits politiques, militaires et managériaux ; elle a alors éprouvé une forte crise économique. Pour se sortir de cette impasse, la plupart des pays[1] ont été contraints d’emprunter au Fonds monétaire international et à la Banque Mondiale qui mirent en place une procédure de libéralisation économique connue sous le nom d’ajustement structurel. Ce plan de réajustement a notamment engendré de très fortes restrictions budgétaires, des coupes importantes dans les dépenses publiques et des licenciements d’employés des services publiques. De ce fait, la population s’est vue engouffrée dans de très sévères difficultés financières, recherchant, pour survivre, la formation de capital parfois par tous les moyens, même illégaux. Cette période coïncide avec l’expansion des réseaux nigérians dans le trafic d’héroïne et l’implication progressive de ces derniers dans l’importation, d’abord mineure et individuelle, de cocaïne.

En plus de la diaspora africaine héritée de la colonisation et de la traite internationale d’esclaves noirs, s'en est suivi, au milieu des années 80, une diaspora nigériane autant sur le continent africain qu’en Amérique latine[2]. À l’aune de la migration internationale inhérente à la mondialisation, des marchés tant licites qu’illicites ont bénéficié de conditions favorables à leur développement. En effet, les principes de la libre-circulation et du libre-échange ont, par ailleurs, suscité de nouvelles opportunités criminelles que les réseaux nigérians ont su saisir l'intérêt.

Jusqu’au début des années 90, la Bolivie et le Pérou étaient les premiers cultivateurs mondiaux de feuilles de coca. Les narcotrafiquants colombiens s’y approvisionnaient pour fabriquer la cocaïne dans le but de la revendre principalement aux Etats-Unis. Or, au début des années 90, les Etats-Unis ont mis en place l’opération Air Bridge Denial pour couper la route de cet approvisionnement. Ce resserrement répressif a provoqué un « effet ballon » inattendu, poussant les narcotrafiquants colombiens à développer et augmenter leurs propres cultures. En même temps, les Etats-Unis et les pays ouest-européens avaient renforcé les contrôles dans leurs ports maritimes et leurs aéroports, parvenant ainsi à mener de multiples interceptions couronnées de succès. En conséquence, le trafic devenait de plus en plus risqué, pour les narcotrafiquants inter continentaux, notamment le long des routes traditionnelles qui passaient par le Golf Caribéen en direction des Etats-Unis et de l’Europe.

À la fin des années 90, en plus du renforcement sécuritaire sur les routes principales d’acheminement, le marché américain de la cocaïne a connu non seulement un monopole détenu par les cartels mexicains, mais aussi une saturation liée à une baisse de la demande. Vraisemblablement pour ces deux raisons, les narcotrafiquants, pour la plupart colombiens, ont effectué le calcul coût-bénéfice de diversifier les routes et de se tourner vers l’Europe où, contrairement aux Etats-Unis, la demande était en augmentation, y compris en Suisse. En effet, la fin du conflit entre le Kosovo et la Serbie ainsi que la situation de guerre en Afghanistan coïncident à une réelle pénurie d'héroïne dès 1999, créant la demande pour une autre substance, la cocaïne. Pendant ce temps, les réseaux nigérians avaient poursuivi leur approvisionnement en cocaïne en Amérique du Sud, établissant de solides contacts avec les trafiquants de ce continent. Les trafiquants nigérians y étaient reconnus pour leur polyvalence en matière de trafic ainsi que pour leur habileté à évoluer, innover et se sophistiquer. 

Les avantages de l’Afrique de l’Ouest

Au début des années 2000, le transit de la cocaïne par l’Afrique de l’Ouest s’est donc vite imposé comme une solution idéale aux yeux des narcotrafiquants colombiens. En plus des liens préexistants avec les réseaux nigérians, plusieurs facteurs exogènes et endogènes ont fait de l'Ouest du continent africain un point de passage qui rend le trafic moins coûteux, mais également bien moins risqué.

  • La situation géographique de l’Afrique de l’Ouest et les circuits de cette région

Eu égard à sa proximité entre les zones de production (Colombie, Bolivie et Pérou) et les marchés finaux (Europe de l’Ouest), le continent ouest-africain permet un certain partage du risque. En effet, il appartient aux trafiquants colombiens de quitter l’Amérique latine et de traverser l’Atlantique Sud pour acheminer, puis stocker la poudre blanche en Afrique de l’Ouest. Ensuite, des partenaires locaux ouest-africains s’occupent en partie de la suite du voyage. De plus, pour les narcotrafiquants colombiens, la route entre le sous-continent américain et l’Afrique est plus courte qu’entre l’Amérique du Sud et l’Europe. Par ailleurs, la zone atlantique-sud était réputée, à l’époque, moins surveillée qu’au Nord, où les autorités connaissaient les routes habituellement empruntées et s'engageaient dans la lutte active. Il en allait de même pour la seconde partie du transfert jusqu’en Europe, puisque les organes de contrôle ne suspectaient pas encore l’Afrique de l’Ouest d’être une plaque tournante montante du trafic de cocaïne.

Forte d’expériences et de circuits forgés par le commerce et le trafic de cannabis, de diamants, d’huile, d’or, de tabac ou encore d’alcool, l’Afrique de l’Ouest détient un puissant potentiel en vue de réaliser une contrebande diversifiée. Cela dit, cet état de fait ne serait pas aussi évident sans deux autres facteurs qui font de cette partie du continent africain un point de passage plus qu’avantageux.

  • Faiblesses structurelles des économies africaines

Suite au plan de réajustement structurel du FMI dans les années 80, les restrictions budgétaires y relatives ont engendré un taux de chômage sans précédent, une disparité importante entre les couches sociales et une répartition inégale des revenus et des richesses. L’Afrique de l’Ouest, paupérisée et fragilisée par l’époque coloniale, s’est vue affaiblie une fois de plus et recalée au plan de continent implicitement dépendant. Les faibles opportunités d’emploi et d’éducation ainsi que la déflation des prix des matières premières l’ont empêchée de réaliser un véritable et solide tissu industriel et économique. Ainsi et comme une fatalité, la conscientisation des avantages du commerce de biens illégaux constitue le corollaire d’une économie déficiente. Dès lors, cette situation a favorisé le développement ou l’expansion d’organisations criminelles et a constitué un terrain fertile pour la corruption réalisée à moindre coût par les narcotrafiquants colombiens, notamment auprès d’une population appauvrie.

  • Instabilité, vulnérabilité et fragilité de l’Etat

L’entreposage et la diffusion de la cocaïne au niveau local[1] et européen profitent aux autorités africaines souvent régies par la corruption. Pour preuve, les pays d’Afrique de l’Ouest sont mal cotés en matière de gouvernance[2] et rencontrent de multiples conflits liés aux inégalités sociales. La porosité des frontières en est le résultat et facilite largement le transit de la marchandise sur le continent africain. Cette fragilité gouvernementale entrave, en plus du développement économique des pays, l’accès à la santé et à l’éducation et permet l’infiltration de l’appareil étatique par les narcotrafiquants.

En résumé, l’instabilité politique et sociale ainsi que la faiblesse économique ont créé une carence généralisée. Elle se traduit par un environnement permissif pour le narcotrafic et fait de la contrebande une solution avantageuse pour une population en détresse. En sus, l’influence des règles coloniales a toujours orienté l’économie africaine vers ses colonisateurs occidentaux et a engendré une sorte de « diaspora idéologique » largement révélée dans les mentalités ouest-africaines.

Les protagonistes et la structure du trafic de cocaïne

Il y a trois structures complémentaires en interaction présentes dans l'organisation du trafic de cocaïne dirigé par les mafias d'Afrique de l'Ouest :

a) Les opérateurs étrangers

Issus principalement de Colombie[5], les opérateurs africains en Amérique du Sud – dont une partie s’est relocalisée en Afrique de l’Ouest dans le but d’intégrer verticalement le trafic – sont présents dans les pays producteurs. À ce jour, la cocaïne est transportée en gros, principalement par paquebot. Elle quitte la Colombie et passe par le Brésil ou le Venezuela pour rejoindre les côtes ouest-africaines par voie maritime ou aérienne.

b) Les réseaux criminels ouest-africains : un relai local bien établi

Les réseaux criminels ouest-africains, principalement nigérians et ghanéens[6], ont entretenu des liens avec les trafiquants sud-américains depuis les années 80 – époque à laquelle ils venaient s’approvisionner en cocaïne. Aujourd’hui et suite au resserrement répressif qui vise la Colombie, les deux organisations montrent une convergence d’intérêts et de profits encourageant leur collaboration. Les premiers fournissent le soutien logistique nécessaire aux seconds (locaux, entreposage, impunité) souvent sous le couvert de sociétés légales (ex. entreprise d’import-export, projet de développement, pêcheries, conserveries). Par la suite, les trafiquants nigérians font parvenir la poudre blanche en Europe selon un système réticulaire, cloisonné et adocratique, dissécable en quatre strates:

  • Les barons détiennent les capitaux pour financer l’achat de cocaïne et les opérations de diffusion. Ils ont de bons contacts avec les pays producteurs en raison de leur expérience avérée et reconnue dans le trafic.
  • Les attaquants sont des experts logistiques indépendants travaillant pour plusieurs barons. Ils savent exactement qui engager en fonction des opérations. Leur tâche principale consiste à recruter les mules et à les accompagner au point de départ vers l’Europe. Le contrat est conclu sous forme de serment religieux ou de pacte mystique.
  • Les mules ont généralement un besoin désespéré d’argent et sont, elles-aussi, indépendantes – pouvant travailler pour plusieurs attaquants. Elles transportent la cocaïne en Europe et leur taux d’arrestation est très élevé. Les mules sont de plus en plus européennes en raison des soupçons actuels à l’égard des ouest-africains. Généralement célibataires, 90% d’entre-elles sont des hommes entre 20 et 45 ans.
  • Finalement, les revendeurs de rue sont en bout de chaîne, essentiellement requérants d'asile ou frappés d'une "non entrée en matière", au statut extrêmement précaire, à la merci de ceux qui les ravitaillent, ils sont fortement impliqués et actifs dans les scènes ouvertes de la vente cocaïne, la partie visible de l'iceberg. En outre, les immigrants en situation de séjour illégal sont dans l’impossibilité de trouver un emploi et sont souvent contraints de s’adonner à une activité illégale, celle de la vente de cocaïne étant devenue routinière, bien rodées et, surtout, la plus lucrative. De ce fait, ces derniers tendent à être engagés à ce niveau le plus exposé et risqué de la répression pénale de la distribution illégale de cocaïne. Pour minimiser ces risques, ils ne transportent que de petites quantités de cocaïne (généralement trop faibles pour être maintenus en détention ou risquer une peine ferme), sous la forme de boulettes de 0.2 grammes à 0.5 grammes, et se réapprovisionnent après quelques transactions. Interrogés par L’Hebdo (Rumley & Saas, 2012), deux revendeurs de rue ont confié avoir appris le trafic en arrivant en Suisse dans les centres de requérants d’asile qu’ils appellent dorénavant « l’école du deal ».

c) Les fournisseurs indépendants implantés en Europe

Les fournisseurs indépendants implantés en Europe disposent généralement d’un permis de résidence et entreposent la marchandise dans des appartements. Leur rôle consiste à accueillir puis décharger les mules et réapprovisionner les revendeurs de rue, souvent avec des intermédiaires afin de minimiser leurs propres risques.

En résumé, force est de constater qu’il s’agit de petites organisations indépendantes et réticulaires plutôt que pyramidales. L’indépendance de chaque strate permet aux individus de multiplier les collaborations et les partenariats, brouillant ainsi massivement les pistes répressives. En définitive, les strates ne possèdent que peu d’informations les unes vis-à-vis des autres, d’autant plus lorsqu’elles exercent au niveau du marché local. De cette façon, il est possible de retirer et remettre facilement des individus dans le réseau, de remplacer chacun des acteurs inquiété par les forces de police. Ã noter ici que la culture joue un rôle crucial dans l'organisation du trafic africain de l'Ouest: l’importance de la confiance, de la famille, de la loyauté, de la magie et des liens ethniques représente l’essence-même du fonctionnement imbriqué de ces organisations pourtant indépendantes. Il convient donc d’ajouter une dernière rubrique propre aux protagonistes ouest-africains du trafic de cocaïne, à savoir les mentalités diasporiques.

d) Les mentalités diasporiques ouest-africaines

Les pays ouest-africains, molestés par le colonialisme, tendent à tenir l’Ouest responsable de leur déclin économique et de leur situation précaire. Dans des interviews menées auprès de trafiquants ouest-africains, les perceptions de ces derniers face à leur activité a souvent été mise à nu. Ils définissent le trafic illégal comme un moyen de réduire l’inégalité de la répartition des richesses de l’économie mondiale et africaine et de « redistribuer les richesses de ceux qui les leur ont volées »[7]. Aux yeux des trafiquants, ce type de criminalité n’est pas grave, mais il représente plutôt et simplement une solution pour subvenir aux besoins de la famille et des proches. La drogue est considérée comme un produit de luxe consommé par les pays riches. De plus, les trafiquants relèvent que les transactions s’opèrent par le biais d’un accord mutuel volontaire entre l’acheteur et le vendeur. Ainsi, la façon dont les trafiquants perçoivent le marché noir (comme une réappropriation du marché mondial) peut être assimilée à un processus de neutralisation ainsi qu’aux conséquences d’une période coloniale brutalisante, jugée injuste.


[1] Notamment le Bénin, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Mali, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, le Niger, le Sénégal, et le Togo.

[2] Elle est particulièrement présente en Afrique du Sud, pays marqué par le trafic d’héroïne, d’armes, de pierres et d’ivoire, mais aussi en Amérique latine où les nigérians s’établissent au Pérou, au Venezuela, au Brésil et en Equateur, pays qui, au même titre que la Colombie, sont producteurs de cocaïne.

[3] Selon deux rapports de l'UNODC (2009 ; 2013), la consommation locale de cocaïne en Afrique de l’Ouest est en augmentation.

[4] La gouvernance comprend la participation politique et la stabilité, l'efficacité et la responsabilité du gouvernement ainsi que le contrôle de la corruption et de la qualité de la réglementation.

[5] Mais aussi du Venezuela, du Brésil et du Mexique.

[6] Appuyés par le recrutement de partenaires issus de Sierra Leone, Guinée, Guinée-Bissau, Côte d’Ivoire, Gambie, Mauritanie, du Sénégal, Togo, Libéria et Bénin.

[7] Traduit de l’anglais : « …in order to redistribute wealth back from those who have stolen it. »

 

Le QUIZ sécuritaire 2015 de l’été: le Risque Jeunes!

C'est l'été, le temps de s'ennuyer sur les plages, donc de profiter de lire et de se cultiver intellectuellement, autant que faire se peut, ou de se stimuler. Je propose donc un QUIZ, comme pratiquement tous les journaux people en offre un et qui nous permettra d'assouvir le vœu pieux de savoir qui nous sommes, quels sont nos croyances et nos représentations, dans pratiquement tous les domaines et de manière ludique. Ici, le QUIZ sera dédié à votre représentation des jeunes en matière de criminalité et de comportements, bien sûr, mais aussi sur ce qu'ils pensent ou revendiquent. Nous les jugeons souvent à l'emporte-pièce, mais les connaissons-nous vraiment? Pour le savoir, une seule solution: il suffit de répondre aux questions ci-dessous, de comptabiliser les points et de découvrir votre profil en l'an 2015. Attention, vous faites face aux derniers résultats criminologiques en la matière publiés en 2015 (Dr Denis Ribeaud de Zurich / Dre Sonia Lucia de Vaud) ainsi qu'aux résultats du sondage réalisé en 2014 auprès des 17 ans par la Commission fédérale pour l'enfance et la jeunesse.

(une seule réponse possible)

Q-1.      Entre 2009 et 2015, les statistiques de police montrent que l'évolution du nombre de délits commis par les mineurs… 

A. est stable, ni plus ni moins;

B. est toujours en augmentation, année après année;

C. est à nuancer, parce que les délits contre le patrimoine diminuent et les délits de violence explosent;

D. est réjouissante parce que quasi toutes les catégories de délits ont diminué de moitié.

 

Q-2.      Selon les dernières données criminologiques de 2015, les 15 – 16 ans… 

A. ont commis deux fois plus de vols en 2014 qu'il y a 10 ans;

B. ont commis plus de deux fois moins de violences qu'il y a 10 ans;

C. ont surtout fait exploser les actes de vandalisme et le nombre de graffiti par rapport à il y a 10 ans;

D. ont commis cinq fois moins de violences sexuelles qu'il y a 10 ans.

 

Q-3.       Selon les dernières données criminologiques de 2015, les 15 – 16 ans…       

A. de Lausanne sont plus victimes de lésions corporelles que ceux de Zurich (de la part d'adultes comme de mineurs);

B. sont beaucoup moins victimes de vols avec violence et de racket, à Lausanne, en 2014 par rapport à 2004 (de la part d'adultes comme de mineurs); 

C. de Lausanne sont plus victimes de violence sexuelle, en 2014, que ceux de Zurich (de la part d'adultes comme de mineurs);

D. sont de plus en plus victimes de violence sexuelles à Lausanne, mais pas à Zurich (de la part d'adultes comme de mineurs).

 

Q-4.       Selon les dernières données criminologiques de 2015, les 15 – 16 ans… 

A. les jeunes lausannois et zurichois consomment toujours plus de tabac;

B. la consommation de cannabis par les jeunes lausannois a diminué de plus de 40% en 10 ans;

C. la consommation de cannabis augmente tant chez les jeunes lausannois que chez les jeunes zurichois;

D. les jeunes lausannois fument moins de tabac et de cannabis, mais boivent plus qu'il y a dix ans.

 

Q-5.      Selon les conclusions des dernières données criminologiques de 2015…

A. les jeunes lausannois et zurichois sont toujours moins nombreux à penser "Un vrai homme doit être prêt à frapper quand quelqu’un dit du mal de sa famille";

B. les violences commises par les jeunes lausannois et zurichois sont très fortement corrélées à leur milieu et à leur situation sociale (niveau socio-économique, niveau de formation           des parents, contexte migratoire);

C. la violence exercée par les parents envers leurs enfants constitue le facteur de risque principal des violences commises par les jeunes lausannois et zurichois;

D. les facteurs en lien avec l’éducation sont fortement associés à la violence des jeunes lausannois et zurichois.

 

Q-6.       Selon les conclusions des dernières données criminologiques de 2015…

A. les jeunes sont beaucoup plus présents dans l'espace publique;

B. on observe une évolution incohérente par rapport à la consommation de substances et à l’adhésion à des groupes violents;

C. les facteurs tels que le climat scolaire, la motivation scolaire, l'école buissonnière sont des facteurs fortement à risque;

D. il y a une forte augmentation de la consommation problématique de médias (violence, pornographie, jeux vidéo violents).

 

Q-7.       Vous pensez que si les jeunes qui ont 18 ans en 2015 devaient voter:

A. ils accepteraient à une courte majorité l'adhésion de la Suisse à l'Europe;

B. ils accepteraient à plus de 60% la dépénalisation du cannabis;

C. ils refuseraient à une courte majorité le principe de l'éduction sexuelle à l'école; 

D. ils seraient plus de 60% à penser que les citoyens de l'UE doivent être libres de travailler en Suisse et de s'y installer.

 

Q-8.       Vous pensez que les jeunes qui ont 18 ans en 2015…

A. n'ont pas d'intérêt pour la politique;

B. veulent apprendre l'hymne national à l'école à une forte majorité;

C. sont très confiants quant à l'obtention de la formation professionnelle de leur choix;

D. sont modernes et ils ne sont plus que 5% à se projeter dans le modèle familial traditionnel (homme au travail et femme à la maison).

 

Q-9.       Vous pensez que parmi les jeunes qui ont 18 ans en 2015…

A. il existe encore dans notre pays un fort Röchtigraben entre les jeunes vivant en Suisse alémanique et ceux qui vivent en Romandie;

B. il apparaît un Polentagraben entre le Tessin et le reste de la Suisse;

C. ceux qui n'ont pas la nationalité suisse pensent très différemment des nationaux;

D. une grande partie n'est pas du tout en accord avec les idées de leurs parents.

 

Q-10.     Vous pensez que parmi les jeunes qui ont 18 ans en 2015…

A. l'immense majorité veut une Suisse qui offre les mêmes chances aux Suisses et aux étrangers;

B. les Suisses alémaniques sont beaucoup moins ouverts que les Suisses romands à l'idée d'une Suisse qui offre les mêmes chances aux Suisses et aux étrangers;

C. les tessinois sont les moins ouverts à l'idée d'une Suisse qui offre les mêmes chances aux Suisses et aux étrangers;

D. plus de 60% pensent qu'il faut être né en Suisse pour pouvoir obtenir la nationalité suisse.

 

Votre profil:

0 à 20 points: Votre perception des jeunes est totalement à l'Ouest et vous ne connaissez pas les jeunes. Vous n'avez aucune confiance en eux. Vous vivez certainement dans un état d'angoisse qui peut nuire gravement à votre santé, vous succombez aveuglément aux préjugés et vous contribuez à détériorer le sentiment de bien-être autour de vous. Conseils: documentez-vous, lisez les résultats du sondage zuriichois et ceux du sondage suisse des 17 ans, sevrez-vous de la télévision durant un mois au moins, fréquentez des jeunes et vous verrez qu'ils sont bien plus responsables et moins dangereux que vous ne l'imaginez.

30 à 50 points: Attention, votre niveau de confiance en les jeunes est en crise à tel point qu'il montre des signes inquiétants. Vous êtes sur le point de sombrer dans le pessimisme, pire le défaitisme, et de voir le mal partout. Il vous faut consacrer du temps à bien réfléchir aux valeurs auxquelles vous croyez et voulez défendre. Documentez-vous, ne croyez pas que les articles de la presse à sensation sont emblématiques de la jeunesse, ne succombez pas aux discours de certains politiciens qui utilisent les jeunes pour faire de l'électorat. Lorsqu'il y a aura des votations sur des objets concernant les jeunes, n'oubliez jamais le jour où vous avez testé ce quiz.

60 à 80 points: Vous êtes normal(e). Votre niveau de confiance en la jeunesse n'est pas encore altéré. Vous avez une certaine clairvoyance relative à la jeunesse et vous savez ne pas faire des généralités face aux assauts des faits divers qui mettent en scène les jeunes, mais vous devez quand même rester    vigilent(e) pour ne pas croire à tort que tout fout le camp dans notre société et que les valeurs auxquelles vous croyez vont disparaître sous peu. Gardez confiance! Allez vers les jeunes, ils vous le rendront bien.

90 à 100 points: Bravo, vous vivez dans le vrai monde, vos valeurs et vos représentations sont intactes et en parfaite adéquation avec ce que l'on sait des jeunes. Peut-être êtes-vous souvent en contact avec eux ou même un(e) professionnel(le) du domaine? En tous les cas, continuez, persistez et persuadez tout le monde autour de vous que vos idées sont les bonnes. Vos intuitions sont merveilleuses, la société a besoin de vous, investissez-vous de suite au profit des jeunes, ils ont également besoin de vous! Merci!

 

Réponses et points:

Q1: A=0, non, B=0, non, C=0, non, D=10 oui, les délits de violence et contre le patrimoine ont diminué de moitié en 5 ans et les délits à caractère sexuel sont stables.

Q2: A=0, -32%; B=10, -59%; C=0, -56%; D=0, -23%.

Q3: A=0, LS=9.4%.2% et ZH=15.0%; B=10, LS=-40%% et ZH=-34%; C=0, LS=5.5% et ZH=3.9%; D=0, LS=39.3 et ZH=41%.

Q4: A=0, LS=-24% et ZH=-20% en dix ans, -40% par rapport à 1999; B=10, LS=-46%, C=0, LS=-46% et ZH=+28%; D=0, LS=-61% pour l'alcool.

Q5: A=0, c'est l'inverse; B=0, c'est l'inverse; C=10, oui; D=0, c'est l'inverse.

Q6: A=0, c'est le contraire; B=0, c'est le contraire; C=0, c'est le contraire, D=10, oui.

Q7: A=0, ils refuseraient à 77%, B=0, ils refuseraient à 49%; C=0, ils accepteraient à 59%; D=10, ils accepteraient à 61%.

Q8: A=0, ils ne sont que 12% à ne pas être intéressés; B=0, 31% serait d'accord d'apprendre l'hymne national à l'école; C=10, oui, à plus de 91%; D=0, non ,ils sont encore 22%.

Q9: A=0, non; B=10, oui, C=0, non; D=0, non.

Q10: A=0, non, seul un tiers approuve; B=0, non, 53% des Suisses alémaniques approuvent contre 43% des Suisses romands; C=10, oui, les tessinois qui plébiscitent la préférence             nationale sont deux fois plus nombreux que dans le reste du pays, 37%; D=0, non, ils sont 33% à penser que c'est très important ou important.


 

La délinquance des jeunes s’effondre

Le 21 mai 2015, le Dr. Denis Ribeaud[1] et la Dr. Sonia Lucia[2] ont présenté, lors de la Conférence nationale "Jeunes et violence" à Lugano, les premiers résultats des sondages qu'ils ont réalisés respectivement à Zurich et à Lausanne, en 2014, auprès des jeunes âgés de 15 ans. Les résultats sont spectaculaires, vraisemblablement à contre-courant de l'opinion dominante, il y a un effondrement indéniable de la délinquance des jeunes. Ces sondages ne sont pas contestables, contrairement aux statistiques policières de la criminalité auxquelles certains aiment à entamer la fiabilité à cause du "chiffre noir" et à politiser le débat sur la sécurité, ils reflètent l'image la plus nette de la réalité qu'ont vécue victimes ou auteurs de délits et des comportements des jeunes, la meilleure approximation dont on peut rêver lorsque l'on s'intéresse à ce thème.

A Zurich, il est même possible de suivre l'évolution depuis 1999 (date du premier sondage réalisé par Manuel Eisner et Denis Ribeaud), en 2007 et maintenant en 2014. Le nombre de victimes de violence a diminué de manière très significative: alors que le taux de prévalence (30 derniers mois) était de 27% en 1999, de 25% en 2007, pour les délits de violence, il a passé à 16.3% en 2014, soit une diminution de 35%. Pour les lésions corporelles, il passe de 13.5% en 1999 à 14% en 2007 et 8.6% en 2014 (-23%), les vols avec violence/racket passent de 16.5% en 1999 à 15.6% en 2007 et 10.2% en 2014 (-34%); même la victimisation de la violence sexuelle recule de 50%, passant de 10% en 1999 à en-dessous de la barre des 5% en 2014.

Et on ne peut pas reprocher à ces tendances d'être spécifiques à Zurich, car les résultats sont semblables à Lausanne, le taux de victimisation de lésions corporelles passant de 13.1% en 2004 à 9.4% en 2014 (-28%), celui des vols avec violence/racket de 14.1% à 8.5% (-40%). Seules les violences sexuelles montrent une très légère augmentation de 5.1% à 5.5% (différence statistiquement non significative).

En ce qui concerne le passage à l'acte (délinquance auto-reportée) et donc le taux d'auteurs de délits, la diminution est spectaculaire pour les comportements violents (prévalence des 12 derniers mois, lésions corporelles, gravement importuner quelqu'un, brigandage, menace avec une arme, etc.): la part des auteurs s'effondre de moitié et même plus (18.8% en 1999, 17.7% en 2007 et 9.3% en 2014 à Zurich, -50%, et de 17.8% en 2004 à 7.3% en 2014 à Lausanne, -59%). Mais, ce n'est pas tout, les auteurs de vols ont passé de 44.6% en 1999 à 27.7% en 2014 à Zurich (-38%) et de 34.1% en 2004 à 23.2% à Lausanne (-32%), le vandalisme de 20.5% en 1999 à 11.8% en 2014 à Zurich (-42%) et de 17.8% en 2004 à 7.3% en 2014 à Lausanne (-56%). Même les auteurs de vols à l'étalage dans les commerces ont passé, à Zurich, de 34.7% en 1999 à 22.0% en 2007 et 14.1% en 2014 (-59%).

Dernières bonnes nouvelles, la consommation hebdomadaire d'alcool, de tabac et de cannabis a diminué dans tous les domaines: pour l'alcool, elle passe de 10.8% en 1999 à 9.8% à Zurich (-24%) et de 18.4% à 7.2% à Lausanne (-61%); pour le tabac, de 27% en 1999 à 15.7% en 2014 à Zurich (-41%) et de 18% en 2004 à 13.8% en 2014 à Lausanne (-23%); pour le cannabis, 10.3% en 1999 à 8.7% en 2014 à Zurich (-15.5%) et de 9.3% en 2004 à 5.0% en 2014 à Lausanne (-46%). Indéniablement, les jeunes veulent vivre plus sainement, c'est réjouissant.

Actuellement, tout le monde se demande quelles sont les raisons de ces changements singuliers. Mais la compréhension de cette évolution est complexe, vraisemblablement multivariée, et surtout encore non étudiée. Osons croire que le fait que les jeunes passent moins de temps dans l'espace public qu'il y a 15 ans, qu'ils l'investissent en contre partie beaucoup dans le cyberespace, qu'ils consomment moins de psychotropes, sont des facteurs explicatifs convaincants. Persuadons-nous aussi que la multiplication des programmes de prévention en tous genres, ces dix à quinze dernières années, a contribué à ce processus d'amélioration très marqué, de même que les progrès réalisés en matière d'aide aux victimes ou encore la création d'une multitude d'intermédiaires psycho-sociaux dans la résolution de conflits et de problèmes. Imaginons peut-être également quelques instants que le travail préventif en réseau et en partenariat de la police, notamment avec les milieux scolaires et les acteurs sociaux, est susceptible de porter quelques fruits.  Mais personne ne sait expliquer rationellement et objectivement ces changements. Seule certitude, celles et ceux qui hurlaient que l'immigration et la mutation de notre société vers la multiculturalité étaient les causes de tous les problèmes se sont trompés sur toute la ligne.

 

 


[1] Unité de recherche criminologique de la Chaire de sociologie, D-GESS, ETH Zurich

[2] Institut universitaire de médecine sociale et préventive (IUMSP), CHUV-UNIL

 

La criminalité continue de diminuer en Suisse

Lundi 23 mars 2015, la statistique policière suisse de la criminalité 2014 a été livrée au public: un vent d'optimisme y règne, à mesure que pratiquement tous les indicateurs sont au vert, mais aussi parce que de nouveaux records encourageants y fleurissent.

Première bonne nouvelle, les homicides intentionnels réalisés (le crime le plus grave de notre Code pénal) sont au nombre de 41, soit le niveau le plus bas depuis la création de la statistique policière de la criminalité en 1982, un premier record historique en Suisse (le taux d'homicide est de 0.5 pour 100'000 habitants en Suisse, contre environ 0.8 à 1.0 en Allemagne ou au Pays-Bas, 1.2 en France, en Espagne ou en Italie, 1.9 en Belgique, 2.4 en Finlande). Et, encore mieux, les tentatives d'homicide sont au nombre de 132, soit également et logiquement le niveau le plus bas que la Suisse ait connu depuis qu'elle comptabilise le crime.[1] Ainsi, retenons que le nombre d'homicides réalisés, donc ayant entraîné le décès de la victime, a évolué de la manière suivante: une moyenne de 84 entre les années 1982-1991, de 85 entre 1992-2001, de 68 entre 2002-2008, de 50 entre 2009-2011, 45 en 2012, 58 en 2013 et 41 en 2014.  La diminution du phénomène est donc en fait de l'ordre de -30 à -50%! Autre paramètre réjouissant: les homicides intentionnel (y compris les tentatives) commis avec une arme à feu n'ont jamais été aussi bas qu'en 2014 (18), ce depuis 1982 (moyenne 1982-2013: 60). Seul bémol, le nombre de lésions corporelles graves commises avec une arme à feu (44) est 4 fois supérieur à celui de l'année 2013, laissant penser que, parmi les victimes, certaines d'entre elles auraient pu perdre la vie. Néanmoins, nous devons en conclure que nous nous trouvons à un niveau de meurtre inférieur à celui des années nonante, ce malgré tout ce que l'on peut penser de notre vulnérabilité due à la modernité, à la chute du mur de Berlin, à l'islamisme fondamentaliste d'Al Quaïda ou de Daesh, au traumatisme helvético-helvétique de la définition de l'espace Schengen et de sa libre-circulation, à la nouvelle mobilité ou à la globalisation. Décidément, le discours politique sécuritaire, toujours très populiste, est bien éloigné de la réalité.

Outre les homicides intentionnels et de manière générale, on observe que le volume total de criminalité a diminué lorsque l'on considère 2014 par rapport à 2013 (-9%), et même de manière encore plus marquée par rapport à 2012 (-14%),  tant et si bien que nous nous trouvons en 2014 en-dessous du niveau 2010. Si l'on pénètre dans le détail des infractions, on peut voir que les délits de violence ont diminué pour la 5ième année consécutive (-14% depuis 2010). Nous vivons donc dans une société qui tend à moins de violence contrairement à ce que presque tout le monde pense et croit. A noter que les brigandages ont aussi diminué de manière significative par rapport à 2010 (-17%) et même très significativement par rapport à 2012 (-34%). Autre bonne nouvelle, les brigandages commis avec une arme à feu, au nombre de 271 en 2014, sont bien moins nombreux que la moyenne 1982-2013 qui s'élève à 383 (le nombre était même de 416 en 2010 et 551 en 1991); il s'agit donc d'une diminution de 30% par rapport à la moyenne. La sécurité de la Suisse n'est donc pas généralisable aux seules menaces de braquages réalisés par les banlieusards français armés de Kalachnikov profitant de passer une frontière qui n'existe plus pour attaquer nos richesses bijoutières et horlogères.  

Enfin, les infractions au patrimoine diminuent elles aussi: de -2% par rapport à 2010 et -17% par rapport à 2012. Parmi celles-ci, les cambriolages, qui préoccupent beaucoup la population, sont au nombre de 52'338 en 2014, soit 20% en-dessous de la moyenne 1982-2013, et 37% en moins par rapport à l'année record des 32 dernières années, à savoir 1998 avec 83'416 cambriolages. Nous avons donc, en Suisse, 85 cambriolages en moins, par jour, que durant l'année 1998. La situation ne s'est donc pas dégradée dans notre pays, malgré la peur caricaturale des bandes de délinquants roumains, géorgiens, kosovars ou issus du printemps arabe, de Navarre ou d'ailleurs.

Même les mineurs se comportent toujours mieux en matière de délinquance. S'ils représentaient encore, en 2010, 17% du nombre total des auteurs d'infractions au Code pénal dénoncés par les polices suisses, ils ne sont plus que 11.4% en 2014. On ne peut donc même plus en faire un bouc émissaire sécuritaire, ni un programme électoraliste, comme ce fut le cas entre 2007 et 2009.

En conclusion, retenons enfin que l'indice de performance des polices suisses, le taux d'élucidation, a passé le seuil des 30% pour la première fois depuis la création de la statistique policière de la criminalité. Et si nous vivions quand même dans un merveilleux pays…


[1] D'ailleurs et à ce sujet, toutes les prédictions de Mme Marie-Hélène Miauton, dans son pamphlet sécuritaire "Criminalité en Suisse – la vérité en face" (2013, Ed. Favre), sont totalement déjouées et annulées par les résultats 2014, démontrant que l'exploitation conjoncturelle de la sécurité sur un plan politique est difficile et souvent inopportune.

 

Pornografolie

Notre Assemblée fédérale a accepté, en septembre 2013, la mise en œuvre de la convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels, plus communément appelée convention de Lanzarote. Cela semble un progrès, mais il y a un problème! C'est bien, parce que la Suisse s'inscrit ainsi, depuis l'entrée en vigueur en juillet 2014, dans le renforcement de la protection des mineurs en matière de sexualité. Mais il y a un gros hic au niveau de l'application de la nouvelle norme relative à l'application de l'Art. 197 al. 1 et al. 8 du Code pénal suisse parce qu'il ne colle pas à la réalité de terrain que rencontrent les enquêtes judiciaires et parce qu'il expose les enfants de moins de 16 ans à des dénonciations, plutôt qu'à une protection accrue. C'est un peu du délire, les policiers en ragent, je m'explique.

L'Art. 197 concerne la pornographie et réprime dans son alinéa 1 "quiconque offre, montre, rend accessible à une personne de moins de 16 ans ou met à sa disposition des écrits, enregistrements sonores ou visuels, images ou autres objets pornographiques ou des représentations pornographiques". L'alinéa 8 précise que "n'est pas punissable le mineur âgé de 16 ans ou plus qui produit, possède ou consomme, avec le consentement d'un autre mineur âgé de 16 ans ou plus, des objets ou des représentations au sens de l'al. 1 qui les impliquent". Malheureusement, si cet article tente de protéger les mineurs face aux velléités d'exploitation sexuelle ou aux dérives des 16 ans et plus avec les téléphones portables ou Internet, il n'est pas en phase à la réalité de ce que découvrent les enquêteurs de police judiciaire. En effet, depuis l'entrée en vigueur de cet article, la police judiciaire neuchâteloise a enquêté dans le cadre de plusieurs affaires impliquant des mineurs qui se sont filmés avec leurs téléphones portables et se sont échangés leurs films ou photographies dénudés ou en pleine activité sexuelle, entre eux ou avec des adultes. L'affaire devient d'ailleurs communément problématique lorsque les vidéos sont transférées à d'autres camarades à l'insu de celui ou de celle qui les a réalisées, on tombe alors souvent dans une affaire de sexting ou de sextoter.

Or, dans ces affaires, il y a aussi souvent un mineur de moins de 16 ans qui est concerné et, dès lors, les policiers doivent le dénoncer pour infraction de pornographie (en violation de l'Art. 197 du Code pénal suisse), ce qui est insupportable et peut-être même intolérable. Comment expliquer à des parents, dont leur enfant est en quelque sorte "victime" d'une dérive que la technologie permet de réaliser, qu'il  sera dénoncé et fiché dans les dossiers de la police pour "pornographie" parce qu'il est âgé entre 10 et 15 ans, une signature à tout le moins peu honorable qui perdurera durant des années dans les fichiers policiers? Comment le législateur a-t-il raisonné en omettant de protéger les plus vulnérables, les moins de 16 ans, et celles et ceux qui se font le plus facilement manipuler, et donc des victimes à proprement parler? Vraisemblablement par méconnaissance de la réalité de terrain, à n'en pas douter. Les enquêteurs de la police judiciaire spécialisés dans les affaires de mœurs sont en tous les cas plongés dans l'incompréhension, voire révoltés, à chaque fois qu'ils doivent dénoncer pour pornographie un enfant de moins de 16 ans, ou même de 13 ans comme c'est le cas dans une affaire en cours à Neuchâtel. Il s'agit maintenant de corriger cette ineptie!

Si j'écris ces quelques lignes, c'est parce que je suis en train de préparer une campagne de prévention destinée aux parents et relative à la sexualité face aux nouvelles technologies. Et je devrai leur expliquer cette situation inacceptable en insistant sur le fait que leurs enfants de moins de seize ans sont exposés à des poursuites pénales en matière de pornographie, de même que le fardeau de la prévention leur appartient quasi entièrement alors qu'ils ne peuvent qu'ignorer cette nouvelle norme pénale. C'est un peu sec, tout de même! 

Attentat contre Charlie Hebdo: qu’en est-il en Suisse? Analyse de Pascal Luthi, commandant de la police neuchâteloise

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Après le choc de l'attentat perpétré contre Charlie Hebdo, la traque des auteurs aujourd'hui, la Suisse se demandait ce matin quel était le risque d'une propagation de la problématique française en Suisse. A ce sujet, le commandant de la police neuchâteloise, Pascal Luthi, assurément dans le top five des meilleurs connaisseurs du renseignement lié au fondamentalisme et à la sécurité en Suisse, était interviewé par plusieurs médias sur la situation helvétique. Pascal Luthi est aussi depuis plusieurs mois maintenant l'une des locomotives visant à pousser la Suisse à une meilleure gestion du risque lié au terrorisme et au développement d'une stratégie sécuritaire crédible et opérationnelle au niveau national. Voici en quelques points ce qu'il pense de la situation.

Selon Pascal Luthi, il est évidemment délicat et prétentieux de tirer à chaud des enseignements, mais des questions se posent à 3 niveaux:

  1. Le degré de protection des cibles potentiellement exposées ou concrètement menacées.

  2. La capacité de renseignement qui permet de détecter les auteurs potentiels, leurs capacités et leurs intentions, et d'agir en amont pour prévenir ces horreurs.

  3. L'état de préparation et d'équipement des forces de l'ordre pour faire face à de telles attaques.

En cas de menaces concrètes, des mesures de protection peuvent et doivent être mises en place. On a pu voir que c'était le cas depuis plusieurs années pour la rédaction de Charlie hebdo. Mais la réponse à cet attentat n'est pas la bunkerisation de toutes les rédactions – ou de tous les sites emblématiques de notre société démocratique, car cela obligerait à basculer en état de guerre, et c'est précisément ce que recherchent les adversaires, du fait que c'est justement là que nous aurions tout à perdre.

Pascal Luthi pense qu'il est plus efficient (mais peut-être moins spectaculaire) de renforcer la capacité de renseignement pour détecter et arrêter les auteurs potentiels – car, si les cibles peuvent être n'importe où, les auteurs ne sont pas n'importe qui (ils ont un parcours, des contacts, des actes préparatoires, ils laissent forcément de traces).

Mais quand Pascal Luthi considère la détermination, l'armement et l'efficacité des auteurs de l'attentat, il est évident qu'il s'agit aussi, pour la police, d'être prêt à combattre – concrètement – avec des armes, des moyens de protection et des tactiques adaptés. En suisse, en particulier depuis les attentats de Breivik en 2011, les polices ont revu leurs concepts d'engagement et leurs équipements face à ce genre d'adversaires efficacement et lourdement armés.

Sous l'appellation AMOK (tuerie dans les écoles ou autre), une tactique d'engagement commune entre les cantons s'est récemment développée, ainsi que des équipements plus lourds (armes et gilets pare-balle) disponibles dans chaque véhicule d'intervention. Mais la Suisse n'ayant pas une organisation policière nationale, des questions se posent encore sur notre capacité d'alarme, de planification et de conduite au niveau intercantonal et national.

Finalement – et fort heureusement, la Suisse n'est pas la France: le degré d'intégration et de paix sociale qui y règne fait que le risque reste inférieur – mais rien n'est acquis et le climat a malheureusement tendance à se détériorer. Il serait irresponsable de se considérer à l'abri d'une telle violence – comme il est irresponsable de semer la peur et la haine de l'autre.

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Je suis Charlie-polisse

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Je dis toujours qu'il ne faut jamais écrire sous le coup de l'émotion et de la colère, mais je ne peux pas m'en empêcher aujourd'hui, la quintessence de l'horreur ayant été commise tellement proche de chez nous. Et apprendre qu'une partie de la rédaction de Charlie Hebdo a été décimée aussi brutalement, dont les caricaturistes Cabu, Charb, Tignous et Wolinski qui m'ont tellement nourri depuis plusieurs dizaines d'années, ne peut pas me laisser sans voix.

Cette sauvagerie est inacceptable, abjecte, injuste, elle m'attriste profondément, bien sûr, sur un plan humain, mais cet acte terroriste me rappelle tout de suite qu'il ne faut surtout pas céder à l'appel des émotions et se laisser submerger ni par la peur, ni par les désirs de vengeance, ni par les sirènes des amalgames et des stigmatisations. Retenons plutôt que nos héros dessinateurs et journalistes de Charlie Hebdo sont dès aujourd'hui des martyrs de la liberté d'expression, de la liberté de la presse, d'une valeur fondamentale de nos démocraties.

Il faut donc constamment se rappeler que cet attentat n'a intrinsèquement rien à voir avec la religion musulmane. Il y a peut-être quelques dizaines ou quelques centaines de fanatiques qui se réjouissent de cette atrocité en Europe ou dans le monde, contre des dizaines de millions de musulmans qui la désapprouvent totalement. Je sais pourtant déjà que la sagesse ne sera pas respectée et que bien peu attendront les résultats de l'enquête avant de lancer des analyses douteuses, des slogans nauséabondes, des spéculations qui ne valent peut-être rien.

J'ai vu ces vidéos extrêmement choquantes sur les réseaux sociaux et je n'ai rien vu d'autre que deux inconnus, vraisemblablement fanatiques vu ce qu'ils ont hurlé, rompus au maniement des armes, agissant avec un sang-froid incontestable, de la même manière que ceux que l'on peut voir dans d'autres vidéos lors de braquages de fourgons blindés. C'est d'ailleurs la première idée "analytique" qui m'est venue à l'esprit. La seconde pensée a été: "j'espère que le policier abattu est arabophone ou musulman", comme si cela pouvait être une contre onde de choc." Alors, Al-Quaïda ou pas? Seule l'enquête nous apprendra, c'est mon voeu le plus cher, le profil de ces assassins.

Je sais déjà aussi que je vais rêver, cette nuit, que toute la presse européenne, en acte de contestation et de résistance, publiera massivement toutes les caricatures de "Charia hebdo" de novembre 2011, pour que le terrorisme sache qu'il ne terrorisera pas la Liberté et que nous ne céderons jamais.

Et à mes collègues policiers froidement exécutés, je leur dis: Honneur à vous!

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Les violences graves ont clairement diminué en Suisse!

Vendredi dernier, le commandant de la police neuchâteloise, Pascal Luthi, rappelait lors du rapport de ses cadres que le canton de Neuchâtel était en train d'écrire un heureux record: celui de nombre de jours écoulés sans meurtre ni assassinat. Au moment où j'écris ces lignes, on comptabilise 1369 jours d'affilée sans que le moindre homicide intentionnel ne soit commis. Vraisemblablement un record depuis l'entrée du canton dans la Confédération helvétique en 1815, mais il faudrait qu'un historien le vérifie, je vais m'y atteler. Bien sûr, cette situation exceptionnelle aura une fin, quand bien même elle n'est pas anodine. Il n'en demeure pas moins que ce canton connaissait, il y a 25 ans, 4 homicides par année alors qu'il n'en recense, actuellement, que 1 seul tous les 4 ans; cela change donc profondément le paradigme sécuritaire, il est difficile d'en faire le déni. Cette tendance est d'ailleurs également perceptible en Suisse: la violence n'est pas en perpétuelle augmentation, du moins pas dans tous les domaines du crime, et contrairement à ce que la plupart des citoyens et politiciens pensent et ressentent.

Et ce fait mesurable n'est pas facile à accepter, loin s'en faut! Même Mme Marie-Hélène Miauton, dans son pamphlet sécuritaire "Criminalité en Suisse – la vérité en face" (2013, Ed. Favre), essaie de démontrer le contraire, mais de manière erronée ou du moins incorrecte. Car, il est une erreur de présenter l'évolution des homicides aboutis et tentés, additionnés. Il est vrai, comme le présente Mme Miauton, que le nombre d'homicides aboutis et tentés a augmenté ces trente dernières années, passant d'une moyenne 156 entre les années 1982-1991, à 178 entre 1992-2001, à 197 entre 2002-2008, à 235 entre 2009-2011, 229 en 2012 et, j'ajoute, 210 en 2013. Mais, il faut surtout comparer ces chiffres à l'évolution du nombre d'homicides réalisés, donc ayant entraîné le décès de la victime, soit: une moyenne de 84 entre les années 1982-1991, de 85 entre 1992-2001, de 68 entre 2002-2008, de 50 entre 2009-2011, 45 en 2012 et 58 en 2013.  La diminution du phénomène est en fait de l'ordre de -30 à -40%!

Alors, on peut se demander pourquoi le nombre de tentatives d'homicide augmente dans les statistiques policières de la criminalité durant cette période: est-ce le reflet de la réalité ou un changement de pratique dans les dénonciations policières, entendons par-là le fait de qualifier l'infraction plus fréquemment que par le passé, alors même qu'elle ne sera pas ou aura peu de chances d'être retenue par un tribunal? Pour le savoir, il suffit d'aller consulter les statistiques des condamnations de justice et de constater qu'en moyenne 29 condamnations pour tentative d'homicide étaient retenues en justice relatives à une moyenne de 70 dénonciations entre 1982-1991, 45 condamnations pour 83 dénonciations entre 1992-2001, 56 condamnations pour 129 dénonciations entre 2002-2008, 58 condamnations pour 185 dénonciations entre 2009-2012. Autrement dit, depuis l'enregistrement de l'augmentation, à la fin des années 2000, des dénonciations pour tentative d'homicide par les polices suisses, ce sont 70% d'entre elles qui ne sont simplement pas retenues devant les tribunaux, soit une part beaucoup plus forte qu'à l'époque où les dénonciations étaient moins nombreuses. Tiens donc! Un indice suffisant pour que je le vérifie dans les affaires de la police et de la justice neuchâteloises, celle-ci acceptant plus volontiers, au demeurant, la qualification de l'infraction, laissant penser que la sévérité a augmenté avec l'introduction du "nouveau" code de procédure pénale, mais ceci est un tout autre débat qui nécessite d'être un tantinet plus étayé.

Ce que l'on peut retenir de cette démonstration, c'est que l'interprétation des chiffres de la criminalité n'est pas un exercice facile auquel tout le monde peut se livrer sans en maîtriser les savoirs et les connaissances. Mais, s'il faut retenir bien plus que cela, c'est notamment et évidemment qu'il y a moins d'homicides réalisés ces dernières années que par le passé et qu'il s'agit d'un indice majeur laissant penser qu'il y a une diminution de la violence grave dans notre société suisse, à en rendre jaloux l'immense majorité des autres pays. Il faut aussi considérer que le taux d'homicide intentionnel a passé de 1.3 pour 100'000 habitants durant les années 80 à 0.7 pour 100'000 habitants dès la fin des années 2000. Et que sur les 58 homicides réalisés et les 152 tentatives de 2013, 24 homicides réalisés et 44 tentatives se sont déroulés dans le cadre de la violence domestique et non pas dans l'espace public (le taux d'homicide chutant ainsi à 0.42  pour 100'000 habitants). En conclusion intermédiaire, il faut accepter sans émotion que la Suisse compte un taux d'homicide intentionnel 4.5 fois inférieur à celui de l'Europe, 9 fois plus bas qu'en moyenne mondiale et 23 fois plus bas qu'en moyenne américaine! À ce taux-là, d'ailleurs, il y aurait, dans le seul canton de Neuchâtel, à peu près 40 homicides par année. Gageons, au moins, que la sécurité n'aurait pas la même signification dans cette situation et que l'organisation sécuritaire serait profondément modifiée pour faire face à un défi aussi épouvantable.

Dans une perspective similaire, s'il faut se convaincre un peu plus que la violence grave diminue, il n'y a qu'à considérer que le nombre moyen de lésions corporelles graves commises par arme à feu ces cinq dernières années est de 11, soit un taux de 0.13 pour 100'000 habitants, celui des lésions corporelles graves commises avec un couteau étant de 1.18 pour 100'000 habitants. Cela reste extrêmement peu. Et dans la même lignée de cohérence, le nombre de brigandages qualifiés de graves (Art. 140 ch 4 Code pénal suisse, incluant un danger de mort, des lésions corporelles graves ou avec cruauté) a passé de 43 en 2009 à 12 en 1013.  Les brigandages commis avec une arme à feu sont aussi en diminution significative: moyenne de 419 durant les années 1982-1991,  442 entre 1992-2001,  275 entre 2002-2008,  363 entre 2009-2011, 340 en 2012 et 299 en 2013, malgré l'effet des banlieues françaises ou le sentiment d'abandon des frontières dans l'espace Schengen.

Voilà donc l'approximation de la vérité quelque peu rétablie. S'il y avait une augmentation des violences graves, incluant l'utilisation d'une arme à feu ou d'un couteau, alors le nombre de personnes tuées serait assurément en augmentation, mais ce n'est pas le cas, on peut donc s'en réjouir. Et finalement, ce qui me vient à l'esprit au terme de l'écriture de ces quelques lignes d'analyse, c'est que l'on compte, en Suisse et annuellement, entre 1300 et 1400 suicides réalisés, soit environ 25 fois plus qu'il n'y a d'homicides réalisés, une proportion qui nous met devant le miroir d'une autre forme de violence sociale dont la priorité du débat me paraît largement prépondérante.  

Quiz sécuritaire de l’été 2014

Le QUIZ sécuritaire 2014 de l'été

C'est l'été, le temps de s'ennuyer sur les plages, donc de profiter de lire et de se cultiver intellectuellement, autant que faire se peut, ou de se stimuler, oui c'est déjà beaucoup mieux. Je propose donc un QUIZ, comme pratiquement tous les journaux people en offre un et qui nous permettra d'assouvir le vœu pieux de savoir qui nous sommes, quels sont nos croyances et nos représentations, dans pratiquement tous les domaines et de manière ludique. Ici, le QUIZ sera dédié à votre représentation du monde sécuritaire réel dans lequel vous vivez et de l'évolution de la sécurité, notamment lié au sentiment d'insécurité. Répondez aux questions ci-dessous, comptabilisez vos points et découvrez votre profil en l'an 2014.

(une seule réponse possible)

Q-1.               Le risque de mourir d'un homicide volontaire est:

A.    cinq fois moins élevé que de mourir d'un mélanome dû à l'exposition au soleil;

B.    au même niveau que le risque de mourir d'un suicide;

C.   c'est dans la circulation routière que le risque est majeur;

D.   c'est la cirrhose du foie due à la consommation d'alcool qui tue le plus.

Q-2.               Le sentiment d'insécurité:

A.    diminue avec l'âge;

B.    augmente si l'on vote à droite ou à l'extrême droite;

C.   diminue si le degré d'instruction est faible;

D.   augmente linéairement avec l'augmentation de la délinquance des jeurnes.

Q-3.               La construction du sentiment d'insécurité dépend avant tout:  

A.    pour 15%, des transformations sociales dont l'immigration;

B.    pour 30%, du quartier dans lequel on habite;

C.   pour 50%, de l'activité de la police;

D.   pour 60%, de la victimisation (le fait d'avoir été victime).

Q-4.               L'augmentation du sentiment d'insécurité s'explique:

A.    pour plus de 7'% des gens, par l'augmentation de la criminalité en général;

B.    parce que le nombre de cambriolages augmente sans cesse;

C.   parce que les violences sont en perpétuelle augmentation;

D.   parce que les gens manquent de cohésion sociale (connaître ses voisins, par exemple).

            Q-5.               A Neuchâtel, ville d'environ 35'000 habitants, quel pourcentage de la population se sent très ou assez   sécurisé en journée?

A.    moins de 20%;

B.    60%;

C.   40%;

D.   plus de 90%;

Q-6.               A Neuchâtel, ville d'environ 35'000 habitants, quel pourcentage de la population ne se sent pas en sécurité le soir,

A.    80%;

B.    40%;

C.   25%;

D.   moins de 20%.

Q-7.               En Suisse, selon le rapport "Sécurité 2014" de l'EPFZ, la population a le plus confiance en:

A.    les journalistes;

B.    les conseillers fédéraux;

C.   l'armée;

D.   la police.

Q-8.               Selon le dernier sondage national:

A.    Neuchâtel, ville de 35'000 habitants, connaît un sentiment d'insécurité moins grand que Bienne (65'000 hab en agglomération);

B.    Bienne connaît plus de criminalité et donc voit un sentiment supérieur à celui de Neuchâtel;

C.   La ville de Neuchâtel connaît un sentiment d'insécurité plus élevé que celui de Bienne quand bien même sa criminalité est inférieure.

Q-9.               L'Uruguay a dépénalisé la consommation de toutes les drogues illicites en 1974, pensez-vous

A.    que la prévalence de consommation (vie) de cannabis est supérieure en Uruguay à celle de la Suisse;

B.    que la Suisse a une prévalence de consommation de cannabis environ 2x plus forte que celle de l'Uruguay; 

C.   que la Suisse a une prévalence de consommation de cannabis 2x moins forte que celle de l'Uruguay; 

D.   que la Suisse a une prévalence de consommation de cannabis inférieure à celle de l'Uruguay. 

Q-10.            Un citoyen a plus de 30 ans, gagne plus de CHF 7'500.-, a un degré d'instruction UNI-HES-HEP et ressent fortement un sentiment d'insécurité. Est-ce normal?

A.    Oui, bien sûr.

B.    Non, ce n'est pas normal.

C.   Oui, s'il habite à Lausanne.

D.   Oui, parce qu'il met souvent des commentaires aux articles du Matin.

 

Votre profil:

70 à 90 points:              Votre sentiment d'insécurité doit être très élevé. Votre perception de la sécurité est très altérée, votre confiance en la société est en état de crise, vous vivez dans un état d'angoisse qui peut nuire gravement à votre santé, vous succombez aveuglément aux discours sécuritaires et vous contribuez à augmenter les coûts de la sécurité. Conseil: documentez-vous, changez vos lectures quotidiennes et essayez de vous sevrer de la télévision durant un mois au moins. Peut-être, abstenez-vous de voter sur les objets sécuritaires.

 

50 à 60 points:              Attention, votre niveau d'angoisse et votre indice de confiance sont en train de montrer des signes inquiétants et vous êtes en train de développer un sentiment d'insécurité qui peut s'installer durablement et qui est susceptible de diminer votre bien-être, vous pourrir la vie.  Il vous faut consacrer du temps à bien réfléchir aux valeurs auxquelles vous croyez et voulez défendre. Faites le point le plus objectivement possible sur votre sécurité objective et vos conditions de vie. 

 

30 à 50 points:              Vous êtes normal(e). Votre niveau d'angoisse et votre indice de confiance ne sont pas encore altérés. Vous avez une certaine clairvoyance relative à la sécurité objective de votre environnement social. Vous devez être vigilent(e) face aux assauts des faits divers liés à la criminalité pour ne pas croire à tort que vous êtes devenu(e) une cible et changer vos habitudes. Gardez confiance! 

 

0 à 20 points:                Bravo, vous vivez dans le monde sécuritaire réel, vos valeurs et vos représentations sont intactes. Continuez, persistez et persuadez autour de vous. Vous avez souvent raison, vous devez vous obliger à voter sur tous les objets sécuritaires, merci!

 

Réponses et points:

Q1: A=0, environ 300 morts de mélanomes Suisse contre environ 60 morts par homicide volontaire; B=10, environ 1000 suicides par année; C=10, oui environ 300 mort sur les routes; D=10, environ 420 morts de cirrhoses du foie due à l'abus d'alcool;

Q2: A=10, 40% chez les >65 ans; B=0, 43% votent à droite; C=10, 21% (UNI-HES-HEP) et 50& en scolarité obligatoire; D=10, 63% sont persuadés que les jeunes sont responsables de l'augmentation de la délinquance;

Q3: A=0, oui; B=10, non 9%; C=10, non 2%; D=10, non 10%;

Q4: A=10, non il n'y a pas d'augmentation perceptible de la criminalité en ville de Neuchâtel; B=10, non il est en baisse; C=10, non elles sont en baisse; D=0, oui car 53% des gens ressentant de l'insécurité désirent déménager;

Q5: A=10; B=10; C=10; D=0, oui plus de 90% se sentent en sécurité en journée;

Q6: A=10; B=0 oui, plus de 40% ne se sentent pas en sécurité le soir; C=10, D=10;

Q7: A=10, B=10; C=10; D=0, oui la police récolte une note de 7.5/10 alors que les journalistes ont 5.2/10;

Q8: A=10; B=10; C=0, oui et c'est incroyable autant que déraisonnable;

Q9: A=10; B=0, oui la Suisse a une prévalence de 20% contre environ 10% en Uruguay, C=10, D=10;

Q10: A=10; B=0, oui ce serait anormal à plus de 80%; C=10; D=10.

 

Pourquoi l’Uruguay veut-il contrôler le marché du cannabis?

Je suis allé en Uruguay du 04 au 11 mai 2014, avec Jakob Huber, le Directeur de la Fondation Réseau Contact dans le canton de Berne, pour mieux comprendre ce qui s'y passe suite au projet d'adoption d'un modèle de régulation du cannabis par le Parlement. Ce projet intéresse la Suisse à plus d'un titre! Comme je fais partie de la Commission fédérale des questions liées aux drogues (CFLD), une commission ayant pour principal mandat de conseiller le Conseil Fédéral sur la future politique en matière de drogues, et que Jakob Huber est le Président du Groupe d'Experts suisses Formation Dépendances (EWS/GFD), groupe duquel je fais également partie, un groupe opérationnel agissant pour le compte de l'Office Fédéral de la Santé Publique, notre délégation s'inscrivait donc dans la perspective de mieux comprendre les raisons du projet uruguayen, de découvrir les mécanismes mis en place, d'en tirer les éventuels enseignements pour la Suisse, voire de participer au suivi scientifique (monitoring) de la mise en œuvre de ce projet totalement novateur. Durant notre séjour, il y avait aussi le congrès de la RIOD, le Réseau ibéroaméricain des ONG qui travaillent dans la dépendance aux drogues, plus de 90 personnes, toutes aussi fantastiques les unes que les autres, d'Uruguay, de Colombie, d'Argentine, du Mexique, du Pérou, du Chili, de Bolivie, du Vénézuela, du Paraguay, du Brésil, d'Espagne, etc, une émulation extraordinaire pour mieux comprendre les enjeux liés aux drogues, les nécessités de trouver d'autres solutions et de découvrir la sévérité de la problématique dans ces pays. Et nous avons eu la chance de tomber sur une Homme d'Etat hors pair, la cheville ouvrière du projet de contrôle et de régulation du cannabis en Uruguay, actuel Secrétaire général du Conseil National des Drogues. Un homme hors pair parce qu'il se distingue des autres par son humanisme extraordinaire, sa simplicité, sa modestie et sa générosité, son engagement dans l'avenir de son pays et sa détermination à vouloir suivre une voie novatrice en matière de politique des drogues en Uruguay. L'ancrage de l'humanisme de Julio Calzada vient certainement de son travail avec Terre des Hommes, il avait fondé la première école dans le quartier le plus défavorisé de Montevideo où nous avons eu le privilège émouvant de nous rendre en sa compagnie. Il nous livre un entretien exclusif sur le projet uruguayen de régulation du marché du cannabis, nous permettant de mieux comprendre ses spécificités, ses buts, ses risques et ses enjeux. Le voici:

 

INTERVIEW JULIO CALZADA

Secrétaire général de la Junta nacional de drogas (Secrétaire général du Conseil national des drogues)

MONTEVIDEO – mai 2014

____________________________________________________________________________

 

JC = Julio Calzada

JH=Jakob Huber

OG=Olivier Guéniat

 

JH et OG

La Suisse a quelques aspects révolutionnaires en ce qui concerne la politique en matière de drogues. Outre la politique des quatres piliers (prévention, traitement, réduction des risques et répression), nous avons une expérience de prescription d'héroïne en Suisse. Si une personne est dépendante, elle peut recevoir un traitement, mais tout est encore interdit, la consommation, la détention, le transport, la vente, etc.. Nous pouvons dire que tout va assez bien pour nos consommateurs grâce aux services de réduction de risque et aux traitements, mais nous sommes en porte–à-faux avec la réglementation légale au sens stricte du terme. C’est pour cela qu’il existe des initiatives  dans des  villes pour des projets de régulation du cannabis. Nous sommes tous deux dans deux institutions différentes : Oliver Guéniat fait partie de la police et Jakob Huber est le chef d’une organisation importante, Réseau Contact à Bern, qui a fait beaucoup d’innovations en matière de drogues. Nous avons le mandat de l'Office de la Santé Publique de mieux connaître votre démarche dans la mesure où nous faisons tous deux partie d'un Groupe d'experts suisses en formation des dépendances (EWS/GFD) et que Olivier Guéniat fait partie de la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues. Voilà pourquoi nous sommes là.

JC

Posez toutes les questions que vous voulez. Ici, vous avez notre vision des choses. L'Uruguay a dépénalisé la consommation des drogues en 1974. Il nous semble que le problème principal n’est pas dans la consommation, mais qu'il est généré par l’accès interdit et au développement du marché noir. Donc nous sommes convaincus que la consommation est un problème de santé et le marché noir un problème de sécurité et de cohabitation. C’est le problème qu’il y a d'ailleurs actuellement dans le monde, surtout dans les pays où la consommation est pénalisée. S’il y a 230 millions de consommateurs de marijuana dans le monde qui se voient interdire l’accès à leur drogue, cela les pousse irrémédiablement vers le marché noir.

Alors nous disons, nous postulons que quand l’Etat uruguayen pousse nos 150’000 à 200’000 consommateurs vers le marché noir, il viole les droits humains. Parce que l'Etat les oblige alors à avoir des relations violentes avec le monde criminel.

JH et OG

Alors l'aspect principal réside  donc dans le fait que vous dites que les droits humains sont les plus importants. Nous avons une question très importante sur les conventions internationales en matière de stupéfiants: vous dites que les droits humains sont au-dessus de celles-ci. Avez-vous eu des problèmes à ce sujet, avec cette interprétation, au niveau international ?

JC

Oui, des problèmes, nous en avons eus. La politique c’est cela, c'est comme ça. La politique est armée pour accepter la réalité et pas pour changer la réalité. Nous avons une stratégie politique. Nous vous transmettrons tous les documents que nous avons sur les propositions, par exemple à la JIFE (Junta Internacional de Fiscalizacion de Estupefacientes) ou INCB (International Narcotics Control Board) – en anglais.

Ce que nous disons, c’est que le traité sur le Droit des Conventions définit que le traité des Droits de l’Homme est au-dessus de tous les traités. L'Uruguay a signé la Convention Interaméricaine des Droits Humains. Dans cette convention, l'Uruguay s’engage au droit à la santé, à la sécurité de tous ses habitants. Le narcotrafic, la commercialisation illégale, avec cette obligation de soumettre les consommateurs à obtenir leurs produits dans le marché noir, c’est soumettre les consommateurs à un acte de violence. Nous avons une interprétation de la notion de santé en considérant la santé comme une entité psychosociale avec un ensemble de déterminants sociaux. Alors, lorsqu’une action criminelle se produit, tuer quelqu’un, ou une action violente dans un quartier ou dans une communauté, produit du trafic illicite de drogues, ceci est dans une certaine mesure aussi une responsabilité de l’Etat. Parce que l’Etat oblige les consommateurs à alimenter le marché noir. Cela a donc un impact sur la santé. Les substances qu’ils y obtiennent ont aussi un impact sur la santé dans la mesure où ce sont des substances totalement dégradées, totalement hors des contrôles de qualité.

Il y a une atteinte aux droits humains lorsqu’il n’y a pas une application juste et équitable de la loi. Quand des personnes – pour pouvoir consommer – doivent commettre quelques actes délictueux et sont ensuite poursuivies, criminalisées pour avoir commis ces actes, alors que l’Etat, d’une certaine façon, les y a obligées, alors il n'y a pas une application juste de la loi. Donc c’est un axe pour argumenter sur le thème des conventions en question.

JH et OG

Nous comprenons cette argumentation. Mais c’est aussi une attitude, une philosophie politique. Alors, il y a quelque chose qui dit que les droits humains, juridiquement, sont au-dessus des conventions. Existe-t-il quelque chose de juridique à ce sujet, un avis de droit ?

JC

Le traité de Vienne, la convention de Vienne sur les Droits des Traités.

JH et OG

Par exemple en Suisse, on dit: les consommateurs bénéficient des droits humains, car ils ont des possibilités de traitements. Où est-ce que vous avez la possibilité juridique de dire que les droits humains sont supérieurs, sont violés à cause de la criminalisation ?

JC

Il y a une interprétation, toutes les normes sont interprétées ou interprétables, mais quand l’Etat oblige le consommateur à acheter dans le marché illégal, qu'il ne lui offre aucune alternative et qu'il lui reconnaît le droit à consommer, il y a là une contradiction.

JH et OG

Cet aspect-là, nous ne l’avons pas en Suisse, puisqu'il est interdit de consommer.

JC

Ah, vous ne donnez pas le droit à la consommation ? Il est interdit de consommer ?

JH et OG

La contradiction, c’est donc que l'Uruguay a légalisé en 1974 à la consommation et maintenant l’Etat ne donne pas la possibilité d’acheter.  Dans le cas de la Suisse, tout est interdit, la consommation aussi.

JC

Maintenant, je constate qu'il y a une tendance internationale à la dépénalisation et nous disons que ce sont les limites de la dépénalisation. Ainsi, pénaliser continue à maintenir la violation des droits humains des consommateurs. Vous devriez éventuellement trouver une brèche, faire quelque chose pour contrer le mal qui va se produire. C’est le rôle de l’Etat. Nous avons en Uruguay une conception très libérale, très républicaine de l’Etat. L’article 10 de la Constitution en Uruguay dit que l’autorité des magistrats ne peut pas affecter les actes privés des personnes dans la mesure que ces actes n’affectent pas des tiers. C’est pour cela que nous ne pénalisons pas la consommation, c’est acte privé.

JH et OG

Y a-t-il un juge qui a examiné cet aspect ? Au niveau de la structure judiciaire,  y a-t-il une décision stipulant que le raisonnement est juste juridiquement?

JC

Oui, nous avons l’article 10 de la Constitution et la loi 14.294 qui dépénalisent la consommation en 1974. Et ensuite nous avons une loi de 1998 qui modifie quelques aspects de cette loi et qui réaffirme ce courant, cette pensée que les actes privés des personnes ne tombent pas sous la tutelle des magistrats.

JH et OG

Nous comprenons la réflexion uruguayenne au niveau de la Constitution uruguayenne, mais pour savoir si le lien existe avec la Convention Internationale sur les Stupéfiants, il faut qu’un juge examine si c’est compatible. Vous dites que, selon vos lois, les droits humains sont au-dessus des conventions internationales de Vienne, mais vous continuez à avoir des problèmes avec Vienne, pourquoi ?

JC

Nous interprétons tous les conventions. La Chine, quand elle dicte la peine de mort d’une personne, elle interprète les conventions, non ?

JH et OG

Les USA aussi.

JC

Oui. Et nous, nous interprétons aussi les conventions. En outre, le rapport de décembre 2013 du Secrétaire Général de l'UNDC Yuri Fedotov soutient que les conventions s’interprètent. Alors, il n’y a pas une interprétation unique des conventions, il peut y en avoir plusieurs. Oui, nous faisons une interprétation.

JH et OG

Et cette interprétation a été acceptée à Vienne ? Vous avez été invités à expliquer votre interprétation à Vienne, non ?

JC

Oui, bon, il y a deux choses importantes. Vienne c’est la Convention sur les Stupéfiants (Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes) et la JIFE (INCB) sont deux choses différentes. La Convention sur les Stupéfiants ne s’est pas prononcée contre l'Uruguay, ni dans le segment de haut niveau, ni lors de la réunion de la commission elle-même.

JH et OG

Quand est-ce que cela a eu lieu ?

JC

En mars de cette année.

JH et OG

Dans laquelle des Commissions ? L’INCB (International Narcotics Control Board) ?

JC

C’était dans la JIFE (Junta Internacional de Fiscalizacion de Estupefacientes) ou l’INCB.

Dans les Nations Unies, le système est le suivant : il y a l’ECOSOC (le Conseil économique et social) qui a plusieurs Commissions. L’une d’elles est la Commission des Stupéfiants qui compte 54 membres des différents pays. Et puis il y a la JIFE  ou l'INCB. Ce sont deux organismes différents. La JIFE (INCB) compte, elle, 14 membres qui sont des personnes et non des Etats.

Ceux-ci étaient contre l’Uruguay dans la JIFE (INCB). Cette Commission se réunit une fois par année en deux séances : le segment de haut niveau à laquelle assistent les Chefs d’Etat (des personnalités comme par exemple Hugo Morales) et qui fait une déclaration annuelle. Il n’y eut aucune déclaration de la Commission des Stupéfiants contre l’Uruguay. Peut-être de certains pays. Mais pourquoi les pays membres ne se sont pas prononcés contre l’Uruguay ? Parce que cela fonctionne  sur le principe du consensus et de l’unanimité, si les pays ne sont pas tous d’accord, ils ne peuvent pas se prononcer contre quelqu’un ou un autre pays. Alors, s’il y a un, deux ou trois pays contre, la Commission ne peut pas être contre, il faut un accord. C’est pour cela qu’elle ne s’est jamais prononcée contre la peine de mort. Parce qu’il y a la Chine, l’Iran, le Pakistan. Cela fait partie du jeu de la politique international.

Ici, dans la JIFE (INCB), il y a 14 membres et, parmi eux, cinq membres ne furent pas d’accord de censurer l’Uruguay. Alors, il n’y eut pas non plus une censure contre l’Uruguay. Il y eut juste Raymond Yans, un Belge, qui était le Président de cette Commission au mois de mars, en porte à faux avec la réglementation uruguayenne qui se prononça contre.

JH et OG

Mais ici, nous avons 14 membres. 5 n’étaient pas d’accord de sanctionner l’Uruguay, mais la majorité était pour une sanction, non?

JC

Oui, mais comme il n’y avait pas d’unanimité…

JH et OG

Qui étaient les cinq ?

JC

Je ne me souviens pas de tous les noms, mais il y avait un Américain du Nord.

JH et OG

Un Nord Américain installé à Washington. Etonnant, non?

JC

Oui. Il y avait aussi un Mexicain. Bref, les membres de la JIFE (INCB) sont des représentants des pays, même s'ils sont élus par les blocs comme l'Amérique du Sud, l'Europe, l'Afrique…

JH et OG

Cela, vous l’avez aussi dans vos documents, n’est-ce pas ?

JC

Oui, dans la documentation que nous vous remettrons, tout y est décrit.

JH et OG

Est-ce que ces questions juridiques et sur les Conventions Internationales ont été discutées dans le Parlement de l’Uruguay ?

JC

Oui.

JH et OG

Et cela s’est bien passé ?

JC

Oui, car nous avons eu la majorité au Parlement, courte, mais la majorité.

JH et OG

Ok. Vous avez eu la majorité. Il y avait donc un vote à la fin ?

JC

Oui, mais nous avions la majorité. Ce qui est le plus important pour moi, dans ce processus politique, est que nous avons pu vaincre la dichotomie : interdiction/légalisation. Nous nous sommes mis d’accord avec les organisations sociales, des ONG, des universités, des entreprises pharmaceutiques, des pharmacies : si le choix avait été la légalisation ou rien, nous aurions choisi « rien ». Parce que nous n’allions pas avoir l’unanimité dans le système politique. C’est là que nous avons lancé l’idée de la régulation avec une participation forte de l’Etat et toutes ces organisations furent finalement d’accord.

JH et OG

La première idée c’était la légalisation ? Ou non ?

JC

C’était ce que proposaient les organisations sociales. Les groupes Cannabis, etc. Légalisation, légalisation ! Nous avons pensé que si le choix était la légalisation ou rien, on allait vers le « rien », alors nous sommes arrivés à un accord : la régulation. Et nous nous sommes demandé comment serait organisée cette régulation. L’Etat devait jouer un grand rôle de soutien et établir un ensemble de contrôles. C’est pour cela que cela s’appelle : Contrôle et Régulation de Cannabis, car il s’agit de réguler et de contrôler, ce qui n’est pas la même chose que libéraliser, où chacun fait ce qu’il pense.

JH et OG

Contrôle étatique ou libéralisme?

JC

Où se situe le problème ? Les Américains ont beaucoup travaillé là-dessus. Les Nord Américains. Que font-ils dans le Colorado ? C’est une libéralisation indiscriminée, du pur libéralisme. Dans le Colorado, tu peux retirer dans des dispensaires 28 g par jour. Personne ne peut consommer 28 g de marijuana par jour, en aucune manière! En effet, personne ne peut boire cinq litres de whisky, car après le premier litre, tu seras hors course. Même si on peut consommer 5 g de cocaïne par jour en parallèle. Alors, avec ce système, ils croient éliminer le marché noir et ils vont le faire en partie. Ils ont une production légale et ils ont une distribution cantonnée dans le  marché « gris ». En effet, ils savent que celui qui emporte les 28 g n’en consommera qu’1 ou 2g et, le reste, il le distribuera, le revendra dans le marché "gris". Pourquoi ont-ils pris cette option ?

JH et OG

Parce qu’ils sont capitalistes?

JC

Ils ont un Business Model. C’est un Business Model et nous, nous pensons qu’un modèle de type Business n’est pas un bon modèle pour le domaine des stupéfiants. Il faut avoir un modèle qui reconnaît que la drogue n’est pas un produit comme une chemise ou une cravate.

JH et OG

Via la prévention?

JC

La prévention, l’éducation, oui!

JH et OG

Et la responsabilité de l’Etat?

JC

Exactement. C’est le cœur, l’axe de notre proposition. Seul l'Etat peut apporter des correctifs, vraisemblablement pas le libéralisme à outrance.

JH et OG

Donc la prévention, cela reste le coeur. Nous aimerions revenir sur une question. Toujours en relation avec les droits. Les droits humains et puis les Conventions sur les Stupéfiants. Vous arguez que le devoir de la santé par l’Etat est supérieur au trafic. Mais pourquoi pas pour les autres drogues ? N'est-ce pas le même raisonnement pour les autres drogues? Cette question du droit de fumer du cannabis qui serait supérieur aux conventions ne se pose pas seulement pour le cannabis, mais également pour d’autres substances. Pourquoi ne parlez-vous que du cannabis et non des autres drogues?

JC

C’est un thème politique. La discussion dans le monde concernant d’autres drogues n’a pas encore surgi aussi fortement qu'avec le cannabis. Nous sommes partisans de la régulation de toutes les drogues. Mais il y a des drogues qui ont des caractéristiques différentes, par exemple, réguler la cocaïne avec le même système serait plus complexe que la marijuana parce que la plante de Coca ne pousse pas en Uruguay. La plante de Coca ne pousse que dans les Andes. Peut-être dans 30 ou 40 ans…

JH et OG

Politiquement, ça ne passerait pas?

JC

Cette discussion commencera une fois que le modèle du cannabis, ou le chemin que nous avons choisi, prouvera qu’il est viable et qu’il ouvre la discussion au niveau académique et dans les organisations sociales. Car si les associations sociales ne sont pas derrière en soutien, il ne sera pas possible de faire ce cheminement.

JH et OG

Vous dites  que la raison de la réglementation c’est la pauvreté, lutter contre la pauvreté, la criminalité, la violence. Qu’est-ce qu’on espère maintenant? Quel type de criminalité génère le cannabis ?

JC

Ne dites pas le cannabis. La police d’Uruguay affirme que l’alcool engendre plus de criminalité que le cannabis. Ce qui engendre de la criminalité, c’est le trafic illicite, ce n’est pas la consommation du cannabis.

JH et OG

Quelle criminalité y a-t-il ici en Uruguay en lien avec les drogues?

JC

Ici, la criminalité a augmenté entre 2008 et 2012, de 5 morts pour 100'000 habitants à 7,9 morts pour 100'000 habitants. Presque 3 de plus pour 100'000 habitants.

JH et OG

A cause du trafic ?

JC

Bien sûr! Et nous constatons qu’en 2012, par exemple, nous avons eu 82 morts inhérents au trafic.

JH et OG

Ils se tuent entre eux ?

JC

Règlements de comptes, délits pour dettes, etc.

JH et OG

La criminalité existe. Maintenant, vous allez réguler. La mafia, les trafiquants ne veulent pas de cela. Ne craignez-vous pas qu’il y ait des violences contre vous, qu’ils vous menacent dans les rues ? Qu’ils se disent que Julio Calzada est une personne clé qu'il faut éliminer et qu’il faut insécuriser le tout Etat et gagner ainsi la guerre contre l’Etat ?

JC

C’est une possibilité. Mais l’Uruguay est un pays très particulier. Il n’y a pas de grands groupes mafieux organisés. L’Uruguay est à un autre stade, ce n’est pas encore le Mexique, ni la Colombie, ni le Pérou. Il n’y a pas de grands groupes cartellisés. En fait, nous faisons ces démarches pour éviter que l'Uruguay ressemble un jour à d'autres pays, parce qu’à un moment donné il y a eu un début de phénomène que nous appelons « féodalisation » de certaines parties de la ville de Montevideo. Des zones dans lesquelles les services publics commençaient à avoir du mal à accéder. Quelles difficultés ? Les ambulances n’entraient que sous certaines conditions, les transports publics n’entraient pas, plus. Ce genre de choses commence à se produire. J’ai un document en anglais et espagnol à vous donner sur ce sujet qui s’appelle « La stratégie pour la vie et la cohabitation » et qui analyse ce phénomène. De la criminalité, il y en a toujours eu en Uruguay, comme dans tous les pays. Le problème est que le trafic de drogues a changé les valeurs même de la criminalité. C'est ce que l'on appelle les codes. Dans d’autres époques, il y avait certains codes ; certaines choses comptaient et d’autres non.

JH et OG

Est-ce que la question c'est : on fait quelque chose d’illicite, vendre de la drogue, donc on commet plus facilement d’autres actes interdits?

En criminologie, il est reconnu que lorsque je vends, je sais que c’est interdit de vendre. Je commence ma criminalité par vendre et je vais commettre d'autres délits plus facilement, plus de délits que si je ne commets pas l'infraction de base, à savoir la vente de drogues. Est-ce  une forme d'opportunité criminelle qui crée un climat criminel favorable au crime?

JC

Bien sûr, ça a changé. Ces codes, cette culture criminelle, par exemple, ne pas voler dans son propre quartier, c’était un code ancré en Uruguay. Celui qui volait allait le faire dans un autre quartier. Cette culture de trafic de drogues a brisé ce principe. Il y a eu une métamorphose.

HJ et OG

C'est comme le cancer.

JC

C’est ça!

JH et OG

C’est comme au Honduras. Le cancer a commencé petit à petit et, maintenant, c’est un pays extrêmement vulnérable  au niveau étatique.

JC

Ce que nous faisons est un chemin, ce n’est pas forcément un modèle pour d’autres qui connaissent des problèmes beaucoup plus graves.

JH et OG

Est-ce une forme d'impulsion.

JC

C’est un chemin.

JH et OG

Est-ce  donc  un chemin et non un modèle ?

JC

Oui, c’est un chemin, car il faut des conditions pour pouvoir le faire. Il doit y avoir la possibilité de la présence de l’Etat, un Etat reconnu et respecté.  Ce que nous avons défini n'est certainement pas applicable dans d'autres pays du jour au lendemain.

JH et OG

Vous démarrez maintenant. Il y a une opposition, alors si vous n’atteignez pas certains objectifs fixés et que, par exemple, la criminalité augmente, la violence augmente parce que peut-être les trafiquants injectent plus d’argent ou d'autres possibilités… Quels seront les plus grands risques de ce chemin ?

JC

Ce chemin est très risqué. Le premier risque serait de penser que c’est une solution parfaite. Il s’agit d’une solution imparfaite.

JH et OG

La moins mauvaise. En Suisse aussi ce serait cela…

JC

C’est pour cela que c’est un chemin. Tu lui donnes une certaine direction, mais tu peux la changer à certains moments.

JH et OG

Y a-t-il beaucoup de risques? Dites-vous que si les objectifs ne sont pas atteints, il faut prendre d’autres chemins?

JC

En fait, nous voulons établir les prémisses nous permettant de prendre un autre chemin. Si les prémisses que nous avons ne sont reliées qu’à la loi pénale et au contrôle, nous savons toutes les erreurs qui peuvent surgir. Les consommateurs se criminalisent, le pouvoir économique des organisations criminelles se développe, les organisations maffieuses se renforcent, puis, en partie, migrent d’un domaine à l’autre et redonnent un élan au trafic de personnes, au trafic d’armes, à l’extorsion. Tout cela en se basant sur le fait que, dans le monde, il y a 200 millions de consommateurs qui déposent leur argent dans les poches des trafiquants – je ne sais pas – 50 millions ou 100 millions de dollars par jour. Alors, est-ce la bonne voie?

Avec nos réflexions et nos choix sociétaux, nous établissons les bases pour prendre une autre voie. Ces bases reposent sur l’idée que ces régulations et pour ces régulations, l’Etat doit être présent, avoir une capacité de contrôle, de gestion, de conception, d’évaluation et de monitoring. Alors, nous, dans ce cadre-là  et dans ce consensus, nous avons créé il y a deux mois un Comité scientifique et un  Conseil pour l’évaluation et le monitoring de la nouvelle politique. Et nous sommes en train de travailler avec des scientifiques uruguayens qui ne sont pas nécessairement experts en drogue, avec des universitaires et des chercheurs internationaux, dont certains sont experts en matière de drogues. Avec eux, nous sommes en train de créer un processus d’évaluation et de monitoring dans quatre grands axes (dimensions). Un axe est: comment cette loi influe-t-telle en bien ou en mal la sécurité et la cohabitation, la santé psychosociale, la juste application de la loi et la gouvernance politique au niveau local, régional ou global. Ce sont les prérogatives pour prendre une voie différente. Et nous commençons à les construire, par exemple maintenant avec la réglementation de la loi. Nous orientons le bateau dans une direction. Si demain, le monitoring d’évaluation nous indique que l’on doit changer le chemin et partir un peu de côté, on va corriger, mais pas à partir de la loi. Nous partirons de la réglementation, nous en ferons une nouvelle, et nous partirons sur un nouveau chemin. Quelles sont les possibles erreurs ? Il y a beaucoup de choses : le système de vente en  pharmacies n’est peut-être pas le plus adéquat, il faudra peut-être le changer…

JH et OG

Que les prix soient trop élevés, cela peut-il être un problème?

JC

Ou que les prix soient trop bas… Tout cela, nous le faisons à partir de la réglementation. C’est pour cela que nous devons avoir une évaluation et un monitoring forts. Et penser que nous ne sommes pas infaillibles, qu’il peut y avoir des défauts, mais qu’il faut établir des mécanismes qui ne soient pas seulement pénaux. Parce que ceci est un mécanisme et ses bases sont conceptuelles. Ce mécanisme est culturel, social et fondamentalement économique. Il faudra voir comment évolue la situation.

JH et OG

Y a-t-il un aspect multifactoriel?

JC

Exactement. Et c’est ce que nous tentons de faire, en monitorant.

JH et OG

Et pour faire tout cela, c’est un grand effort de la part de l’Etat. Vous avez les financements pour réaliser ce processus ? Parce qu’en Suisse, on dit souvent : "c’est bien, c'est intéressant, mais ce n’est pas une priorité politique, le cannabis n’est pas très important, la criminalité est faible et nous n’avons pas d’argent. Il y a des choses plus urgentes pour l’Etat qu’investir là-dedans". Avez-vous aussi ces remarques ?

JC

Les chiffres que nous avons dans notre évaluation indiquent que ce projet se finance lui-même.

JH et OG

Il s’autofinance?

JC

Ce modèle s’autofinance. Il ne demande aucun développement supplémentaire. Nous sommes en train de monter l’Institut de Régulation et Contrôle du Cannabis (IRCCA), mais ce n’est pas une tour d’ivoire. Nous n’aurons pas tout à faire, il y a des questions que la police continuera à traiter, d’autres qui seront prises en charge par la santé. Nous n’avons pas besoin d’avoir, par exemple, un laboratoire. En Uruguay, il y a 3 ou 4 laboratoires qui peuvent analyser la drogue, alors pourquoi est-ce que je créerais un laboratoire ? Nous aurons un groupe spécialisé qui peut entrer dans une maison et dire : ces deux plants sont des plantes femelles qui ont des agents actifs ou ceci est un plant mâle à ne pas considérer.

JH et OG

En Suisse nous sommes très intéressés par ce qui se passe ici, ainsi qu’au Colorado. Alors est-ce que vous seriez motivés à faire une plateforme internationale, regroupant toutes les expériences sur ces voies possibles? Colorado, Washington, Espagne, Uruguay, Hollande…Nous allons, si c’est possible, créer des projets pilotes sur le sujet. Nous pensons à une plateforme internationale –dont  nous devrons discuter des modalités – de façon à échanger tout ce qui ressort de ces différentes voies, ce qui marche bien, ce qui ne fonctionne pas bien, pourquoi cela fonctionne ou pas.

JC

Oui, nous avons un intérêt majeur à être à disposition. Nous coordonnons ces quatre axes (dimensions) depuis ici, mais ce sont plus de 50 chercheurs (intellectuels) du monde entier qui participent d'ors et déjà au monitoring. Il y a par exemple Tom Lloyd, un commissaire anglais, de Londres. Il y a des possibilités pour vous de rejoindre ce groupe d’évaluation. Nous pouvons organiser une réunion avec  le Comité Scientifique. Vous partez quand ?… Vous pouvez rencontrer quelqu’un du Comité Scientifique si vous le voulez, je vous l'organise volontiers. 

Pour nous, c’est une plateforme ouverte, virtuelle, nous créons aussi des événements réels. Nous serions très ouverts au fait de vous voir faire partie de cette plateforme, donner votre avis sur ce que nous faisons. Nous allons voir si nous pouvons organiser une réunion avec un membre de ces Commissions de travail. C’est un système très simple: on élabore des documents, on discute, on reçoit des avis et nous décidons. Mais c’est un Comité Scientifique pour le monitoring et l’évaluation de la politique. Et là il y a tout le monde : la sécurité, les services d’urgences, la santé, le juridique. Il y a Peter Reuter de l’Université de Maryland aux USA. Il y a le Prof. Albrecht du Max Planck Institute à Freibourg en Allemagne. Il n’y a pas de Suisse pour l’instant. Il y a aussi Araceli Majon.

JH et OG

Lorsque la régulation commencera, est-ce que les peines vont augmenter ? Et que faites-vous avec les personnes qui étaient dans le trafic et qui sont en prison ?

JC

La loi en vigueur va s’appliquer de la même manière. Ce qui a paru récemment dans la presse, c’est que des personnes poursuivies pour trafic de marijuana seraient libérées. Mais cela n’arrivera pas. Finalement, le trafic n’est pas inclus dans la consommation de stupéfiants.

JH et OG

Y a-t-il une amnistie pour des personnes qui ont eu des problèmes avec la loi et qui sont en prison ?

JC

Non, ce n’est pas prévu.

JH et OG

Que pense la police de tout ceci ?

JC

La police, chez nous, a la culture du respect de l’autorité. En général, elle n’apparaît pas dans l’opinion publique. On ne demande pas à la police de donner son avis.

JH et OG

Ainsi, on change la loi, elle applique la loi?

JC

Oui

JH et OG

Elle ne dit peut-être rien en public, mais que pense-t-elle en interne ? Quelle est son attitude?

JC

En réalité, tout dépend de la responsabilité de la police.

JH et OG

Les hauts gradés sont-ils en faveur du programme de règlementation?

JC

Ils ne sont pas en faveur. Ce qui se passe, c’est que cela fait plus de deux ans que nous parlons de ce thème et la police a eu le temps de se préparer aux difficultés qu’elle pourrait trouver en appliquant cette nouvelle loi. Mais à l’heure actuelle, il n’y a pas de résistance de sa part. Parfois, chez les agents qui travaillent sur les plages, par exemple, qui ont des tâches très focalisées sur le thème, il y a de la résistance, mais surtout par manque de connaissances sur le sujet et par manque de distance.

JH et OG

Et les journalistes sont-ils en faveur ?

JC

Il y a de tout. Ils sont toujours très attentifs. Nous avons une presse qui véhicule des fausses nouvelles en permanence. Dans ce thème en particulier, citant des sources qu’ils ne peuvent nommer, ils publient des nouvelles fausses.

JH et OG

Parce que la presse est entre des mains de gens qui ont de l’argent ?

JC

Oui. Ici nous avons des entreprises qui sont propriétaires de chaînes.

JH et OG

Et quelle est l’attitude de la justice face à ce projet?

JC

Il n’y a pas de déclaration expresse à ce sujet. Ils ont participé aux discussions pendant tout le processus. La justice ne se prononce pas. Elle peut dire si la loi est constitutionnelle ou non, ou se prononcer  s’il y a une initiative de quelqu’un qui présente ce qui s’appelle un « recours d'inconstitutionnalité ». Mais personne ne l’a fait.

La loi de régulation est très stricte parce que pour avoir jusqu’à 40 g de Marijuana dans la poche, il faut être soit être cultivateur, soit membre d’un club ou être enregistré dans le système des pharmacies. Sinon on ne peut pas. Ensuite, lors de l’application de la loi – la loi se dit « bénévole » – si on trouve quelqu’un qui n’est pas enregistré, on ne va pas le condamner à une peine de deux ans. Ce serait disproportionné. Mais il aura commis une infraction, alors on lui retirera la drogue qu’il a sur lui, s’il a des plants à la maison on les lui prendra, mais il ne sera certainement pas poursuivi. C’est l’application de la loi. La loi se tient aux faits légaux et va dépendre plus de la jurisprudence que de ce qui est écrit. De là l’idée de réguler, elle ne va pas permettre que chacun puisse avoir un plant chez lui. Pour en avoir chez soi, il faut remplir certaines conditions. Par exemple, il faut que les plants soient recouverts d’une toile ou quelque chose qui bloque l’accès aux enfants.

JH et OG

Maintenant, vous avez les mêmes prix que le marché noir : 1 dollar le gramme. Pourquoi ? Pourquoi ne pas commencer par un prix plus bas ?

JC

Parce que la qualité de marijuana qui va être commercialisée est différente. Celle qui se consomme ici est en générale en provenance du Paraguay et compte de nombreux mois de stockage dû au trafic, elle arrive dans de mauvaises conditions.

JH et OG

Le produit sera donc meilleur.

JC

Non, seulement, le cannabis sera plus naturel, mais les pourcentages de THC et de CBD seront plutôt bas. Nous sommes en train de calculer avec quel pourcentage nous allons mettre le cannabis sur le marché. On ne peut pas non plus lancer des taux trop élevés, car ce serait alors un problème de santé.

JH et OG

Et si les prix baissent dans le trafic illicite ? Les trafiquants ont beaucoup d’argent, alors s’ils décident –maintenant que commence la régulation – de faire baisser les prix pendant une année à 50 ct. au lieu des 1 dollar du marché officiel. Baisserez-vous  aussi votre prix ? Pensez-vous qu’avec une meilleure qualité vous pourrez combattre cette concurrence ?

JC

Je ne crois pas en cette hypothèse. Mais – à OG-, toi qui est dans la sécurité, tu peux le comprendre facilement, le prix des drogues dans les marchés noirs ne correspond pas à la valeur intrinsèque du produit, mais au coût de son interdiction. Et l'interdit du trafic sera renforcé. Ce que nous ne pouvons pas faire, c’est baisser notre vigilance, baisser notre niveau de contrôle du commerce légal. Nous devrons le maintenir ou l’augmenter. C’est une des prémisses que nous avons.

HJ et OG

Oui, il est important que la police intervienne avec force contre les trafiquants, même si cela restera difficile.

Nous avons été enthousiasmés par ta présentation d'hier au congrès de la RIOD. C’était incroyable : l’histoire avec des films, l’émotion avec ces chants et ensuite la théorie, les statistiques et ensuite bien sûr tes explications très intelligentes et intelligibles. Nous allons faire un rapport auprès du Ministère de la santé publique suisse. Serait-il possible d’avoir ces deux films ? Nous pourrions les prendre en Suisse et le montrer ?

JC

Oui, bien sûr.

HJ et OG

Nous avons besoin de tels films. C’est très limpide et les films sont aussi traduits en anglais. Félicitations ! La dramaturgie est fantastique et le rationnel est convaincant. Il y a d’abord : pourquoi le problème, la question de savoir pourquoi le problème des drogues existe-t-il, avec son histoire centenaire, puis l’émotion et après tes explications.

Dernières questions: Avez-vous eu des pressions directes de la part des  USA contre le projet de régulation uruguayen ?

JC

Non.

Si jamais cela vous intéresse, après le coup de fil que je viens de passer, nous sommes d’accord de participer à la plateforme que vous nous avez proposée, si vous la gérez. Nous n’avons pas la possibilité de gérer plus de choses en ce moment. Nous n’en serions pas responsables, mais nous sommes prêts à être partenaires, à la promouvoir et éventuellement à organiser un congrès à Montevideo s’il y a un intérêt et des possibilités.

Muchas gracias.

L'entretien a eu lieu en espagnol à Montevideo le 9 mai 2014.

Il a été traduit en français par Julia Moreno.